mobilité

Et si nous avions tous un droit à la prise ?

C’est une nouveauté de cette année, l’association faîtière Swiss eMobility, vigie de l’électromobilité en Suisse, étend désormais ses quartiers en terres romandes. À l’avant-garde de cette quête pour la propulsion électrique, Geoffrey Orlando, expert reconnu en mobilité électrique, prend les rênes en qualité de représentant romand. Bien que l’association soit encore peu connue du grand public, sa mission est au cœur des préoccupations collectives : encourager, promouvoir et faciliter le développement de la mobilité électrique en Suisse. Pour y parvenir, Swiss eMobility vise à éliminer les principaux obstacles qui freinent l’adoption de cette mobilité. Parmi ceux-ci émerge une problématique typiquement helvétique : comment faciliter l’accès à la recharge alors qu’une part considérable de la population vit dans des bâtiments multi-résidentiels locatifs ou en PPE ? Dans ce contexte, Geoffrey Orlando, avec sa nouvelle fonction, contribue activement à l’expansion nationale de l’association. Il est déterminé à faire progresser des éléments-clés pour une transition en douceur vers un avenir électrique.

 

Question : Qu’est-ce qui vous a personnellement attiré vers le domaine de la mobilité électrique et qu’est-ce qui vous motive dans votre rôle actuel ?

G.O. :

C’est son potentiel révolutionnaire pour transformer notre façon de vivre et de nous déplacer, tout en contribuant à la lutte contre le changement climatique. Dans mon rôle actuel chez Swiss eMobility, ce qui me motive chaque jour, c’est la possibilité d’avoir un rôle d’acteur dans cette transformation. Je suis particulièrement enthousiaste à l’idée de résoudre les défis complexes liés à l’adoption de la mobilité électrique en Suisse, notamment en facilitant l’accès à la recharge pour tous.

Question : Pourquoi le besoin pour Swiss eMobility d’ouvrir un bureau en Suisse romande ?

G.O. :

À l’occasion de son dixième anniversaire, Swiss eMobility a inauguré un bureau à Yverdon, dans le Canton de Vaud, pour renforcer sa présence en Suisse romande. Cette démarche vise à se rapprocher du tissu économique local, en particulier des entreprises émergentes dans le domaine de la mobilité électrique. Alors que notre bureau national à Berne œuvre depuis longtemps pour les intérêts de nos membres, nous avons remarqué que les Romands étaient insuffisamment représentés. Le bureau romand comble ce vide en offrant une plateforme d’échange en français, facilitant une implication active dans diverses initiatives, de la définition de nouveaux standards à l’élaboration de propositions politiques. Notre objectif est d’informer et de convaincre tant le grand public que les autorités en Suisse romande.

Quels sont les principaux freins à l’adoption de la mobilité électrique en Suisse ?

G.O. :

La mobilité électrique en Suisse a connu une ascension remarquable : si elle ne représentait que 5% des nouvelles immatriculations il y a quelques années, elle en compte désormais plus de 25% en 2022. Toutefois, cette croissance semble ne pas évoluer autant qu’espéré cette année, malgré une baisse des coûts, une augmentation de l’autonomie des batteries et une diversification des modèles disponibles. Le véritable défi à surmonter pour accélérer cette transition écologique réside dans l’accès aux solutions de recharge, surtout à domicile. En 2021, près de trois quarts des Suisses résidaient dans des logements collectifs, en tant que locataires ou copropriétaires. Pour ces personnes, l’installation d’une borne de recharge chez eux est souvent un casse-tête administratif, dépendant de la bonne volonté des gestionnaires et propriétaires.

Ceux qui franchissent le pas et optent pour un véhicule électrique se retrouvent souvent dans une situation précaire : ils sont contraints de recharger leur véhicule où ils le peuvent, que ce soit au supermarché, à une borne publique de quartier, ou sur leur lieu de travail. Ces électromobilistes sont appelés les « sans bornes fixes », et leur quotidien est loin d’être idéal. Ce mode de vie peu pratique dissuade de nombreux résidents de logements collectifs à passer à l’électrique. C’est d’autant plus regrettable que chaque nouvelle voiture thermique mise en circulation aujourd’hui sera une source d’émission de gaz à effet de serre pendant près de deux décennies ! Agir maintenant devient donc une urgence pour atteindre les objectifs de la Stratégie énergétique de la Suisse, qui vise la neutralité carbone d’ici 2050.

Quel est ce concept de « droit à la prise » et quelles répercussions pourrait-il avoir sur l’évolution et l’acceptation de la mobilité électrique ?

G.O. :

Ce droit est une innovation qui a déjà fait ses preuves chez nos voisins allemands et français. Imaginez un immeuble où un seul locataire (ou copropriétaire) exprime le désir d’avoir une borne de recharge électrique. Ce droit oblige les gestionnaires, propriétaires et autres copropriétaires à considérer cette demande, rendant ainsi impossible tout refus d’installer une infrastructure de recharge dans les parkings communs. Mais attention, cela ne signifie pas nécessairement que la charge financière incombe aux propriétaires ou aux gestionnaires. Ils peuvent tout aussi bien opter pour un modèle de « contracting » (i.e., un contrat de prestation de service), où une entreprise spécialisée investit dans l’infrastructure et en assure l’exploitation. Ces entreprises tirent leur revenu de la vente d’électricité ou d’un système de forfait mensuel. Le « droit à la prise » ouvre donc des horizons pour ces acteurs, leur permettant de déployer leurs solutions de « contracting » et de répondre potentiellement aux besoins des trois quarts des suisses qui vivent dans des logements collectifs. Ce concept est donc une véritable opportunité, en particulier pour les « sans bornes fixes », qui sont souvent laissés sans possibilité de recharge chez eux.

Comment envisagez-vous l’introduction de ce droit en Suisse ?

G.O. :

Swiss eMobility, sous le leadership de son président Jürg Grossen, également Conseiller national et chef du Groupe vert’libéral au Parlement, milite activement pour l’instauration de ce droit à la prise au niveau fédéral. Une motion a été déposée en début d’été au Conseil national et qui a malheureusement reçu un avis défavorable du Conseil fédéral à la fin du mois d’août. Nous gardons espoir que les parlementaires sauront contredire cet avis et appuyer cette initiative cruciale. Les détails du droit à la prise seront affinés une fois qu’il aura franchi les étapes législatives, notamment les votes à l’Assemblée fédérale et au Conseil des États dans les mois à venir.

Doit-on s’inquiéter des conséquences d’un développement si rapide de la mobilité électrique ? Existe-t-il un risque que le réseau électrique ne puisse pas gérer une augmentation aussi soudaine de la demande ?

G.O. :

Nous prévoyons en effet une forte croissance de la mobilité électrique en Suisse, avec l’objectif que d’ici 2035, un véhicule sur deux soit électrique. Cette vitesse de déploiement dépendra en grande partie de la facilité avec laquelle les gens pourront recharger leurs véhicules chez eux. Cependant, cette hausse de la consommation électrique, estimée à environ 10%, ne doit pas être perçue comme un obstacle. Au contraire, elle pourrait se transformer en une réelle opportunité.

