Tokeniser les actions de ma société : oui mais comment ?

Tokeniser les actions d’une société sous la forme de droits-valeurs inscrits selon l’art 973d du Code des obligations et permettre leur transfert via la blockchain (registre distribué) est possible en droit suisse.

La technologie des registres distribués (TRD) permet d’associer des droits-valeurs à des jetons digitaux (aussi appelés tokens) inscrits dans un registre distribué, selon un processus faisant en sorte que les droits-valeurs et jetons ne puissent pas être transférés indépendamment l’un de l’autre. Les jetons représentent alors l’équivalent digital des papiers-valeurs classiques dont ils remplissent la même fonction de légitimation.

Il faut toutefois garder à l’esprit que certaines exigences doivent être respectées. Le registre de droits-valeurs (ou ledger) doit en particulier satisfaire aux exigences suivantes :

  1. Il donne aux créanciers, mais non au débiteur, le pouvoir de disposer de leurs droits au moyen de procédés techniques ;
  2. Son intégrité est protégée par des mesures organisationnelles et techniques adaptées le préservant de toute modification non autorisée, comme la gestion du registre en commun par de multiples participants indépendants les uns des autres ;
  3. Le contenu des droits, le mode de fonctionnement du registre et la convention d’inscription sont consignés en son sein ou dans une documentation d’accompagnement qui lui est associée ;
  4. Il permet aux créanciers de consulter les informations et les inscriptions du registre qui les concernent et de vérifier l’intégrité du contenu du registre qui les concerne sans l’intervention d’un tiers.

 

Ethereum ou Tezos remplissent ces exigences. Les deux fonctionnent via un mécanisme de consensus Proof of Stake.

Le débiteur doit en outre veiller à ce que l’organisation du registre de droits-valeurs soit adaptée au but de ce dernier. Il doit veiller en particulier à ce que le registre fonctionne en tout temps conformément à la convention d’inscription (aussi appelée les « conditions de tokenisation »).

Le transfert d’un droit-valeur inscrit est régi par les règles de la convention d’inscription (art. 973f CO). La convention d’inscription, respectivement les conditions de tokenisation ont pour but de formaliser le fait que les actions sont représentées par des jetons numériques enregistrés dans un registre distribué (distributed ledger), que les droits des actionnaires ne peuvent être exercés et que les actions ne peuvent être transférées que par l’intermédiaire du ledger, et que les actions tokenisées sont par conséquent des valeurs mobilières basées sur le ledger au sens de l’article 973d al. 1 CO. Les conditions de tokenisation doivent préciser, entre autres, les conditions auxquelles le titre légal des actions tokenisées peut être transféré ou les actions tokenisées peuvent être grevées. Les conditions de tokenisation sont réputées acceptées par le premier détenteur de jetons ayant pris possession des actions tokenisées.

Selon l’art. 973i CO, le débiteur d’un droit-valeur inscrit, ou d’un droit proposé en tant que tel, doit communiquer à chaque acquéreur de ce droit-valeur (i) le contenu du droit-valeur, et (ii) les informations sur le mode de fonctionnement du registre de droits-valeurs ainsi que les mesures visant à assurer son fonctionnement et à préserver son intégrité conformément à l’art. 973d al. 2 et 3 CO.

Enfin et en lien avec la tokenisation d’actions, il est également nécessaire de porter une attention particulière aux éléments suivants :

  • Contenu des statuts de la société (notamment concernant la question du transfert des jetons/actions) ; à noter également que le transfert d’un droit-valeur inscrit doit être régi par les règles de la convention d’inscription ;
  • Identification des détenteurs des jetons/actions ; lien entre le registre distribué et le registre des actions ;
  • Caractéristiques du smart contract ;
  • Décision du Conseil d’administration concernant la tokenisations des actions (il est possible de tokeniser qu’une partie des actions de la société, par exemple tokeniser que les actions faisant l’objet d’une augmentation de capital) ;
  • Les caractéristiques du smart contract et du token/jeton doivent respecter le droit suisse des sociétés.

 

En conclusion, il peut être retenu qu’il est possible selon le droit suisse de tokeniser les actions d’une société anonyme sous la forme de droits-valeurs inscrits selon l’art. 973d du Code des obligations. Dans un tel cas, le fonctionnement usuel et connu des actions selon le droit suisse de la société anonyme n’est pas fondamentalement modifié dans ses principes. C’est la forme de l’action qui change puisque celle-ci prend la forme d’un droit-valeur inscrit, respectivement d’un token dont le transfert se fait au moyen de la blockchain (registre distribué)

Cette nouvelle forme existante pour les actions nécessite de fixer dans la convention d’inscription les règles applicables à l’action concernant son transfert ou sa mise en gage par exemple, mais également de fixer les règles déterminant les conditions qu’un détenteur de jetons doit remplir pour être inscrit au registre des actions de la société avec les droits sociaux et patrimoniaux associés aux actions détenues sous forme de jetons.

Nouvelle loi sur la protection des données – aperçu des mesures à prendre

La présente check-list expose un condensé non exhaustif des mesures qui doivent être prises par les entreprises pour s’adapter au nouveau droit de la protection des données.

Il convient de préciser que chaque cas doit être examiné selon les circonstances concrètes. La présente check-list a une vocation purement informative et ne saurait représenter un avis de droit.

 

