ETAPES CONCRETES : DE LA START-UP A LA PME DURABLE

Ma découverte de la start-up

Juillet 2015, lors d’un voyage en mer Egée, je débarque à Cora sur la petite île de Patmos. Attablé avec ses amis, je vois Josef Zisyadis, ancien Conseiller d’Etat vaudois, ancien Conseiller national (1991-2011).

Curieux, je m’adresse à lui, pour lui demander s’il passe de belles vacances. Josef Zisyadis me dit qu’il est là pour l’activité agricole qu’il a lancée. C’est l’histoire de cette jeune entreprise, une véritable start-up du secteur agricole que je souhaite vous partager.

Mon récit a également pour but de mettre en évidence les étapes de développement de l’entreprise, la patience, la persévérance, le travail, qui sont des ingrédients récurrents pour créer des PME’s résilientes.

 

L’histoire de la start-up PATOINOS, la vision

Patoinos est la contraction de Patmos, une petite île à l’est de la mer Egée et de oinos qui signifie vin en grec ancien. Au vingtième siècle, cette île s’est dépeuplée, en raison de l’exode des jeunes, ce qui a conduit à l’abandon des cultures agricoles traditionnelles. Contrairement à d’autres îles grecques, le tourisme de masse ne s’y est pas imposé.

Dès 1998, Josef Zisyadis a rêvé de réhabiliter la viticulture d’antan. Patiemment, il entreprit des discussions avec le Monastère St-Jean, principal propriétaire foncier de l’île. En 2010, après douze ans de patience et sans réponse claire des interlocuteurs locaux, Josef s’adresse au Patriarche d’Istanbul qui décide rapidement de louer trois hectares pour une durée de 15 ans.

L’état des lieux au départ

Lorsque Josef Zisyadis et son équipe ont pris possession des terres mises à disposition, la terre destinée à la culture était aride, morte. De plus une partie des lieux ressemblait à un dépotoir. Le travail de remise en état de la terre, complété par la reconstruction de murs effondrés, fut immense. Ensuite deux hectares de vignes furent plantés, ils sont cultivés en biodynamie.

 

Les compétences et l’équipe mise en place

Josef Zisyadis convainc quatre vignerons vaudois émérites de participer au projet et à la création des vins du domaine. Un comité composé de diverses personnalités apporte son soutien à l’association LE COMITÉ (patoinos.ch) Dès le départ, le domaine est entièrement conduit en biodynamie, en usant de cépages de la région de la mer Egée : l’Assyrtiko pour le blanc, le Mavothiriko pour le rouge, en visant une production annuelle de 6’000 bouteilles. Le site internet www.patoinos.ch vous présente les produits. Un jeune œnologue français Dorian Amar, participe à l’aventure de la vinification dès 2016. En  2021 un jeune couple d’œnologues Eirni Daouka et Federico Garzelli également passionnés, reprend le flambeau.

Le financement, la  communauté autour du projet

En 2010, le terme désormais banalisé de crowd funding ne correspond pas à une pratique courante pour lancer une entreprise. C’est pourtant l’idée innovante qu’à Josef pour réunir les fonds nécessaires. L’échange proposé  est de verser CHF 250.- contre une bouteille de vin par année, pendant la durée du bail. Comme mes filles m’accompagnaient lors de ce voyage en 2015 , je leur ai offert un cep à chacune. En tout 1’000 personnes ont été enthousiasmées par le projet, ce qui permit de boucler le financement nécessaire aux infrastructures d’exploitation. Cette communauté a également fait preuve de solidarité durant l’hiver 2021, les fortes pluies ayant endommagé des murs de soutien des vignes. En peu de temps des fonds furent récoltés pour réparer les dégâts causés.

 

Les fruits du travail et les clients

Aujourd’hui, les jolies bouteilles PATOINOS (voir site internet www.patoinos.ch) sont servies dans une vingtaine de restaurants sur l’île de Patmos, une fierté pour les locaux. S’ajoutent d’autres établissements en Grèce et quelques restaurants en Suisse, comme Le Lyrique à Lausanne, le Raisin de M. Jean-Jacques Gauer à Cully, l’Auberge de Rivaz, un restaurant à Zurich,  etc . En Suisse, le site www.divo.ch permet d’acquérir ce précieux nectar ou en adhérant à la communauté des amis de PATOINOS.

 

L’apport pour l’île grecque de Patmos

Au fil des années, l’activité agricole s’est diversifiée avec plusieurs innovations au niveau des produits. Une oliveraie de la variété locale Koroneïki, un pressoir à huile d’olives, une banque de semences indigènes et bientôt une fromagerie pour créer des fromages de chèvres artisanaux.

