Les enjeux de la mobilité électrique

Dans le cadre de son pacte vert (green deal), l’Union Européenne a récemment annoncé l’interdiction de la commercialisation de voitures thermiques neuves à l’horizon 2035. En parallèle, plusieurs constructeurs ont également communiqué leur intention de cesser progressivement la commercialisation de voitures de tourisme munies d’un moteur à explosion. La transition vers la mobilité électrique semble donc inéluctable, du moins en Europe où les distances sont courtes et les territoires densément peuplés. Mais cette transition ne saurait se résumer au simple remplacement d’une technologie par une autre. Au contraire, elle comporte de nombreux enjeux, dont celui de l’approvisionnement en énergie de ces véhicules électriques. Cet article a pour but de mettre en lumière, dans le contexte suisse, certaines questions soulevées par cet important changement de paradigme.

L’évolution de la mobilité électrique

En septembre 2021, la Suisse comptait un total de plus de 6.3 millions de véhicules (source OFS), un chiffre en augmentation de 38% par rapport au début du siècle. Les voitures de tourisme représentaient près des trois quarts de ces véhicules, soit quelques 4.7 millions de voitures. Parmi ces dernières, seules 70’000 d’entre elles était propulsées par des moteurs électriques, soit un peu moins de 1.5% (source OFS). Si cette pénétration de la mobilité électrique dans le domaine de la mobilité individuelle peut paraître faible à première vue, elle s’inscrit dans une dynamique de très forte progression ces dernières années. Ce taux était en effet trois fois moins élevé seulement 3 ans auparavant et quasi nul il y a une dizaine d’années.

Un autre indicateur important de l’essor rapide de la mobilité électrique en Suisse se situe dans les statistiques des ventes des voitures neuves. En 2021, les véhicules 100% électriques ont représentés plus de 13% des nouvelles immatriculations. De plus, selon les données d’auto-Schweiz, la voiture la plus vendue en 2021 était un modèle purement électrique. À ce rythme-là, la branche de l’électromobilité table sur une proportion de voitures électriques (hors hybrides rechargeables) de l’ordre de 30% du parc automobile à l’horizon 2030. Sans même compter l’augmentation constante du nombre de voitures immatriculées en Suisse, cela représente près de 1.5 million de véhicules électriques d’ici seulement quelques années. Dans sa feuille de route pour la mobilité électrique, la Confédération table d’ailleurs sur un taux de 50% de véhicules électriques dans les nouvelles immatriculations d’ici 2025.

Les potentiels et les limites de la mobilité électrique

La transition de la mobilité motorisée individuelle des carburants fossiles à l’électricité est souvent citée comme un progrès : des véhicules plus propres, plus économes en énergie et plus silencieux. En ce qui concerne les émissions de CO2, l’analyse de cycle de vie présentée sur le site du TCS montre clairement que, même si la production de véhicules électriques génère plus de gaz à effet de serre que celle d’un véhicule thermique, les premiers compensent rapidement cet inconvénient grâce à des émissions réduites durant leur phase d’utilisation. Ainsi, selon le comparateur en ligne du TCS, les courbes d’émissions d’une VW Golf et d’une VW ID.3 équipée d’une batterie de 58 kWh se croisent après 60’000 km, soit environ 5 ans selon le kilométrage moyen en Suisse.

La comparaison des mêmes modèles permet également d’illustrer la réduction de la consommation d’énergie. Là où le modèle thermique consomme 5.8 litres d’essence pour parcourir 100 km, soit un peu plus de 53 kWh, la consommation du modèle électrique est seulement de 19.4 kWh au 100 km. Même s’il est toujours délicat de comparer deux formes différentes d’énergie, le rapport proche de 3 qui sépare ces deux consommations montre bien l’ampleur du potentiel que la mobilité électrique recèle en termes d’économie d’énergie.

Dans le contexte suisse, ce potentiel d’économies d’énergie s’accompagne d’une possibilité d’augmentation de l’autonomie énergétique. En effet, notre pays possède encore des ressources inexploitées en ce qui concerne la production d’électricité renouvelable, notamment liées au photovoltaïque et à l’éolien, une source dont le potentiel a récemment été revu à la hausse par l’office fédéral de l’énergie.

Néanmoins, malgré ces avantages clairs vis-à-vis des véhicules thermiques, la mobilité électrique possède également des limites. La plus évidente relève de l’aménagement du territoire, une problématique sensible dans un pays de la taille de la Suisse. En effet, une voiture électrique nécessite les mêmes infrastructures qu’une voiture thermique, que l’on parle de routes ou de places de stationnement. La transition vers la mobilité électrique ne résout donc aucunement les problèmes d’engorgement du trafic ou de surfaces par des parkings.

Deuxièmement, la mobilité motorisée individuelle, fût-elle électrique, reste énergétiquement moins efficace que la mobilité collective. Ainsi, selon les CFF, un voyageur effectuant un trajet en train sur une distance de 100 km engendre une dépense d’énergie équivalente à un seul litre d’essence. Cette valeur est non seulement inférieure à la consommation de la voiture thermique évoquée plus haut, mais également inférieure à celle de son équivalent électrique !

LES ENJEUX DE LA RECHARGE DES VÉHICULES ÉLECTRIQUES

Mais l’enjeu principal de la transition vers la mobilité électrique réside probablement dans la question de la recharge des véhicules.

Les besoins en énergie

La question qui vient en premier à l’esprit, et encore plus particulièrement en ces temps de risque de pénurie, est celui de la disponibilité de l’électricité nécessaire à la charge des véhicules. Car si le passage à la mobilité électrique permet des économies d’énergie en général, il engendre cependant bien une augmentation de la consommation d’électricité.

Aujourd’hui, la consommation des véhicules électriques reste cependant marginale. En se basant sur les chiffres moyens de kilométrage (11’000 km/an) et de consommation (0.2 kWh/km), les quelques 70’000 voitures électriques immatriculées en Suisse à la fin de l’année 2021 ont consommé un peu plus de 150 GWh. Si ce chiffre peut paraître important à l’échelle individuelle, il représente moins de 0.3% de la consommation électrique totale.

Mais cette situation pourrait évoluer rapidement. Si les prévisions de la branche se réalisent, soit un taux d’électrification du parc automobile de 30% d’ici 2030, la consommation annuelle cumulée de quelques 1.5 million de véhicules électriques pourrait atteindre 3.5 TWh, soit 6% de la consommation actuelle du pays. À titre de comparaison, ce chiffre est supérieur à l’ensemble de la production photovoltaïque en 2021 au niveau national (2.8 TWh).

Un renforcement massif des capacités de production ou des efforts liés à l’efficacité énergétique est donc nécessaire pour que la transition vers la mobilité électrique n’accentue le risque de pénurie ou notre dépendance aux importations.

L’accès aux infrastructures de recharge

Cependant, l’augmentation de la consommation d’électricité n’est pas le seul enjeu soulevé par la transition vers la mobilité électrique. L’accès aux infrastructures de recharge est également un point central de ce changement.

Même avec des chargeurs rapides, dont la puissance peut atteindre 150 kW ou plus, le temps nécessaire à la charge complète d’un véhicule se compte en dizaines de minutes, bien plus important que pour un plein d’essence. Ce temps de charge plus élevé empêche le simple remplacement des stations essence par des stations de recharge rapide qui assureraient la réponse à l’ensemble des besoins. Pour s’en convaincre, il suffit d’imaginer des stations essences où les voitures auraient besoin de 20 minutes pour remplir leur réservoir. De plus, s’il est impossible pour les particuliers et la majorité des entreprises d’avoir accès à une station-service privative, la connexion quasi universelle au réseau électrique ouvre la possibilité pour ces mêmes détenteurs de véhicules de pouvoir les charger à leur domicile ou sur le site de l’entreprise. Ces deux différences avec les véhicules thermiques, pouvant apparaître comme mineures au premier regard, entraînent un changement complet de paradigme en ce qui concerne l’approvisionnement en énergie des véhicules, nécessitant de nombreuses adaptations.

Pour ce qui relève de l’accès aux infrastructures de recharge à domicile, la situation diffère fortement selon le type de logement considéré. S’il est relativement simple pour le propriétaire d’une maison individuelle d’entreprendre les travaux d’installation d’une seule borne de recharge, il en va autrement pour les habitants de logements collectifs. Dans ce cas, les travaux d’électrification des parkings collectifs peuvent engendrer des conséquences financières impactant tous les habitants de l’immeuble, et pas seulement ceux concernés par la recharge de leur véhicule. En effet, ces travaux comportent des étapes, dites de pré-équipement, communes à tout le système de recharge et concernant ainsi les utilisateurs actuels comme les futurs. D’un côté, faire porter l’entier de ces coûts aux premiers utilisateurs est une barrière quasi infranchissable. De l’autre, répartir ces investissements entre tous les utilisateurs du parking ou les faire porter au propriétaire de l’immeuble soulève également un certain nombre de blocages.

Et la question de la répartition des coûts d’utilisation n’est pas simple. L’ensemble des points de charge d’un parking collectif constituant un seul et même client du point de vue du distributeur d’électricité, il est nécessaire pour l’entité administrant l’immeuble de mettre en place un système de décompte. Cela sous-entend la capacité de mesurer la consommation de chaque utilisateur, de centraliser cette information et de l’utiliser pour générer des factures. Pour les grands acteurs de l’immobilier gérant des dizaines, voire des centaines d’immeubles, c’est un travail conséquent nécessitant du temps et des moyens. Pour cette raison, nombreux sont les propriétaires immobiliers qui ne mettent pas encore des infrastructures de recharge à disposition de leurs locataires. Il existe néanmoins des solutions dites de « contracting » permettant de palier à ce problème. Celles-ci se caractérisent par l’intervention d’un intermédiaire prenant en charge non seulement les investissements initiaux, mais également les aspects administratifs puis proposant l’accès aux points de charge sous la forme d’un service rétribué par un abonnement.

Les infrastructures de recharge sur la voie publique constituent une solution de repli pour ceux qui n’ont pas accès à la recharge à domicile. Mais là aussi, un nombre important d’adaptations est nécessaire. Premièrement, les parkings sur lesquels ces infrastructures sont installées ne bénéficient pas nécessairement d’une connexion suffisante au réseau électrique. Les travaux nécessaires à cette connexion peuvent s’avérer relativement coûteux. De plus, afin de s’assurer que les places de stationnement équipées de points de charge soient effectivement disponibles pour les véhicules électriques, il est indispensable d’en interdire l’accès aux véhicules thermiques. Or, pour beaucoup de communes, cela nécessite une modification du règlement communal afin de permettre la verbalisation des contrevenants. Les questions de stationnement étant particulièrement sensibles, de telles adaptions peuvent prendre du temps.

Les coûts de la recharge

L’envolée récente des prix de l’électricité soulève naturellement la question des coûts liés à la charge des véhicules. Selon les tarifs annoncés à la fin du mois d’août par les distributeurs Suisse, le prix médian d’un kWh sera de 27.2 centimes en 2023. Néanmoins, l’étude rapide des données mises à disposition par la commission de l’électricité (Elcom) montre de fortes disparités régionales avec des prix pouvant se situer aux alentours 35 centimes selon les régions.

Malgré cette forte augmentation, les coûts de recharge d’une voiture électrique peuvent encore s’avérer très avantageux en comparaison de ceux d’un modèle à essence. En se basant sur le tarif médian, les quelques 20 kWh nécessaires pour parcourir 100 km avec une voiture électrique engendreront un coût d’environ 5.40 CHF. C’est moins de la moitié du coût du carburant pour un véhicule équivalent à essence. Celui-ci peut être estimé à environ 11.60 CHF en se basant sur un coût moyen de 2 CHF/l.

Cette comparaison fait l’hypothèse, quelque peu réductrice, d’une recharge sur une borne privée à domicile bénéficiant des tarifs régulés. Dans le cas d’une recharge (lente) sur une infrastructure publique, les tarifs actuellement pratiqués sont de l’ordre de 45 à 55 centimes et sont donc proches de la parité avec l’essence. Néanmoins, ils pourraient également augmenter l’année prochaine.