  1. Vérification du champ d’application du nouveau droit de la protection des données, défini par l’art. 2 LPD. A titre d’exemple, la LPD ne s’applique pas au traitement des données de personnes morales (art. 2 al. 1 LPD).
  2. Organisation de la mise en conformité de l’entreprise avec la nouvelle LPD et définition de la responsabilité et de la fonction de chaque collaborateur. Sensibilisation des collaborateurs susceptibles d’opérer un traitement de données.
  3. Etablissement d’un registre des traitements de données personnelles. Un tel registre est obligatoire uniquement si l’entreprise emploie plus de 250 personnes, traite des données personnelles sensibles à grande échelle ou effectue un profilage à haut risque (art. 12 LPD et art. 24 OPDo). Pour les sociétés qui ne sont pas soumises à l’obligation de tenir un registre, il est possible de le faire de manière facultative. Un tel registre permet ainsi une meilleure visibilité au sein de l’entreprise et la possibilité de remplir d’autres obligations légales plus aisément [voir point 4 notamment].
  4. Analyse du traitement de données opéré par l’entreprise (dans l’hypothèse où un registre n’est pas établi). Une telle analyse permet à l’entreprise de savoir précisément quelles données personnelles elle traite, à quel fin et si elles sont communiquées à d’autres personnes, ce qui permet de se conformer aux obligations légales suivantes :
      1. Fournir aux personnes concernées des informations sur l’identité et les coordonnées du responsable du traitement, la finalité du traitement, le cas échéant, les destinataires ou les catégories de destinataires auxquels des données personnelles sont transmises (art. 19ss LPD et 13 OPDo) [voir point 7] ;
      2. Fournir, sur demande d’un particulier, des informations sur le traitement de ses données personnelles (art. 25ss LPD et 16ss OPDo).
  5. Analyse du risque que représente le traitement de données opéré par l’entreprise pour les personnes concernées. Une telle analyse permet de déterminer si l’entreprise est soumise à d’autres obligations légales, dans le cas où le traitement des données représente un risque élevé pour les personnes concernées.
  6. Examen de l’opportunité de nommer un conseiller à la protection des données (ce qui est facultatif pour les particuliers ; art. 10 LPD).
  7. Rédaction d’une déclaration de protection des données à publier sur le site internet de l’entreprise, de manière à permettre aux personnes concernées de pouvoir se renseigner sur la collecte de leurs données (art. 19 LPD et 13 OPDo).
  8. Mise en place de mesures techniques et organisationnelles permettant d’assurer la sécurité informatique des données (art. 8 LPD et 1ss OPDo). L’efficacité de ces mesures doit être suivie tout au long du traitement de données et le cas échéant, les mesures adaptées.
  9. Elaboration de processus internes, permettant de désigner quel collaborateur est responsable de quelles actions, dans le cas où certains évènements surviennent. Il s’agit notamment des évènements suivants :
      1. Violation de la sécurité des données : dans un tel cas, l’entreprise est tenue d’annoncer la violation de la sécurité des données au préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) (art. 24 LPD et 15 OPDo) ;
      2. L’obligation d’effacer les données qui ne sont plus nécessaires à la finalité du traitement (art. 6 ch. 4 LPD) ;
      3. Demande d’information par une personne concernées (art. 25 LPD et 16ss OPDo) ;
      4. La remise des données, sous format électronique, à la personne concernée qui en fait la demande (art. 28 LPD et 20ss OPDo).
  10. Revue et éventuelle adaptation des contrats conclus avec les clients, fournisseurs, prestataires de services et les collaborateurs.

 

Il convient enfin d’ajouter que le respect de la nouvelle législation concernant la protection des données doit s’inscrire dans la durée et ne peut consister en une seule et unique opération. Bien au contraire, il conviendra de se tenir informé, de suivre de près les mesures prises par l’entreprise et de les adapter le cas échéant.

Un tel suivi nécessite qu’un processus de vérification de la conformité des mesures prises par l’entreprise avec les règles légales, et le cas échéant de l’adaptation de ces mesures, soit implémenté.

Plan de participation fantôme : informations générales

Si vous souhaitez donner un incitatif à vos collaborateurs en les plaçant dans une situation financière similaire à celle d’un actionnaire, vous pouvez envisager l’établissement d’un plan de participation virtuel (plan fantôme).

  1. Préambule

Le présent article a pour objectif de donner quelques informations générales sur les plans de participation virtuels (plans fantômes), lesquels peuvent prendre la forme d’un plan en actions fantômes ou d’un plan en options d’’actions fantômes.

 

  1. Informations générales concernant un plan fantôme
  • Un plan fantôme a pour objectif de donner des actions ou options virtuelles aux personnes qui participent au plan. Il s’agit généralement des employés de la société, des membres du Conseil d’administration voire des consultants externes de la société. L’octroi d’actions ou options virtuelles permet aux personnes participant au plan de revoir de l’argent de la société lors de l’événement qui est prévu par le plan. Il peut s’agir par exemple de la vente de la société. Il ne doit pas être confondu avec des bons de participation qui sont des actions sans droit de vote.

 

  • Prenons ici un exemple : si une personne participant au plan reçoit gratuitement ou contre paiement 1000 actions fantômes, il est placé dans la même position que s’il avait 1000 actions ordinaires (sous réserve en principe du versement du dividende. En cas de vente de la société (ou de changement de contrôle selon ce qui est prévu comme élément déclenchant le paiement) le bénéficiaire de l’action fantôme reçoit un montant équivalent au montant reçu par action par l’actionnaire de la société vendue. De ce montant peuvent toutefois être déduites les charges sociales voire des impôts.

 

  • Il peut également être noté que les actions fantômes peuvent être vestées (acquises au fur et à mesure du temps). D’une manière générale un plan fantôme fonctionne comme un plan de participation usuel. Le Conseil d’administration peut y intégrer les clauses qu’il souhaite en lien avec les employés par exemple soumettre l’octroi des actions fantômes à l’atteinte de résultats de l’employé. A noter également que lors de l’événement déclencheur du paiement, c’est en principe la société qui est en obligation de payer le montant dû au détenteur d’actions fantômes. Il est donc nécessaire en cas de vente de la société de prendre en compte ce montant à payer par la société.

 

  • Concernant la fiscalité, les actions fantômes ou options d’actions fantômes ne sont pas imposées au moment de leur octroi. L’imposition a lieu lors du paiement en espèces du montant et le montant est imposé comme du revenu. Du revenu peut être déduit l’éventuel prix pour l’acquisition des actions fantômes. Le montant étant considéré comme du revenu, la société se devra d’y imputer des charges sociales comme pour toute autre revenu.

 

  • En conclusion, il peut être retenu que le plan de participation fantôme permet aux actionnaires de ne pas être dilués dans leur participation tout en permettant de donner un incitatif aux employés en les plaçant dans une position proche de celle d’un actionnaire. Il permet également de devoir réfléchir à comment et où prendre les actions à donner dans le cadre du plan (actions propres, capital conditionnel, marge de fluctuation du capital). Le défaut est toutefois que le bénéficiaire du plan se verra imposé sur le revenu et non en gain en capital.

Le règlement MiCA (Markets in Crypto-assets) en 3 points

Les députés européens ont approuvé le 20 avril 2023 le règlement MiCA (Markets in Crypto-assets) qui a notamment pour but de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

 

Jusqu’à présent, les transferts de cryptomonnaies, tel que bitcoin, échappaient à législation européenne sur les services financiers.

 

MiCA – 3 points à retenir:

 

  1. Les fournisseurs de services de crypto-actifs (CASP) devront s’enregistrer et fournir des données précises sur leur identité s’ils souhaitent opérer dans l’UE.

 

  1. La « Travel Rule », déjà existante dans la finance traditionnelle, s’appliquera à l’avenir aux transferts de crypto-actifs. Elle obligera les fournisseurs de services de crypto-actifs à transmettre certaines informations sur les clients et transactions à l’institution financière destinataire de ces transactions.

 

  1. Afin de réduire l’empreinte carbone des cryptomonnaies, les plus gros fournisseurs de services devront divulguer leur consommation d’énergie.

 

Le délai transitoire pour se mettre en conformité avec MiCA est de 18 mois.

Principales étapes de la succession d’entreprise

Bien que chaque remise d’entreprise soit différente, les principales étapes de la remise sont généralement similaires.