Premièrement, l’impact sur notre réseau électrique pourrait être atténué en encourageant la recharge lente, que ce soit à domicile ou sur le lieu de travail. En d’autres termes, si la recharge lente devient une habitude d’usage, il n’y aura pas besoin de surdimensionner l’infrastructure de recharge rapide dans l’espace public, ce qui minimisera les pics de demande de puissance sur le réseau. De plus, la recharge lente permet de favoriser la longévité des batteries.

Deuxièmement, il est crucial que ces stations de recharge lente soient « intelligentes » et programmables. Elles pourraient ainsi charger les véhicules pendant les heures où la production électrique dépasse la consommation et faciliter l’intégration des énergies renouvelables. Ces bornes intelligentes offriraient également l’avantage d’optimiser l’autoconsommation pour les sites équipés de panneaux solaires ou d’éoliennes.

Enfin, considérons que la plupart des véhicules passent environ 95% de leur temps à l’arrêt, leurs batteries pourraient fonctionner comme des unités de stockage d’énergie stationnaires. Grâce à des bornes de recharge bidirectionnelles, ces véhicules pourraient être chargés pendant les pics de production d’énergie renouvelable et déchargés pendant les pics de consommation, agissant comme de véritables outils de régulation du réseau. C’est ce que l’on appelle la technologie V2G, ou « Vehicle-to-Grid ». Ainsi, les véhicules électriques ne seraient pas seulement des moyens de transport, mais aussi des acteurs-clés dans la flexibilité du réseau électrique grâce à une gestion intelligente de l’offre et de la demande.

En bref, loin d’être un risque, la mobilité électrique pourrait bien être une pièce maîtresse de la transition et modernisation de notre réseau électrique.

Quels facteurs considérez-vous comme les incitations-clés pour encourager les individus à opter pour un véhicule électrique plutôt qu’un véhicule thermique ?

G.O. :

Les véhicules électriques offrent de nombreux avantages économiques et pratiques. Nous anticipons qu’ils seront moins coûteux à l’achat que les véhicules thermiques d’ici 2025, et ils sont déjà plus économiques à l’usage, car l’électricité est moins coûteuse que l’essence ou le diesel. L’expérience de conduite est également transformée, avec un moteur silencieux et sans vibrations.

Imaginez un instant votre voiture électrique non pas comme un simple moyen de transport, mais comme une pièce maîtresse dans le puzzle complexe de la transition énergétique. Chaque fois que vous branchez votre véhicule, vous faites plus qu’éviter les émissions de CO2 ; vous devenez un acteur-clé d’un réseau électrique intelligent et résilient. Grâce à des bornes de recharge pilotables, votre voiture peut stocker de l’énergie pendant les pics de production d’énergies renouvelables locales et la redistribuer en période de forte demande. Ainsi, chaque individu contribue, à son échelle, à une gestion intelligente du réseau électrique et à optimiser l’utilisation des ressources énergétiques. Ce n’est pas seulement une question de sobriété ou d’innovation technologique, c’est un impératif pour un avenir plus durable.

 

Marine Cauz

Experte externe

appro

Comment les fournisseurs s’approvisionnent-ils en énergie ?

La hausse brutale des prix de l’énergie l’année dernière a mis en lumière de fortes disparités dans les prix de l’électricité payés par les ménages en Suisse. En 2023, un ménage à Gaiserwald (SG) payera 7 fois plus cher son kWh qu’à Zwischbergen (VS). Avec une consommation moyenne de 4.5 MWh/an, soit celle d’un ménage moyen de 4 personnes, cela représente une différence annuelle de près de 2’260 CHF/an. Mais comment expliquer de telles différences selon sa commune de résidence ?

Le contexte suisse

En Suisse, les tarifs de l’électricité des ménages et petits consommateurs dépendent de la commune de résidence. Cette singularité s’explique par le fait que le marché, contrairement au marché européen, n’est pas libéralisé pour tous ceux qui ont une consommation inférieure à 100 MWh/an, soit 99% des utilisateurs du réseau. Par conséquent, la majorité des consommateurs sont ce qu’on appelle des « clients captifs », ils consomment l’électricité de leur fournisseur d’électricité local, qui a également la charge de la gestion du réseau. Ces fournisseurs, en charge de l’approvisionnement énergétique suisse, sont plus de 600 répartis sur le territoire, dont près de 80% sont la propriété des pouvoirs publics (i.e., cantons et communes) et 70% ne produisent pas d’électricité. On trouve donc parmi ceux-ci de petites structures dont ce n’est pas forcément le cœur de métier d’anticiper les grandes évolutions du marché. Quels qu’ils soient, ces fournisseurs ont deux options pour se procurer l’énergie qui sera ensuite vendue : produire l’électricité eux-mêmes et/ou l’acheter sur le marché de gros.

Production locale

En ces temps de crise, la production propre offre aux fournisseurs une certaine sérénité vis-à-vis des fluctuations des prix du marché. Historiquement ce sont les grands fournisseurs (i.e., Axpo, Alpiq et BKW) qui se partageaient les grandes centrales hydrauliques et nucléaires suisses. Aujourd’hui l’essor des énergies renouvelables, particulièrement décentralisées et de plus petite puissance, offre à l’ensemble des fournisseurs la possibilité de produire leur propre électricité.  Ainsi le groupe bernois BKW dispose d’une centaine de centrales de production et plus de 120 petites installations principalement photovoltaïques et thermiques, réparties dans cinq pays, qui lui permettent de répondre à l’ensemble de ses besoins sur sa zone de desserte. Le prix de l’énergie n’a ainsi pas augmenté pour ses clients en 2023, seul le prix final de l’électricité a légèrement augmenté car il intègre d’autres composants que le prix de l’énergie. Similairement la ville de Lausanne (SiL) et celle de Zurich (EWZ) produisent également respectivement la moitié et deux tiers de leur besoins grâce à leur plan solaire et des partenariats privilégiés avec des producteurs d’énergie (e.g., usine hydraulique de Lavey, collaboration avec Tridel). Leurs clients, comme tous ceux disposant d’un fournisseur également producteur, sont donc peu ou moins impactés par les fluctuations du marché. De son côté, Romande Energie assure environ 40% de ses besoins avec sa production propre, constituée principalement de centrales au fil de l’eau.  L’efficacité de ces dernières a été mise à mal ces derniers temps en raison de la sècheresse, mais l’entreprise diversifie ses productions avec une centaine de parcs solaires, deux centrales biomasse et deux parcs éoliens.

Marché de gros

Pour garantir l’approvisionnement énergétique et ainsi compléter la production propre, l’électricité peut être achetée sur des marchés de gros. Ces marchés rassemblent des producteurs, des fournisseurs, des grands consommateurs industriels ou des négociants en énergie. Comme son nom l’indique, les transactions s’y font à grande échelle avec des volumes importants d’énergie au niveau européen.  Au sein de ces bourses européennes de l’électricité, les prix sont déterminés par l’offre et la demande, en fonction de différents facteurs tels que les conditions météorologiques, les niveaux de production et de consommation d’électricité, et les contraintes de transmission du réseau. Le prix est in fine fixé en fonction du dernier MWh nécessaire pour équilibrer consommation et production, selon le principe du « merit order ». Selon ce principe, les unités de production sont sollicitées par ordre de coûts croissants jusqu’à ce que la production et la consommation s’équilibrent.  Lors de périodes de forte demande, ce sont donc les unités aux coûts marginaux les plus élevés, typiquement les énergies fossiles comme le gaz, qui déterminent le prix de l’électricité.