Pour conclure

Même si elle présente des limites, la transition de la mobilité motorisée individuelle des carburants fossiles à l’énergie électrique possède le potentiel de participer significativement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à l’augmentation de l’autonomie énergétique du pays. En effet, si la Suisse a le potentiel de produire sa propre électricité renouvelable, elle ne possède pas de gisements pétrolifères. La concrétisation de ce potentiel ne pourra cependant se faire que si cette transition est effectuée de manière maîtrisée. Pour cela, il est indispensable que les pouvoirs publics, à tous les échelons, prennent en main rapidement cette problématique et mettent en place des actions concrètes permettant à la fois que les électromobilistes aient accès à une infrastructure de recharge, à leur domicile ou ailleurs, et que celles-ci disposent de quantités suffisantes d’électricité. Sans actions coordonnées, le risque d’un déséquilibre entre offre et demande est réel. Celui-ci pourrait se traduire par un ralentissement du développement de la mobilité électrique, et donc de la réduction des émissions, ou au contraire par une forte pression sur le système électrique suisse.

Si la mobilité électrique constitue indéniablement un progrès, il est néanmoins important de garder à l’esprit que le changement de paradigme soulève de nombreuses questions auxquelles il ne faudra pas manquer d’apporter des réponses.

 

Christian Rod

Expert indépendant

ville

Rénovation des bâtiments, éclairage public et changements de comportements pour diminuer nos émissions.

Que ce soit en agissant sur l’éclairage public, sur l’état des bâtiments ou encore en accompagnant les citoyennes et citoyens, afin de modifier les habitudes de mobilité et de consommation, les leviers sont nombreux pour diminuer notre bilan énergétique, électrique comme thermique. Et pour réduire de manière significative nos émissions de gaz à effet de serre (GES).

Les solutions technologiques en lien avec le développement des énergies renouvelables et l’efficience énergétique doivent être complétées par des mesures d’accompagnement visant à faire changer nos modes de consommation afin de tendre à une sobriété énergétique durable. Nous présentons dans cet article ces deux aspects par le biais d’exemples de solutions technologiques (chauffage à distance, éclairage dynamique) et un programme de coaching carbone à l’intention des ménages.

Décarboner les bâtiments grâce au chauffage à distance

La rénovation énergétique des bâtiments est un levier majeur sur lequel les communes peuvent agir. Défossiliser le chauffage en se raccordant à un réseau de chauffage à distance (CAD) constitue l’une des mesures qu’elles peuvent mettre en place.

Comment fonctionne le chauffage à distance ? La production de chaleur ou de froid est centralisée pour être ensuite distribuée via de l’eau contenue dans des conduites souterraines et menée jusqu’aux bâtiments et habitations à proximité. Le CAD utilise des sources d’énergie renouvelable (bois, eau de STEP, nappe phréatique, géothermie, etc.) selon les besoins en froid ou chaleur du site. Le réseau de conduites est évolutif : de nouveaux bâtiments peuvent être raccordés en tout temps, tandis que le circuit lui-même peut être densifié pour desservir une zone plus grande. L’énergie est acheminée dans un échangeur ou une pompe à chaleur (PAC) située chez le client. Cette installation, silencieuse et discrète, remplace la chaudière actuelle. L’eau refroidie emprunte ensuite une conduite parallèle pour revenir à la centrale et être à nouveau chauffée.

Les CAD favorisent une énergie renouvelable et locale, garantissent aux propriétaires des bâtiments raccordés un prix stable sur la durée (engagement sur par exemple 30 ans), contribuent à la réduction des émissions de CO2 et de la pollution.

Sur la commune de Puidoux, une installation novatrice est en service depuis 2018 (illustration 1). Cette centrale fonctionne sur le principe de la gazéification du bois humide (plaquettes). Ce procédé, unique en Suisse, consiste à transformer le bois issu des forêts de la région en gaz de synthèse, c’est-à-dire en combustible. Il permet une production électrique extrêmement performante, couvrant l’équivalent des besoins annuels en électricité de 1 500 ménages et une combustion plus propre du bois. Chaque année, un million de litres de mazout sont ainsi économisés. À ce jour, 21 bâtiments sont raccordés et l’extension du réseau en cours permettra de rajouter 20 raccordements à terme pour un total de dix GWh/an d’énergie thermique et quatre GWh d’électricité.

 

Illustration 1 : Centrale de gazéification de bois à Puidoux. (Photo : Romande Energie)

 

Les réseaux de CAD/FAD sont adaptés à tous types de communes, de plaine ou de montagne, petites à grandes. Des projets visant également à valoriser le bois local pour des réseaux de CAD existent — ou sont en cours de développement — à Charmey, Longirod, Avenches ou encore Payerne. Cette dernière commune prévoir également de valoriser la chaleur issue des eaux de STEP. La proximité du lac encourage de nombreuses villes (Genève, Morges ou Montreux, par exemple) à utiliser l’eau du lac pour chauffer ou refroidir les bâtiments. Les eaux géothermales forment une autre source de chaleur qui peut être valorisée par les collectivités publiques. De tels projets de géothermie profonde impliquent souvent différents partenaires (typiquement le service industriel ou le gestionnaire de réseau et de distribution de la zone concernée) dans le développement et la réalisation des centrales et des réseaux (Nyon, Gland ou Lausanne, par exemple) afin de mutualiser les risques et les coûts.

D’autres démarches pour la rénovation énergétique

D’autres démarches sont à portée des communes pour inciter ou accompagner la décarbonisation des bâtiments. Celles-ci peuvent réaliser des audits énergétiques (CECB, CECB Plus) sur leurs bâtiments communaux ou soutenir financièrement les audits énergétiques auprès des propriétaires. En complément des CAD, l’installation de panneaux photovoltaïques (PV) contribue également à augmenter son autonomie énergétique et à réduire les émissions de GES.

Les appels d’offres groupés pour les citoyens propriétaires intéressés à installer PAC ou PV rencontrent aussi un intérêt croissant auprès des communes. La commune d’Épalinges a par exemple réalisé plusieurs opérations visant à inciter les propriétaires à favoriser les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et l’autoconsommation. Les communes peuvent se faire accompagner par un bureau d’ingénieurs qui informe les participants, analyse le potentiel solaire des toitures et lance un appel d’offres groupé auprès d’entreprises d’installation. Ce type d’actions présente les avantages de réduire les coûts et de simplifier les démarches administratives pour les propriétaires.

Afin de permettre aussi aux locataires d’investir dans la transition énergétique, Epalinges a organisé en 2021 une opération de financement participatif pour la réalisation d’une installation solaire sur un complexe scolaire, autrement appelée « crowdlending » sur le site Internet www.epa-ren.ch. D’autres solutions de financement, telles que le contracting , le rachat d’infrastructures ou encore le contrat à la performance énergétique (CPE) sont à disposition des communes afin qu’elles puissent financer leur transition écologique en fonction de leurs besoins.

Un éclairage public dynamique

En Suisse, l’éclairage public consomme environ 410 millions de kWh d’électricité par an, soit 0,7 % de la consommation totale d’électricité. Si ce chiffre peut sembler bas, il peut parfois représenter un coût important pour une commune. Cependant, il est facile d’agir dessus et d’obtenir des économies d’énergie et financière. L’éclairage est toujours en mains publiques et il constitue un levier visible, pour les habitants.

Le remplacement de vieux luminaires par des LED constitue la première étape. Sur le parc d’éclairage public de Romande Energie, plus de la moitié des 35 000 points lumineux n’est pas équipée en LED, il reste donc un large potentiel d’amélioration. De plus, les sources lumineuses utilisant du mercure sont interdites depuis 2015 et d’autres vont être interdites progressivement d’ici 2023 (fluocompacte, notamment).

En plus de remplacer des luminaires obsolètes par de nouveaux luminaires LED, l’arrivée de nouvelles solutions contribue à optimiser les économies d’énergie. La détection, via des capteurs, permet d’éclairer à l’intensité désirée et au bon moment. Cela diminue aussi drastiquement la pollution lumineuse. À un tel éclairage dynamique, on peut ajouter un outil supplémentaire : la télégestion. Comme son nom l’indique, cette solution gère à distance le parc d’éclairage public et les luminaires. Il est ainsi possible de mettre en place des scénarios d’abaissement et de pilotage de l’éclairage (illustration 2) au jour le jour. Ainsi, on peut par exemple : couper l’éclairage pour les feux du 1er août sur la zone concernée ; couper ou abaisser à 10 % l’éclairage dans les zones proches des écoles où il est peut-être inutile d’éclairer pendant les week-ends. En plus de ces scénarios, la télégestion permet la remontée d’information sur l’état des luminaires (détection de panne, maintenance préventive et gestion de la durée de vie restante).

Ces deux solutions sont complémentaires, mais fonctionnent aussi très bien séparément. Les différentes caractéristiques de la commune sont analysées afin de catégoriser les zones (résidentielle, industrielle, etc.) et proposer la solution la plus utile et adaptée à chaque situation.

 

Illustration 2 : Scénarios pour un éclairage dynamique. (Source : Topstreetlight.ch — Guide « Éclairage public efficient »)

 

En 2020, la commune de Noville a fait le choix de passer en 100 % LED et d’installer un système de télégestion et de détection. Testé sur un des quartiers de la commune, le concept a séduit les habitants et a été ensuite déployé sur l’ensemble de la commune. Des économies d’énergie dépassant les 70 % sont ainsi atteintes.

Oser questionner nos modes de vie et changer nos comportements

Au-delà des solutions technologiques, si nous voulons faire face au dérèglement climatique et réussir notre transition écologique, une adaptation de nos modes de vie s’impose. Selon la dernière publication de l’OFS, l’empreinte gaz à effet de serre de la Suisse par personne s’élevait en 2019 à 12,6 tonnes d’équivalent CO2. Si l’on veut atteindre les objectifs 2050 de la Confédération, les citoyennes et citoyens suisses doivent diviser par 10 leurs émissions.

Compte tenu des émissions directes dues aux déplacements en véhicules privés et au chauffage, ainsi que des émissions induites à l’étranger comme au sein de l’économie suisse par leur demande finale, les ménages étaient responsables, en 2019, de l’émission de 73,1 millions de tonnes d’équivalent CO2. Soit d’environ 67 % de l’empreinte gaz à effet de serre de la Suisse.

Il ressort de ces statistiques que les transports sont à l’origine de la majeure partie des gaz à effet de serre des ménages (26 %), suivis par le logement (20 %) et l’alimentation (20 %). Ces trois thématiques représentent donc deux tiers des émissions directes et indirectes des ménages (illustration 3). Force est de constater que notre empreinte carbone est constituée en majeure partie d’émissions indirectes dues aux importations : ces émissions sont générées à l’étranger lors de la production et le transport de biens, et de services, qui sont importés pour être consommés par les ménages en Suisse. C’est particulièrement le cas de l’alimentation où 67 % des émissions sont induites à l’étranger.

 

Illustration 3 : Extrait de la publication « Ménages et climat à la lumière des comptes de l’environnement » (Source : Office fédéral de la statistique, Neuchâtel, 2022)

 

Comment les communes peuvent-elles sensibiliser leurs citoyens et les mobiliser pour réduire leur impact environnemental ?

Dans le cadre de son programme d’efficience énergétique EquiWatt, le Canton de Vaud propose notamment aux communes l’opération « Eco-logement ». Des experts formés se rendent chez les locataires et installent en quelques minutes des appareils (LED, multiprise avec interrupteur, économiseur d’eau, etc.) pour réduire les consommations. Si les écogestes sont déjà bien ancrés en Suisse, un véritable changement de nos comportements reste nécessaire.

Proposé directement par les communes à leurs habitants, « Ma commune et moi » est un programme qui vise à accompagner la population dans la réduction de son empreinte carbone en ciblant les trois thématiques qui ont le plus d’impact dans le bilan d’un ménage : l’habitat, la mobilité et l’alimentation. Sur une durée de trois à six mois, un coach en durabilité dresse un bilan carbone du foyer et lui propose ensuite de tester des alternatives visant à réduire son empreinte. Un suivi quantifié et personnalisé est garanti par le coach. En fin de programme, un bilan met en évidence les objectifs de réduction atteints. Une soirée organisée par la commune permet aux différents participants et participantes de se rencontrer, d’échanger de bonnes pratiques et de créer une communauté autour de la durabilité. Pour la commune, c’est l’occasion de créer du lien avec sa population, de se rendre compte de leurs attentes et de prioriser les mesures à mettre en place.