Le présent article a pour but de vous indiquer quelles sont ces différentes étapes, du début de la réflexion à la transmission concrète de l’entreprise.

 

Etape 1     Lancement

Premières réflexions au sujet de la succession, ce qui implique :

  • Initier le processus de réflexion
  • Réfléchir aux phases du processus de succession et au calendrier
  • Définir l’équipe en charge du projet

 

Etape 2     Faire un état des lieux

Faire un point de la situation de l’entreprise et de l’entrepreneur, ce qui implique :

  • Diagnostic de l’activité, des moyens de production, humain, financier, juridique, qualité, sécurité et environnement
  • Mettre l’entreprise en état de “transférabilité” (choisir la bonne forme juridique, planification fiscale, restructuration préalable, etc.)

 

Etape 3     Choisir le mode de cession

Différentes situations sont possibles :

  • Cession à titre gratuit, à titre onéreux
  • Vente des actions ou vente des actifs
  • Vente totale ou partielle
  • Définir la cible des acquéreurs potentiels (famille, employés, tiers, etc.)

 

Etape 4     Evaluer l’entreprise

  • Choisir un mode ou plusieurs modes d’évaluation
  • Projeter la profitabilité future de l’entreprise

 

Etape 5     Elaborer un dossier de présentation

Il s’agit d’établir un dossier de présentation de l’entreprise :

  • Etablissement d’un teaser sur une base confidentielle sans mentionner la société
  • Signature de convention de confidentialité
  • Présentation d’un Mémorandum mentionnant notamment la société, son savoir-faire, ses clients, ses résultats financiers et ses opportunités de croissance

 

Etape 6     Trouver un repreneur

  • L’entrepreneur cherche lui-même un repreneur dans son réseau
  • L’entrepreneur donne un mandat à une société spécialisée dans la transmission d’entreprise ou à une banque d’affaires

 

Etape 7     Due Diligence et offres

  • Optionnel : le repreneur potentiel dépose une offre indicative de reprise non contraignante
  • Le repreneur potentiel procède à une analyse complète de la société (juridique, fiscal, commerciale, opérationnelle, etc.)
  • Accès à une data room complète afin de pouvoir déposer une offre ferme
  • Le repreneur potentiel dépose une offre ferme de reprise

 

Etape 8     Rédaction des documents contractuels

  • Signature d’un contrat de vente d’actions, le plus souvent soumis à des conditions suspensives (signing)
  • Obtention du financement de la part de l’acquéreur (éventuellement)
  • Validation fiscale de la transaction (ruling)
  • Exécution de la vente et transfert de la propriété des actions (closing)

 

Etape 9     Information et accompagnement

  • Communication aux employés, clients, partenaires, etc.
  • Possible période de transition ou l’entrepreneur reste encore pendant un temps limité dans l’entreprise pour faciliter la transition

 

Résumé des principaux documents

  • Etablissement d’un teaser (no name)
  • Rédaction d’une convention de confidentialité
  • Etablissement d’un Mémorandum d’information avec le nom de l’entreprise
  • Dépôt d’une offre indicative
  • Due diligence
  • Dépôt d’une offre ferme
  • Signature d’un contrat de vente d’actions (signing)
  • Ruling fiscal
  • Exécution des éventuelles conditions suspensives
  • Exécution de la vente (closing)

 

 

Droit de souscription préférentiel des actionnaires d’une société anonyme : rappel des principes et possibilités de le supprimer

L’étendue de la participation d’un actionnaire dans une société est une composante majeure de son pouvoir socio-économique au sein de celle-ci, si bien que l’actionnaire y est généralement attaché et ne souhaite pas la voir diminuer au profit d’autres actionnaires ou de tiers.

Afin d’éviter la dilution de la participation d’un actionnaire, l’art. 652b CO accorde à toute actionnaire un droit à la part des actions nouvellement émises qui correspond à sa participation antérieure (droit de souscription préférentiel).

Cependant, ce droit peut entrer en conflit avec les besoins de la société, raison pour laquelle sa limitation ou sa suppression peut être nécessaire à la poursuite du but de la société.

  1. Préambule

Le droit de souscription préférentiel est un droit en faveur des actionnaires leur permettant de souscrire prioritairement à l’émission de nouvelles actions proportionnellement à leur participation au capital-actions.

Si le droit de souscription préférentiel tend à protéger les actionnaires d’une éventuelle dilution (en termes de pourcentage de participation et non de valeur des actions respectivement de la participation), il peut cependant entrer en conflit avec les intérêts – notamment économiques – de la société anonyme. C’est la raison pour laquelle, la question de sa limitation voire de sa suppression se pose fréquemment en pratique.

La présente Newsletter a pour objectif d’expliquer aux différentes parties prenantes d’une société anonyme quels sont les principes applicables au droit de souscription préférentiel et les possibilités et les démarches à entreprendre pour limiter ou supprimer ce droit.

  1. Le droit de souscription préférentiel

En droit suisse, le droit de souscription préférentiel est exprimé à l’art. 652b al. 1 CO dont la teneur est la suivante : « Tout actionnaire a droit à la part des actions nouvellement émises qui correspond à sa participation antérieure ».

Cet alinéa pose le principe du droit de souscription préférentiel détenu par les actionnaires sur les actions nouvellement émises dans le cadre de l’augmentation ordinaire ou autorisée du capital-actions d’une société anonyme.

Il permet ainsi aux actionnaires qui ont une capacité financière suffisante de garder une participation équivalente après l’émission de nouvelles actions, ce qui signifie que la valeur nominale de leurs actions par rapport à la valeur nominale totale du capital-actions reste la même.

Exemple : X. SA est une société anonyme dont le capital-actions s’élève à CHF 100’000.-, entièrement libéré et divisé en 100 actions de CHF 1’000.- chacune. Y détient 60 actions soit 60% du capital-actions. Z détient, quant à lui, 40 actions soit 40% du capital-actions. L’assemblée générale de la société décide de l’augmentation ordinaire du capital-actions de la société pour un montant supplémentaire de CHF 20’000.-, soit 20 actions de CHF 1’000.-. Y aura un droit de souscription préférentiel correspondant à 60% de l’augmentation, soit CHF 12’000.- ou 12 actions. Z aura, de son côté, un droit de souscription préférentiel correspondant à 40% de l’augmentation, soit CHF 8’000.- ou 8 actions. Si les deux actionnaires exercent leur droit de souscription, ils garderont une participation équivalente au capital-actions augmenté à CHF 120’000.- (Y détiendra 72 actions de CHF 1’000.-, soit 60% du capital-actions ; X détiendra 48 actions de CHF 1’000.-, soit 40% du capital-actions).