Ces marchés se distinguent par le type de produit qu’on y vend ou achète (e.g., un approvisionnement de base qui concerne tous les heures et jours de la semaine, ou de pointe, qui concerne les périodes de 8h à 20h du lundi au vendredi) et la temporalité. Ainsi pour du long terme, on visera plutôt la bourse EEX,  il s’agit alors de contrats annuels, trimestriels ou mensuels. Pour du court terme, la bourse EPEX permet de négocier des contrats day-ahead (pour le lendemain) ou intra-day (en cours de journée). En général, les fournisseurs d’énergie en Suisse sécurisent une partie de leur approvisionnement en achetant des contrats de fourniture à long terme et puis ajustent en fonction des besoins réels. Cette stratégie d’achat, laissée au libre choix du fournisseur, explique également les différences de tarif d’une commune à l’autre.

Perspectives

Aujourd’hui, l’approvisionnement énergétique national dépend de ces échanges avec les pays européens. Les 41 lignes transfrontalières à haute tension permettent ainsi d’exporter l’électricité excédentaire en été et d’en importer en hiver lorsque la production indigène est insuffisante. Cependant, la Suisse ne fait pas partie de l’Union européenne et la libéralisation complète du marché de l’électricité n’est plus à l’ordre du jour. La crise énergétique traversée l’année dernière a définitivement enterré ce projet.  Cela complique les relations et les échanges avec les pays européens. Par conséquent, l’objectif pour sécuriser cet approvisionnement énergétique est d’assurer à l’avenir une production indigène sûre reposant sur les énergies renouvelables, été comme hiver. En ce sens, la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil des États (CEATE-E) a mis en place un paquet de mesures visant un développement rapide des énergies renouvelables en leur donnant priorité sur d’autres intérêts, telles que les prescriptions environnementales. Par exemple, en soutenant la construction de grandes installations photovoltaïques dans les Alpes en subventionnant 60% des coûts d’investissement. En agissant de la sorte, les politiques souhaitent d’une part garantir la sécurité de l’approvisionnement énergétique en hiver, mais aussi disposer d’une production électrique indigène qui permet de mieux contrôler les prix.

La météo clémente de cet hiver a légèrement détendu les marchés de l’électricité, mais les prix de gros au niveau européen, privés de gaz russe, restent élevés et la Commission fédérale de l’électricité (Elcom) s’attend à une nouvelle hausse des prix en 2024. Tant que la Suisse dépend de ses voisins pour son approvisionnement énergétique et que seule une partie des fournisseurs disposent d’une production propre, des différences subsisteront entre les communes, dépendants ou non des prix de gros européens.  De plus, le pays s’expose à un risque de pénurie hivernale en raison de son isolement sur la scène européenne. Garantir un approvisionnement 100% indigène et renouvelable est le grand défi de ces prochaines années.

 

Marine Cauz

Experte externe

entreprise

Tout savoir sur le programme de rétribution des économies d’énergie

Lancé par la Direction générale de lenvironnement (DGE), le programme de Rétribution des Économies dEnergie (REE) permet de soutenir les entreprises dans la réalisation de projets porteurs d’un point de vue énergétique. On fait le point avec Bryan Grangier, Product Manager chez Romande Energie.

Grandes consommatrices d’énergie, les entreprises ont forcément un rôle majeur à jouer dans le cadre de la transition énergétique. Pour favoriser leur engagement et leur implication dans cette voie, le programme REE entend soutenir les projets énergétiques entrepris par les acteurs économiques en-dehors des obligations légales. En gros, agir en tant qu’accélérateur pour permettre aux entreprises souhaitant aller plus loin que les mesures obligatoires prévues par la loi de bénéficier d’un soutien financier pour concrétiser leur projet. Un coup de boost énergétique proposé par la Direction générale de l’environnement (DGE) visant en priorité les projets d’économies d’énergie thermique.

Ciblant les acteurs du tissu économique vaudois, le programme REE s’adresse aux entreprises dont le projet ne bénéficie pas encore d’autres mesures d’aide ou de subventions. Un seul projet par entreprise peut être proposé, ce dernier ne devant pas découler d’obligations prévues par le cadre légal. Chaque projet peut en outre bénéficier d’un soutien maximum de 100’000 francs. Installation de système de récupération de chaleur, distribution thermique par panneaux rayonnants, production de froid par free-cooling, remplacement de moteur électrique ou encore mise en place de variateur de fréquence constituent autant de types de projets pouvant être proposés et soutenus dans le cadre du programme REE.

Aller plus loin

Initié il y a quelques années, ce programme constitue un signal d’encouragement fort à destination des acteurs du tissu économique vaudois. L’objectif principal consiste à donner un coup de pouce financier et technique aux entreprises voulant mettre en œuvre des bonnes pratiques énergétiques. Pour Bryan Grangier, Product Manager chez Romande Énergie, la démarche a du sens et mérite un coup de projecteur plus soutenu.

« Les entreprises sont encore relativement peu au courant de l’existence de ce programme. De notre côté, nous nous impliquons pour le promouvoir au mieux auprès de nos clients afin de les encourager à y prendre part. S’il est certain que le fait d’entreprendre ce type de projets représente un certain investissement de la part de l’entreprise, la démarche permet cependant de bénéficier d’économies significatives en améliorant son efficience énergétique sur le long terme. Dans le cadre des projets que nous avons suivis, nous sommes par exemple parvenus à faire économiser environ 150’000 kWh par année à une entreprise active dans l’industrie du papier en installant dans ses locaux un système de free-cooling. L’opération a ainsi permis à cette entreprise de réduire ses coûts opérationnels de 30’000 francs par an et de réaliser des économies d’énergie de 20’000 francs chaque année. »

Appel à projets

Pensé par le Canton sur le fonctionnement d’un appel à projets, le programme REE entend allouer les fonds dont il dispose aux projets les plus réalistes et performants, soit ceux qui permettent d’économiser le plus de kWh pour l’investissement le plus bas. Pour cette édition 2023, le programme de subventions comprend une enveloppe budgétaire totale d’un million de francs. Par projet, le taux maximum d’aide financière s’élève à 50%.

Outre les projets visant à économiser l’énergie thermique, ceux permettant de réaliser des économies d’électricité sont aussi admissibles. En plus des entreprises, mentionnons encore que les organismes publics tels que les infrastructures communales ou intercommunales – dont les STEP ou encore les stations de pompage – sont aussi concernées par la mesure.

Bilan encourageant

Si le programme REE reste encore à promouvoir plus activement auprès des entreprises pour favoriser son déploiement à plus large échelle, les données actuelles démontrent tout de même un impact significatif engendré par la démarche. Depuis 2016, année durant laquelle le canton lançait le programme, une soixantaine de projets ont déjà pu être concrétisés auprès des acteurs économiques vaudois. Au total, ces projets représentent des économies d’énergie s’élevant à 3,5 GWh/an, l’équivalent de la consommation d’un millier de ménages. En termes de combustibles, les économies générées correspondent à 1,8 million de litres de mazout, soit 5580 tonnes de CO2 par année.

