3 questions à Anela Lebic

“Souvent, on associe le digital aux outils, aux machines, alors au mieux, on arrive à dégager un budget pour les outils. Et on oublie que ces outils ne peuvent être utilisés qu’à hauteur d’homme, à hauteur de leur conscience et de leur connaissance. Où sont les budgets pour les ressources derrière les machines, pour le capital humain ?

– Anela Lebic, Fondatrice et directrice de IHP (Institute for Human Positioning)

 


Chaque semaine, Swiss Marketing Léman interroge des experts en marketing et communication afin de prendre le pouls de cette discipline. Les réponses de ces différents spécialistes dressent le panorama concret des pratiques et outils de marketing en Suisse romande.


Selon vous, quel est l’état du marketing digital en Suisse romande? 

La réponse simple et politiquement correct est qu’il est là où il peut être.

Après, si l’on distingue ce qui se fait dans le monde et ce qui se fait réellement en Suisse romande, on est « complètement à la ramasse ». De nouveau, on fait comme on peut.

Mais ce qui me frappe, c’est qu’on a oublié l’essentiel : l’humain. Souvent, on associe le digital aux outils, aux machines, alors au mieux, on arrive à dégager un budget pour les outils (et cela a enfin lieu surtout grâce au Covid).

Et on oublie que ces outils ne peuvent être utilisés qu’à hauteur d’homme, à hauteur de leur conscience et de leur connaissance. Où sont les budgets pour les ressources derrière les machines, pour le capital humain ?

J’ai commencé en 2009 en télémarketing (quand j’utilise ce terme, cela semble il y a un siècle en arrière !) A l’époque, on pouvait se permettre d’être en retard. On pouvait plus facilement rattraper le temps perdu. Aujourd’hui, tout va mille fois plus vite : avec cette accélération nous n’avons plus le luxe d’être en retard.

On parle actuellement de green washing, j’aimerais qu’on en soit déjà à dénoncer le human washing : cela signifierait au moins que la prise de conscience du changement a eu lieu et cela dénoncerait les mauvaises pratiques.

Les termes de « capital humain » sont très répandus dans la communication corporate, mais les slogans ne reflètent pas la réalité du terrain : quelles sont les entreprises qui investissent réellement dans les compétences collaborateurs ?

Les statistiques en Suisse n’existent même pas à ce sujet, ça veut tout dire à l’ère du data ! Et celles qui veulent le faire se rendent rapidement compte qu’elles ne savent pas comment s’y prendre. On connaît les outils mais on ne sait pas les implémenter.

C’est pourquoi entre autres j’ai créé l’Institute for Human Positioning, avec 2 programmes, l’un pour les particuliers, l’autre pour les entreprises.

 

Pour vous, quel est le levier le plus puissant du marketing digital?

Pour moi, c’est l’image, quand elle est vraie. Et la vidéo, notamment, permet l’exposition de l’humain « dans sa chair » sans tricher. Le corps ne ment pas, les études ont déjà montré que le langage non-verbal compte pour une part énorme de la communication. Les consommateurs ont l’embarras du choix, ils veulent ce qu’il y a de mieux.

Il est facile de faire de beaux flyers, mais on ne voit pas l’énergie qu’il y a derrière. Comme aujourd’hui, nous sommes tous pressés, la vidéo permet de faire ses choix plus rapidement : elle permet de s’identifier tout de suite ou non.

Cette évolution n’est pas facile pour les entreprises. Depuis 2009(!), on sait que 2/3 du marketing passe par les consommateurs. Les entreprises ont perdu le contrôle. L’étape qui suit est d’accepter cette perte de contrôle et d’explorer des nouvelles pistes dans un énergie plus féminine, un marketing plus conscient.

Arrêtons de nous demander “comment VENDRE plus” et commençons à travailler à “ETRE” mieux. Ce sont les paradigmes même de l’entreprise qui sont ici remis en cause ; il est temps d’ouvrir les yeux, d’accepter que notre économie n’est pas rationnelle.

