Fusion d’assainissement – futur art. 6 LFus – modifications et implications

Trop peu utilisée par les praticiens, la fusion dite d’assainissement (art. 6 LFus) va subir une adaptation aux futures dispositions de la société anonyme. Cette fusion qui permet à une entité en situation de perte de capital ou de surendettement d’être « sauvée » par une ou plusieurs autres entités pose des problèmes pratiques dus aux exigences légales.

L’harmonisation des règles concernant les réserves, les situations de perte de capital et de surendettement et les postpositions de créances entre les divers types de sociétés et la reprise de cette harmonisation dans la loi sur la fusion vont sans doute permettre de mieux appréhender les fusions d’assainissement. Il n’est toutefois pas sûr que cela suffise à redonner de l’attrait à ce type d’opération.

 

  1. Préambule

La fusion d’assainissement se définit comme une fusion visant à l’optimisation économique d’une société en difficulté financière. Comme toute fusion proprement dite, sa mise en œuvre est subordonnée au respect des dispositions de la Loi sur la fusion.

Cependant, deux exigences additionnelles doivent être remplies en cas de fusion d’assainissement. Premièrement, les réserves librement disponibles de la société saine doivent couvrir la perte ou le surendettement de la société en difficulté. Secondement, la fusion est soumise à vérification d’un expert-réviseur agréé. Ces conditions qui paraissent aisées à appréhender juridiquement se dévoilent être un obstacle lorsque l’on veut mettre en place une telle opération.

La présente Newsletter a pour objectif d’expliquer aux potentielles parties prenantes d’une fusion d’assainissement quelles sont les conditions actuelles et futures à respecter pour la réalisation d’une fusion d’assainissement et leurs implications pratiques.

 

  1. De la teneur de l’actuel art. 6 LFus

A la teneur actuelle de l’art. 6 LFus, « 1 Une société dont la moitié de la somme du capital-actions ou du capital social et des réserves légales n’est plus couverte, ou qui est surendettée, ne peut fusionner avec une autre société que si cette dernière dispose de fonds propres librement disponibles équivalant au montant du découvert et, le cas échéant, du surendettement. Cette exigence ne s’applique pas dans la mesure où des créanciers des sociétés participant à la fusion acceptent que leur créance soit placée à un rang inférieur à celui de toutes les autres créances. 2 L’organe supérieur de direction ou d’administration doit présenter à l’office du registre du commerce une attestation d’un expert-réviseur agréé selon laquelle la condition fixée à l’al. 1 est remplie. ».

Ainsi, une société en situation de perte de capital ou de surendettement peut fusionner avec une ou plusieurs autres sociétés lorsque les réserves librement disponibles de cette ou ces dernières couvrent la perte ou le surendettement. Ces réserves correspondent à la part des réserves de l’entreprise qui dépasse la somme du capital social et des réserves légales ou statutaires liées. Dans ce cadre, la réserve générale jusqu’à concurrence de la moitié du capital-actions et la réserve pour réévaluation ne sont pas librement disponibles.

Selon la loi actuelle, l’étendue de la couverture financière dépend de la forme juridique de la société en difficulté financière. Si cette dernière est une société anonyme ou une société à responsabilité limitée, elle est en situation de perte de capital lorsque la moitié de la somme du capital-actions ou du capital social et des réserves légales n’est plus couverte (art. 725 al. 1 et art. 820 al. 1 CO). Pour ces sociétés, la fusion est dès lors admise lorsque les fonds propres librement disponibles de l’entité saine économiquement couvrent la perte jusqu’à hauteur du seuil de perte de capital au sens de l’art. 725 al. 1 CO et, le cas échéant, de l’ensemble du surendettement.

La fusion n’est pas subordonnée à une telle exigence lorsque les créanciers de la société en question acceptent de postposer leur créance à hauteur du découvert.

En l’état, l’art. 6 LFus manque de clarté sur plusieurs points. Depuis son entrée en vigueur, ces imprécisions ont suscité plusieurs controverses doctrinales sur l’étendue des exigences légales de la fusion d’assainissement. En particulier, les auteurs ne s’entendent pas sur l’étendue de la couverture financière et la durée des éventuelles postpositions de créances sont débattus en doctrine. Pour cette raison, la fusion d’assainissement n’a pas été beaucoup employée en pratique.