Site web et dates-clés à retenir : 

  • Site du canton pour le programme REE
  • Délai de remise du formulaire d’éligibilité REE-2023 : 31 mai 2023
  • Phase 2, dépôt du projet définitif : 29 septembre 2023
  • Phase 3, démarrage de la réalisation : 31 octobre 2023

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

data

« La data sert aussi à réduire la consommation d’énergie »

Dans un contexte où la transition énergétique est devenue un enjeu majeur, les entreprises du secteur de l’énergie cherchent des solutions pour répondre aux défis qui se posent à elles. L’utilisation des données est l’un des leviers. Nils Rinaldi, responsable des activités d’analyse et de science des données chez Romande Energie, explique en quoi consiste son métier et comment la collecte et l’analyse de données permettent d’optimiser les réseaux électriques et de réduire la consommation d’énergie.

 

 

Tout d’abord, pourriez-vous préciser ce qu’est la data ?

La data est une expression courante qui désigne les données numériques stockées sous forme électronique dans des bases de données et qui peuvent être traitées par des ordinateurs. Mais il faut démystifier le monde de la data, parce que la compréhension de l’utilité des données est à la portée de tout le monde. Quand une entreprise réalise un bilan chiffré par exemple, il s’agit déjà d’un rapport basé sur des données. En fait, beaucoup en stockent depuis des années, mais ne les utilisent qu’à des fins opérationnelles.

 

Vous êtes responsable de la l’équipe data chez Romande Energie. Quel est le rôle de votre service ?

Notre récoltons, analysons et valorisons les données par le biais d’analyses descriptives (soit basées sur le passé), ou pour formuler des scénarios prescriptifs (recommandations et actions). On tente d’anticiper au maximum les besoins à venir, ce qui nous permet par exemple de dimensionner le réseau électrique au plus juste en fonction des prévisions de consommation, d’optimiser le fonctionnement de turbines de production ou de gérer les réserves hydrauliques, notamment durant la période hivernale. Il y a un outil qui nous aide à poser des analyses plus avancées, c’est le machine learning (apprentissage automatique, ndlr) : en se basant sur un modèle d’apprentissage, il est possible d’estimer ce qui va se passer dans quelques mois, et donc d’entreprendre des actions en conséquence. Mais on a besoin pour cela d’un grand volume de données.

En parallèle, nous passons également beaucoup de temps à écouter le métier, par exemple nos collègues qui exploitent et planifient le réseau, ou encore ceux qui négocient ou achètent l’énergie. Le but est de comprendre leurs besoins, afin de leur fournir les chiffres nécessaires à piloter au mieux leurs activités. Alors on récolte et on nettoie les données erronées ou de mauvaise qualité, puis on les normalise afin qu’elles puissent être exploitables dans un tableau de bord, tel un cockpit d’avion qui nous permet de nous guider, même en période de turbulences.

 

Qu’est-ce que ces analyses de données apportent aux clients de Romande Energie ?

On aide par exemple les grands consommateurs à analyser leur situation en interprétant leurs données. On les accompagne également dans la réduction de leur consommation. Pour les clients individuels, on déploie actuellement des compteurs intelligents dans les habitations qui enregistrent des mesures de consommation à une granularité de 15 minutes. Et pourquoi un enregistrement au quart d’heure ? Pour dimensionner notre réseau au plus près des besoins. Aujourd’hui, on réfléchit par exemple en termes de sécurité, alors on prévoit le pire et on dimensionne le réseau (p.ex. la taille d’un câble de cuivre) au maximum. Mais on pourrait être plus fin et précis : ce câble pourrait être finalement moins gros et ainsi plus économe. Les compteurs intelligents sont des mines d’or. Ils permettent notamment aux clients de voir rapidement leurs efforts d’économie sur leur consommation.

La Confédération a estimé dans une étude datant de 2012 que le déploiement des compteurs intelligents serait rentable, via des avantages économiques estimés entre 1.5 et 2.5 milliards de CHF, principalement découlant d’économies d’électricité chez les clients finaux. Une meilleure visibilité de la consommation électrique permet une meilleure maîtrise des coûts induits.

La data ne sert pas forcément à vendre plus de produits, elle est aussi là pour nous aider à réduire la consommation d’énergie.

 

Et comment intégrez-vous la question de la protection de la vie privée, dans cette démarche qui vise à récolter des données sur les habitudes de consommation de la population ?

Les données de consommation sont évidemment nécessaires pour la cellule de facturation, mais uniquement dans une version agrégée : il leur est possible de voir la somme de la consommation sur une certaine période et facturer en fonction, c’est tout.

En outre, la loi ne nous permet pas de consulter les données des compteurs intelligents en temps réel : les données de mesure enregistrées par quart d’heure ne sont rapatriées en central dans nos serveurs qu’une seule fois par jour, ce qui renforce la confidentialité des données.

Pour les autres traitements hors facturation, nous mettons en place un découpage entre le client et le compteur intelligent : on ne connaît pas la consommation de telle ou telle maison. Les données nous permettent néanmoins de comprendre le niveau de charge agrégé à un niveau plus haut du réseau (station de transformation par exemple).  Il faut une gouvernance de données qui soit forte. Mais nous avons besoins de ces datas : avant, la consommation était linéaire et anticipable. Aujourd’hui, avec le déploiement des panneaux solaires, la production s’est décentralisée, et l’avènement des voitures électriques ou des pompes à chaleur rend l’estimation de la consommation plus complexe.

 

Donc, heureusement que la data est là pour nous aider à relever les défis énergétiques ?

Il est certain que les data sont des aides précieuses. Mais il faut aussi rappeler qu’il existe une mesure rapide et efficace pour faire baisser notre consommation, c’est viser plus de sobriété dans nos comportements.

 

Vous avez rejoint le monde de l’énergie il y a à peine trois ans. Qu’est-ce qui vous a surpris en intégrant ce secteur ?

Qu’on soit autant dépendant du reste du monde ! On croit que la Suisse est énergétiquement autosuffisante, mais nous avons un grand déficit hivernal. La situation géopolitique a mis en lumière cette forte interdépendance avec l’Europe. J’ai aussi découvert l’égoïsme, ainsi que la disparité de politique énergétique des différents pays, notamment européens. J’ai été surpris de cette collaboration difficile, alors qu’il est important d’être solidaires pour amortir les chocs liés au conflit en Ukraine, ou les récentes maintenances prolongées d’une partie du parc nucléaire français.

 

Quels conseils donneriez-vous à qui souhaite se lancer dans ce métier d’analyses de données et quelles qualités sont recherchées pour ce domaine ?

Le métier d’ingénieur data ou de data scientist est relativement nouveau. À l’époque où j’ai fait mes études à l’EPFL, la filière n’existait pas encore. Il y a aujourd’hui des formations plus spécifiques et les passerelles entre les écoles sont possibles, ce qui permet à des profils très différents de rejoindre le monde de l’analyse et la science des données. L’industrie de l’énergie devient de plus en plus friande de ces profils. Ceux que l’on trouve sur le marché ont généralement une formation en ingénierie électrique ou en science des données. Mais nous avons de la peine à trouver des candidats pour les postes liés à la data dans l’énergie.