Bien souvent le marketing peut revêtir une connotation négative car on parle de manipulation. Mais cela relève d’ignorance et de méconnaissance.

Quand on travaille nos outils d’hyper-présence, cela développe justement notre capacité à être là, à être complètement présent, et ainsi beaucoup moins manipulable. Et en tant que marketeur, à offrir de vraies solutions durables, conscientes et efficaces.

 

Pour vous, quelle est la prochaine grande tendance à surveiller ?

Vous l’aurez compris, le marketing aujourd’hui, même digital, doit se baser sur l’humain.

L’évolution a déjà commencé: de product-centered il y a vingt ans à client-centered aujourd’hui. Il est temps d’embrasser le marketing human-centered. Pour se lancer dans la transformation, je suis convaincue que cela passe par l’humain.

Si l’on se concentre sur les outils, on sera constamment en retard en tant que marketeur. Regardez, nous n’avons plus besoin de nouveaux services ou de nouvelles choses, tout est déjà là.

Alors que derrière chaque humain, se trouvent ces émotions universelles, comme la peur du rejet ou le désir d’appartenance : ce sont ces questions qui méritent que l’on tente d’y répondre.

Plusieurs grands auteurs américains abordent cette thématique :

  • Seth Godin, qu’on ne présente plus
  • Simon Sinek, avec son concept du Why
  • Mark Schäffer, avec Marketing Rebellion, que je suis en train de relire pour un cours que j’ai créé pour la Haute Ecole de Gestion de Genève et qui nous rappelle que le marketing se situe à l’intersection des sciences humaines : la psychologie, la sociologie et l’anthropologie
  • Mark Manson qui démontre la puissance de nos parts inconscientes

Tous parlent du « marketing du cœur », et pour une fois, je suis ravie que cela ait été écrit par des hommes légitimes reconnus, car si cela avait été par des femmes, malheureusement le concept aurait été moins pris au sérieux et aurait été perçu comme le « monde des bisounours».

Je crois que ce monde est notre nouveau paradigme; soit on accepte de jouer le jeu, soit on sera mis hors jeu. Et l’arbitre ne sera autre que le consommateur.

 

BONUS/ Quels outils digitaux utilisez-vous tous les jours ?

Je vais vous dire quel outil j’utilise tous les jours : il s’agit de mon corps. Peut-être que cela semble « facile à dire », mais dans la réalité du quotidien, combien dirigent leur entreprise et leurs équipes ainsi ?

Les émotions sont justement de la data, et trop peu encore la prennent en compte. Je vous suggère de commencer à utiliser ces données, non pas pour vendre davantage, mais pour vous servir mieux et ainsi mieux servir vos clients.

La notion d’exemplarité est centrale, et encore plus aujourd’hui avec les nouveaux métiers de formations (notamment en ligne) qui émergent : comment éduquer les gens si soi-même on n’est pas congruent ?

Le travail sur soi, par exemple à travers des retraites, de l’auto-hypnose, des exercices de sophrologie, ou tout simplement une thérapie, impacte ta stratégie, ton interaction avec tes équipes, etc. Et c’est là qu’on voit des résultats durables.

En tant que femme, on peut également travailler sur l’aspect cyclique de notre énergie et synchroniser les tâches qui sont les plus efficaces selon la période avec les moments les plus adéquats.

Mon corps est une véritable boussole qui me guide dans la réussite de mon activité professionnelle.


 

Plus d’infos: https://institutehumanpositioning.com

Propos recueillis par Raphaëlle Boissicat, présidente de Swiss Marketing Léman et fondatrice de Moderne Attraction, agence digitale à Genève

 

 

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Raphaëlle Boissicat

Raphaëlle Boissicat est experte en marketing digital. Elle est présidente de Swiss Marketing Léman depuis avril 2021. Raphaëlle est également la fondatrice de Moderne Attraction, agence spécialisée en stratégie digitale pour les PME et les indépendants.

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