 

  1. Du futur art. 6 LFus

Dans le cadre de la révision du droit des sociétés, dont les dispositions entreront probablement en vigueur en 2022, l’art. 6 LFus aura un nouveau contenu adapté aux nouvelles dispositions sur la postposition de créances et les réserves légales. A la teneur du futur art. 6 LFus, « 1Une société dont les actifs, après déduction des dettes, ne couvrent plus que la moitié de la somme du capital-actions ou du capital social, de la réserve légale issue du capital et de la réserve légale issue du bénéfice qui ne sont pas remboursables aux actionnaires, ou qui est surendettée, ne peut fusionner avec une autre société que si cette dernière dispose de fonds propres librement disponibles équivalant au montant du découvert et, le cas échéant, du surendettement. 1bis Cette condition ne s’applique pas dans la mesure où des créanciers des sociétés participant à la fusion ajournent des créances et acceptent que leur créance soit placée à un rang inférieur à celui de toutes les autres créances pour un montant équivalant au découvert et, le cas échéant, au surendettement, pour autant que la postposition porte également sur les intérêts dus pendant toute la durée du surendettement. » L’alinéa 2 ne subira, quant à lui, pas de modifications.

Tableau synoptique des modifications :

  Actuel art. 6 LFus

 

Futur art. 6 LFus

 

Perte de capital

 

Moitié du capital-actions ou du capital social + des réserves légales

 

Moitié du capital-actions ou du capital social + de la réserve légale issue du capital et de la réserve légale issue du bénéfice (non-remboursable)

 

Surendettement

 

Pas de précisions : Surendettement selon dispositions du CO respectives à chaque type de société

 

Pas de précisions : Surendettement selon dispositions du CO respectives à chaque type de société

 

Étendu de la couverture financière FLD = montant du découvert ou surendettement FLD = montant du découvert ou surendettement
Postpositions de créances Créances postposées – Pas de précisions quant au montant Créances ajournées et postposées – Montant équivalent au découvert ou surendettement + intérêt

 

La révision du droit de la société anonyme est la bienvenue car le nouvel art. 6 LFus énumérera de manière exhaustive les réserves à prendre en considération, contrairement au texte actuel qui se borne à faire référence au terme générique « réserves légales ». En outre, les dispositions gouvernant la coopérative et la société à responsabilité limitée renverront tous les deux au droit de la société anonyme en ce qui concerne les situations de perte de capital et de surendettement (également pour la menace d’insolvabilité), ce qui assurera une application identique de la future disposition.

Le futur alinéa 1bis clarifie, quant à lui, l’étendue de la subordination des créances permettant à une société en difficulté d’être exemptée des exigences supplémentaires de la fusion d’assainissement.

 

  1. Des problématiques latentes

La révision de la disposition n’améliore néanmoins pas sa cohérence juridique. En effet, l’art. 6 LFus vise à protéger les créanciers. Or, le principe en droit suisse est que les créanciers d’une société ne sont pas lésés tant et aussi longtemps que la société n’est pas en situation de surendettement. La situation de perte de capital vise, elle, à protéger les actionnaires de la société, c’est pourquoi, seules des obligations internes à la société découlent de l’art. 725 al. 1 CO.

De cette prémisse, les sociétés fusionnantes ne devraient pas être tenues de réduire la perte de capital de la société en difficulté financière. Bien que cela n’était pas le but de la révision actuelle, il aurait été souhaitable que le seuil que les sociétés en perte de capital voulant fusionner doivent respecter soit abaissé, voire supprimé.

Plus généralement, le fait que l’admissibilité d’une fusion d’assainissement soit basée sur un bilan hypothétique des sociétés fusionnantes d’avant fusion ne permet pas toujours d’atteindre l’objectif de protection des créanciers. Une alternative pourrait être de prendre en compte les perspectives d’assainissement de la société fusionnée – à la lumière de ce qui est fait dans le cadre de la procédure d’ajournement de la faillite – dans le but de déterminer si la perte de capital ou le surendettement demeurera après la fusion et, le cas échéant, se poursuivra.

 

  1. Conclusion

En conclusion, il convient de retenir que le futur art. 6 LFus rend l’application de l’art. 6 LFus plus aisée et certainement plus constante. Cependant, il ne devrait s’agir que du début de sa modification tant il n’est pas adapté à la réalité économique d’une fusion impliquant une société en difficulté financière.

En l’état, les actionnaires choisiront certainement de privilégier d’autres mécanismes économiques, et donc juridiques (concordat par un tiers repreneur, versement à fonds perdus, vente ou réévaluation d’actifs, etc.), pour redresser une situation financière compliquée.

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Vincent Meylan

Vincent Meylan est associé de l’étude LE/AX Avocats. Il est spécialisé en droit des affaires (M&A, droit des sociétés, droit des contrats, gouvernance d'entreprise), en droit bancaire et financier, ainsi qu'en droit de la blockchain et des crypto-monnaies.

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