Comment détruire plus de $30 milliards en une année ?

La méthode d’acquisition de TWITTER: une arme de destruction massive pour perdre de l’argent à coup sûr?

En octobre 2022, après une bataille juridico-médiatique de plus de six mois, Elon Musk et ses associés ont acquis TWITTER pour un prix total de $ 44 milliards. En mai 2023, Elon Musk a tweeté que TWITTER ne vaut plus que la moitié du prix payé six mois plus tôt. Quelques semaines plus tard FIDELITY, un gestionnaire d’actifs réputé a communiqué que la valeur de TWITTER ne représenterait plus qu’un tiers du prix payé, soit une moins-value de $ 29 milliards en quelques mois. A ce montant s’ajoutent les intérêts sur la dette d’acquisition de $13 milliards, des coûts juridiques, etc.

Partant des constats faits par ces protagonistes de l’affaire, je me suis demandé si cette acquisition est l’un des plus grands flops M&A de l’histoire et quelles sont les principales causes de cette destruction massive de valeur en quelques mois.

Echecs fréquents dans les grandes transactions M&A

Des études universitaires et des publications de grands cabinets de conseils internationaux constatent depuis plus de vingt ans qu’environ deux tiers des grandes acquisitions d’entreprises sont des échecs.  Selon ces sources, les principales causes d’échec sont :

1.Les différences culturelles entre l’acquéreur et l’entreprise acquise

2.Un leadership inadéquat par l’acquéreur post acquisition, implémentation trop rapide de changements

3. S’engager dans un domaine insuffisamment connu par l’acquéreur

4. Ne pas avoir fait une Due Diligence adéquate pour comprendre l’entreprise acquise

5. Pas d’apport concret provenant de l’acquéreur bénéficiant à  la croissance de la société acquise

En l’état et sur la base de l’analyse que j’ai faite de l’acquisition de TWITTER par Elon Musk, l’acquéreur “coche” les cinq critères ci-dessus, ce qui explique probablement la destruction massive ($29Mrd) de valeur en une année.

Selon ces mêmes sources, le plus grand M&A flop de l’histoire demeure la fusion ratée entre TIME WARNER et le fournisseur d’accès internet AOL (America On Line) qui aurait coûté $ 65 milliards aux actionnaires du nouvel ensemble https://dealroom.net/blog/biggest-mergers-and-acquisitions-failures

Heureusement le succès est parfois au rendez-vous dans ce secteur !

Le domaine des réseaux sociaux a provoqué une forte disruption dans le marché des médias au cours des vingt dernières années. Une partie de la presse traditionnelle a disparu et les revenus publicitaires glânés par les chaînes de télévision se sont également érodés au profit des réseaux sociaux qui ont gagné l’attrait d’une grande partie du public et des annonceurs publicitaires.

Certains grands groupes du secteur ont eu du succès dans des acquisitions d’entreprises comparables à TWITTER, voici quelques exemples :

En 2006 GOOGLE a acquis YouTube pour $ 1.6 milliard. En 2022 YouTube a généré un chiffre d’affaires de l’ordre $ 29 milliards et représente près de 10% des revenus du Groupe ALPHABET/GOOGLE. Le prix payé qui a pu paraître élevé au moment de l’acquisition s’est avéré un excellent investissement.

En 2012, META/FACEBOOK a acquis INSTAGRAM pour $ 1 milliard. En 2022 INSTAGRAM  a généré $ 51 milliards de revenus et est parmi les leaders du marché des réseaux sociaux avec plus de 2.3 milliards d’utilisateurs à travers le monde en 2022  (moins de 400 millions pour TWITTER, avec une audience très concentrée aux USA).

Quelles sont les principales causes de la destruction de valeur ?

D’après mes observations décrites plus en détail dans l’article de recherche que j’ai rédigé*, certains éléments factuels ont probablement joué un rôle important :

1.Mauvais timing pour acheter

Elon Musk a commencé d’acquérir des actions TWITTER au début 2022, soit au mauvais moment . Comme vous le savez, dès fin janvier 2022 divers évènement majeurs ont provoqué de fortes baisses sur les marchés financiers mondiaux : l’importante inflation, la hausse des taux d’intérêts décidée par les banques centrales, la guerre en Ukraine, les risques de pénurie énergétique, etc. En achetant à ce moment là, à contre-courant des marchés alors en baisse, Elon Musk provoqua une augmentation artificielle du cours de l’action TWITTER. La perte de $ 221 millions rapportée par TWITTER pour l’exercice 2021 a pratiquement passé inaperçue aux yeux du marché des actions TWITTER, qui s’est enflammé à l’idée d’un rachat de l’entreprise…

2.Le prix payé est donc beaucoup trop élevé

Sur plusieurs années, TWITTER a déçu les attentes des analystes financiers. La croissance de son chiffre d’affaires s’est constamment avérée inférieure aux attentes et l’entreprise a été globalement déficitaire durant les dix années qui ont précédé son acquisition par Elon Musk. TWITTER n’était pas une “cash cow” mais un “cash drainer”.

Selon les sources consultées, la valeur payée par Elon Musk et ses associés représenterait 151 fois (!) l’EBITDA normatif de TWITTER. Dans ce marché, la valeur moyenne des entreprises comparables se situerait à environ 13 fois l’EBITDA. De surcroît, certaines entreprises comparables ont démontré des capacités de croissance du chiffre d’affaires nettement plus élevées.