 

Illustration 4 : Une famille d’Epalinges ayant participé au coaching carbone. (Photo : 24 heures/Patrick Martin)

 

Ce programme de coaching carbone s’inscrit pleinement dans la ligne des besoins de participation citoyenne recherchée par de nombreuses communes. L’objectif est d’accompagner un grand nombre de ménages au sein d’une commune, afin d’opérer un changement de dynamique visible. Les valeurs véhiculées telles que l’économie locale, les circuits courts ou la mobilité douce permettront également d’augmenter collectivement la qualité de vie au sein de la commune.

Dans le cadre d’un projet pilote mené à Epalinges, 30 foyers ont atteint une réduction moyenne de 25 % de leurs émissions de GES (illustration 4). Il s’agit des réductions effectives ainsi que des engagements de changements à plus long terme.

Savoir concilier technologie et sobriété

Éclairage intelligent, rénovation énergétique, promotion des énergies renouvelables, mobilité électrique et multimodale, engagement des citoyens : de nombreuses solutions et services fiables sont à disposition des collectivités pour lutter contre les changements climatiques. Seules, les technologies pour décarboner notre société ne suffiront pas pour y faire face. Changer nos comportements fait pleinement partie de la solution afin de réduire notre consommation d’énergie et nos émissions de gaz à effet de serre.

Les communes ont un rôle clé à jouer, en tant que facilitateur et en tant que déclencheur. Elles ont par ailleurs les moyens d’encourager les acteurs locaux (entreprises, secteur immobilier, ménages) à prendre les bonnes décisions pour accélérer la transition écologique de l’ensemble du territoire.

 

Corboz

Philippe Corboz

Responsable de produits

Article paru dans le magazine de l’ARPEA, arpeamag no. 292, automne 2022.

 

Références

Blog Question d’Énergie, Éclairage public dynamique : la lumière là où il faut et quand il faut

Arpeamag no. 291, dossier spécial Pollution lumineuse, été 2022

OFS, Ménages et climat à la lumière des comptes de l’environnement, 2022

Guide Éclairage public efficient — recommandations aux autorités communales et aux exploitants de réseaux d’éclairage

chaleur résiduelle

L’exploitation de la chaleur résiduelle

L’idée d’utiliser la chaleur résiduelle (appelée aussi chaleur fatale) pour couvrir les besoins en chauffage et en eau chaude n’est pas nouvelle. En effet, les installations de chauffage à distance jouissaient d’une certaine notoriété dans les années 1960 et 1970, où elles exploitaient des sources de chaleur à haute température. Le développement des pompes à chaleur a permis plus tard d’exploiter la chaleur à plus basse température, ouvrant un potentiel plus grand avec des sources diversifiées. Aujourd’hui, les « chaleurs perdues » ne sont plus une option de la transition énergétique, elles en sont un élément-clé.

La récupération de la chaleur fatale est l’opportunité, pour les entreprises industrielles notamment, de faire des économies et de réduire la facture d’énergie. Les chaleurs perdues peuvent en effet être valorisées soit en interne (pour répondre aux besoins de chaleur de l’entreprise), soit en externe (pour couvrir les besoins d’autres entreprises ou, plus largement, d’un territoire grâce à un système de réseau de chaleur).
Remplacer les énergies fossiles pour le chauffage est sans conteste une question de bon sens. Pourtant, chaque jour, des entreprises et des industries laissent une précieuse source d’énergie thermique s’échapper. Grâce à des mesures ciblées, vous pouvez réaliser d’importantes économies d’énergie et de coûts.

Un potentiel encore grand

Selon SuisseEnergie, le programme d’encouragement de la Confédération en matière d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique, la Suisse dispose de plus d’un millier de réseaux thermiques qui fournissent – selon des indications qui peuvent diverger – entre 6 et 8 TWh de chaleur par an, couvrant ainsi environ 6 à 8% des besoins en chaleur dans notre pays (chiffres 2021). Et selon les « Perspectives Energétiques 2050+ » de l’OFEN, la consommation de chaleur à distance augmentera en particulier dans les ménages privés, où elle triplera pratiquement d’ici à 2050. Elle doublera pratiquement dans le secteur des services pendant la même période alors qu’elle restera à son niveau actuel ans le secteur de l’industrie.
En décembre 2021, le Conseil fédéral a quant à lui adopté le rapport « Potentiel des installations de chauffage et de refroidissement à distance », qui fait suite à un postulat déposé deux ans plus tôt. Il y évoque le potentiel réalisable sur les plans économique et de l’aménagement du territoire pour un approvisionnement en chaleur à distance exempt de CO2 et il est grand : entre 17 et 22 TWh par an. « À l’heure actuelle, ce potentiel n’est, au plus, utilisé qu’à moitié. Le développement des réseaux thermiques doit par conséquent être considérablement renforcé et accéléré. » Le Conseil fédéral recommande en outre aux communes, dans le cadre de leur planification énergétique, d’envisager la désaffectation de conduites de gaz et le développement de réseaux thermiques en collaboration avec les entreprises d’approvisionnement en énergie, afin d’éviter une concurrence entre infrastructures d’approvisionnement en chaleur et des investissements inappropriés. Le Conseil fédéral est désormais chargé d’étudier la situation en collaboration avec les acteurs de la branche, afin de rendre compte des obstacles réglementaires, de clarifier la répartition des tâches (Confédération/canton/communes), d’esquisser les plans d’actions et d’évoquer les améliorations possibles du système actuel.

Où récupérer la chaleur ?

La température d’un rejet de chaleur peut varier de plusieurs centaines de degrés à une température proche de celle de l’environnement. La méthode de valorisation sera donc différente d’une situation à l’autre, pouvant aller d’une turbine à vapeur à une pompe à chaleur en passant par un échangeur de chaleur. Quoi qu’il en soit, les rejets de chaleur sont inévitables, car liés à la physique de certains processus.

Rejets de chaleur des usines de valorisation thermique des déchets

La plupart des usines d’incinération des ordures ménagères de Suisse valorisent déjà leur chaleur en produisant de l’électricité, de la vapeur utilisable par l’industrie et de la chaleur pour le chauffage à distance. C’est le cas de l’usine Tridel à Lausanne, qui soutire la vapeur avant de l’envoyer dans des échangeurs qui produisent de l’eau surchauffée. Plus de 1000 bâtiments lausannois, dont le CHUV, sont ainsi chauffés. Selon energie-environnement.ch, on pourrait encore doubler les possibilités pour le chauffage et multiplier par un facteur encore plus grand les bâtiments raccordés, si tous étaient mieux isolés.

Rejets de chaleur des stations d’épuration

Les STEP représentent à la fois un potentiel d’économie d’énergie électrique et un potentiel de production d’énergie renouvelable. Cela passe par la valorisation des boues d’épuration et de la chaleur des eaux en sortie.
La STEP de Morges montre l’exemple en la matière : si, jusqu’en 2018, les eaux usées épurées étaient rejetées dans le lac Léman, l’installation valorise aujourd’hui cette énergie, qui permet de chauffer le siège de Romande Energie, ainsi que tout le quartier des Résidences du Lac.

Rejets de chaleur des processus industriels

On citera à titre d’exemple Holcim à Éclépens, qui profite des déperditions thermiques de son four rotatif et de son refroidisseur à clinker et utilise cette chaleur fatale en interne (préchauffage et séchage de matières) et en externe (injection dans le réseau de chauffage à distance ou conversion en électricité). Le cimentier alimente ainsi en chaleur quelque 250 bâtiments résidentiels et plusieurs entreprises des environs. La chaleur fournie correspond approximativement à la consommation moyenne de 2000 foyers, précise l’entreprise. En été, l’énergie est utilisée afin de rafraîchir le centre de tri postal.

Rejets de chaleur des bâtiments tertiaires

Commerces, bureaux, hôpitaux, écoles, infrastructures collectives destinées aux sports, aux loisirs, aux transports, hôtels, restaurants, etc. : le potentiel est énorme. Le Prix de l’innovation 2022 dans le domaine des réseaux thermiques a d’ailleurs été décerné au service des bâtiments du canton de Soleure pour le projet « Areal Bürgerspital Solothurn ». La chaleur résiduelle provenant de la stérilisation, des appareils de radiologie ou du centre de calcul de l’hôpital de Soleure alimente aujourd’hui des bâtiments, notamment classés, qui n’auraient pu accéder à un approvisionnement zéro émission sans cette approche.

Rejets de chaleur des applications du froid

Installations de ventilation, frigorifiques ou encore locaux de serveurs informatiques et centres de calcul recèlent un grand potentiel. Puisqu’il faut les refroidir, ils s’en dégagent de la chaleur. Dans le bâtiment NEST, le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche à Dübendorf, un centre de données contribue ainsi au chauffage de l’ensemble du bâtiment. En hiver, la chaleur résiduelle alimente le chauffage du bâtiment et, tout au long de l’année, elle sert de source pour une pompe à chaleur qui fournit l’eau chaude sanitaire.

Rejets de chaleur dans la structure souterraine des bâtiments

Récupérer la chaleur des parkings souterrains via des panneaux muraux pour chauffer les appartements, voilà la solution innovante développée par Enerdrape, une spin-off de l’EPFL. Actuellement en phase de test dans un parking du quartier de Sévelin à Lausanne, ce système pourrait fournir jusqu’à un tiers de l’énergie nécessaire à tempérer l’immeuble d’une soixantaine d’appartements sous lequel il se trouve. L’application de cette technologie est plus large que les parkings souterrains, puisqu’elle est adaptable également pour les tunnels, les gares souterraines ou encore les métros.

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Quelques questions à Laure Deschaintre, directrice d’InfraWatt et ingénieure en énergie et climat

Après avoir travaillé durant sept ans en Allemagne sur la thématique des énergies renouvelables dans les réseaux de chaleur, Laure Deschaintre a rejoint le bureau d’ingénieurs Planair à Yverdon-les-Bains en 2019, où elle est responsable du pôle chaleur dans le secteur énergie renouvelable et innovation. Elle dirige par ailleurs l’association InfraWatt, qui promeut auprès du grand public, des professionnels et au niveau politique, l’utilisation de l’énergie provenant des eaux usées, des déchets, de la chaleur résiduelle et de l’eau potable dans les infrastructures.

La situation actuelle favorise la sortie des énergies fossiles. Le ressentez-vous concrètement ?

Absolument. Depuis quelques mois, le téléphone sonne beaucoup chez nos membres, à savoir les exploitants de réseau – les contracteurs ou les services industriels -, avec des personnes qui souhaitent se raccorder au réseau de chauffage à distance le plus proche. Malheureusement, ce n’est pas si simple, il faut ouvrir la route, poser les conduites, etc. Toutefois, le développement doit se faire rapidement, au risque que chaque personne se tourne vers des solutions individuelles pour son bâtiment. On perdrait alors la densité de consommation énergétique nécessaire à la construction d’un réseau thermique.

Quel est le principal frein, mais également les évolutions que vous percevez lorsqu’on parle de réseaux de récupération de chaleur ?

Les réseaux thermiques entrent en concurrence avec les réseaux de gaz. En effet, les uns et les autres utilisent un réseau de conduites différent pour que leur énergie puisse être distribuée, et dans les deux cas, il faut une densité de consommation énergétique suffisante. Les infrastructures entrent donc en concurrence dans certaines zones. Jusqu’à récemment, il était difficile de planifier des projets de récupération de chaleur à côté de ceux dédiés au gaz. Mais le contexte actuel et la demande grandissante ont changé la donne depuis peu. L’importance des réseaux thermiques a également été reconnue à la mi-août : la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, les présidents de la Conférence des directeurs cantonaux de l’énergie, de l’Association des communes suisses et de l’Union des villes suisses ont signé une charte qui vise à accélérer le développement de ces réseaux thermiques en Suisse. J’ai la sensation que les acteurs ont pris conscience de l’importance de récupérer l’énergie perdue. Bien qu’il y ait des villes avant-gardistes, comme Bâle et Zurich, qui démantèlent leurs réseaux de gaz pour agrandir des réseaux de chauffage à distance, le potentiel de développement est encore important.

Où se trouve le principal potentiel de récupération de chaleur pour une grande entreprise ou une usine ?

Là où les processus tournent en continu, sans arrêt de production, comme dans les STEP ou les centres de calculs. Le risque que l’entreprise déménage ou cesse ses activités est alors minime. Dans une aciérie, par exemple, la gestion du risque est plus compliquée : le danger est que, si les commandes baissent, la production et la livraison de chaleur baissent également. Avec l’Association suisse du chauffage à distance (ASCAD), nous demandons depuis plusieurs années la création d’un fonds géré par la Confédération pour couvrir ces risques et permettre à ces projets de se développer et ainsi éviter de perdre cette chaleur.

Et pour les plus petites structures, comme les PME, voire les ménages ?

À titre individuel, il est possible de récupérer la chaleur de l’eau chaude de sa douche, en installant un échangeur qu’on trouve dans le commerce. À l’échelle d’un bâtiment ou d’un quartier, il est possible de placer un échangeur sur la récupération des eaux usées, avant qu’elles partent à la STEP. Si le bâtiment est à côté d’une conduite qui rassemble les eaux usées, il est également possible de placer directement dans le tuyau un échangeur de chaleur, même si la technique plus classique consiste à d’abord traiter l’eau dans une STEP, puis à installer un échangeur à la sortie pour récupérer la chaleur. Cette dernière approche présente l’avantage de rejeter de l’eau moins chaude, ce qui est mieux pour l’environnement.

 

Joëlle Loretan

Rédactrice

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Ressources et liens utiles :

– InfraWatt : association pour la récupération d’énergie à partir des eaux usées, des déchets, des rejets de chaleur et des réseaux d’eau potable
– Fondation Klik : obtenir des subventions pour les projets de réseaux de chaleur
– Programme Bâtiments : subventions pour la construction ou l’extension de réseaux de chaleur alimentés avec des énergies renouvelables ou des rejets de chaleur
– Pinch : identifier les potentiels d’exploitation et les économies thermiques réalisables
– Francs Energie : comment obtenir des subventions pour l’énergie et la mobilité (par code postal)
– Association suisse du chauffage à distance
– QM Chauffage à distance propose des aides à la planification, des conseils, des formations et des formations continues

pollution digitale

Pollution digitale: enjeux et solutions

Avec l’essor des services numériques, comme le cloud computing ou encore la vidéo à la demande, les infrastructures et dispositifs digitaux massivement utilisés engendrent une énorme consommation d’énergie. Très peu informés sur l’impact environnemental de leur activité en ligne, les internautes et les entreprises pourraient pourtant changer la donne en adoptant des bonnes pratiques simples. Explications.

On ne la voit pas, ses effets ne peuvent pas s’observer directement et pourtant nous l’engendrons tous au quotidien. La pollution digitale constitue en effet une source de préoccupation environnementale de plus en plus inquiétante. Car pour soutenir nos diverses activités en ligne, les datacenters et serveurs informatiques se multiplient. Des infrastructures très gourmandes en électricité, notamment pour conserver une température basse au sein des vastes espaces dans lesquels nos précieuses données sont hébergées. La consommation énergétique due à nos habitudes digitales commence d’ailleurs à représenter des proportions significatives en égalant, voire dépassant, certains secteurs eux-mêmes très gourmands en énergie tels que le transport ferroviaire ou aérien. En même temps, alors que les services et le contenu en ligne sont disponibles et consommés en continu, il est possible d’adopter des comportements simples pour changer la donne, ou du moins minimiser notre impact environnemental. On remarque par ailleurs que certaines solutions énergétiques émergent, permettant par exemple d’exploiter les rejets de chaleur émis par les datacenters.

En Suisse, alors que le pays semble conforter sa réputation de forteresse digitale sur la scène internationale, cette problématique s’avère des plus préoccupantes. À l’échelle nationale, près de 8% de notre électricité est ainsi utilisée par les infrastructures liées à Internet. À titre comparatif, on peut souligner que le rail en consomme seulement un peu plus de 5%, et moins de 1% en ce qui concerne l’éclairage public.

Quelle empreinte carbone ?

Pour mieux se rendre compte de l’impact environnemental que nous engendrons tous les jours, il est aujourd’hui possible de quantifier l’empreinte carbone des activités digitales. Le fait de mener une simple recherche sur la toile correspond à l’émission d’environ 7 grammes de CO2. Et un peu moins de 20 grammes pour l’envoi d’un e-mail. Avec une équipe de 100 collaborateurs, une entreprise génère donc plus de 130 kg de gaz carbonique par employé chaque année, et cela rien qu’en considérant l’activité liée aux e-mails.

De manière globale, les différentes études menées sur l’impact écologique du digital se rejoignent pour dire qu’à l’échelle planétaire, l’utilisation des outils et services numériques représente 2% des émissions de CO2. Une proportion qui correspond environ à celle du transport aérien. Pour revenir à la Suisse, ses 93 datacenters équivalent à près de 154’000 m2, soit environ 24 terrains de football. À eux seuls, ces datacenters consomment 3,6% de toute l’électricité du pays.

Éducation digitale manquante

Pour Jean-Philippe Trabichet, responsable de la filière informatique à la Haute école de gestion Genève, un des principaux problèmes réside dans l’éducation digitale des utilisateurs. « En observant la manière dont les internautes utilisent leurs ordinateurs et smartphones lorsqu’ils surfent sur le web, la méconnaissance générale de bons comportements à adopter est flagrante. Ce qui s’avère normal finalement, car aujourd’hui très peu de personnes reçoivent une éducation digitale. À mes yeux, un changement généralisé de nos comportements en ligne pourrait déjà faire une grande différence. Pour cela, il faudrait commencer par sensibiliser les internautes sur l’impact énergétique de leurs habitudes numériques. »

Parmi les bons comportements à adopter, on peut déjà mentionner la manière dont on effectue ses recherches sur Internet. Très souvent, un internaute utilise l’outil de recherche de Google pour atteindre une adresse web qu’il connaît pourtant. Rien qu’en la saisissant directement dans la barre d’adresse, on réduit déjà son impact énergétique. Car le fait d’effectuer une recherche Google pour accéder à son site web fait tourner inutilement ses serveurs informatiques. Autre astuce simple : supprimer ses e-mails régulièrement. Car surchargée, une boîte mail nécessite un certain espace de stockage qui, à son tour, repose sur le fonctionnement continu des serveurs de son prestataire de messagerie.

Développement continu des services en ligne, la source du problème

En contexte professionnel, il est également possible d’agir de manière concrète en effectuant des modifications simples. Le plus facile consistant simplement à éteindre ses infrastructures informatiques lorsque leur utilisation n’est pas nécessaire. Cela peut sembler anodin, mais une société pourrait ainsi économiser jusqu’à deux tiers d’énergie. Pourtant, en observant comment travaille un collaborateur au sein d’une entreprise, on peut vite s’apercevoir que le temps d’utilisation des outils numériques ne correspond souvent pas pas à l’entier de sa journée. Le problème réside aussi et surtout dans les directives émises par certaines entreprises en la matière puisqu’il est effet fréquent d’observer chez certains groupes la présence de systèmes empêchant de mettre les infrastructures informatiques en veille, par exemple durant la pause de midi ou la nuit.

« Par rapport aux débuts de l’informatique, il faut bien réaliser le fait que tous les services et contenus digitaux que l’on a pris l’habitude d’utiliser et de consommer au quotidien sont constamment accessibles en ligne, faisant ainsi fonctionner de manière ininterrompue de puissants serveurs informatiques », poursuit Jean-Philippe Trabichet. « Un fait qui peut sembler banal. Mais aux débuts de l’utilisation des techniques numériques, certains types d’informations n’étaient pas accessibles aussi rapidement et facilement. On procédait alors en faisant des demandes spécifiques aux opérateurs qui les détenaient. En se développant, Internet et ses acteurs n’ont pas tenu compte de la consommation d’électricité massive engendrée par la mise à disposition continue d’informations et services en ligne. »

Vidéo énergivore

Parmi les autres pratiques digitales les plus problématiques, la consommation de vidéos s’avère également lourde de conséquences. Une vidéo de 3 Go visionnée en ligne correspond à 1000 ampoules basse consommation allumées pendant une heure. Et de nombreux utilisateurs ont également pris l’habitude d’écouter leur musique par l’intermédiaire de plateformes vidéos, telles que YouTube pour n’en citer qu’une. Ce qui s’avère inutile, surtout en optant pour une très haute résolution, comme la 4K, dont le format n’est d’ailleurs pas encore supporté par tous les smartphones.

« Il y a aussi un sérieux problème de l’offre qui, avec des abonnements illimités à bas prix, incitent bien sûr les utilisateurs à consommer énormément de services et contenus en ligne », ajoute Jean-Philippe Trabichet. « S’il est vrai que l’utilisation massive et incontrôlée du web s’avère inquiétante et mériterait d’être mieux régulée, il faut aussi se rendre compte que les ordinateurs contribuent à l’optimisation énergétique de nombreuses infrastructures. Les technologies de l’information et de la communication engendrent des comportements problématiques mais constituent en même temps des outils uniques et irremplaçables, par exemple pour améliorer le rendement des dispositifs qui produisent notre énergie ou encore pour optimiser l’utilisation de nos ressources. »

Cryptomonnaies, le gouffre énergétique

En plein essor, les cryptomonnaies sont également à considérer attentivement. Leur « minage », soit les opérations informatiques qui permettent de les générer et de valider les transactions qui sont effectuées avec, s’avère des plus énergivores. Selon différentes estimations, la puissance de calcul liée à la seule cryptomonnaie Bitcoin nécessiterait jusqu’à deux fois l’énergie que la Suisse consomme en une année.

Actuellement, l’énergie issue de sources durables consommée par la cryptomonnaie serait par ailleurs minime. La plus grande partie du réseau Bitcoin reposerait actuellement sur la production électrique issue de centrales à charbon situées en Chine.

Datacenters et chauffage à distance

Si le fonctionnement des datacenters engendre une importante consommation d’énergie en continu, il est tout de même possible de tirer parti de ces infrastructures. Car en faisant tourner des systèmes de ventilation et d’air conditionné pour maintenir au frais les serveurs dans lesquels les données sont herbagées, un datacenter émet de la chaleur. Dans ce sens, pourquoi ne pas valoriser ces calories dans l’optique d’alimenter des réseaux de chauffage à distance ?

Différents projets allant dans ce sens voient justement le jour en Suisse. Dans la zone industrielle genevoise de Plan-les-Ouates, plusieurs bâtiments sont ainsi raccordés à un réseau de chauffage à distance lui-même alimenté par les rejets thermiques du datacenter de la société d’hébergement Safe Host. Une stratégie durable qu’Infomaniak, autre acteur helvétique connu dans les services d’hébergement web, projette de développer encore davantage. Autre exemple en Suisse alémanique, où le datacenter d’IBM situé à Uitikon, non loin de Zurich, permet de contribuer au chauffage du bassin d’une piscine située à proximité.

Dans tous les cas, le défi d’alimenter des réseaux de chauffage à distance avec les rejets thermiques de datacenters consiste en la localisation géographique de ces différents éléments. Sur une trop longue distance, un tel réseau va subir des déperditions de chaleur qui obligent donc de rester proche du centre de données. La meilleure stratégie consiste donc à cibler des bureaux et bâtiments situés en zone industrielle, où l’implantation de datacenters s’avère moins problématique qu’au centre des agglomérations.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

échelle production

Echelles de la production d’électricité: quel potentiel pour la décentralisation ?

Le développement de l’énergie solaire depuis 10 ans amène avec lui une décentralisation de la production d’énergie, qui est appelée à se poursuivre. Qu’implique cette multiplicité d’installations de production locale ? Quels types d’énergies pourraient aussi être décentralisés, et quels sont les potentiels ? Leo-Philipp Heiniger, spécialiste des énergies renouvelables à l’Office fédéral de l’énergie OFEN, nous apporte son éclairage sur ces questions.

Une mutation depuis 10 ans vers une production à l’échelle locale

Historiquement, la production d’électricité en Suisse était liée à une infrastructure centralisée, qui s’est constituée durant le XXe siècle autour d’un nombre limité de grandes installations. Cela correspond notamment aux grands barrages hydroélectriques alpins et aux cinq centrales nucléaires, ainsi que quelques centrales à biomasse et les usines d’incinération des ordures ménagères (UIOM). Depuis 10 ans pourtant, le développement rapide du solaire (photovoltaïque avant tout) a fait entrer la production d’énergie suisse dans une mutation vers un système plus décentralisé. Comme le montrent les graphiques de la statistique de l’énergie solaire, la production issue du photovoltaïque a en effet été multipliée par 100 entre 2007 et 2021, passant de 29 à 2’842 GWh annuels. Sur la seule année 2021, plus de 20’000 installations photovoltaïques de moins de 20 kW ont été installées.

Évolution de la production photovoltaïque en Suisse par année depuis 2002, en GWh par année (OFEN, Statistiques de l’énergie solaire, Année de référence 2021).

Nombre d’installations et puissance installée de production photovoltaïque en 2021 en Suisse, en MW (OFEN, Statistiques de l’énergie solaire, Année de référence 2021)

Le solaire, moteur de la décentralisation

En Suisse, le sol est une ressource particulièrement rare et disputée, ce qui rend la création d’installations de grande surface au sol plus difficile. C’est notamment pour cette raison que l’OFEN a rapidement pris le parti de promouvoir le solaire sur les bâtiments, explique Leo-Philipp Heiniger, spécialiste des énergies renouvelables à l’Office fédéral de l’énergie OFEN. À cela s’ajoute l’intérêt de s’installer sur une infrastructure existante (des bâtiments), et nécessairement raccordée au réseau.

Développements de la puissance installée et du nombre d’installations de production d’énergie pour le photovoltaïque (tiré de la story map de l’OFEN « Installations de production d’électricité en Suisse »).

La Suisse compte ainsi près de 150’000 installations solaires aujourd’hui, pour une puissance solaire installée de 3.6 GW à fin 2021. Et la marge de progression est encore énorme. Leo-Philipp Heiniger parle d’un potentiel de 50 TWh, rien que pour les toitures, soit 13 à 14 fois la capacité de production actuelle. À cela s’ajoutent encore 17 TWh pour les façades, moins productives mais plus intéressantes en hiver en raison de la neige sur les toits. Malgré l’intérêt à réduire les coûts de production avec des installations de grande taille, ce potentiel gigantesque sur le bâti a fait de l’ombre aux installations centralisées.

Puissance installée et nombre d’installations actuelles selon les types d’énergie (tiré de la story map de l’OFEN sur les installations de production d’électricité en Suisse). N.B. : ces données se basent sur le système de garanties d’origine, et peuvent donc être inférieures à d’autres données.

Et pour les autres types d’énergie ?

Le solaire a permis d’ouvrir la brèche de la décentralisation de la production énergétique, mais pour des raisons propres à la technologie et à l’opportunité de s’installer sur le bâti. Pour les autres types d’énergies renouvelables, Leo-Philipp Heiniger nuance le potentiel de la décentralisation. Les scénarios développés dans les Perspectives énergétiques 2050+ de l’OFEN tablent en effet sur un développement massif du potentiel du solaire.

Perspectives 2050 pour la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables (scénario zéro – base), tiré de la story map de l’OFEN « Perspectives énergétiques 2050+ : évolution de la production d’électricité ».

Dans le domaine hydroélectrique, les grands barrages et les grandes centrales sur les rivières ont déjà été complétés par des installations de plus ou moins grande taille (notamment sur les dix dernières années), pour atteindre aujourd’hui près de 1’400 installations. Le potentiel supplémentaire est ici conditionné aux bassins versants hydrologiques et aux arbitrages à faire par rapport à d’autres objectifs territoriaux (protection du paysage, biodiversité, etc.). En termes de production à petite échelle, la Suisse compte à ce jour plus de 1’000 petites centrales hydroélectriques (moins de 10 MW de puissance installée), dont la puissance installée est d’environ 760 MW et la production annuelle de 3’400 GWh. Les différentes estimations du potentiel supplémentaire disponible vont de 210 à 2’000 GWh/an (SuisseEnergie, 2020). La marge de progression de la petite hydraulique reste toutefois plus faible que celle de la grande hydraulique, et très loin en dessous de celle du photovoltaïque (basé sur OFEN 2019, PSI 2017, in SuisseEnergie, Les faits sur la petite hydraulique, déc. 2020).

Développements de la puissance installée et du nombre d’installations de production d’énergie pour la force hydraulique (tiré de la story map de l’OFEN « Installations de production d’électricité en Suisse »).

Dans le domaine éolien, le nombre d’installations est encore relativement réduit (c.f. graphique ci-dessous), et concerne surtout de « grandes » éoliennes. Si le potentiel de développement est encore relativement important en Suisse (bien que largement inférieur à celui du solaire), ce type d’énergie présente moins d’intérêt pour la décentralisation et la production à petite échelle. Comme l’explique Leo-Philipp Heiniger, une éolienne de petite taille (quelques kW) aura un rendement jusqu’à 100fois inférieur par rapport à une grande éolienne, alors que le rendement d’un panneau solaire restera le même à ensoleillement égal. Ce facteur d’échelle s’explique par le fait que les vents les plus forts sont en altitude, et que le bâti environnant a tendance à perturber les vents localement. Le rapport coût-bénéfice s’en retrouve beaucoup moins avantageux.

Développements de la puissance installée et du nombre d’installations de production d’énergie pour l’énergie éolienne (tiré de la story map de l’OFEN « Installations de production d’électricité en Suisse »).

Vers une flexibilisation de la production et de la consommation

La décentralisation de la production a amené avec elle de nouvelles opportunités ou enjeux d’ordre technique. En termes de réseau, Leo-Philipp Heiniger explique que la production (solaire) locale a l’avantage de pouvoir être consommée sur place, et de ne pas nécessiter de transformation, étant déjà à tension assez basse pour la consommation. L’autoconsommation du solaire ne permet cependant que ponctuellement de réduire les coûts du réseau (à part la question des pertes du transport). Dans la plupart des cas, une maison « solaire » aura quand même besoin de la même infrastructure pour l’hiver pour répondre au pic de consommation le soir en hiver, quand le solaire ne produit peu ou pas. En revanche, le spécialiste souligne que le fait de produire et consommer au même endroit permet de réfléchir à la flexibilisation du réseau, et à la question de la réduction des pics de consommation (éventuellement couplé à l’utilisation d’une batterie) à l’échelle de quartiers. Le Conseil Fédéral a mis en consultation un projet de loi visant à définir les conditions cadres et instruments nécessaires pour une plus grande flexibilisation du réseau, de la production et de la consommation (plus d’informations ici).

Nouveaux acteurs et évolution des rôles

Finalement, la décentralisation de la production d’énergie amène avec elle un changement au niveau des acteurs. Si la production était historiquement dans les mains de quelques grandes entreprises (elles-mêmes sous contrôle des cantons), on voit aujourd’hui arriver une multitude de producteurs-consommateurs privés. Leo-Philipp Heiniger s’en réjouit, et y voit une opportunité pour que la population prenne une part active dans la transition énergétique. En outre, cela ne concerne pas que les propriétaires privés, mais aussi les locataires, qui peuvent également prendre part à la création de coopératives de production énergétique par exemple. Les grandes entreprises de production et de distribution ont quant à elles adapté leurs activités pour proposer des services aux privés (décomptes et gestion de regroupements pour la consommation propre, etc.) et offrir des solutions de partenariat pour investir dans des centrales solaires sur des bâtiments publics par exemple. Cette décentralisation amène aussi les communes à prendre un rôle plus actif dans la transition énergétique, en encourageant le solaire sur leur territoire par des appels d’offre groupés, des soirées d’information, un soutien financier communal en plus du soutien fédéral, ou des réalisations sur les installations publiques (bâtiments communaux, écoles, etc.).

Pour aller plus loin :

 

Mathieu Pochon

Ingénieur environnemental

Le guide de la stratégie climatique pour les communes

Le guide de la stratégie climatique est destiné aux communes de petite et moyenne taille désireuses d’élaborer une stratégie climatique. La publication donne des impulsions et encourage les prises d’initiatives via des outils déjà existants, des modèles et des exemples pratiques issus de l’administration cantonale et communale.

À travers cette publication déclinée en huit chapitres, l’OFEV (Office fédéral de l’environnement), l’OFEN (Office fédéral de l’énergie) et SuisseEnergie souhaitent motiver les collectivités publiques à faire le pas. « Il existe déjà beaucoup de bonnes initiatives en matière de protection du climat au niveau communal, expliquent les porteurs de projet, mais elles se cantonnent souvent à des domaines particuliers, sans approche globale et cohérente. ». En fonction de vos priorités, vous pourrez alors décider soit de développer une stratégie climatique visant la réduction des émissions de gaz à effet de serre, soit de vous diriger vers une stratégie d’adaptation aux changements climatiques, soit les deux domaines simultanément.

Les huit étapes vers le changement

Favoriser une mobilité respectueuse du climat, augmenter la part des énergies renouvelables ou encore engager des efforts pour accroître l’efficacité énergétique : voilà quelques exemples de décisions relativement simples qu’une commune est en mesure de prendre. Mais il ne s’agit pas uniquement de vouloir changer, encore faut-il savoir comment le faire. L’aperçu ci-dessous vous donne une idée des étapes chronologiques qui permettent aux communes d’élaborer une stratégie climatique, selon une approche systématique.

1. Décrire la situation initiale : de nombreuses villes et communes mettent déjà en œuvre des activités et mesures concrètes de protection du climat. Il s’agit alors de les répertorier, puis de les intégrer lors de l’élaboration de la stratégie climatique.

Par exemple : répertorier les décisions politiques (règlements), les instruments (plans directeurs, stratégies énergétiques, etc.) et les mesures communales (revitalisation des cours d’eau, végétalisation, etc.) existantes.

2. Identifier les acteurs : le climat concerne un grand nombre et une grande diversité d’acteurs, autant au sein même de la commune que dans la ville ou à l’extérieur de celle-ci. Il est donc conseillé d’identifier les personnes qui souhaitent s’impliquer dans l’élaboration de la stratégie, tout en précisant sous quelle forme et à quel moment elles seront impliquées.

Exemples d’acteurs : solliciter les membres du conseil communal ou municipal ainsi que les collaborateurs de l’administration, mais s’adresser également aux associations, aux groupes d’intérêts et aux organisations de protection de la nature.

3. Définir les actions requises : déterminer les marges de fonctionnement du système de la stratégie climatique désirée, par exemple le périmètre géographique ou encore les secteurs pertinents. Sur cette base, il s’agira de calculer le bilan des émissions de gaz à effet de serre (réduction), d’identifier les potentiels de réduction existants, mais également de déterminer et hiérarchiser les risques et les opportunités des secteurs concernés par les changements climatiques (adaptation). Les mesures à prendre seront alors définies en fonction des résultats.

Aide à l’action : se référer aux principes directeurs « Pour une Société à 2000 watts », un guide pratique pour l’interprétation, le bilan, le suivi et la mise en œuvre des objectifs énergétiques et climatiques.

4. Fixer les objectifs et les échéances : concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre, il convient de s’appuyer sur les précédentes étapes pour définir les objectifs à atteindre, tout comme les objectifs intermédiaires. Il en découlera une trajectoire de réduction et l’établissement des différentes échéances.

Exemple d’objectifs de réduction : ratifier la « Charte pour le climat et l’énergie des villes et communes ». Les parties signataires souscrivent ainsi aux objectifs de l’Accord sur le climat, à l’objectif du Conseil fédéral de zéro émission nette et aux objectifs d’efficacité énergétique de la Stratégie énergétique 2050 et du programme Société à 2000 watts.

5. Définir, prioriser et planifier les mesures : clé de voûte de la stratégie climatique, les mesures doivent être définies de sorte à être les plus concrètes et efficaces possibles.

Exemples de mesures : approvisionnement des bâtiments en énergie renouvelable, soutien à l’agriculture respectueuse du climat et à la consommation locale, création d’espaces verts en vue de réduire les îlots de chaleur en ville.

6. Assurer le financement et les ressources humaines : le financement des mesures planifiées est une condition sine qua non pour mettre en œuvre la stratégie climatique ; des sources de financement supplémentaires sont souvent nécessaires. Vous déterminerez les ressources requises et clarifierez les sources de financement dans le budget existant.

Exemple d’aide financière : le programme de soutien « SuisseEnergie pour les communes » finance des projets dans les domaines suivants : efficacité énergétique des bâtiments, énergies renouvelables, mobilité, installations et processus.

7. Mettre en place le suivi et les contrôles réguliers : dresser régulièrement le bilan des émissions de gaz à effet de serre ainsi que des risques et opportunités permet de vérifier si les mesures mises en œuvre sont efficaces et, le cas échéant, de rectifier le cap.

Exemple de suivi : vérifier l’état, la progression, le succès des mesures et le respect de la trajectoire, et procéder à des ajustements.

8. Assurer l’ancrage politique de la protection du climat : il convient de s’assurer que votre ville ou votre commune soutient votre engagement en faveur du climat, afin de favoriser une large acceptation et une mise en œuvre durable de la stratégie. L’ancrage politique confère un caractère contraignant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à l’adaptation aux changements climatiques.

Exemple d’ancrage : prendre une décision politique en inscrivant par exemple les principaux objectifs et dispositions pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’adaptation aux changements climatiques dans des lignes directrices.

Conseil et hotline gratuite
Le programme « Société à 2000 watts de SuisseEnergie pour les communes » propose une hotline gratuite pour répondre à vos questions ou pour une première consultation quant à la marche à suivre pour effectuer le bilan des émissions de gaz à effet de serre.

Contact :
044 305 91 48
[email protected]
www.2000watt.ch

Sources et ressources :
OFEV (Office fédéral de l’environnement), OFEN (Office fédéral de l’énergie) et SuisseEnergie,
« Le guide de la stratégie climatique pour les communes »

Conseils climatiques pour les communes

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Quelques questions à Manuela Christen
Responsable du programme climatique (OFEV)


Photo : © OFEV

Pourquoi avoir édité ce guide et à quels besoins répond-il ?

De nombreuses communes souhaitent s’engager sur la voie du « zéro net » d’ici à 2050, mais les petites et moyennes communes manquent souvent de ressources et parfois aussi de connaissances pour aborder le thème de la stratégie climatique. C’est là que nous avons voulu intervenir en proposant un soutien facile d’accès. Le guide élimine les obstacles et montre une voie simple pour développer une stratégie climatique.

À quoi sert une stratégie climatique communale ?

L’élaboration d’une stratégie climatique permet, entre autres, de connaître la marge de manœuvre au niveau communal et d’y intégrer les mesures et initiatives de protection du climat nouvelles et déjà existantes, d’impliquer de manière coordonnée tous les acteurs concernés, de les informer en continu, mais également de planifier et de garantir le financement des ambitions, de vérifier régulièrement les objectifs définis et l’effet des mesures, mais également d’impliquer, de sensibiliser et d’informer la population de manière transparente.

Quelle plus-value ce guide apporte-t-il aux communes ?

Le « guide de la stratégie climatique » permet de s’orienter et montre en un coup d’œil les étapes nécessaires à l’élaboration d’une stratégie climatique afin de ne rien oublier. De plus, différents outils sont disponibles au téléchargement, comme les modèles de concept de stratégie climatique et de fiche de mesures. Le tout est complété par des exemples pratiques, des indications sur les outils déjà existants et un recueil de questions et de réponses. Tels sont les avantages du guide.

A-t-on une idée du pourcentage de communes en Suisse déjà engagées dans une transition ?

C’est difficile à dire. Les grandes communes et les villes sont depuis longtemps déjà sur la voie de la neutralité climatique. Les stratégies « zéro net » voient surtout le jour dans les zones urbaines, car les administrations y ont davantage de capacités et de savoir-faire en la matière. C’est pourquoi l’OFEV a conçu le guide pour les petites et moyennes communes qui souhaitent élaborer une stratégie climatique.

Joëlle Loretan

Rédactrice

Rénovations énergétiques, pourquoi s’y mettre et à qui s’adresser ?

Pièce centrale du puzzle durable, le secteur de l’immobilier est confronté à un défi de taille. Pour réduire notre empreinte carbone, il est en effet primordial d’assainir notre parc bâti. Encore faut-il savoir pourquoi et comment s’y prendre. Explications.

C’est certainement une des questions qui doit raisonner le plus dans l’esprit de nombreux propriétaires. « Est-il le moment de rénover mon bien pour améliorer son efficience énergétique ? » Si la réponse est évidente, il reste cependant pertinent de (re)préciser certains éléments de la donne immobilière et durable actuelle. Entreprendre des rénovations énergétiques sur son logement ou son immeuble constitue déjà une bonne chose d’un point de vue environnemental. Le contexte actuel, marqué par des défis durables sans précédent, nécessite en effet une implication et des efforts collectifs si l’on veut pouvoir changer les choses. Pour donner un ordre d’idée, rappelons que le secteur du bâtiment est responsable de près d’un tiers des émissions de CO2 en Suisse.

Outre l’argument écologique, les rénovations énergétiques doivent aussi être considérées selon une perspective économique. En effet, un bien immobilier qui n’est pas rénové pour répondre aux dernières normes et standards d’efficience va rapidement perdre de la valeur. En Suisse, ce point est d’ailleurs relevé par de plus en plus d’organismes bancaires et d’experts immobiliers. Ce qui devrait faire réagir rapidement les propriétaires. Longtemps considéré comme un investissement sûr nécessitant peu de démarches outre l’achat de départ, la pierre nécessite désormais de prendre les devants pour continuer à maintenir et développer la plus-value de son bien.

Et cela se traduit à plusieurs niveaux. Déjà en considérant le bien en tant que tel. Un immeuble doté de simples vitrages et chauffé à l’aide d’une chaudière à mazout ne répond plus aux attentes actuelles. Ensuite par ce qu’il engendre en termes de coûts et de dépendance à la volatilité du prix des hydrocarbures. La situation actuelle le démontre durement, en sachant déjà que certaines personnes ne parviendront que difficilement à régler leur facture de chauffage cet hiver avec, dans certaines régions, un prix du gaz ou du mazout multiplié par trois ou quatre. Une charge qui pèse d’abord sur le propriétaire lors de l’approvisionnement et qui, si elle ne peut plus être assumée par les locataires, engendre un handicap financier des plus conséquents. Enfin, en termes de confort d’habitation et d’attentes des occupants, des loyers correspondant aux prix du marché deviendront de plus en plus difficiles à demander si son bâtiment n’a pas été remis au goût du jour d’un point de vue énergétique.

Ne pas attendre la ruée vers les subventions

Pour Nicolas Demierre, Senior Product Manager et expert en immobilier durable au sein de Romande Energie, la question des rénovations énergétiques doit en outre être abordée en tenant compte des aides actuelles.

« De nombreuses subventions communales, cantonales et fédérales sont actuellement disponibles pour les acteurs immobiliers souhaitant entreprendre des rénovations énergétiques sur leur bien. Ces différentes mesures de soutien ne seront pas disponibles à l’infini. S’il est possible d’en profiter aujourd’hui sans trop devoir jouer des coudes, il est certain que d’ici à quelques années, alors que la fin de ces programmes d’aide commencera à être annoncée, les propriétaires vont se ruer massivement vers ces subventions. Ce qui provoquera immanquablement un blocage. ».

Sans parler du durcissement des réglementations en vigueur en matière de rénovations énergétiques. Encore peu, voire pas, touché par ce renforcement du cadre légal, le canton de Vaud ne tardera pas à suivre l’exemple de ses voisins. À Genève par exemple, les normes tolérées liées à l’Indice de dépense de chaleur (IDC) des logements ont été revues à la baisse pour obliger la mise en conformité des immeubles non efficients. Dans d’autres cantons, des révisions du cadre législatif prévoient instaurer pour les propriétaires un délai de quelques années pour leur permettre d’assainir leurs biens qui présentent une mauvaise étiquette énergétique – F ou G du modèle du Certificat énergétique cantonal des bâtiments (CECB).

« Toutes ces démarches indiquent clairement une tendance forte en matière de contrôle quant aux bonnes pratiques à adopter dans la branche immobilière », souligne Nicolas Demierre. « Parallèlement aux enjeux durables, cette dynamique s’inscrit aussi dans l’optique d’éviter la dévalorisation du parc bâti. ».

Anticiper sur les pénuries à venir

Le contexte géopolitique et énergétique laisse par ailleurs entrevoir un autre fait des plus préoccupants. En raison de la rareté croissante des hydrocarbures, et de l’augmentation du coût énergétique et financier nécessaire à leur extraction, la demande devrait dépasser l’offre dans des proportions significatives d’ici quelques années. Selon plusieurs études, on estime en effet que la demande en pétrole pourrait dépasser l’offre de 25% d’ici à 2030.

Outre les problèmes d’approvisionnement et la pénurie de pétrole et de gaz à proprement parler, cette donne devrait générer un mouvement massif vers les matériaux, les énergies et les infrastructures durables dans le secteur du bâtiment. Une précipitation qui devrait engendrer une autre pénurie, à savoir celle de ces matériaux et dispositifs durables, sans parler des forces de travail qui, déjà aujourd’hui, ne sont pas suffisamment nombreuses pour accélérer le rythme des rénovations énergétiques. « D’où l’importance de s’y mettre dès maintenant », rappelle Nicolas Demierre.

Marche à suivre

S’il n’est pas toujours facile de s’y retrouver entre la multitude de démarches à entreprendre et les nombreux acteurs qui sont actifs dans ce créneau, il s’agit d’opérer avec pragmatisme. Dans un premier temps, on procèdera à un audit énergétique de son bien. Permettant de dresser un bilan précis quant aux performances actuelles de son logement, cet état des lieux va ensuite être utilisé comme point de départ des améliorations à réaliser.

« L’idée étant de bénéficier dès le début d’une feuille de route claire quant aux objectifs finaux à atteindre et aux démarches à entreprendre pour y arriver », détaille l’expert en immobilier durable. « Il est essentiel d’être accompagné par des experts durant l’ensemble du processus. On voit aujourd’hui un modèle de binômes se mettre en place pour cela, avec un architecte et un spécialiste AMO – pour assistance à maîtrise d’ouvrage – en énergie. »

On pensera aussi à respecter un certain timing et à anticiper un maximum sur les différents travaux à réaliser. Changer sa chaudière en plein hiver, au risque de devoir passer un certain temps durant la froide saison sans système de chauffage, n’est évidemment pas conseillé. Autre astuce à prendre en compte, celle de la valorisation de son bien. Les rénovations énergétiques peuvent ainsi constituer une excellente opportunité pour faire grimper la valeur de son bâtiment, par exemple en procédant à une densification des espaces habitables. Ce qui peut notamment être effectué par une surélévation, soit la construction d’un étage supplémentaire si la structure de l’ensemble le permet. Enfin, on notera aussi qu’il est important de se renseigner sur les sources durables potentiellement disponibles dans son quartier ou sa région. Avec le développement des réseaux de chauffage à distance (CAD), une rénovation énergétique peut être l’occasion parfaite de s’y raccorder.

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

« La sobriété est un passage obligé de la décarbonisation »

Romande Energie poursuit son ambition d’être un acteur important de la décarbonisation de la Suisse romande. Parallèlement aux actions de réduction de l’empreinte carbone au niveau du territoire, l’entreprise vise l’exemplarité en intégrant la durabilité au cœur de son organisation. Pour cela, Romande Energie a élaboré une stratégie qui se base sur les trois piliers du développement durable : économique (offre de services à valeur ajoutée innovante), sociétal (leadership conscient au service de l’intelligence collective) et environnemental (intention ambitieuse au service de la transition énergétique). Elle inscrit sa démarche en conformité avec les normes de la Global Reporting Initiative (GRI). Afin d’accompagner cette profonde transformation, Audrey Cauchet a intégré Romande Energie en 2021 en tant que Responsable de la durabilité. Interview.

Vous êtes « Responsable de la durabilité » chez Romande Energie. En quoi consistent vos fonctions ?

Je coordonne l’entier des actions internes liées à la durabilité. Mon rôle est de faire en sorte que les personnes en lien avec cette thématique, que j’appelle des ambassadeurs de la durabilité, soient alignés sur l’ambition de Romande Energie d’être un acteur majeur de la décarbonisation de la Suisse romande. Pour atteindre ce but, la première étape consiste à décarboner les services et les activités de notre propre entreprise. Nous sommes en train de mettre en place un plan d’action pour identifier, mesurer et développer les leviers possibles en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre liés à nos activités. Mon rôle est de coordonner les différentes impulsions, de mutualiser les forces à disposition, d’assurer une bonne appropriation de la thématique et d’accompagner le changement. C’est une chose d’inscrire la décarbonisation dans une stratégie, mais c’est essentiel que les collaborateurs comprennent les impacts sur leurs activités quotidiennes, tout comme les moyens à leur disposition pour atteindre ce but.

Quelle est votre principale force pour ce poste ?

Au-delà de mes connaissances et de mon expérience passée acquise dans la finance durable, je dirais que j’ai une bonne capacité à fédérer les gens et à les embarquer dans cette formidable aventure.

Comment faut-il comprendre le terme « décarbonisation », en regard de la « transition énergétique » ?

La décarbonisation fait partie de la transition énergétique, qui découle de la Stratégie énergétique 2050 voulue par le Conseil fédéral, soit la sortie du nucléaire, l’amélioration de l’efficience énergétique et l’abandon des énergies fossiles au profit des énergies renouvelables. La décarbonisation est en lien avec ce dernier point, soit les démarches liées à la réduction progressive des émissions de gaz à effet de serre.

Pour construire sa démarche de durabilité, Romande Energie a choisi d’appliquer les standards de la Global Reporting Initiative (GRI). Pourquoi ce choix et quel a été la démarche ?

Choisir d’appliquer ces standards a été une manière d’élaborer une matrice de matérialité, afin d’identifier les enjeux les plus pertinents de l’entreprise et ainsi établir une stratégie de durabilité alignée avec les attentes et besoins. La démarche a été de soumettre un questionnaire aux collaborateurs, à l’entier des membres du Comité de direction et du Conseil d’administration ainsi qu’à certaines de nos parties prenantes-clés externes. En nous basant sur les différents cahiers des standards de la GRI, nous avons répertorié les répercussions économiques, sociétales et environnementales générées par les activités de Romande Energie. Chacune a pu, selon ses connaissances et sa perception, donner son avis sur l’importance, réelle ou potentielle, de ces impacts. Croiser les résultats nous a ensuite permis de ressortir les enjeux matériels les plus significatifs et d’identifier les sujets sur lesquels communiquer. Une trentaine de collègues, représentatifs des différents métiers de l’entreprise, a ensuite été sollicitée pour participer à la rédaction du Rapport de durabilité 2021. Initier un tel document de manière collective est une première pour Romande Energie.

Votre stratégie de durabilité repose sur trois piliers : environnement, économie et société. En quoi les aspects sociétaux sont-ils significatifs en matière de décarbonisation ?

C’est lié à la notion de comportement car la principale difficulté aujourd’hui, au sein de l’entreprise et de manière générale, est d’ancrer des changements d’habitudes. L’être humain est doté d’un certain nombre de biais cognitifs, notamment celui d’être optimiste et de penser soit que les choses s’arrangeront d’elles-mêmes, soit que la technologie apportera les solutions. Il faut alors faire comprendre qu’il y a urgence à agir car sans changement, on fonce droit dans le mur. La décarbonisation induit le passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables : passer d’une voiture thermique à une voiture électrique ou remplacer sa chaudière à mazout par une pompe à chaleur a un impact direct sur les habitudes des individus. Changer ses comportements, au-delà de la décarbonisation, c’est viser la sobriété et donc être capable de réduire ses besoins. Ce qu’on tente alors de faire au sein de Romande Energie, c’est d’accroître la sensibilité sur ces questions environnementales et de faire comprendre que consommer moins et mieux est une source de bien-être.

Comment sont accueillies vos démarches au sein de l’entreprise ?

La majorité suit la dynamique insufflée. Mais la vraie difficulté avec la décarbonisation est la dimension émotionnelle : on ne peut pas demander à quelqu’un d’adhérer à une stratégie d’entreprise, si elle n’est pas en phase avec son propre mode de vie. Notre approche est alors d’identifier à l’interne les ambassadeurs convaincus de la décarbonisation, puis de capitaliser sur ces forces afin de faire avancer les réflexions des plus sceptiques. Il y a également un vrai besoin de donner du sens, d’expliquer pourquoi on décarbone et d’adapter le discours : une personne qui travaille toute la journée sur un chantier n’aura pas les mêmes besoins que celle qui a un travail de bureau. Il faut un message suffisamment large pour concerner tout le monde, mais suffisamment ciblé pour toucher de manière individuelle.

Avez-vous des exemples de mesures efficaces ou des ressources que les communes et les entreprises peuvent facilement mettre en place en matière de décarbonisation ?

Il y a trois axes principaux sur lesquels nous pouvons et devrions toutes et tous agir : la mobilité, le logement et l’alimentation. Opter pour un véhicule électrique, une solution de chauffage à base d’énergie renouvelable et une réduction de sa consommation de viande serait déjà une grande victoire. Ainsi, les communes et les entreprises peuvent prendre des mesures pour promouvoir la mobilité électrique. Pour une commune, cela passe par des solutions existantes comme Mobility et pour les entreprises, il s’agit par exemple de transformer progressivement leur flotte, ou d’inciter leurs employés à utiliser les transports publics par la prise en charge d’un abonnement. Le diagnostic du parc bâti est aussi un axe essentiel, avec un trop faible taux de rénovation en Suisse. De nombreux bâtiments sont de véritables passoires énergétiques. Depuis 2021, Romande Energie a lancé un nouveau service/conseil, Commune Rénove. Il s’agit d’aider les communes et les grands propriétaires immobiliers à identifier les bâtiments qui mériteraient d’être rénovés en priorité. S’agissant des ressources ou partenaires, je dirais que, de manière générale, il faut savoir s’entourer de professionnels, car il y a beaucoup d’idées reçues. Quand on parle de décarbonisation, ce sont les experts en ACV (Analyse de Cycle de Vie) qui peuvent apporter une aide considérable pour calculer votre empreinte carbone et identifier les axes d’actions prioritaires pour réduire vos émissions.

Quels sont les opportunités et les risques de la décarbonisation pour une entreprise comme Romande Energie, mais aussi pour les investisseurs et les acteurs (industries, entreprises et communes) ?

En termes d’opportunités, je dirais la rénovation du parc bâti évoqué précédemment. Mais on peut également parler des audits CECB (Certificat Énergétique Cantonal des Bâtiments) qui permettent de diagnostiquer une maison en termes d’efficience énergétique, puis de cibler les rénovations prioritaires. Romande Energie réalise ce type de prestations et nous observons une demande croissante depuis plusieurs années. Mais je dirais également que les projets liés aux énergies renouvelables offrent de réelles opportunités aux investisseurs. Avec la prolifération des notations ESG (Environnemental, Social et de Gouvernance) ces dernières années, et malgré l’absence de standard, ils sont aussi mieux informés sur les entreprises dans lesquelles ils souhaitent investir. À ce titre, Romande Energie Holding SA a émis sa première obligation verte le 23 juin 2022 et je pense que ce marché des green bonds (obligations vertes dont les fonds doivent servir à financer des projets à caractère environnemental) devrait se développer dans les prochaines années.

Le revers de la médaille, c’est la sécurité de l’approvisionnement, car vouloir tout électrifier sans baisser notre consommation sera impossible. Même si le terme fait encore grincer des dents, la sobriété est un passage obligé. Le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) l’a encore rappelé dans son dernier rapport : 90 à 95% du chemin vers la neutralité carbone passe par la réduction. Et il est important de rappeler que la Suisse et l’Union Européenne ne sont pas parvenues à trouver un compromis sur l’accord-cadre en électricité, signifiant qu’en cas de pénurie, la Suisse ne serait secourue qu’après tous ses voisins européens.

Joëlle Loretan

Rédactrice

Autonomie énergétique des bâtiments, définition et possibilités

C’est une notion-clé qui revient de plus en plus dans le débat durable lié au secteur immobilier. Celle de l’autonomie énergétique. Mais qu’entend-on véritablement par cela ? Comment y tendre ? Et quels modèles technologiques et économiques peuvent favoriser ce nouveau paradigme ? Autant de questions que nous vous proposons d’explorer dans cet article.

Tout le monde en parle. L’autonomie énergétique semble en effet constituer une des principales préoccupations, aussi bien auprès des politiques que des acteurs immobiliers ou encore du grand public. Un intérêt certainement ravivé par le contexte énergétique actuel, marqué entre autres par une inquiétante augmentation du prix des hydrocarbures. Cette forte volatilité du prix du pétrole et du gaz et ses effets sur notre budget souligne immanquablement notre complète dépendance aux fluctuations du marché. Des fluctuations qui vont en outre continuer à s’accentuer durant ces prochaines années.

Que les motivations soient énergétiques, environnementales ou financières, voire les trois, ce regain d’intérêt pour l’autonomie des bâtiments traduit ainsi une volonté commune de rendre notre parc bâti résiliant face aux pénuries d’énergie actuelles et à venir. Une première précision s’impose : l’autonomie énergétique d’un bâtiment n’est pas synonyme d’une autonomie complète à chaque moment de l’année. « Aujourd’hui, on a d’ailleurs tendance à parler davantage de bâtiments à énergie positive que d’immeubles autonomes », précise Nicolas Demierre, Senior Product Manager et expert en immobilier durable chez Romande Energie. « Concrètement, cela signifie qu’un logement produit davantage d’énergie qu’il n’en consomme. Mais pas durant chaque jour de l’année. Encore une fois, il s’agit d’une moyenne ».

Produire, et surtout stocker

On l’aura compris, pour tendre vers un ratio positif, un bâtiment doit bien sûr devenir une petite centrale de production d’énergie à son échelle. Panneaux photovoltaïques ou encore pompes à chaleur figurent parmi les dispositifs durables à installer. Mais le réel défi en matière d’autonomie énergétique concerne surtout les capacités de stockage de l’énergie. Et pour l’heure, cet aspect reste à consolider. Une des pistes intéressantes à suivre pourrait consister à utiliser le solaire thermique – soit des panneaux qui convertissent l’énergie solaire en chaleur et non en électricité – pour stocker l’énergie produite dans son boiler. La batterie devient alors l’eau chaude sanitaire du logement stockée dans son chauffe-eau, ce qui ne résout cependant pas la question de l’approvisionnement en électricité hors des pics de production.

« Divers modèles sont actuellement imaginés, mais il est vrai que ce point reste plutôt ouvert pour l’instant », explique Nicolas Demierre. « On parle parfois d’utiliser le levier des voitures électriques, qui sont autant de batteries ambulantes. L’idée étant de pouvoir y accumuler l’énergie produite en excédant lorsque les panneaux photovoltaïques tournent à plein régime durant la journée pour ensuite la restituer plus tard, alors que les pics de consommation des habitants sont enregistrés. L’idée est intéressante, mais le modèle d’affaires permettant d’instaurer ce type de solutions est pour l’instant flou, pour ne pas dire inexistant ».

Et au niveau technologique, les prises des véhicules électriques ne sont pas bidirectionnelles. Enfin, au niveau légal, il n’est par ailleurs pas possible pour un particulier de vendre directement son électricité, par exemple dans le cas où le détenteur d’une voiture électrique viendrait à alimenter le logement de son voisin. Mais le principe des batteries est évidemment une des idées les plus étudiées. « Celles des automobiles électriques sont cependant trop performantes par rapport aux besoins d’un logement », poursuite Nicolas Demierre. « En revanche, pourquoi ne pas imaginer un modèle de recyclage de ces batteries pour les reconvertir en système de stockage pour les bâtiments ? ».

