Tokeniser les actions de ma société : oui mais comment ?

Tokeniser les actions d’une société sous la forme de droits-valeurs inscrits selon l’art 973d du Code des obligations et permettre leur transfert via la blockchain (registre distribué) est possible en droit suisse.

La technologie des registres distribués (TRD) permet d’associer des droits-valeurs à des jetons digitaux (aussi appelés tokens) inscrits dans un registre distribué, selon un processus faisant en sorte que les droits-valeurs et jetons ne puissent pas être transférés indépendamment l’un de l’autre. Les jetons représentent alors l’équivalent digital des papiers-valeurs classiques dont ils remplissent la même fonction de légitimation.

Il faut toutefois garder à l’esprit que certaines exigences doivent être respectées. Le registre de droits-valeurs (ou ledger) doit en particulier satisfaire aux exigences suivantes :

  1. Il donne aux créanciers, mais non au débiteur, le pouvoir de disposer de leurs droits au moyen de procédés techniques ;
  2. Son intégrité est protégée par des mesures organisationnelles et techniques adaptées le préservant de toute modification non autorisée, comme la gestion du registre en commun par de multiples participants indépendants les uns des autres ;
  3. Le contenu des droits, le mode de fonctionnement du registre et la convention d’inscription sont consignés en son sein ou dans une documentation d’accompagnement qui lui est associée ;
  4. Il permet aux créanciers de consulter les informations et les inscriptions du registre qui les concernent et de vérifier l’intégrité du contenu du registre qui les concerne sans l’intervention d’un tiers.

 

Ethereum ou Tezos remplissent ces exigences. Les deux fonctionnent via un mécanisme de consensus Proof of Stake.

Le débiteur doit en outre veiller à ce que l’organisation du registre de droits-valeurs soit adaptée au but de ce dernier. Il doit veiller en particulier à ce que le registre fonctionne en tout temps conformément à la convention d’inscription (aussi appelée les « conditions de tokenisation »).

Le transfert d’un droit-valeur inscrit est régi par les règles de la convention d’inscription (art. 973f CO). La convention d’inscription, respectivement les conditions de tokenisation ont pour but de formaliser le fait que les actions sont représentées par des jetons numériques enregistrés dans un registre distribué (distributed ledger), que les droits des actionnaires ne peuvent être exercés et que les actions ne peuvent être transférées que par l’intermédiaire du ledger, et que les actions tokenisées sont par conséquent des valeurs mobilières basées sur le ledger au sens de l’article 973d al. 1 CO. Les conditions de tokenisation doivent préciser, entre autres, les conditions auxquelles le titre légal des actions tokenisées peut être transféré ou les actions tokenisées peuvent être grevées. Les conditions de tokenisation sont réputées acceptées par le premier détenteur de jetons ayant pris possession des actions tokenisées.

Selon l’art. 973i CO, le débiteur d’un droit-valeur inscrit, ou d’un droit proposé en tant que tel, doit communiquer à chaque acquéreur de ce droit-valeur (i) le contenu du droit-valeur, et (ii) les informations sur le mode de fonctionnement du registre de droits-valeurs ainsi que les mesures visant à assurer son fonctionnement et à préserver son intégrité conformément à l’art. 973d al. 2 et 3 CO.

Enfin et en lien avec la tokenisation d’actions, il est également nécessaire de porter une attention particulière aux éléments suivants :

  • Contenu des statuts de la société (notamment concernant la question du transfert des jetons/actions) ; à noter également que le transfert d’un droit-valeur inscrit doit être régi par les règles de la convention d’inscription ;
  • Identification des détenteurs des jetons/actions ; lien entre le registre distribué et le registre des actions ;
  • Caractéristiques du smart contract ;
  • Décision du Conseil d’administration concernant la tokenisations des actions (il est possible de tokeniser qu’une partie des actions de la société, par exemple tokeniser que les actions faisant l’objet d’une augmentation de capital) ;
  • Les caractéristiques du smart contract et du token/jeton doivent respecter le droit suisse des sociétés.

 

En conclusion, il peut être retenu qu’il est possible selon le droit suisse de tokeniser les actions d’une société anonyme sous la forme de droits-valeurs inscrits selon l’art. 973d du Code des obligations. Dans un tel cas, le fonctionnement usuel et connu des actions selon le droit suisse de la société anonyme n’est pas fondamentalement modifié dans ses principes. C’est la forme de l’action qui change puisque celle-ci prend la forme d’un droit-valeur inscrit, respectivement d’un token dont le transfert se fait au moyen de la blockchain (registre distribué)

Cette nouvelle forme existante pour les actions nécessite de fixer dans la convention d’inscription les règles applicables à l’action concernant son transfert ou sa mise en gage par exemple, mais également de fixer les règles déterminant les conditions qu’un détenteur de jetons doit remplir pour être inscrit au registre des actions de la société avec les droits sociaux et patrimoniaux associés aux actions détenues sous forme de jetons.

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Vincent Meylan

Vincent Meylan est associé de l’étude LE/AX Avocats. Il est spécialisé en droit des affaires (M&A, droit des sociétés, droit des contrats, gouvernance d'entreprise), en droit bancaire et financier, ainsi qu'en droit de la blockchain et des crypto-monnaies.

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