Quant aux qualités requises ? Nous aimons que les nouveaux collaborateurs aient une curiosité pour le métier. Si les compétences techniques spécifiques data sont nécessaires, il est important de savoir ce qu’est un kilowattheure ou d’être curieux à propos des problématiques métiers. Les clients de l’énergie sont avant tout celles et ceux qui travaillent au quotidien avec l’énergie, et le plus important pour nous est que ces données leur soient utiles.

 

Joëlle Loretan

Rédactrice

Biocity : la ville comme une forêt ?

Concentrant une majorité croissante de la population mondiale, les villes sont au cœur des problématiques soulevées par les défis bioclimatiques et énergétiques actuels. Pour garantir leur habitabilité et limiter leur empreinte, elles sont appelées à se transformer en profondeur. Le concept de la « Biocity » propose une nouvelle vision d’avenir holistique inspirée par la forêt.

Un agenda de recherche pour la Biocity

Dans la visée des objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU, de nombreuses initiatives ont déjà été lancées sur différents thèmes pour repenser la ville : Smart City, Biophilic Cities, Carbon Neutral Cities Alliance, etc. Le concept de Biocity (ou Bio-based city) fait le pari d’apporter une vision foncièrement holistique et systémique, permettant de réunir les idées fortes d’autres initiatives à travers le prisme d’une ville basée sur le vivant, et plus spécifiquement inspirée de la forêt.

Cette nouvelle vision a été lancée en 2020 par l’Institut Européen des Forêts (European Forest Institute, EFI), avec un appel à contributions débouchant sur un double projet mené avec des groupements de recherche parallèles. Le premier, basé en Italie, achève de publier un « Green Book of Biocities » sous la forme d’un manifeste intitulé « Transforming Biocities. Designing Urban Spaces Inspired by Nature » (à paraître en anglais chez Springer Link en juin 2023). Le second groupe, réunissant sept partenaires internationaux dont la Haute école spécialisée de Berne et l’institut WSL, a établi un agenda de recherche sur les recettes pour les « Biocities ». Celui-ci est pensé comme le document fondateur pour des recherches et pour les initiatives ultérieures qui seront entreprises par l’EFI via sa nouvelle « Biocities Facility » lancée en 2022 à Rome.

La Biocity en 10 principes

La définition de la Biocity proposée dans l’agenda de recherche se décline en 10 principes de base, orientés selon des perspectives différentes. Leur formulation vise à donner une idée de ce à quoi une future Biocity devrait ressembler, et comment elle devrait fonctionner. Chaque principe se base sur des éléments-clés issus de la recherche dans les champs associés.

1. La Biocity comme une forêt
2. La Biocity auto-suffisante
3. La Biocity multi-échelle
4. La Biocity vivante et en santé
5. La Biocity de la bioéconomie circulaire
6. La Biocity de la faible mobilité connectée
7. La Biocity équilibrée entre urbain et rural
8. La Biocity de la culture locale
9. La Biocity intemporelle
10. La Biocity universelle

1. La Biocity en tant que forêt
La Biocity ne produit pas d’émissions nettes de dioxyde de carbone (CO2) et d’autres gaz à effet de serre (GES), mais plutôt une absorption nette, à l’instar d’un écosystème forestier (Harris et al. 2021). La Biocity interagit intentionnellement avec les arbres et les forêts à l’intérieur et à l’extérieur du périmètre urbain pour bénéficier des biens et des services qu’ils fournissent de manièr durable, à la fois pendant leur vie et lorsqu’ils sont incorporés dans les matériaux de construction.

2. La Biocity autosuffisante
La Biocity produit localement les ressources dérivées dont elle a besoin pour son fonctionnement. Elle produit de l’énergie grâce à ses propres systèmes renouvelables, extrait l’eau de ses propres bassins ou sous-sols naturels et cultive de la nourriture et de la biomasse (dans la Biocity ou la Biorégion associée) pour sa propre population (Guallart 2014).

3. La Biocity multi-échelle
La Biocity doit être organisée de manière à ce que chacun de ses niveaux, du sous-sol au sol, du bâtiment principal aux toits, puisse développer différentes fonctions qui se renforcent mutuellement et fournir des ressources en utilisant des éléments d’infrastructures vertes, bleues, brunes et grises pour desservir la Biocity dans son ensemble (Silva et al. 2020).

4. La Biocity vivante et en santé
La Biocity n’est pas seulement un ensemble d’établissements humains, mais les gens font partie d’un écosystème. Étant donné que les Biocities sont nécessairement des zones urbaines qui favorisent un large spectre de vie (bios), le bien-être humain et la biodiversité sont favorisés par les mêmes stratégies multi-scalaires comme dans les écosystèmes naturels. Pour ce faire, la biodiversité est utilisée pour faciliter la fourniture de services écosystémiques (SSE) (Brockerhart). (Brockerhoff et al. 2017).

5. La Biocity de la bioéconomie circulaire
Les bioéconomies circulaires et évolutives font de la Biocité un système vivant et régénérateur, doté d’approches de gouvernance dynamiques qui renforcent les hiérarchies d’activités interconnectées. Celles-ci sont en constante réinvention et génèrent de nombreuses opportunités d’emploi grâce à l’utilisation et au développement de matériaux locaux biosourcés et recyclés pour fabriquer, entretenir et améliorer les produits nécessaires au bon fonctionnement de la Biocity (Silliman et Angelini 2012).

6. La Biocity connectée à faible mobilité
La Biocity à faible mobilité favorise les changements d’habitudes de sa population. Grâce à la réorganisation fonctionnelle d’une zone urbaine, tous les services de base nécessaires à la vie sont rendus facilement accessibles dans un rayon de 15 minutes à pied ou à vélo (Moreno et al. 2021). La Biocity connectée permet aux individus d’échanger des biens et des informations et permet à la société de fonctionner, de circuler et de progresser ensemble de la manière la plus durable, la plus efficace et la plus efficiente possible. (Simard et al. 2012).

7. La Biocity équilibrée entre urbain et rural
Des frontières douces, floues, graduées, fluides et réciproques entre des écosystèmes naturels distincts (écotones) optimisent la santé et la fonction. De même, des symbioses et des dialogues impartiaux entre la biocité urbaine et la biorégion rurale correspondante permettent aux systèmes urbains de travailler en harmonie avec les systèmes naturels de leurs environnements territoriaux. Cet équilibre alimente donc les économies urbaines et rurales, grâce à la croissance de chaînes de valeur biosourcées régionales florissantes (Yahner 1988).

8. La Biocity de la culture locale
La Biocity est non seulement adaptée au climat et à l’environnement locaux, mais elle promeut également une identité matérielle, culturelle et sociale fondée sur son histoire et ses traditions locales uniques, grâce à des échanges continus avec le reste du monde par l’intermédiaire de réseaux physiques et d’information. Grâce à un écosystème de gouvernance intégré comprenant un processus décisionnel ascendant et descendant avec des droits communaux, les résidents locaux et les communautés s’engagent de manière proactive dans l’autodétermination des réalités et des réseaux d’influence de leur Biocity.