Les conditions d’exercice du droit de souscription préférentiel – notamment le prix de souscription – sont fixés par l’assemblée générale en cas d’augmentation ordinaire du capital-actions et par le conseil d’administration en cas d’augmentation autorisée (dans le nouveau droit de la société anonyme, le capital-actions autorisé sera remplacé par une marge de fluctuation du capital. Pour plus de détails, voir V. Meylan, La dernière réforme du droit de la société anonyme : points essentiels).

  1. La limitation ou suppression du droit de souscription préférentiel

La décision d’augmenter le capital-actions peut supprimer le droit de souscription préférentiel des actionnaires pour autant qu’il existe de justes motifs (art. 652b al. 2 CO).

Cette décision est soumise aux trois conditions cumulatives suivantes :

  • (i). la décision doit en principe être prise à la majorité qualifiée (art. 704 al. 1 ch. 6 CO) par l’assemblée générale ; et
  • (ii). la suppression ou la limitation doit être objectivement fondée, c’est-à-dire reposée sur de justes motifs ; et
  • (iii). la suppression ou la limitation doit respecter le principe d’égalité de traitement entre les actionnaires et le principe du ménagement dans l’exercice du droit (proportionnalité).
  1. Décision de limitation ou suppression du droit

La limitation ou la suppression du droit de souscription préférentiel est en principe décidée dans le cadre de la décision relative à l’augmentation (ordinaire ou autorisée) du capital-actions.

Cette décision doit recueillir au moins les deux tiers des voix attribuées aux actions représentées et la majorité absolue des valeurs nominales représentées (majorité qualifiée ; art. 704 al. 1 ch. 6 CO). Elle peut ainsi être imposée à un actionnaire qui ne dispose pas d’une minorité suffisant pour bloquer une telle décision.

Dans le cadre de l’augmentation autorisée du capital-actions, la décision d’augmentation appartient au conseil d’administration. L’assemblée générale garde toutefois la compétence de décider du sort du droit de souscription préférentiel dans la décision d’autorisation d’augmentation du capital-actions.

De jurisprudence constante, cette compétence peut toutefois être déléguée au conseil d’administration si la décision d’autorisation fixe les conditions-cadres (motifs particuliers, objectifs poursuivis, etc.) de la suppression ou de la limitation du droit de souscription préférentiel.

  1. Justes motifs

La suppression ou la limitation du droit de souscription préférentiel doit être objectivement fondée à la lumière de l’ensemble des circonstances et en fonction du type de société en question (cotée/non cotée).

En d’autres termes, la décision doit reposer sur des motifs qui imposent la restriction au droit de souscription préférentiel dans le cas concret. L’art. 652b al. 3 CO dresse une liste exemplative de situations qui constituent de justes motifs, à savoir :

  • L’acquisition d’une entreprise ;
  • L’acquisition de parties d’entreprise ;
  • L’acquisition de participations à une entreprise ;
  • La participation des travailleurs.

En pratique, d’autres situations peuvent constituer – suivant les circonstances – de justes motifs permettant de limiter ou supprimer le droit de souscription préférentiel des actions dans le cadre de l’émission de nouvelles actions.

Il peut notamment s’agir des motifs suivants, que nous classeront dans les trois catégories suivantes :

  • Les motifs relatifs au financement de la société : l’élargissement de l’actionnariat de la société dans la perspective d’une cotation, d’une admission au négoce ou d’un enregistrement de nouvelles actions aux bourses nationales ou étrangères ; l’octroi d’une option de surallocation (« Greenshoe ») ; la valorisation d’une levée de fonds propres respectivement d’un tour de financement (lorsqu’il ne pourrait être réalisé qu’à des conditions moins favorables, sans l’exclusion du droit de souscription préférentiel).
  • Les motifs relatifs à l’intéressement et la participation des collaborateurs : l’intéressement des employés, des membres du conseil d’administration ou de consultants de la société ou de l’une de ses filiales ; l’octroi de bonus sous forme d’options ou d’actions.
  • Les motifs relatifs à la restructuration ou à l’assainissementde la société : l’acquisition de sociétés, d’actifs de sociétés, de participations, de produits, de droits de propriété intellectuelle, de licences ou de nouveaux projets d’investissement ou encore pour des placements d’actions privés ou publics à des fins de financement et/ou refinancement de telles transactions ; la fusion ; l’acquisition d’une participation dans la société par un partenaire stratégique ; le remboursement d’un prêt mezzanine ; l’assainissement de la société (notamment la conversion de fonds étrangers en fonds propres).

Dans tous les cas, le bien-fondé de la limitation ou de la suppression du droit de souscription préférentiel dépendra de la situation spécifique de la société. Un motif peut être suffisante pour une société donnée, mais en même temps ne pas constituer un motif suffisant pour une autre société dont les besoins (notamment financiers) sont limités.

  1. Respect de l’égalité de traitement et du principe du ménagement dans l’exercice du droit

Par principe, aucun actionnaire ne doit être avantagé ou désavantagé de manière non fondée par la suppression du droit de souscription préférentiel. Il est possible de s’écarter de ce principe lorsque les circonstances et les intérêts de la société le justifient.

Dans tous les cas, la suppression doit être nécessaire à la poursuite des buts légitimes de la société et doit être exercée « avec ménagement » (principe de proportionnalité). Elle doit ainsi être nécessaire à la réalisation du but poursuivi par la société (nécessité) et doit suffire à atteindre celui-ci (aptitude).

Ces principes sont également applicables même en l’absence de restriction du droit de souscription préférentiel : dans l’arrêt TF 4A_531/2017 du 20 février 2018, le Tribunal fédéral a considéré, malgré le fait que les droits préférentiels de souscription n’étaient pas limités, que l’importance de la dilution subie par les actionnaires qui n’ont pas exercé leur droit pouvait être réduite en augmentant le capital-actions avec des actions ayant un montant supérieur à la valeur au pair. La décision prise par l’assemblée générale est alors viciée car cette dernière avait la possibilité de prendre des mesures permettant d’atteindre le but visé qui étaient moins dommageables pour l’actionnaire minoritaire.

  1. Les conséquences d’une limitation ou suppression non justifiée du droit de souscription préférentiel

Les conséquences d’une limitation ou suppression non justifiée du droit de souscription préférentiel dépendent de l’organe ayant pris la décision de restriction du droit.

La décision de l’assemblée générale de supprimer ou limiter le droit de souscription peut être annulée sur la base de l’art. 706 al. 1 et 2 CO, ce qui n’est pas le cas pour la décision du conseil d’administration prise en vertu d’une délégation de compétence valable qui viole le droit de souscription préférentiel, laquelle ne peut faire l’objet uniquement d’une action en responsabilité sur la base des art. 754 ss CO.

  1. Conclusion

Il convient de retenir de la présente Newsletter que le droit de souscription préférentiel est une composante essentielle à la qualité d’actionnaire qui ne peut être supprimé ou limité que dans l’intérêt de la société et en vue de la poursuite de son but.