PATOINOS est certes une petite entreprise mais elle crée un attrait supplémentaire pour l’île, des touristes intéressés par la visite du domaine agro-écologique appréciant de découvrir les activités qui ont été mises en place. Le maire de l’île est également fier d’amener des bouteilles de PATOINOS lors de ces déplacements auprès du gouvernement à Athènes.

Par ailleurs, comme le décrit Dorian Amar dans son livre « les arbres de Patmos », des actions ont été entreprises par l’équipe du domaine de l’Apocalypse, sous son impulsion,  pour replanter de nombreuses espèces d’arbres qui avaient disparu (chênes, pistachiers, caroubiers, amandiers, poiriers sauvages, etc) sur le domaine. Depuis des décennies, cette île a en effet vu disparaître de nombreux arbres, ceci conduisant à la désertification et l’appauvrissement des terres.

La prochaine étape du développement

Pour Josef Zisyadis , qui fête ses 66 ans cette année, le but est d’assurer la pérennité de cette exploitation, tout en étant ouvert à de nouvelles possibilités. La maire de Khora , une  île proche de Patmos verrait en effet très positivement une réplique de l’aventure PATOINOS, des réflexions sont en cours.

 

Enseignements pratiques pour les futur/es entrepreneur/es

Ce récit résume d’une manière concrète les diverses étapes auxquelles sont confrontées les personnes qui entreprennent le lancement d’une nouvelle entreprise :

  • Avoir une vision, un but et s’y tenir, faire preuve d’innovation dans la démarche
  • S’adjoindre les compétences humaines nécessaires pour atteindre les objectifs visés
  • Trouver du financement, les premiers clients, soigner les relations avec les partenaires
  • Proposer un produit de qualité à un prix abordable, perfectionner le produit
  • Agir de manière bienveillante sur son éco-système
  • Anticiper la suite du développement pour pérenniser l’activité, demeurer un phare pour les suivants …

 

 

 

 

 

Sources :

Interview de Josef Zisyadis, août 2022

Les arbres de Patmos, Dorian Amar, février 2020

Magazine Terroir – DIVO – mai 2021

Site web : www.patoinos.ch

 

Le CFO est-il le gardien du Temple de l’entreprise ?

Pour répondre à cette question, j’ai le plaisir d’interviewer M. Jean-Yves BIERI, CFO du Groupe familial et international MAUS Frères basé à Genève.

 

M. BIERI quelles sont les trois principales responsabilités assumées par un CFO ?

En plus de la parfaite information à fournir au conseil d’administration, je soulignerai le pilotage de la performance, l’anticipation des risques internes et externes à l’entreprise, et le rôle du CFO en matière de fusion / acquisition.

Le pilotage de la performance

Le pilotage de la performance recouvre de nombreux aspects. Il s’agit en premier lieu d’aligner les indicateurs de performances (les KPI’s) sur la stratégie de l’entreprise. Les KPI’s animent toute l’entreprise et leur atteinte crée de la valeur actionnariale à long terme.

Pour donner un exemple simple, si le conseil d’administration vise une meilleure valorisation  de l’entreprise, des objectifs basés sur la croissance du  chiffre d’affaires et de parts de marché sont insuffisants. Il faut comprendre la chaîne de valeur dans son ensemble et agir sur tous les leviers pertinents.

Dans un groupe d’entreprises , des sujets plus périphériques, comme la refacturation des charges du siège aux unités d’affaires font partie du pilotage de la performance : augmenter les management fees en cours d’année peut être très démotivant pour les directeurs d’unités filiales, et a contrario ne pas répercuter les coûts réels liés aux services fournis par le siège peut créer des biais sur la lecture des performances.

Le pilotage de la performance inclut aussi la communication claire et adaptée aux diverses parties prenantes et aux divers niveaux d’une entreprise.

Naturellement le respect des normes comptables, et une représentation fidèle de la situation économique guident le pilotage de la performance.

L’analyse et la gestion des risques

La seconde responsabilité importante du CFO consiste dans l’anticipation des risques internes et externes de l’entreprise. Cette fonction prend une importance d’autant plus grande en ces temps marqués par un environnement économique volatile et très incertain. Les modèles d’affaire peuvent être impactés par de nouveaux modes de consommation, des enjeux géostratégiques ou l’ inflation galopante dans de nombreux pays. Comme CFO, je  dois pouvoir quantifier ces impacts sur le plan stratégique à moyen terme ou sur le budget pour induire les bonnes réactions de la part des dirigeants et cadres.

Il s’agit aussi de gérer les impacts de taux de change fluctuant, les restrictions au commerce, certaines problématiques de cyber sécurité. Anticiper les risques régulatoires est aussi une de mes préoccupations constante, vu les rapides évolutions légales et fiscales au plan international.

Enfin, le CFO doit gérer les risques internes à l’entreprise par l’implémentation et la maintenance d’un système de contrôle interne (SCI) qui ne doit pas entraver les personnes au front. Il y a un équilibre subtil à trouver, il faut négocier à l’interne de l’entreprise et être conscient des enjeux pour gérer les risques de manière optimale.

Les opérations d’acquisition et vente d’entreprises (M&A)

La troisième tâche importante, la participation à la stratégie M&A, devient une tâche essentielle du CFO si elle est d’actualité pour l’entreprise : le CFO participe à la validation de la pertinence d’une acquisition, mais il en pilote aussi la due diligence, l’analyse des risques ainsi qu’une grande partie de l’intégration de la cible dans l’entreprise acheteuse. Il en va de même lorsqu’un désinvestissement est envisagé.

Justement, en quoi son rôle est-il central dans une transaction d’achat ou vente d’entreprise ?

Etant le gardien des données sensibles, il est idéalement placé pour faire le lien entre les opérations et les résultats financiers de la cible, mais aussi pour évaluer les impacts à court et moyen terme sur le bilan, le financement, les résultats et les ratios financiers de son entreprise, la création de valeur pour les actionnaires.

Dans le cadre d’un rachat, un vieillissement des stocks de la cible peut indiquer un manque de qualité dans l’offre des produits. Des flux de liquidités insuffisants alors que les résultats présentés paraissent bons peuvent être un indice de manipulations des provisions comptables. Il faut savoir faire le lien avec l’opérationnel et demander des compléments d’informations opérationnelles, adapter le business plan de la cible et son prix d’achat si nécessaire.

La stratégie de négociation du prix peut permettre de se prémunir contre certains écueils. Lorsque c’est possible, je suis favorable à ce qu’une partie variable du prix d’achat dépende de résultats futurs (earn-out), cela implique toutefois la maîtrise de mécanismes parfois complexes tant au niveau économique que fiscal. Dans le cadre d’une vente il faut se mettre à la place de l’acheteur, anticiper les questions avec un dossier solide. Mais surtout garder un cap en fonction des objectifs visés. Dans le cas d’un achat comme d’une vente il faut aussi savoir renoncer si les buts poursuivis paraissent inatteignables et à l’issue de la due diligence, alerter le CEO et le conseil d’administration le cas échéant.

Quelle formation académique/pratique pour devenir CFO ?

Aujourd’hui le CFO n’est plus nécessairement un expert-comptable, il peut provenir d’autres métiers de la finance ou d’un autre cursus. Avant mon premier poste de directeur financier j’ai eu trois expériences différentes et très complémentaires dans des départements de contrôle de gestion. Comme vous pouvez le lire partout, les compétences humaines sont toujours plus importantes, et je ne connais pas une voie en particulier qui soit meilleure qu’une autre en la matière. Le relationnel avec les autres cadres est primordial, mais aussi avec vos propres équipes. En effet, dès que la taille de l’entreprise le justifie, le CFO va s’appuyer sur des spécialistes métier, il s’agira alors d’accorder toutes ces compétences avec celles de l’ensemble de l’entreprise, pour que l’orchestre produise la symphonie écrite par le conseil d’administration. Je dois être à même de coacher mes équipes dans leur domaine d’excellence respectif. Avoir une grande expertise dans un seul domaine de compétences ne suffit pas, on est plutôt dans une situation de multiplication de compétences, humaines également. Or dans une multiplication, et pour caricaturer un peu, une compétence nulle dans un domaine précis produit invariablement un résultat global nul.

Pourquoi parle-t-on du CFO comme d’un ‘sparring partner’ du CEO ?

Beaucoup de compétences sont nécessaires au sein d’un comité de direction pour que l’entreprise fonctionne bien. Mais la paire CEO-CFO en est, à mon avis,  l’ingrédient primordial. En étant alignés sur la stratégie, le premier élabore son plan de bataille et le CFO doit être à la fois une force de proposition et celui qui challengera avec bienveillance et fermeté le CEO pour que le plan de marche soit suffisamment précis, articulé, compréhensible pour toutes les personnes concernées.

Un souvenir important dans votre carrière ?

Il y en a plusieurs, mais pour ne pas parler que de faits trop récents,  je dirais que l’acquisition de Gétaz Romang Holding par le Groupe CRH en 2007 a certainement été marquante dans ma vie professionnelle  : après avoir contribué aux côtés du CEO M. Miauton à multiplier la capitalisation boursière par 7, géré une OPA à la Bourse suisse puis devenir suite à un processus d’acquisition amical le CFO de la filiale suisse d’un groupe multinational, mener une conversion aux normes comptables  IFRS, mettre en place le cadre de contrôle interne SOX 404 avec l’appui intensif de mes équipes, intégrer de nouvelles filiales, se familiariser avec un nouveau groupe, le tout en 18 mois, cela crée des souvenirs marquants. Une sorte de marathon professionnel accompli avec joie.