9. La Biocity intemporelle
Dans une Biocity mature, les espaces bleus urbains accessibles au public et la nature verdoyante (sous forme de forêts, de prairies, etc.) offrent des opportunités de vie à une population diversifiée de citoyens. Ces lieux publics et accessibles offrent des espaces démocratiques conformes aux perceptions de justice de toutes les parties prenantes concernées et aux normes mondialement acceptées en matière de droits de l’homme. Ce faisant, ils perpétuent la valeur du patrimoine humain et naturel passé et garantissent les infrastructures qui seront nécessaires pour relever les défis de demain.

10. La Biocity universelle
Au sein de la Biocity, la priorité est donnée à la biodiversité, non seulement pour abriter une variété d’espèces, mais aussi pour maximiser l’accessibilité à tous les citoyens, quels que soient leurs capacités, leur âge, leur race, leur appartenance ethnique, leur religion, leur profession, leur sexe, leurs revenus ou leur niveau d’éducation, tout en limitant les déplacements forcés dus à l’embourgeoisement. L’implication des citoyens est naturelle à tous les niveaux. En fin de compte, la Biocity universelle éliminera les inégalités et les injustices environnementales systémiques et structurelles.

Les 10 principes de la Biocity (traduit de l’anglais par l’auteur)

 

Jerylee Wilkes-Allemann, chercheuse à la Haute école spécialisée bernoise et autrice principale de l’agenda de recherche, reconnaît que les principes sont très nombreux et pour certains presque utopiques. Pour elle, les villes devraient intégrer au moins une partie de ces principes pour devenir des Biocities. L’idée est surtout d’aider à forger une vision d’ensemble, et de stimuler la réflexion.

Le premier principe, la « Biocity comme une forêt » est particulièrement évocateur de cette vision inspirée de la nature. Pour Jerylee Wilkes-Allemann, les arbres et les forêts urbaines doivent être considérés comme la colonne vertébrale de la ville. Leurs apports concrets sont nombreux et interconnectés. On peut citer notamment le stockage de carbone, la réduction de l’effet d’îlot de chaleur, le renforcement de la biodiversité, l’amélioration de la qualité de l’air, la promotion de la santé publique, l’encouragement de l’activité physique et la réduction des coûts de santé. Sur ce dernier point, des revues sur les études récentes ont confirmé les effets positifs des arbres et des forêts sur la santé physique et mentale (Nilsson et al., 2019). Une étude de 2015 a aussi montré que la nature urbaine contribue à la cohésion sociale et à une baisse de la criminalité (Wettstein et al., 2015).

La forêt inspire aussi la vision générale sur d’autres aspects connexes. Pensée comme un écosystème, la ville devrait chercher à équilibrer ses flux et les interactions systémiques en son sein, pour se renouveler constamment (principe 2). Dans l’idée d’une transition vers une bioéconomie circulaire (principe 5), les forêts deviennent par exemple aussi une source de bois pour la construction et la production énergétique locale.

 

La Biocity est-elle déjà une réalité ?

La Biocity s’ancre dans une vision résolument transversale et multithématique. L’agenda de recherche identifie cinq grands champs thématiques à explorer : biodiversité, environnement humain et social, gouvernance, résilience climatique et bioéconomie circulaire.

 

schema-biocity

Champs de recherche utilisés pour développer l’agenda de recherche de la Biocity

 

Bien que de nombreuses villes s’engagent maintenant concrètement sur ces thématiques, cela n’en fait pas encore des Biocities, comme l’explique Jerylee Wilkes-Allemann. Malgré leur ambition, les approches déjà déployées sont encore souvent sectorielles ou dédiées à des thématiques particulières, sans une réelle vision intégrée comme le prône la Biocity.

Dans le domaine de la « reforestation urbaine », les villes romandes comme Genève ou Lausanne se sont déjà dotées d’outils concrets comme les plans climats et plans canopée ambitieux. Ces deux villes se sont notamment lancées dans de grands programmes d’arborisation, et Genève a aussi récemment réalisé des mini-forêts (plantations très denses d’arbres de différentes essences indigènes) et des pépinières urbaines.

Ces initiatives sont salutaires mais Jerylee Wilkes-Allemann rappelle que la Biocity demande une vision plus large, et surtout une collaboration plus étroite entre les acteurs et services concernés. En Suisse, lors de la création d’un nouveau quartier, il est encore rare qu’une coordination se fasse avec les services en charge de la foresterie urbaine. De plus, la valeur des espaces de nature est encore insuffisamment considérée par rapport au bâti. Quand des surfaces libres sont à vendre, la réalisation d’un parc devrait être réellement attrayante en termes de rentabilité, en raison des nombreux services écosystémiques et des effets positifs évoqués précédemment (notamment la réduction des coûts de la santé, la baisse de la criminalité, etc.).

 

Perspectives en Europe et en Suisse

L’agenda de recherche européen de l’EFI a identifié de nombreuses questions dans lesquelles la recherche doit encore être poussée, et ce de la recherche fondamentale à des aspects opérationnels touchant aux stratégies, aux politiques publiques et à la participation citoyenne. Des projets de mise en œuvre devraient bientôt émerger en partenariat avec des villes européennes, et peut-être en Suisse également. Des exemples de bonnes pratiques seront aussi documentés et communiqués pour inspirer d’autres villes.

Le réseau suisse pour la foresterie urbaine ArboCityNet que dirige Jerylee Wilkes-Allemann est déjà actif pour rapprocher les acteurs concernés par la thématique. Des rencontres, des échanges d’expériences dans le secteur professionnel sont proposés, ainsi que des formations sur la foresterie urbaine, un nouveau champ prometteur pour la transformation des villes vers la Biocity.

 

Mathieu Pochon

Ingénieur environnemental

 

Pour aller plus loin :

calculateur

Calculateurs d’empreinte écologique : lesquels choisir et pourquoi ?

En ligne, différents sites proposent de calculer son empreinte carbone. Alimentation, mode de vie ou encore mobilité, les paramètres pouvant être pris en compte varient. Nous vous proposons un petit tour d’horizon des calculateurs disponibles et de leur pertinence selon vos préoccupations durables.

Dans le contexte environnemental actuel, il vous est certainement déjà venu à l’esprit de vouloir connaître votre empreinte écologique. Pour ce faire, de nombreux sites et organismes proposent des outils en ligne pour évaluer son impact environnemental, dont son empreinte carbone. Basés sur des questionnaires et prenant en compte des critères variés, ces calculateurs s’adressent aux particuliers comme aux entreprises, en ciblant des comportements et modes de vie différents.

Quels sont les critères sur lesquels ces outils se basent ? Quelle est leur pertinence selon ce que l’on souhaite identifier en termes d’impact environnemental ? Et vers quels calculateurs s’orienter en tant que particulier ou entreprise en fonction de ses objectifs ? On fait le point.

Empreinte carbone et écologique, quelle différence ?

Avant de nous intéresser de près aux différents calculateurs de référence disponibles en Suisse, arrêtons-nous un instant sur une distinction clé pour comprendre les résultats fournis par ces plateformes en ligne. Celle de l’impact carbone et de l’impact écologique (ou environnemental).