Les actionnaires majoritaires veilleront ainsi à ne pas limiter ou supprimer le droit de souscription préférentiel des actionnaires de manière chicanière, sans motif ou pour leurs propres intérêts. Si nécessaire, ils feront appel à un spécialiste pour vérifier si motifs de suppression ou de limitation du droit de souscription préférentiel constituent de justes motifs au regard du droit suisse.

Contrat de vente entre un vendeur suisse et un acheteur européen : quel tribunal est territorialement compétent ?

Arrêt du TF du 27 janvier 2022 [4A_449/2021] destiné à la publication; rédigé par Me Nicolas Leroyer, avocat auprès de l’Etude LEAX Avocats.

Une société suisse conclut, avec une société dont le siège se trouve dans un État de l’Union européen, un contrat portant sur la vente de biens meubles. Ce contrat prévoit que les marchandises seront mises à disposition au siège de la société suisse et seront transportées par une société tierce jusqu’au siège de l’acheteur, ce dernier devant en organiser le transport et en assumer les frais. Très rapidement, le vendeur suisse n’est pas payé et souhaite agir en justice afin d’obtenir un titre exécutoire lui permettant de recouvrer les montants dus.

Auprès du Tribunal de quel État le vendeur doit-il ouvrir action pour exiger le paiement de ses prestations ?

S’agissant d’une cause de nature internationale civile et commerciale, dont les deux parties au contrat litigieux sont domiciliées dans un État partie à la Convention de Lugano, la compétence doit être déterminée sur la base de cette convention (art. 1 CL).

En matière contractuelle, une action est possible auprès du tribunal du lieu où l’obligation a été ou doit être exécutée (art. 5 al. 1 let. a CL). Sauf convention contraire, le lieu d’exécution correspond, pour la vente de biens meubles, au lieu où, en vertu du contrat, les marchandises devaient être livrées (art. 5 al. 1 let. b CL ; cons. 3.1).

Dans ce cadre, il pourrait être tentant d’interpréter ces notions de lieu d’exécution et de lieu de livraison, sur la base du droit applicable à la cause. Cette manière de procéder serait cependant erronée. En effet, il est largement admis que la détermination du lieu d’exécution au sens de la CL doit avoir lieu de manière autonome par rapport à la convention, autrement dit sans être lié par le droit applicable (cons. 4.1).

Le lieu de livraison doit, en premier lieu, être identifié en se fondant sur le contrat. Il n’est cependant pas nécessaire que celui-ci soit expressément prévu, il est parfaitement admissible qu’il soit déterminé au moyen d’une interprétation de la volonté des parties (cons. 4.2). Pour autant, si cette première méthode s’avère insuffisante, le lieu de livraison doit être déterminé en se fixant sur le lieu de délivrance concret des biens, sauf si celui-ci est contraire à la volonté des parties exprimée dans le contrat (cons. 4.2). En dernier lieu, lorsque ces deux méthodes s’avèrent insuffisantes, ce lieu doit être arrêté d’une “autre manière”, tenant compte des objectifs de prévisibilité et de proximité géographique poursuivis par la CL (cons. 4.2). Cette autre manière peut alors consister à se référer à la jurisprudence de la CJCE ; laquelle prévoit, pour les ventes à distance, que le lieu de remise matérielle correspond au lieu où l’acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement des marchandises au lieu de destination finale de l’opération de vente. Le Tribunal fédéral a d’ailleurs de longue date homologuer cette « autre méthode » (cons. 4.2).

Cela étant, lorsque la marchandise est mise à disposition pour enlèvement au siège du vendeur et que ce dernier n’a aucune obligation contractuelle de transport, la dette est dite quérable au sens de l’art. 5 CL et de l’art. 7 pt. 1 let. b Convention de Bruxelles 1. Cas échéant, il existe à cet égard un large consensus pour retenir que le lieu d’exécution correspond alors au lieu où les marchandises sont mises à disposition par le vendeur, indépendamment du fait que celles-ci soient retirées par l’acheteur lui-même ou par un tiers mandaté par lui (cons. 4.3.2).

Dans le cas concret, la lettre de l’art. 5 al. 1 let b CL pourrait laisser croire que le lieu d’exécution, lieu de livraison, se trouve au siège de l’acheteur. Néanmoins, en procédant à une interprétation autonome de cette notion et en retenant que les marchandises ont été mises à disposition de l’acheteur au siège du vendeur, lequel s’est à ce moment-là entièrement dessaisi de tous pouvoirs ou influence sur ces biens, il doit être retenu que le lieu de livraison et, incidemment, la compétence locale de la cause se situent en Suisse. Il importe donc peu qu’il ait été prévu que ces marchandises soient transportées par un tiers jusqu’au siège de l’acheteur. Cela n’en délocalise pas pour autant le lieu de livraison.

Ce raisonnement du Tribunal fédéral nous apparaît totalement légitime. Dès lors que le vendeur avait entièrement presté en mettant les biens à disposition de l’acheteur à la sortie de son usine et qu’il ne disposait plus d’aucun pouvoir sur ceux-ci, il aurait semblé totalement injustifié d’exiger une correspondance entre le lieu de livraison finale et le lieu d’exécution ou de livraison au sens de la CL. L’acheteur décidait unilatéralement du sort des biens mais également du lieu de livraison finale, de sorte qu’admettre un for en ce lieu de livraison finale aurait permis à l’acheteur de fixer un for au gré de ses convenances. Le Tribunal fédéral a pleinement saisi ce risque et cette problématique. Cette jurisprudence doit donc être saluée. Du reste, compte tenu de l’augmentation des litiges commerciaux entre des sociétés suisses et des sociétés voisines, résultante de la période Covid, il ne fait aucun doute que cette jurisprudence devrait être favorablement accueillie par les praticiens.

Business Judgement Rule et droit suisse

Dans l’exercice de leur fonction, les organes dirigeants d’une société doivent veiller à agir de manière diligente et dans les intérêts de celle-ci.  Dans le cas contraire, ils répondent envers la société ainsi qu’envers chaque actionnaire et chaque créancier social du dommage qu’ils causent en violation de leurs devoirs. Or, la gestion d’une société peut s’avérer complexe et demande aux organes dirigeants de disposer de plus en plus de connaissances et de qualifications particulières.

Ainsi, l’examen par les tribunaux de l’opportunité d’une décision commerciale peut être délicat. C’est pourquoi, la jurisprudence admet, sans la nommer, l’application dans cette situation d’une sorte de Business Judgement Rule suisse dans le but d’éviter que le juge ne substitue sa propre appréciation à celle des organes dirigeants dans l’exercice de la gestion de l’entreprise.

  1. Préambule

Lors de l’analyse de la responsabilité des organes dirigeants, il se pose la question de savoir si le comportement des organes dirigeants s’écarte de ce qui pouvait être attendu d’eux dans les circonstances d’espèce. La réponse à cette question doit prendre en compte le fait que toute activité commerciale implique une part de risque et qu’il est difficile de déterminer si une décision commerciale est opportune ou non. Cet exercice est encore plus périlleux du point de vue du juge puisqu’il connaît les conséquences de la décision prise mais qu’il doit se replacer au moment de la prise de décision.