3. Elon Musk a perdu la bataille juridique contre le Conseil d’administration de TWITTER

Au début du printemps 2022, Elon Musk a du annoncer sa participation de 9.2% conformément aux règles boursières US. Le Conseil d’administration de TWITTER en a pris acte et lui a proposé de rejoindre le Conseil d’administration pour apporter ses compétences à l’entreprise. Désireux de transformer TWITTER en profondeur, Elon Musk a décliné la proposition et annoncé son intention de racheter l’entreprise et la sortir de la bourse (going private). Elon Musk et le Conseil d’Administration se sont assez rapidement entendus sur la valeur d’acquisition, fixée sans Due Diligence préalable. Quelques semaines plus tard en mai 2022, Elon Musk s’est ravisé et a déclenché une campagne médiatique négative envers les dirigeants de TWITTER, arguant notamment que le nombre d’utilisateurs selon les rapports officiels serait surévalué. Il a alors tenté de renoncer à son projet d’acquisition mais le Conseil d’administration de TWITTER, fondé sur l’accord signé avec lui quelques semaines plus tôt, a alors engagé une procédure contre Elon Musk. Au final, Elon Musk a préféré acheté TWITTER aux conditions convenues au début du printemps 2022 et malgré le discrédit porté sur l’entreprise dans l’intervalle. Financée principalement par lui, des co-investisseurs connus et un consortium de banques ($13 milliards), l’opération s’est clôturée en octobre 2022.

4. Absence de Due Diligence et processus d’acquisition chaotique

Elon Musk s’est engagé à reprendre TWITTER pour $ 44 milliards sans avoir fait une véritable Due Diligence. Comme indiqué ci-dessus, la bataille médiatique et juridique du printemps-été 2022 a terni l’image de l’entreprise acquise auprès de ses utilisateurs et surtout des clients annonceurs qui ont diminué leurs achats auprès de TWITTER. Le climat agressif créé autour de TWITTER pendant la bataille de l’été 2022 a par ailleurs été accentué par les annonces faites par Elon Musk immédiatement après l’acquisition. Proclamant que l’entreprise TWITTER serait en grandes difficultés financières, Elon Musk a viré le Conseil d’administration et la Direction puis par étapes 6’000 des 7’500 employés de l’entreprise après avoir interdit le télé-travail, prescrit la “bonne manière de travailler” (hardcore working), etc.  Il s’est aussi attribué tous les pouvoirs devenant président, CEO, décideur unique de cette entreprise.

5. Dommages à la réputation, à l’image de la marque acquise

Les tumultes provoqués par l’activisme du nouveau propriétaire ont eu des effets sur le nombre d’utilisateurs qui a reculé et sur les revenus publicitaires qui ont logiquement fortement baissé certains annonceurs, notamment des marques automobiles réputées, craignant que leur propre image soit abîmée par une présence sur TWITTER. La réduction de coûts liée aux nombreux licenciements ne compensent probablement pas les pertes de chiffre d’affaires provoquées par la mauvaise image donnée de TWITTER par son nouveau propriétaire.

Visiblement conscient que son comportement post acquisition n’était pas en phase avec la culture des utilisateurs  TWITTER, Elon Musk s’est fendu d’un sondage demandant au public s’il faudrait qu’il y ait un nouveau CEO. La réponse fut très claire, par contre six mois furent nécessaires pour introniser Mme Linda Yaccarino une Senior Manager de la publicité dans les médias, pour succéder à Elon Musk en tant que CEO au début de l’été 2023.

Durant l’été 2023, Elon Musk a achevé sa transformation-démolition de TWITTER en annonçant que la réforme de ce réseau social passe aussi par l’abandon de la marque TWITTER remplacée par X.

Et maintenant…. what’s next ?

Un enjeu peu visible dans ce qui a été rapporté de l’affaire TWITTER/Musk est de savoir comment les $13 milliards de prêts bancaires octroyés pour l’acquisition seront assumés, au niveau du paiement des intérêts et du remboursement. En effet l’entreprise acquise étant clairement affaiblie par les diverses actions de son nouveau propriétaire, on peut se demander comment la dette pourra être remboursée.

Au-delà de ses considérations bassement financières, on peut aussi se demander ce que deviendra la plate-forme du point de vue des contenus qui y sont publiés. Elon Musk ayant une vision assez particulière sur certains sujets sociétaux, il paraît probable que les contenus de X ne seront plus dans l’esprit TWITTER.

Par contre, il est difficile d’imaginer qu’un retournement soit impossible avec Elon Musk. Cet entrepreneur disruptif a démontré sa capacité à générer des entreprises importantes (Space-X, Tesla, etc). Il n’est donc pas exclu qu’une stratégie surprenante relance ce qui reste de TWITTER, vraisemblablement dans une autre configuration et pour un autre marché.

Je me suis employé à faire un petit sondage sur Linkedin en septembre 2023.

https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7106441225359998976/

Il en ressort pour 43% des réponses , “qu’une stratégie surprise surgira”.  Elon Musk, The Disrupter,  conserve probablement le bénéfice du doute pour un éventuel retournement de situation. Rien n’est impossible avec Mr. X !

 

 

 

 

 

 

*l’article détaillé est disponible sur demande par email à mon adresse [email protected]