De manière générale, de nombreux indicateurs peuvent être pris en compte lorsqu’il s’agit d’identifier et quantifier des enjeux environnementaux. Parmi ces indications, on en retrouve deux principales. L’empreinte carbone fait référence à l’impact de son mode de vie en termes d’émissions de CO2. Une valeur claire, aisément comparable aux émissions de gaz à effet de serre des acteurs économiques et industriels les plus problématiques d’un point de vue environnemental. Autre indication généralement utilisée, l’empreinte écologique. Contrairement à l’empreinte carbone, qui donne une information en termes d’impact d’une pratique donnée sur les changements climatiques, l’empreinte écologique fournit une information en termes de disponibilité des ressources. Dans l’analyse de résultats fournis par un calculateur, cette notion sera par exemple retranscrite en nombre de planètes nécessaires – comprendre les ressources disponibles sur la Terre pour supporter – le mode de vie identifié et quantifié lors de l’évaluation, si la population mondiale vivait de la sorte.

Dans tous les cas, quel que soit le système de valeurs proposé pour comprendre l’impact de son mode de vie sur la planète, l’idée consiste à chaque fois à donner des indicateurs compréhensibles. Ce qui explique que, dans la majorité des tests disponibles via les calculateurs en ligne, les résultats chiffrés sont quasiment toujours accompagnés d’explications comparatives avec des moyennes nationales, internationales et idéales pour enrayer le changement climatique, en se basant par exemple sur les objectifs principaux de l’Accord de Paris, afin de pouvoir se situer de manière concrète et parlante. Un effort didactique soigné chez la plupart des organisations proposant ces calculateurs qui se traduit aussi par des représentations de valeurs en objets (en convertissant par exemple la dépense calorique liée à une expédition réalisée à cheval en nombre de bottes de foin). De quoi s’y retrouver et permettre au grand public de pouvoir naviguer clairement entre ces tests, leurs résultats et leurs recommandations pour contribuer à sauvegarder la planète et ses précieuses ressources.

WWF, le calculateur individuel complet

En Suisse, parmi les calculateurs les plus connus, on trouve bien sûr celui proposé par le WWF. Alimentation, mobilité ou encore habitat mais aussi habitudes de consommation et loisirs constituent autant de paramètres passés en revue au fil des 38 questions du test. Tout au long de l’évaluation, un indicateur d’empreinte écologique nous informe sur ce que chaque réponse au questionnaire représente en termes d’impact CO2 annuel. Une donnée qui, pour être plus parlante, est également traduite en nombre de sacs poubelle de 35 litres que cela représente au quotidien. Selon ses bonnes pratiques, le calculateur met aussi ces quantités à jour en les réduisant, par exemple si l’on consomme des produits bio ou si l’on gaspille très peu de denrées alimentaires.

Pensé de manière très réaliste, le choix offert dans les réponses permet véritablement de fournir des indications fiables quant à ses habitudes de vie, sans pour autant devoir connaître de manière hyper détaillée et technique tous les aspects y étant liés. Une fois arrivé au terme du test, le calculateur donne un résultat en équivalent CO2 par année, comparé à la moyenne nationale et mondiale. Enfin, pour réellement impacter l’utilisateur, le système fournit aussi une indication quant au nombre de planètes nécessaires – en termes de ressources – si l’ensemble de la population mondiale avait la même empreinte. Une évaluation détaillée à télécharger est également proposée à l’utilisateur au terme du questionnaire.

myclimate, l’évaluation individuelle rapide et incitative

Proposé en ligne par myclimate, le calculateur de la fondation propose un rapide survol en huit points sur ses habitudes alimentaires, de déplacement et de loisirs, sans oublier des aspects liés à son habitat. Relativement limité dans le choix des réponses, le système propose ensuite un résultat sous forme d’émissions de carbone annuelles. Une distinction permet d’identifier son empreinte par segment : mobilité, consommation, habitat et services publics.

Avec un comparateur indiquant l’empreinte moyenne par habitant à l’échelle européenne et celle qu’il ne faudrait pas dépasser pour enrayer le changement climatique, le calculateur incite par ailleurs à passer à l’action en « assumant la responsabilité de ses émissions de CO» en soutenant financièrement des projets de protection climatique dans des pays en développement et émergents ou en Suisse.

Swiss Climate, le calculateur par catégorie adapté aussi aux petites entreprises

Du côté de Swiss Climate, le calculateur en ligne proposé cible autant les particuliers que les petites entreprises. Le système comprend une évaluation rapide et sommaire sur les thématiques qui suivent : habitat et énergie, mobilité, alimentation, consommation. À l’issue du test, les résultats sont donnés en émissions de CO2  par année avec un comparateur lié à la moyenne suisse ainsi que la valeur théorique idéale par personne en 2030 et 2050. Ces valeurs théoriques idéales sont calculées de manière à réduire les émissions globales de CO₂ dans l’optique d’atteindre l’objectif climatique de l’Accord de Paris. Pour rappel, cet objectif consiste à limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C ou 2°C au maximum par rapport à la période préindustrielle. Pour l’atteindre, il convient de diminuer les émissions de 2,9 t de CO₂ (2030) ou de 1,5 t de CO₂ (2050) par année et par personne.

Chez Swiss Climate, le calculateur élaboré propose en outre des tests supplémentaires par thème. Voyages en avion, événements et petites entreprises constituent autant d’entrées possibles pour identifier de manière précise et détaillée l’impact environnemental d’un déplacement par avion, d’un événement corporate ou encore du fonctionnement de sa société. Au terme des tests, le calculateur prévoit par ailleurs différentes mesures de réduction permettant à tout un chacun d’en savoir plus sur les causes principales de son empreinte écologique tout en apprenant comment diminuer son impact sur des points précis. Une véritable mine d’informations permettant de sensibiliser et d’éduquer le grand public de manière impactante. Enfin, mentionnons encore que Swiss Climate propose aussi de participer financièrement à des projets de compensation de ses émissions de CO₂ en Suisse et à l’international.

Mobility-Impact, limpact des trajets sur le climat

Mis au point par le portail d’informations energie-environnement.ch, développé par les services de l’énergie et de l’environnement des cantons de Berne, Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel, Valais et Vaud, le calculateur Mobility-Impact se focalise sur la mobilité. Voyage d’un point A à un point B ou encore expédition internationale par étapes peuvent être calculés et comparés en fonction des différents modes de transport sélectionnés.

Nombre de litres de kérosène utilisés pour un voyage en avion, volume de CO₂ généré par personne ou encore nombre de kilocalories nécessaires dans le cas où l’on planifierait par exemple une expédition à cheval, à vélo ou à pied représentent autant de données et indications accessibles via le calculateur. Un système des plus complets qui allie volet informatif et côté ludique, avec à chaque fois des valeurs et mesures comparatives claires, en transposant les indications chiffrées en objets et équivalents compréhensibles.

TCS, les automobiles scrutées écologiquement

Pour rester dans la problématique de la mobilité, notons aussi que le TCS propose depuis quelques années déjà un comparateur de modèles permettant d’évaluer différentes voitures entre elles. Données techniques, coûts d’exploitation et bilans climatiques figurent ainsi parmi les paramètres scrutés par le système pour donner ses résultats.

Le système permet ainsi d’obtenir un comparatif détaillé en mettant en compétition les modèles de quasiment toutes les marques. Après les détails des résultats techniques, chaque modèle est labellisé avec son étiquette-énergie – notation comprise entre A, meilleure performance énergétique, et G, moins bonne performance énergétique.

