Le “sommet” de ta carrière, vraiment ?

Je rebondis dans ce texte sur ce concept de “sommet” d’une carrière qui m’a été exposé récemment dans une discussion avec un “C-Level” c’est-à-dire une personne au titre de Dirigeant non usurpé.
Dans une première réflexion, j’ai instinctivement trouvé cela grandiose de pouvoir se dire “j’ai atteint le sommet”. Toutes ces implications heureuses se sont alors chevauchées dans mon esprit …

… atteindre le sommet de sa carrière, c’est :

  • dominer par son expérience, sa légitimé et son intelligence
  • ne plus rien avoir à prouver de ses compétences, de son “background”, de ses succès, etc. soit un total accomplissement de soi
  • avoir atteint une orbite stationnaire de sécurité où vous ne craignez plus aucun revers de situation, au pire vous changerez d’entreprise mais vous resterez en position dirigeante
  • être challengé par son métier à son plein potentiel avec des décisions et des responsabilités à la hauteur de la confiance qui vous a été donnée en même temps que vos responsabilités
  • (en option) ne plus chercher d’augmentation de revenus
  • (en option) avoir une certaine assurance et prendre plaisir à transmettre ses connaissances et à former ceux qui sont encore dans leur ascension vers leur propre sommet

La métaphore scientifique nous permet d’assimiler cette description à celle d’un état d’équilibre stable :

Ma seconde réflexion m’a donc fait voir cette cuvette assez morne de l’équilibre stable où l’horizon se limite finalement aux pentes de la cuvette. Clairement moins exaltant qu’un sommet montagnard, plutôt un sommet de stabilité dans la profondeur.

Dans mon esprit je suis donc passé d’une vision béatifique d’un satisfecit complet à une image d’un Homme pieds et poings liés : ceci a déclenché ma motivation à vous écrire ce texte, moitié article – moitié partage de pensées.

J’envisage la vie professionnelle comme un voyage sans réel état stable durable.

Comme dans tous les itinéraires, il y a des impasses, des routes en mauvais état, des virages dangereux, des côtes pentues, et bien sûr le terminus. Mais il y a également des belles descentes, des grandes lignes droites, des beaux panoramas et d’autres conforts ou plaisirs qui nous font apprécier le trajet.

Sur cet itinéraire, certaines portions sont faites à vive allure concentrée dans son bolide, d’autres portions particulièrement chargée doivent être plutôt effectuées à une allure modérée comme celles d’un bus avec étage ou d’un camion avec remorque.

Toujours sur cet itinéraire, certaines portions sont effectuées en convoi et on reçoit alors le fameux titre de chef de convoi, de Dirigeant d’entreprise.

Ceci m’a conduit à une réflexion sur la condition de Dirigeant d’entreprise… Vous me suivez encore ? Alors en route montez dans le convoi de mes lecteurs curieux et libres penseurs !

La fierté du Dirigeant est à double tranchant : l’exigence et la stature. L’exigence, c’est ce carcan de responsabilités pesantes liées à la personne morale dirigée. La stature, c’est cette somme d’enchaînements à ce que les autres attendent de vous, à ce que vous pouvez dire et ne pas dire, faire et ne pas faire.

Bref, être Dirigeant c’est plutôt glorieux mais aussi plutôt lourd à porter.

Je dois m’arrêter un moment ici pour ne pas omettre aussi la face sombre de ce sommet de la Direction d’organisations. Cette ascension de l’ombre faite d’accointances plus ou moins fortuites mais quasiment toutes dictées par des intérêts personnels ou des liens qui n’ont rien à voir avec les compétences professionnelles, rythmée de compromissions plus ou moins grandes envers l’intérêt général de l’organisation, ponctuée par les maintiens de mauvaises décisions passées par crainte d’auto-discrédit, voire pire d’écrasement ou d’éviction des autres, la liste peut se poursuivre mais je l’arrête ici.