Pour définir le cadre de l’examen d’une telle question, les juridictions américaines appliquent depuis longtemps la Business Judgement Rule. Selon cette règle, les dirigeants d’une société sont réputés agir de bonne foi, conformément à leurs devoirs et dans l’intérêt de la société, si bien que le juge revoit leurs décisions qu’en présence d’une violation évidente de leurs devoirs. Se rapprochant de ce concept sans jamais y faire référence, le Tribunal fédéral a confirmé à plusieurs reprises que les tribunaux doivent faire preuve de retenue dans l’appréciation a posteriori de décisions commerciales lorsqu’elles sont prises en respectant un certain standard minimal.

La présente Newsletter a pour objectif d’expliquer aux organes dirigeants comment l’exercice de la gestion de l’entreprise est apprécié par les tribunaux suisses au regard de la Business Judgement Rule suisse et, partant, de déterminer ce qu’ils devraient mettre en place pour réduire les risques d’engager leur responsabilité.

  1. Responsabilité des organes dirigeants dans l’administration et la gestion

En droit suisse, les membres du conseil d’administration – comme toutes les personnes qui s’occupent de la gestion d’une société – répondent à l’égard de la société, de même qu’envers chaque actionnaire ou créancier social, du dommage qu’ils leur causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs (art. 754 CO).

Il s’agit d’une responsabilité extracontractuelle fautive. Ainsi, celui qui souhaite agir contre un ou plusieurs dirigeants fautifs a la charge de fournir la preuve de l’existence :

  1. d’un dommage (direct ou indirect),
  2. d’un manquement aux devoirs des dirigeants,
  3. du lien de causalité (naturel et adéquat) entre le manquement et le dommage, et
  4. d’une faute.

Contrairement aux exigences relatives à la responsabilité extracontractuelle, le manquement aux devoirs peut intervenir sans qu’une norme de protection spécifique ne soit nécessairement violée. Il suffit que les devoirs des organes dirigeants – en particulier le devoir de diligence et de fidélité – n’aient pas été respectés.

A cet égard, le niveau de diligence minimale que l’on peut attendre d’un administrateur dans une situation concrète est apprécié sur la base de critères objectifs en tenant compte de l’ensemble des circonstances. En pratique, le juge compare le comportement reproché à l’administrateur à celui qu’un administrateur raisonnable et consciencieux aurait eu dans les mêmes circonstances. Par ailleurs, l’appréciation de ce comportement se fait de manière ex ante, c’est-à-dire selon l’état du droit, les critères et les renseignements à disposition – ou qui aurait pu l’être – au moment de la décision ou du comportement considéré. Au surplus, une décision ou un comportement donné ne saurait constituer un manquement aux devoirs du seul fait qu’il s’est révélé par la suite être erroné ou défavorable.

  1. La Business Judgement Rule américaine

La Business Judgement Rule vise à éviter que le juge substitue librement sa propre opinion aux décisions prises par les organes dirigeants en limitant voire supprimant son pouvoir d’examen.

L’expression de la théorie classique de la Business Judgement Rule outre-Atlantique a valeur de présomption. Les dirigeants d’une société sont réputés agir de bonne foi, conformément à leurs devoirs et dans l’intérêt de la société, si bien que le juge ne revoit leurs décisions qu’en présence d’une violation évidente de leurs devoirs (bonne foi, loyauté et diligence raisonnable).

Il s’agit alors d’une véritable présomption d’agissements conformes au droit qui doit être renversée par l’apport de preuves démontrant une violation manifeste des devoirs des dirigeants pour justifier l’examen de la décision par le juge. En l’absence de preuves contraires, les tribunaux ne doivent et ne peuvent pas examiner ou remettre en question la décision commerciale considérée.

On parle parfois d’immunité dans la prise de décisions commerciales pour les organes dirigeants car leur responsabilité est par principe quasiment exclue.

  1. Application de la règle en droit suisse

En droit suisse, le Tribunal fédéral reconnaît que les tribunaux doivent faire preuve de retenue dans l’appréciation a posteriori de décisions commerciales prises :

  • au cours d’un processus décisionnel irréprochable,
  • reposant sur une base d’informations adaptée, et
  • exempt de conflits d’intérêts.

La règle en droit suisse s’apparente dès lors à un standard comportemental minimal. Lorsque les critères susmentionnés sont remplis, le pouvoir de cognition du juge est restreint. En revanche, la conséquence de cette règle, bien que se rapprochant d’une présomption, n’est pas d’exclure par principe la responsabilité des dirigeants en l’absence de preuves contraires. Il n’y a d’ailleurs pas d’inversion du fardeau de la preuve.

Plutôt, elle déplace le thème de la preuve. Puisque le juge est limité dans son pouvoir d’examen, celui qui invoque un dommage (ci-après « le plaignant ») a alors la charge d’alléguer des faits permettant de convaincre le juge que les dirigeants ont effectivement violé leurs devoirs. Il peut également démontrer que le standard comportemental minimal n’a pas été respecté, ce qui constituera alors un indice de la violation des devoirs.

La théorie s’apparente dans certaines situations à une condition négative supplémentaire – fondant la responsabilité des organes dirigeants – dont l’avènement doit être prouvé par le plaignant.

De plus, cet avantage (à savoir la limitation du pouvoir de cognition du juge) n’est limité qu’aux décisions commerciales et d’autres décisions pourraient alors faire l’objet d’un examen complet par les tribunaux.

  1. Conclusion

En conclusion, il convient de retenir que les tribunaux suisses sont limités dans leur pouvoir d’examen des décisions d’ordre commercial ayant été prises à l’issue d’un processus décisionnel irréprochable, suite à des informations adéquates et en l’absence de tout conflit d’intérêts.

Il incombe alors à celui qui invoque un dommage de prouver que les dirigeants n’ont pas suivi ce standard comportemental ou de démontrer qu’il ne s’agit pas d’une décision d’ordre commercial pour que le juge soit libre dans son examen. Si tel n’est pas le cas, le plaignant devra démontrer que, malgré le fait que la décision a été prise dans un cadre approprié, les dirigeants ont effectivement violé leurs devoirs.

Les dirigeants consciencieux veilleront à mettre en place un cadre décisionnel approprié, sur la base de sources fiables et adaptées et à éviter toute situation de conflit d’intérêts pour limiter le risque de voir leur responsabilité engagée. Si nécessaire, ils feront appel à un spécialiste pour vérifier si les exigences qu’ils s’imposent sont suffisantes.

