Autoroute ou Impasse ? Être ou ne pas être trop compétent : telle est la question.

En guise d’introduction, une conversation avec mon client après un “comité de projet” sur un projet connexe au mien.
Le chef de projet a eu clairement du mal à expliciter sa feuille de route, ou tout simplement à nous captiver ou à nous convaincre d’une réelle maîtrise de son sujet . À sa décharge, le sujet de fond est de l’ingénierie technique et l’ampleur du projet le rend assez complexe. Mon client, sponsor de cet autre projet, a patiemment attendu pendant que ce chef de projet cherchait (parfois en vain) des réponses à ses questions élémentaires ou un peu plus précises. Je note consciencieusement tous les points sur lesquels nous allons devoir revenir par mail qui n’ont pu être répondu en séance. 

Fin de la séance, échanges informels avec mon client qui me connaît bien et sait comment je gère mes propres comités de projet et de pilotage depuis plus de 8 mois : “Tu vois, cet autre projet aurait vraiment besoin que tu le formes !” me dit-il avec un grand sourire.
Il poursuit avec un ton grave et l’air très sérieux “Sincèrement, vu le standard de médiocrité du marché en gestion de projet et vu tes capacités, tu as un boulevard ! Non, tu as même une autoroute !”

Je ne peux me contenter d’un sourire gêné et lui confie ma vérité : “Ma réalité c’est plutôt une ruelle, une petite venelle même et certainement pas une autoroute, et encore, j’ai toujours un sérieux doute que ce petit bout de route ne se termine pas en impasse.”

Il rigole – peut être me croyant emprunt d’humilité ou alors un peu gêné que je ne partage pas son enthousiasme, je ne saurai jamais !- puis nous changeons de sujet.

Thèse : un individu doté de bonnes compétences professionnelles suffirait à initier une société commerciale prospère et pérenne

Bon, allons droit au but : je n’y crois pas du tout. Mais jouons tout de même le jeu d’y croire quelques instants pour supporter un minimum cette thèse.
Prenons une personne ayant prouvé d’excellentes compétences professionnelles en prestation de services qui surpassent nettement les standards du marché, ses compétences reposent notamment sur :

  • une bonne éducation personnelle et académique,
  • une expérience professionnelle complète et exigeante d’un certain nombre d’années (disons 15),
  • un bon sens et un pragmatisme reconnu par ses pairs,
  • une énergie de bien faire à la fois contagieuse et appréciée (ma définition du leadership ?)

Misons maintenant sur cette personne pour monter d’abord un solo business, commençons petit mais sécurisant (pas d’investissement massif, pas de risque lié à des associés ou des employés, moins de risque de se faire déborder).
Franchement, mon expérience – et peut-être la vôtre ?- me fait dire qu’il rentre dans un jeu de survie “survival mode” ou ses probabilités de survie à 5 et 10 ans ne sont pas forcément des plus réjouissantes car tellement, tellement dépendantes des conditions de marché !
Si une entreprise établie peut constituer des réserves et encaisser les coups du marché, ce n’est pas aussi évident pour un indépendant.

Mais bon, comme cet individu est vraiment bon, admettons qu’il arrive à survivre les premières années et se lance dans l’étape plus ambitieuse de monter une société commerciale. . .
Clairement les probabilités de succès, déjà minces en indépendant, deviennent ridicules en création d’entreprise de zéro (ou disons d’un seul individu). Si malgré tout, cette entreprise marche, je garantis qu’il n’y aura pas eu de boulevards ni d’autoroutes !! Au contraire beaucoup de sueur, de fatigue, de risques, de difficultés, de retournements indésirés, etc.

Note : je pense que dans les métiers manuels, les probabilités de réussites sont bien plus élevées que dans l’industrie ou les prestations de services.

Antithèse : un individu doté de bonnes compétences professionnelles aurait encore plus de difficultés à initier une société commerciale prospère et pérenne

Cette antithèse décrirait elle une réalité contre intuitive mais prouvée par des faits ? Se méfie-t-on des bons car ils sont trop bons ? Car ils représentent une menace pour les mauvais ? Car ils ne peuvent s’empêcher de vouloir changer radicalement l’écosystème de médiocrité où tout le monde est confortablement habitué ? C’est tellement tiré par les cheveux que certains pourront crier au complotisme et pourtant, j’ose poser la question : combien de vrais bons sont à la tête des entreprises de nos pays ?

Les débuts d’une entreprise qui grandit sont le plus souvent erratiques et jamais vraiment “bons du premier coup”. Une personne très compétente peut d’autant plus se trouver surchargée à essayer de tout gérer, tout améliorer, etc. Le business magique automatique et sans effort n’existe pas. Quand bien même cette personne très compétente serait dotée d’un réseau d’affaires hors norme, il y aurait fort à parier que le côté confortable d’une conduite autoroutière ne soit qu’une utopie. Ne serait-ce que pour lancer l’affaire et faire connaître ses services, cela demande une énergie colossale et d’emprunter plus de petites routes et de cul-de-sac que jamais auparavant vous n’auriez imaginé !

La question qui fâche vraiment : faut-il vraiment être bon ? Et si par malheur on l’est, faut-il se limiter pour maximiser sa réussite professionnelle ?

Je vous laisse sur cette réflexion limitante ou révoltante selon votre appréciation . . .

. . .et je conclus dans mon cas personnel :

  • je ne suis pas complètement dans une impasse car je vis et fais vivre ma famille de mon travail en tant que consultant indépendant,
  • je ne peux pas prédire la suite de ma propre route mais j’ai l’intime conviction que -même en supposant avec orgueil que je suis bon – ce ne sera jamais une autoroute, 
  • le jour où j’embaucherai des personnes avec la certitude de pouvoir les faire vivre décemment de leurs revenus est encore très loin d’arriver ou alors je ne suis pas au courant !

Merci à mon client de m’avoir inspiré cet article, merci à mes lecteurs de partager mes réflexions.

Cheers,

T

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Thibaut Gallineau

Thibaut Gallineau est Consultant Indépendant à Genève pour les Services Financiers et les PME, sa curiosité intellectuelle l'a aussi poussé à devenir Enseignant-Chercheur et Professeur Associé dans plusieurs Business School et à créer avec des amis plusieurs entreprises. Marié et père de 5 enfants l'ennui ne fait heureusement pas partie de sa vie.

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