Certes, tous les Dirigeants ne sont pas corrompus mais diriger implique systématiquement de faire des mauvais choix à un moment donné et :
– peu de Dirigeants se remettent réellement en question vis-à-vis du bienfondé de leur décision
notre monde professionnel est actuellement très mal armé pour limiter les abus de pouvoir de tout type (j’attends encore de voir une organisation ayant signée une véritable charte contre les abus de pouvoir internes avec des mécanismes tangibles de contrôles pour démordre de mon opinion)

En quelques mots, être Dirigeant c’est rester imparfait comme tout le monde mais devoir supporter un impact démultiplié – positif si possible ! – à chacune de ses décisions. Il faut non seulement ne pas être indécis mais il faut en plus être capable de supporter et d’assumer le risque, la pénibilité et tous les autres conséquences de ses mauvaises décisions.

Par ailleurs, j’ai pu constater en les conseillant depuis maintenant plusieurs années que les Dirigeants deviennent parfois mono-focus. Ils se rassurent en se disant qu’ils donnent des cours, qu’ils aident des startups et des plus jeunes voire qu’ils sont au “Board” d’autres entreprises et qu’ainsi ils rencontrent beaucoup de monde et que leur activité professionnelle est riche et très diversifiée.
En réalisé ils se leurrent, ils sont tout entier accrochés à cette fonction / ce titre de Dirigeant,  qui constitue à la fois leur sommet personnel et leur propre limitation. J’ai à l’esprit des cas très concrets en tête de Dirigeants qui s’accrochent comme des moules à leur bouchot car ils sont parfaitement incapables de faire autre chose. On est très loin du Servant Leadership ou d’un quelconque esprit de service.

Pour autant, j’admire sincèrement bon nombre de Dirigeants que je connais personnellement : ils et elles ont su être l’homme ou la femme de la situation et ont su prouver les multiples bienfaits de leur contribution personnelle au succès de l’entreprise. Je n’ai pas peur des mots : certains m’ont convaincu de leur génie, de leur indéfectible résilience, de leur vraie sagesse. François Garagnon les surnommait les “Capitaines d’industrie” dans son ouvrage Le bréviaire de l’homme d’action. J’en ai rencontré, j’ai échangé longuement avec eux et pour certains nous entretenons une profonde amitié qui dure depuis de nombreuses années. J’ai la chance d’apprendre énormément à chacun de nos échanges. Je leur dédie humblement ce texte car j’ai une perception juste de leur sens de l’effort et leur volonté de bien faire.
Et à ceux que je connais aussi personnellement mais que je suis très loin d’admirer, je les invite à être vrais, loin de toute idée déconnectée de piédestal ou “d’intelligence supérieure”. Je les remercie également de m’avoir montrer l’exemple à ne pas suivre, je ne pourrai pas dire que je ne savais pas !

A titre personnel, je suis à la fois enthousiaste et très perplexe à prendre un engagement de Dirigeant dans le futur de ma vie professionnelle. Je m’accroche en tout cas à ma devise Think to do Better pour constamment penser le sens, l’impact et les conséquences de mes responsabilités.

En guise conclusion:

  • selon moi, il n’y pas de sommet absolu d’une vie professionnelle, il y a des phases plus grandioses que d’autres c’est certain, mais le tout est de garder une cohérence de fond sur ses capacités et son engagement, qu’importe le titre ou la responsabilité confiée;
  • je prends le pari intellectuel de croire que le terminus d’une vie professionnelle n’existe pas, que le voyage ne s’arrête même pas avec une idée faussée de “retraite bien méritée”, que le voyage suit différentes phases d’engagements ou de retraits mais que la seule victoire finale qui compte n’est pas l’argent sur le compte ou le CA réalisé ni même la réduction du temps de travail mais c’est uniquement la pérennité de la construction co-réalisée;
  • la Grandeur et la Petitesse de l’Homme, notre meilleur et notre pire, constitutifs de notre nature humaine, résident dans chaque Dirigeant : gardons espoir qu’il ou elle ne l’oublie jamais.

Merci pour votre lecture et n’hésitez pas à réagir en laissant un commentaire ou en privé ([email protected]).

Bel été 2023 ! Amitiés,

T

crédit photos : iStock

Partager

Thibaut Gallineau

Thibaut Gallineau est Consultant Indépendant à Genève pour les Services Financiers et les PME, sa curiosité intellectuelle l'a aussi poussé à devenir Enseignant-Chercheur et Professeur Associé dans plusieurs Business School et à créer avec des amis plusieurs entreprises. Marié et père de 5 enfants l'ennui ne fait heureusement pas partie de sa vie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *