Intérêt Général Vs Meilleur Intérêt

Lorsqu’on aborde la poursuite des intérêts durables d’une entreprise –comme par exemple dans le Code suisse de bonnes pratiques
pour la gouvernance d’entreprise-, on pense le plus souvent à l’augmentation du profit et de toutes autres valeurs ajoutées durables.

Il y a un grand concept appelé “intérêt général de l’entreprise“, qui semble englober tout ce qui concoure aux bénéfices -financier ou non- de l’entreprise.

En tant que consultant indépendant en management, je m’efforce à toujours privilégier l’intérêt général de l’entreprise qui me mandate. Un peu comme si je marchais avec une boussole et que l’intérêt général était toujours ma direction repère pour m’orienter, comme le Nord. Ceux qui s’y connaissent en topographie et orientation, savent qu’il existe en réalité deux Nord: le Nord géographique (théorique) et le Nord magnétique (celui indiqué par la boussole qui varie légèrement du Nord géographique selon la latitude où on se trouve).

Nous pouvons ainsi faire une analogie entre :

Nord Géographique / Intérêt Général
et
Nord Magnétique / Meilleur Intérêt

Je m’explique.
Parfois, le management ne peut pas suivre l’Intérêt Général dans l’immédiat et doit se cantonner à suivre le Meilleur Intérêt a minima temporairement pour différentes raisons.

Premier exemple concret / temporalité :

  • un auditeur externe a découvert une défaillance grave dans une entreprise “XYZ SA”
  • la correction de cette défaillance nécessite la mise en place d’une solution pérenne et durable qui sécuriserait l’Intérêt Général de l’entreprise
  • le management d’XYZ SA constate que la mise en place de cette solution ne pourrait se faire dans un temps acceptable par l’auditeur
  • le management d’XYZ SA prend la décision tactique de mettre en place une solution alternative temporaire dans le Meilleur Intérêt immédiat de l’entreprise

Deuxième exemple concret / contradiction :

  • un entreprise “Alpha-Bêta SA” dispose de deux lignes métiers : la première vend le service Alpha, la deuxième vend le produit Bêta
  • une évolution technologique rend possible l’inclusion d’un service complémentaire dans le service Alpha qui apporte les mêmes bénéfices que le produit Bêta
    • l’Intérêt Général de l’entreprise consiste à supprimer progressivement la ligne métier Bêta notamment pour réduire ses charges de production des produits Bêta au profit d’un service consolidé Alpha
    • le Meilleur Intérêt de l’entreprise consiste à garder sa ligne métier Bêta car elle dispose d’une position de leader sur la vente de ces produits et en tire d’autres bénéfices utiles à la concrétisation du plan stratégique en cours et en vigueur pour les 3 prochaines années

Je vous laisse à une réflexion prolongée sur ce sujet.
La mienne est incessante depuis plusieurs années, je n’ai pourtant décelé aucune vérité inaliénable.
Je recommande humblement l’analyse au cas par cas, en ayant bien conscience que certains cas sont faciles voire évidents et d’autres ont de quoi empêcher durablement les dirigeants d’entreprise de dormir. . .

T

Crédit Photo : Bing AI qui a décidemment un prisme très américain dans sa génération d’image

La joie au travail : est-ce vraiment possible ?

Article corédigé avec Marie Peyron que je remercie chaleureusement pour sa joie communicative et son énergie à entreprendre constamment sans se lasser !

Deux siècles après Spinoza, Friedrich Nietzsche s’est intéressé à la joie. Pour lui c’est un état d’esprit, un sentiment communicatif qui ne se contrôle pas, un accord ferme avec soi-même pour faire fi de la part irréductiblement douloureuse et négative de la vie. La joie procure un plaisir indiscutable, comment donc l’inviter durablement dans son quotidien ? Le français Henri Bergson rattache la joie à la création, à l’acte même de créer. La joie pour un entrepreneur ce n’est pas un chiffre d’affaires ou un bénéfice, c’est d’avoir créé une société qui se développe et perdure.

La notion de bonheur dans nos sociétés actuelles est narcissique, raccourcie, insatiablement en quête du plaisir renouvelé. L’apparition dans les entreprises de “Chief happiness manager”, de coaching permanent, ne sont-ils pas cosmétiques et injonction de plaisir simulé ?