Fusion d’assainissement – futur art. 6 LFus – modifications et implications

Trop peu utilisée par les praticiens, la fusion dite d’assainissement (art. 6 LFus) va subir une adaptation aux futures dispositions de la société anonyme. Cette fusion qui permet à une entité en situation de perte de capital ou de surendettement d’être « sauvée » par une ou plusieurs autres entités pose des problèmes pratiques dus aux exigences légales.

L’harmonisation des règles concernant les réserves, les situations de perte de capital et de surendettement et les postpositions de créances entre les divers types de sociétés et la reprise de cette harmonisation dans la loi sur la fusion vont sans doute permettre de mieux appréhender les fusions d’assainissement. Il n’est toutefois pas sûr que cela suffise à redonner de l’attrait à ce type d’opération.

 

  1. Préambule

La fusion d’assainissement se définit comme une fusion visant à l’optimisation économique d’une société en difficulté financière. Comme toute fusion proprement dite, sa mise en œuvre est subordonnée au respect des dispositions de la Loi sur la fusion.

Cependant, deux exigences additionnelles doivent être remplies en cas de fusion d’assainissement. Premièrement, les réserves librement disponibles de la société saine doivent couvrir la perte ou le surendettement de la société en difficulté. Secondement, la fusion est soumise à vérification d’un expert-réviseur agréé. Ces conditions qui paraissent aisées à appréhender juridiquement se dévoilent être un obstacle lorsque l’on veut mettre en place une telle opération.

La présente Newsletter a pour objectif d’expliquer aux potentielles parties prenantes d’une fusion d’assainissement quelles sont les conditions actuelles et futures à respecter pour la réalisation d’une fusion d’assainissement et leurs implications pratiques.

 

  1. De la teneur de l’actuel art. 6 LFus

A la teneur actuelle de l’art. 6 LFus, « 1 Une société dont la moitié de la somme du capital-actions ou du capital social et des réserves légales n’est plus couverte, ou qui est surendettée, ne peut fusionner avec une autre société que si cette dernière dispose de fonds propres librement disponibles équivalant au montant du découvert et, le cas échéant, du surendettement. Cette exigence ne s’applique pas dans la mesure où des créanciers des sociétés participant à la fusion acceptent que leur créance soit placée à un rang inférieur à celui de toutes les autres créances. 2 L’organe supérieur de direction ou d’administration doit présenter à l’office du registre du commerce une attestation d’un expert-réviseur agréé selon laquelle la condition fixée à l’al. 1 est remplie. ».

Ainsi, une société en situation de perte de capital ou de surendettement peut fusionner avec une ou plusieurs autres sociétés lorsque les réserves librement disponibles de cette ou ces dernières couvrent la perte ou le surendettement. Ces réserves correspondent à la part des réserves de l’entreprise qui dépasse la somme du capital social et des réserves légales ou statutaires liées. Dans ce cadre, la réserve générale jusqu’à concurrence de la moitié du capital-actions et la réserve pour réévaluation ne sont pas librement disponibles.

Selon la loi actuelle, l’étendue de la couverture financière dépend de la forme juridique de la société en difficulté financière. Si cette dernière est une société anonyme ou une société à responsabilité limitée, elle est en situation de perte de capital lorsque la moitié de la somme du capital-actions ou du capital social et des réserves légales n’est plus couverte (art. 725 al. 1 et art. 820 al. 1 CO). Pour ces sociétés, la fusion est dès lors admise lorsque les fonds propres librement disponibles de l’entité saine économiquement couvrent la perte jusqu’à hauteur du seuil de perte de capital au sens de l’art. 725 al. 1 CO et, le cas échéant, de l’ensemble du surendettement.

La fusion n’est pas subordonnée à une telle exigence lorsque les créanciers de la société en question acceptent de postposer leur créance à hauteur du découvert.

En l’état, l’art. 6 LFus manque de clarté sur plusieurs points. Depuis son entrée en vigueur, ces imprécisions ont suscité plusieurs controverses doctrinales sur l’étendue des exigences légales de la fusion d’assainissement. En particulier, les auteurs ne s’entendent pas sur l’étendue de la couverture financière et la durée des éventuelles postpositions de créances sont débattus en doctrine. Pour cette raison, la fusion d’assainissement n’a pas été beaucoup employée en pratique.

 

  1. Du futur art. 6 LFus

Dans le cadre de la révision du droit des sociétés, dont les dispositions entreront probablement en vigueur en 2022, l’art. 6 LFus aura un nouveau contenu adapté aux nouvelles dispositions sur la postposition de créances et les réserves légales. A la teneur du futur art. 6 LFus, « 1Une société dont les actifs, après déduction des dettes, ne couvrent plus que la moitié de la somme du capital-actions ou du capital social, de la réserve légale issue du capital et de la réserve légale issue du bénéfice qui ne sont pas remboursables aux actionnaires, ou qui est surendettée, ne peut fusionner avec une autre société que si cette dernière dispose de fonds propres librement disponibles équivalant au montant du découvert et, le cas échéant, du surendettement. 1bis Cette condition ne s’applique pas dans la mesure où des créanciers des sociétés participant à la fusion ajournent des créances et acceptent que leur créance soit placée à un rang inférieur à celui de toutes les autres créances pour un montant équivalant au découvert et, le cas échéant, au surendettement, pour autant que la postposition porte également sur les intérêts dus pendant toute la durée du surendettement. » L’alinéa 2 ne subira, quant à lui, pas de modifications.

Tableau synoptique des modifications :

  Actuel art. 6 LFus

 

Futur art. 6 LFus

 

Perte de capital

 

Moitié du capital-actions ou du capital social + des réserves légales

 

Moitié du capital-actions ou du capital social + de la réserve légale issue du capital et de la réserve légale issue du bénéfice (non-remboursable)

 

Surendettement

 

Pas de précisions : Surendettement selon dispositions du CO respectives à chaque type de société

 

Pas de précisions : Surendettement selon dispositions du CO respectives à chaque type de société

 

Étendu de la couverture financière FLD = montant du découvert ou surendettement FLD = montant du découvert ou surendettement
Postpositions de créances Créances postposées – Pas de précisions quant au montant Créances ajournées et postposées – Montant équivalent au découvert ou surendettement + intérêt

 

La révision du droit de la société anonyme est la bienvenue car le nouvel art. 6 LFus énumérera de manière exhaustive les réserves à prendre en considération, contrairement au texte actuel qui se borne à faire référence au terme générique « réserves légales ». En outre, les dispositions gouvernant la coopérative et la société à responsabilité limitée renverront tous les deux au droit de la société anonyme en ce qui concerne les situations de perte de capital et de surendettement (également pour la menace d’insolvabilité), ce qui assurera une application identique de la future disposition.

Le futur alinéa 1bis clarifie, quant à lui, l’étendue de la subordination des créances permettant à une société en difficulté d’être exemptée des exigences supplémentaires de la fusion d’assainissement.

 

  1. Des problématiques latentes

La révision de la disposition n’améliore néanmoins pas sa cohérence juridique. En effet, l’art. 6 LFus vise à protéger les créanciers. Or, le principe en droit suisse est que les créanciers d’une société ne sont pas lésés tant et aussi longtemps que la société n’est pas en situation de surendettement. La situation de perte de capital vise, elle, à protéger les actionnaires de la société, c’est pourquoi, seules des obligations internes à la société découlent de l’art. 725 al. 1 CO.

De cette prémisse, les sociétés fusionnantes ne devraient pas être tenues de réduire la perte de capital de la société en difficulté financière. Bien que cela n’était pas le but de la révision actuelle, il aurait été souhaitable que le seuil que les sociétés en perte de capital voulant fusionner doivent respecter soit abaissé, voire supprimé.

Plus généralement, le fait que l’admissibilité d’une fusion d’assainissement soit basée sur un bilan hypothétique des sociétés fusionnantes d’avant fusion ne permet pas toujours d’atteindre l’objectif de protection des créanciers. Une alternative pourrait être de prendre en compte les perspectives d’assainissement de la société fusionnée – à la lumière de ce qui est fait dans le cadre de la procédure d’ajournement de la faillite – dans le but de déterminer si la perte de capital ou le surendettement demeurera après la fusion et, le cas échéant, se poursuivra.

 

  1. Conclusion

En conclusion, il convient de retenir que le futur art. 6 LFus rend l’application de l’art. 6 LFus plus aisée et certainement plus constante. Cependant, il ne devrait s’agir que du début de sa modification tant il n’est pas adapté à la réalité économique d’une fusion impliquant une société en difficulté financière.

En l’état, les actionnaires choisiront certainement de privilégier d’autres mécanismes économiques, et donc juridiques (concordat par un tiers repreneur, versement à fonds perdus, vente ou réévaluation d’actifs, etc.), pour redresser une situation financière compliquée.

Financement de sociétés – possibilités

Qu’il s’agisse d’une start-up ou d’une société active depuis plusieurs années, il est usuel qu’une société cherche à se financer, par exemple pour financer ses activités ou pour procéder à des investissements. Différents moyens existent pour cela.

La présente newsletter a pour objectif de vous faire part de ces différents moyens de financement.

 

  1. Préambule

Cette newsletter traite des principaux moyens de financement tels que le prêt, le prêt convertible ou la prise de participation au capital. Elle ne traite pas du crowdfunding et de ses différentes formes, de la levée de fonds par ICO (Initial Coin Offering) et de l’émission d’actions ou d’obligations sous la forme d’offre au public qui sont des moyens moins employés par les entrepreneurs.

 

  1. Le prêt (privé et commercial)

Le contrat de prêt est le contrat par lequel le prêteur s’engage à transférer à l’emprunteur la propriété d’une somme d’argent. L’emprunteur s’engage, lui, à lui rendre une telle somme, ainsi qu’un montant supplémentaire, à titre d’intérêts (art. 312ss CO). Le contrat de prêt, lorsqu’il donne droit au paiement d’intérêts, est considéré comme étant un contrat bilatéral parfait. Il s’agit en outre d’un contrat de durée. Il n’est soumis à aucune obligation de forme (art. 11 al. 1 CO) et est donc extrêmement simple à conclure.

Le contrat de prêt présente plusieurs avantages : d’abord, il offre au prêteur la possibilité d’obtenir un intérêt intéressant sur le prêt consenti, mais il permet aussi à la société concernée d’obtenir des liquidités.

Le prêt peut être privé comme le prêt d’un actionnaire à la société ou le prêt d’un privé ou être un prêt commercial comme le prêt d’un établissement bancaire (ATF, ligne de crédit, prêt, crédit hypothécaire, leasing, etc.).

Le prêt peut être accompagné de garanties personnelles comme le cautionnement, le porte-fort, la solidarité, une assurance ou de garanties réelles comme le droit de gage immobilier (cédule, hypothèque) ou le droit de gage mobilier (nantissement, droit de rétention, droit de gage sur des créances).

 

  1. Le prêt convertible

Le prêt convertible permet la conversion d’une créance en participation au capital. Le prêt convertible précède une augmentation de capital. Le prêt est donc converti en capital ; le prêteur devient actionnaire de la société. Le prêt convertible permet donc au prêteur d’entrer au capital-actions de la société.

 

  1. La prise de participation dans la société (equity investment)

Le contrat d’investissement et de souscription est un contrat qui règle la prise de participation au capital par l’investisseur. Sont principalement réglés dans un tel contrat : (i) la valorisation de la société (ii) les modalités de l’augmentation du capital-actions et de l’émission d’actions correspondantes (iii) le prix d’émission et (iv) les garanties.

Le contrat d’investissement concerne la phase de financement, c’est-à-dire de mise à disposition du capital, et non la phase de cohabitation qui elle est généralement réglée par une convention d’actionnaires.

Les parts remises aux investisseurs le sont par une augmentation de capital. Pour pouvoir remettre les actions aux nouveaux actionnaires, l’assemblée générale doit généralement augmenter le capital-actions de la société par le biais d’une augmentation de capital ordinaire ou autorisée.

 

  1. Le prêt partiaire

Le prêt partiaire est un contrat de prêt prévoyant une participation du prêteur au bénéfice réalisé par l’emprunteur. La rémunération du prêteur dépend du succès de l’activité du débiteur, respectivement de son bénéfice. Le prêteur peut obtenir le remboursement de son prêt, mais également une participation au bénéfice réalisé par l’emprunteur.

 

  1. Le prêt à option

Le prêt à option confère le droit de prétendre au remboursement du montant prêté mais également le droit de souscrire un certain nombre de titres de participation. Il a donc une composante non seulement de remboursement de prêt mais également de participation au capital de la société.

 

  1. Le leasing

Le contrat de leasing est un contrat de financement par lequel le preneur de leasing obtient l’usage et la jouissance d’une chose mobilière ou immobilière, acquise auprès d’un tiers-fournisseur, pour une période déterminée, de la part du donneur de leasing, et ce moyennant le paiement de redevances périodiques. Ces redevances servent à l’amortissement de la chose, au remboursement du capital investi et des intérêts, et à couvrir la marge du donneur de leasing. Le manuel suisse d’audit considère que le leasing s’apparente à la location.

 

  1. Conclusion

En conclusion, il peut être indiqué qu’il existe de nombreux moyens de financement avec des conséquences différentes, notamment quant à la question de savoir si celui qui finance détiendra ou aura le droit d’obtenir une participation dans le capital de la société financée. Chaque cas est différent et doit faire l’objet d’une analyse selon la volonté de l’entreprise cherchant à se financer et l’établissement ou l’investisseur octroyant le financement.

En cas de prise de participation par l’entité finançant l’entreprise, une convention d’actionnaires est souvent établie et signée par les parties.