Paradigme organique

Autre élément à mentionner, il ne s’agit pas non plus de tendre vers l’autonomie énergétique de tous les bâtiments. « Faute de quoi on sur-dimensionnerait rapidement le réseau, en épuisant inutilement nos ressources pour produire trop d’énergie ». Au contraire, le paradigme à dessiner est davantage celui d’un ensemble organique, au sein duquel dispositifs de production, systèmes de stockages et habitudes de consommation fonctionneraient en complémentarité.

Dans ce sens, une autre idée intéressante consiste à jouer sur les leviers de production durables, en favorisant une utilisation du photovoltaïque en synergie avec des infrastructures hydrauliques. Là aussi, il s’agit de mettre au point un système qui puisse permettre de résoudre la problématique du stockage, en l’occurrence celle de la filière hydraulique, réel atout énergétique du pays. Car après l’été, après avoir utilisé l’eau de fonte des barrages, l’exploitation de la force hydraulique est forcément limitée, alors que la demande en énergie s’élève en hiver. Pour y remédier, une des idées étudiées de près par la filière hydraulique valaisanne consiste à créer des synergies gagnantes entre les dispositifs solaires et les barrages. En été, l’énergie solaire pourrait ainsi servir au pompage de l’eau turbinée pour la faire remonter dans les lacs de barrages. En hiver, le niveau des lacs étant toujours haut, l’eau peut alors continuer à être turbinée pour répondre à la forte demande énergétique.

« Une idée intéressante qui, pour être réaliste et déployée à large échelle, nécessite de pouvoir construire des centrales solaires à proximité de ces futures stations de pompage », ajoute Nicolas Demierre. « Il serait en outre nécessaire de multiplier l’opération sur le plus de barrages possibles pour tenter d’absorber déjà une petite partie de la demande énergétique des habitants ».

Inspirations diverses

Quels que soient les modèles gagnants qui devront être adoptés et déployés pour tendre vers l’autonomie énergétique du parc bâti, il reste que plusieurs constructions existantes font déjà figures d’exemples. En Suisse, la maison KREIS, une habitation presque autonome conçue pour une à deux personnes comme un laboratoire expérimental pour la construction et l’habitat écologiques, démontre qu’il est possible de concilier architecture contemporaine, efficience énergétique et confort des occupants.

Photo : © Devi Bühler

Développée par l’ingénieure environnementale Devi Bühler de la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW), la maison KREIS permet de tester les matériaux, l’énergie, l’eau et les substances nutritives pour les combiner en circuits fermés. Une maison témoin qui ne produit en outre pas de déchets, avec notamment des tessons de verre recyclés en sol ainsi qu’un système de récupération d’eau de pluie pour la douche.

Autre exemple à Delémont, où l’architecte Julie Hennemann a conçu une villa intelligente, autonome sur le plan énergétique. Une pépite architecturale réalisée avec son conjoint Adrien Theurillat, ingénieur en énergie. Ses atouts : du triple vitrage en façade, une isolation en béton de chanvre – un matériau aux excellentes propriétés isolantes perméable à la vapeur d’eau – ainsi que des panneaux thermiques et photovoltaïques fournissant la totalité de l’énergie nécessaire au chauffage et au fonctionnement de l’électroménager. Autre astuce, l’eau de pluie est stockée et filtrée et l’eau des lavabos et des douches est récupérée pour alimenter les WC.

Comme quoi, avec un peu de bon sens, une bonne dose d’ingéniosité et l’utilisation des bons matériaux et des technologies adéquates, il est tout à fait possible de repenser les fondamentaux de notre paradigme architectural et, qui sait, de tendre vers l’autonomie.

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

Stockage de l’énergie: changement d’échelle ?

La transition énergétique et le développement des énergies renouvelables posent de nouveaux défis en matière de stockage de l’énergie. La variabilité de la production solaire et éolienne demande de se pencher attentivement sur les infrastructures de stockage, et ce à différentes échelles. Tour d’horizon des solutions actuelles et des perspectives.

Le stockage : enjeu majeur pour les énergies renouvelables

En Suisse, la composition du mix énergétique (barrages, énergie fossile et nucléaire, etc.) associée aux grandes infrastructures de pompage-turbinage permettait jusqu’à présent une certaine flexibilité de la production et un ajustement aux besoins de consommation électrique.

Avec la stratégie énergétique 2050, l’évolution du mix énergétique vers plus d’énergies renouvelables (solaire et éolien notamment) amène de nouveaux défis sur la question du stockage de l’énergie. En effet, le courant électrique issu des installations photovoltaïques et éoliennes n’est produit que lorsque le soleil brille ou que le vent souffle. Le développement de ce type d’énergie intermittente rend le réseau de plus en plus dépendant des conditions météorologiques, au fil de la journée comme des saisons. L’un des principaux défis de la transition énergétique consiste donc à développer des systèmes de stockage permettant d’emmagasiner les surplus d’énergie (principalement en été) et de les restituer au bon moment.

Un développement jusqu’à l’échelle locale

D’un système de production composé de quelques grandes centrales couvrant la majeure partie des besoins en électricité, on se dirige vers un système comprenant de plus en plus de petites installations éoliennes et surtout photovoltaïques. Les solutions de stockage devraient elles aussi être décentralisées et adaptées à toutes les échelles : au niveau national et régional, à l’échelle de quartiers, et jusqu’aux immeubles eux-mêmes.

Éventail de solutions techniques

Qu’elles soient directes (sur des bobines ou des condensateurs) ou indirectes (sous une autre forme d’énergie), de nombreuses solutions techniques pour le stockage de l’électricité sont disponibles aujourd’hui. Le Manuel de stockage d’énergie du Swiss Competence Center for Energy Research (SCCER) de l’EPFZ en présente un éventail complet et détaillé. Les solutions se différencient entre autres par leur puissance nominale, leur temps de décharge (pour restituer l’énergie stockée), leur rendement et leur coût (voir figure ci-dessous).

  • Le système (de très loin) le plus utilisé dans le monde est le pompage-turbinage. Il permet, au moyen de deux réservoirs à différentes hauteurs reliés par des conduites, de pomper l’eau en amont grâce aux surplus d’énergie et de la renvoyer en aval pour produire de l’électricité lorsqu’il en manque pour combler les besoins (voir l’article du 15 mai 2021).
  • Les batteries (lithium-ion, sodium-ion et à flux circulants), qui stockent l’électricité chimiquement, ont déjà relativement fait leurs preuves. Pourtant, ce mode de stockage indirect de courant reste cher, comparé à ses faibles capacités.
  • Le stockage par air comprimé consiste à utiliser l’énergie électrique excédentaire pour entraîner un moteur relié à un compresseur. Celui-ci aspire l’air ambiant, ce qui fait augmenter la pression et la température de l’air. Cet air comprimé est stocké dans une cavité. Par la suite, il est renvoyé dans l’environnement par l’intermédiaire d’une turbine, qui produit à nouveau de l’énergie électrique. Ce système a été étudié dans le cadre d’un projet du Programme national de recherche PNR 70 (https://www.nfp-energie.ch/fr/dossiers/191/).
  • Les volants d’inertie, connus depuis l’antiquité, permettent de stocker de l’énergie sous forme cinétique en faisant tourner une masse cylindrique.
  • La transformation de l’électricité en hydrogène par électrolyse fait partie des autres technologies possibles. L’hydrogène ainsi stocké peut restituer de l’électricité au moyen d’une pile à combustible. Ce processus est toutefois très fastidieux et offre un faible rendement.
  • Dans un prototype construit au Tessin, la start-up suisse Energy Vault suit le même principe que celui des centrales de pompage-turbinage, mais avec des blocs de béton plutôt que de l’eau. Les surplus d’électricité sont utilisés pour hisser ces blocs les uns sur les autres, afin de former une tour de 120 mètres de haut. Ils sont ensuite lâchés en utilisant la gravité pour produire de l’électricité.

Temps de décharge, puissance et rendement de diverses technologies de stockage. (source : Bulletin AES 2/2018 : Un stockage local et compétitif de l’énergie)

Le pompage-turbinage, à petite échelle aussi

Parmi les différentes solutions disponibles aujourd’hui, le système de pompage-turbinage reste la plus efficace et la plus économique. Avantagée par sa topographie et ses ressources en eau, la Suisse est déjà dotée de plusieurs installations d’envergure, en a encore développé récemment, à l’instar de celle du Nant de Drance, en Valais, qui entrera en service le 1er juillet 2022 et figure parmi les plus puissantes d’Europe. Or, les grandes installations alpines pourraient être complétées par des systèmes régionaux et locaux de petite puissance, offrant ainsi un outil de gestion et de flexibilité pour les réseaux électriques.

Après une première étude pour l’installation et l’intégration d’une Station de transfert d’énergie par pompage-turbinage à petite échelle (STEPPE) sur la commune d’Arbaz (VS), la HES-SO Valais-Wallis a réalisé une étude visant à évaluer le potentiel de ce type d’installations dans les cantons de Vaud et du Valais. Sur 186 sites recensés, 21 présentent un potentiel pour le pompage-turbinage à petite échelle.

L’étude montre tout l’intérêt de ce type d’installations. Par rapport aux grandes installations, celles à petite échelle peuvent se faire à moindre frais et avec un impact beaucoup plus léger sur l’environnement par la réutilisation de bassins et d’infrastructures préexistants (eau potable, irrigation, enneigement artificiel, etc.). Aussi, par rapport aux autres technologies de stockage, une « STEPPE » présente de nombreux avantages : elle dispose d’une longue durée de vie, elle utilise des technologies matures, elle a un rendement de cycle (charge et décharge) comparable à celui des batteries, soit d’environ 70%, et, facteur non négligeable, elle s’inscrit dans un contexte de développement durable.

Les batteries et accumulateurs Power-to-X ont de l’avenir

La diversification des technologies de stockage devrait contribuer à un système énergétique plus robuste et sûr. Selon les experts du SCCER, les batteries et les accumulateurs Power-to-X (conversion d’électricité vers d’autres vecteurs énergétiques : gaz, hydrogène, etc.) ont un rôle déterminant à jouer dans l’équilibre et la stabilité du système énergétique. Alors que les centrales de pompage-turbinage de grande échelle sont conçues pour égaliser les niveaux de tension de réseau moyens à élevés, les batteries sont mieux à même d’équilibrer l’offre et la demande en lien avec les installations éoliennes et solaires, qui fonctionnent sur des niveaux de tension moyens à faibles. Il faut donc s’attendre à une augmentation de la demande en stockage sur batterie, et qu’à terme, celle-ci surpasse même celles des centrales de pompage-turbinage.
Finalement, le développement de la mobilité électrique offre également en lui-même d’importantes possibilités de stockage. En stockant l’énergie lors des pics de production et en la restituant la nuit, ces batteries « embarquées » dans les potentiels millions de véhicules électriques pourraient ainsi jouer un rôle dans la stabilisation du système énergétique.

Un facteur-clé pour l’indépendance énergétique

Comme le rappelle le SCCER dans son Manuel de stockage d’énergie, investir dans des infrastructures de stockage d’énergie est aujourd’hui économiquement rentable. Les technologies de stockage sont soit déjà disponibles sur le marché (encore très largement dominé par le pompage-turbinage), soit commercialisables ou ayant déjà démontré leur viabilité technique et économique. Le développement de la recherche et des applications se poursuit encore pour le traitement rapide des petites quantités d’énergie, en lien avec les énergies renouvelables. Dans cette optique, la Suisse participe au programme de recherche européen Batterie 2030, avec pour but l’amélioration de la longévité et de la densité d’énergie des batteries en lithium-ion classiques afin de réduire l’utilisation de métaux rares.

Comparaison des coûts spécifiques de différentes solutions de stockage d’énergie (source : Bulletin AES 2/2018 : Un stockage local et compétitif de l’énergie)

En Suisse, les dépenses importantes liées à l’importation de pétrole, de gaz et d’uranium, chiffrées actuellement à 12 milliards de francs par an, pourraient ainsi être remplacées, selon les recherches du SCCER de l’EPFZ (Swiss Competence Center for Energy Research). Dans une logique d’économie, de durabilité et d’indépendance énergétique, le développement du stockage d’énergie mérite donc d’être encouragé, et ce à toutes les échelles.

Pour aller plus loin :

 

Mathieu Pochon

Ingénieur environnemental