 

La joie, un plaisir humain naturel qui ne se décide pas…

 

Si le management post moderne en co-construction porte de fortes valeurs éthiques et inclusives, la joie ne semble pas pour autant la plus présente dans ces inclusions. L’humanisation du travail est paradoxale, plus on met en avant le côté humain et naturel des relations, moins on formalise, codifie et parfois facilite les relations de travail. L’inverse est également vrai : un excès de déshumanisation du travail entraîne une démotivation indubitable. De même, des personnes dirigeantes depuis plusieurs années ou décennies donnent un effet “ronronnement et rebutant” alors que les changements perpétuels des directions déstabilisent les collaborateurs par une diminution de la confiance en soi, de son expérience et de son savoir-faire. Il faudrait ainsi s’attacher à ses dirigeants pour vouloir les rendre fiers de soi tout en s’attachant dans une relation de dépendance à des procédures, des outils informatiques entraînant une diminution de notre esprit critique.

Vaste dilemme de la nature humaine profonde et la complexité inhérente aux organisations…

 

La joie reste spontanée et personnelle mais peut être favorisée par l’environnement…

 

Au milieu de tout ça, la joie a bien du mal à trouver un environnement favorable pour lui permettre d’éclore et de se propager comme une traînée de poudre. Ce fameux terrain favorable se compose de l’attention à autrui, de la présence en cas de coup durs et pourquoi pas également de la réflexion intensive partagée, bref elle se partage ! Le partage peut aussi revêtir la transmission du savoir et l’aventure commune dans des conditions économiquement favorables de l’organisation. Mais la joie peut également jouer les impromptues quand tout n’est pas rose : nous avons tous ressenti un jour, une joie immense à la suite de la persévérance dans l’effort, d’une victoire ou d’un stress surmonté, que ce soit un examen, un projet ou un entretien d’embauche par exemple. La théologienne Lytta Basset dit « Ceux qui sèment dans les larmes, moissonnent dans la joie ». Voir des collègues pleurer de joie serait un privilège dont très peu d’entreprises peuvent se targuer.

 

La joie permanente : une décision personnelle avant tout ?

 

Carl Gustav Jung, psychiatre Suisse, explique le processus d’individualisation, l’objectif étant de se libérer en parvenant à devenir soi-même. C’est une mise en perspective de nos besoins et aspirations profondes, de ce qui ne nous convient pas et de notre personnalité unique. Spinoza dit « on ne naît pas libre, on le devient », « on ne peut bien s’accorder aux autres que si on s’est accordé avec soi-même ». Ces éléments permettent de limiter les conflits, l’égoïsme, la jalousie ou bien la domination en se rapprochant dans son for intérieur d’une joie profonde, durable et certainement utile au bien commun. Gandhi souligne « c’est en se changeant soi-même que l’on changera le monde ».

La joie peut être atteinte également dans nos relations aux autres, des relations choisies, sincères, réciproques et sans utilitarisme. Aider sans rien attendre en retour dans une logique de don et de gratuité apporte une joie réelle et pure.

 

La joie peut-elle être perfectible ?

 

D’après la philosophie hindoue, le mental et l’égo sont l’armature de notre personnalité. Nous passons parfois à proximité de la joie car nous sommes assujettis à nos ambitions personnelles, à notre quête de reconnaissance et à notre égo. La joie doit être intégrée dans tous nos processus intérieurs, y compris dans les  grandes satisfactions comme dans les grandes peines où il y a toujours matière à retrouver un petit côté joyeux qui empêche le désespoir utime.

Les maîtres taoïstes voient dans l’enfant, la spontanéité, l’innocence, la joie pure puisqu’il n’est pas encore entravé par son égo et son mental. L’enfant est un modèle d’apprentissage pour travailler son caractère profondément joyeux. La joie de vivre chez un individu adulte peut-être perçue dans nos sociétés occidentales comme un comportement niais et enfantin cependant c’est simplement l’amour profond de la vie qui s’exprime sans filtre.

On peut vivre une vie simple, être malade, manquer de ressource matérielle et être joyeux. Particulièrement, l’humour et la reconnaissance sont un axe d’effort pour nous permettre de prendre la vie du bon côté, c’est-à-dire du côté le plus joyeux !

Dans nos entreprises, nous réfléchissons constamment à « Qu’est-ce qui pourrait nous rendre heureux ? », l’approche la plus appropriée et la plus humanisante serait « comment susciter une joie ordinaire pour nos collaborateurs ? ».  

 

Merci à la joyeuse Marie, je vous souhaite un été JOYEUX !

Amitiés,

T

Pourquoi n’êtes vous pas à l’écoute de vos collaborateurs ?

Après la grande mode de la fameuse “détection des signaux faibles”, si on parlait des signaux forts, incontournables, inévitables qui empoisonnent la vie de l’entreprise et surtout celles de ses collaborateurs(rices) ?

Démissions, turnover élevé,  sous-effectif, arrêts maladies, surmenage, burn-out, etc. : quand la spirale infernale est lancée, l’entreprise est en crise ! Sortir de cette ornière passe nécessairement par une approche collégiale pour verbaliser ce qui nuit aux hommes et femmes qui composent l’entreprise.

Le “théorisme” : théoriser une réalité sans la vivre

Pourtant, j’ai pu trop souvent constater le paradoxe du manque de connaissances réelles des cadres de direction sur les conditions de travail du quotidien de leurs équipes. Venir saluer ses équipes de temps en temps et parler du beau temps, n’a rien à voir avec s’impliquer réellement dans leur quotidien pour constater les non-sens, les irritations qui minent l’ambiance, les difficultés récurrentes, et toutes les pénibilités vécues. Au delà du classique “rapport d’étonnements” des nouveaux arrivants, j’aimerais voir une entreprise qui fasse une relecture régulière des “rapports de pénibilités“. Plus faciles à remplir qu’une “boîte à idées” et probablement plus utiles !

Se targuer de connaître les conditions de travail de ses employé(e)s sans les vivre ou a minima les avoir vécus récemment c’est un peu comme croire en une réalité parallèle sans y être jamais allé : du “théorisme” à l’état pur. Au delà des journées “vis-ma-vie”, il faut prendre le temps de parler et de formaliser ce qui ne va pas. Quand on pense que dans la majorité des entreprises d’aujourd’hui, on ne prend même pas le temps de penser tellement on est absorbé par les tâches ! Loin des fuites en avant des positivistes effrénés, il faut prendre du temps pour ce qui ne va pas, ce qui coince, ce qui gêne, et donner du temps au temps pour le penser, le comprendre et enfin le résoudre de la meilleure manière possible.

Note à nous-mêmes qui lisons cet article : penser résoudre rapidement une pénibilité qui finalement n’est pas résolue -voire a empiré-, est encore pire que de ne rien faire d’un point de vue baisse de motivation 📉.

L’arbre qui cache la forêt 🌳

J’ai pu constater un autre paradoxe, tout aussi dramatique en terme de conséquences. Plus vous faites porter sur une fonction (audit ou contrôle interne) la responsabilité de trouver des défaillances majeures, plus le panorama des défaillances medium ou mineures s’élargit et s’enrichit au cours du temps.  Ce bon vieux principe d’arbre qui cache la forêt a encore de beaux jours devant lui dans nos entreprises !

Si certains récents collaborateurs peuvent finalement s’avérer être des “erreurs de casting” plus ou moins rapidement, d’autres présents depuis plus longtemps – disons minimum 2 ans -, font eux-mêmes partie de la culture d’entreprise. C’est-à-dire qu’ils ne font pas simplement qu’appartenir ou posséder cette culture d’entreprise, il la constitue, la façonne, l’incarne. Ils ressentent mieux que les nouveaux arrivants ce qui ne va pas mais ne le disent pas assez. D’autant plus si la parole n’est pas libre, si l’ambiance est guindée, ou même juste si le management a tendance à s’habituer à ce qui ne va pas ou à ne pas le considérer.

Aux petits maux, les bons remèdes

J’appelle de tous mes meilleurs vœux – plus utiles et concrets que ceux du changement d’année – les dirigeant(e)s d’entreprises, les cadres supérieurs à être parfaitement intransigeants avec les pénibilités vécues de leurs collaborateurs(rices). Dans un même esprit, j’appelle également de tous mes meilleurs vœux les équipes opérationnelles à constater pragmatiquement ces pénibilités, à les communiquer et les verbaliser (dans les deux sens du terme, trouver les bons mots et mettre à l’amende la pénibilité pour l’empêcher de se poursuivre).

Pour conclure, ce que j’aime dans mon métier, c’est trouver les meilleures solutions à des problèmes souvent complexes, toujours uniques, et rarement plaisants. Pour chaque problème, trouver une solution est une banalité; trouver la meilleure solution est un art mais jamais un luxe. Pour trouver la meilleure solution, je ne connais pas de meilleures méthodes que d’être constamment à l’écoute. Prendre du temps pour pointer, analyser, discuter vos problèmes et pénibilités d’entreprise avant de passer à leur résolution n’est pas un luxe, c’est une nécessité vertueuse et bienfaitrice.

 

Bien à vous tous,

T

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