Enfin, mentionnons encore le fait que ces calculateurs sont surtout à considérer comme étant un moyen ludique et pratique de connaître son point de départ en termes d’empreinte écologique, afin de pouvoir ensuite identifier quels sont les domaines dans lesquels on peut facilement agir. Une progression à faire par petits pas, sans devoir forcément changer son mode de vie de manière radicale. À vous de jouer !

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

effet rebond

L’effet rebond: ou comment le gain d’efficacité énergétique peut cacher une surconsommation

La notion d’effet rebond n’est pas nouvelle. Cependant, celle-ci peine à trouver une application concrète en matière de planification énergétique. Aussi, elle mérite de sortir des sphères académiques, non sans être d’abord quelque peu nuancée. Rappels théoriques avant les compléments apportés par Stefanie Schwab, ingénieure architecte SIA, et François Vuille, actuel directeur de la Direction de l’énergie (DIREN) et futur délégué cantonal à la transition énergétique.

L’effet rebond correspond à une annulation des gains environnementaux obtenus grâce à une amélioration de l’efficacité énergétique d’un produit ou d’un service. Par exemple, un effet rebond de 40% signifie que 40% des économies d’énergies attendues grâce au déploiement d’une nouvelle technologie n’ont pas été réalisées en raison d’une hausse des usages de l’énergie liés à différents facteurs économiques ou comportementaux.

La différence entre les économies d’énergie attendues et celles effectivement réalisées est explicitée dans le graphique ci-dessous.

Calcul de l’effet rebond

 


Source

Aussi appelé paradoxe de Jevons – en référence à William Stanley Jevons, économiste et logisticien britannique qui développa cette notion suite aux changements de comportement induits par la révolution industrielle –, ce phénomène décrit comment lorsque nous parlons d’accroître l’efficacité énergétique, il s’agit en fait d’augmenter la productivité. Et si on augmente la productivité d’un bien, on a pour effet de réduire son prix implicite, parce qu’on obtient plus de rendement pour le même argent, ce qui signifie que la demande peut augmenter elle aussi. Ce paradoxe montre clairement qu’il n’existe pas de solution miracle pour réduire la consommation d’énergie et lutter contre le changement climatique. Il souligne que les instruments de politique énergétique et climatique peuvent avoir des conséquences inattendues et doivent donc être accompagnés d’autres mesures pour être efficaces, telles que notamment une communication claire et une sensibilisation des citoyennes et citoyens, ainsi que des réglementations et/ou une fiscalité appropriée par exemple. Les dommages potentiels du paradoxe de Jevons sur les efforts en matière d’énergie nous obligent à utiliser une optique multidisciplinaire, qui reconnaît la complexité intrinsèque de l’élaboration des politiques et tient pleinement compte des forces économiques, sociales et comportementales impliquées dans le processus.

Le schéma suivant permet de mieux visualiser l’effet rebond en lien avec la rénovation énergétique d’un bâtiment. Celui-ci montre la chaîne de réactions que peut notamment entraîner l’amélioration énergétique.

 


Source

Un autre exemple concret de l’effet de rebond est la manière dont les améliorations du rendement énergétique des voitures individuelles ont rendu la conduite moins chère, ce qui a incité certaines personnes à conduire davantage et à acheter de plus grosses voitures (effet direct) et/ou à dépenser les économies restantes dans l’achat d’autres produits, parfois à fort impact climatique et environnemental (effet indirect). En conséquence, les économies totales de carburant et d’énergie sont réduites. Dans ce dernier cas, on parle d’un effet de retour. Lorsqu’il s’agit d’aspects environnementaux plus larges que la seule consommation d’énergie, on parle d’un effet de rebond environnemental. Cette réinterprétation de l’effet de rebond énergétique original permet des évaluations plus larges ainsi que des résultats plus complets dans le contexte de l’évaluation environnementale.

L’avis de spécialistes

Afin de compléter cet article, deux spécialistes répondent à deux courtes questions concernant l’effet rebond et sa prise en compte dans les réalités politiques et opérationnelles. Stefanie Schwab (ingénieure architecte SIA) et François Vuille (actuel directeur de la DIREN) donnent leurs avis.

Est-ce que la notion d’effet rebond est intégrée à votre activité ? Si oui, comment ?

Stefanie Schwab : C’est un phénomène dont on tient encore peu compte dans les rénovations énergétiques des bâtiments. Cependant, l’on commence à constater un très grand décalage entre les gains énergétiques calculés et les gains énergétiques réels à la suite de travaux.

François Vuille : Seul l’effet rebond direct peut être intégré aux politiques publiques. En effet, l’effet rebond indirect passe au travers des mailles du filet et nous ne pouvons pas avoir d’emprise dessus.

Quelles sont les limites de cette notion, ainsi que les nuances à y apporter ?

Stefanie Schwab : Je pense que cette notion doit être obligatoirement liée aux questions sociologiques de changements de comportements. En effet, l’enjeu ici est de faire comprendre aux gens l’importance de ne pas augmenter la consommation générale lorsque l’on récupère de l’argent grâce à des avancées techniques.

François Vuille : Selon moi, cette notion va de pair avec la sobriété. La sobriété est encore trop souvent perçue comme une restriction de liberté. En réalité, elle permet une nette amélioration de la qualité de vie. Le jour où l’on arrivera à inverser cette perception, on luttera en même temps contre l’effet rebond.

L’effet rebond : une notion à nuancer grâce aux questions de changements de comportement

Bien que le concept d’effet rebond possède plusieurs déclinaisons, celles-ci ne demeurent que partiellement et difficilement incluses dans la pratique, comme l’explicitent les deux personnes interrogées. Cette notion démontre également les limites des innovations techniques en matière d’efficacité énergétique. Est-ce à dire que l’effet rebond met en lumière l’inutilité de ces efforts ? Ce raccourci semble quelque peu manichéen. Il convient plutôt de dire que l’amélioration technologique de ce que nous consommons en matière énergétique va dans le sens d’un meilleur usage des ressources, et que, pour être optimale, elle doit impérativement être accompagnée d’une meilleure compréhension de ce que sont les ressources ainsi que de l’importance d’adapter nos comportements de consommation vis-à-vis de ces dernières.

 

Manon Mariller

Géographe

 

Liste des sources consultées pour la rédaction de cet article

Bois

Le bois dans la construction: avantages, défis, implications et ouvrages exemplaires

Le bois est un matériau de construction traditionnel utilisé depuis des siècles qui est aujourd’hui réévalué en tant qu’option viable pour les bâtiments modernes. Il s’agit d’une ressource renouvelable dont l’empreinte carbone est plus faible que celle d’autres matériaux de construction. Le bois est également un matériau polyvalent qui peut être utilisé pour la structure, l’isolation et les éléments de finition d’un bâtiment. Cependant, il est essentiel de comprendre les avantages et les défis liés à l’utilisation du bois dans la construction pour prendre des décisions éclairées. Sébastien Droz, responsable du service communication chez Lignum donne quelques éclairages.

Avantages et défis de l’utilisation du bois comme matériau de construction

Le premier avantage notable de l’utilisation du bois dans la construction réside dans sa capacité à stocker le carbone biogénique (carbone fixé par la plante suite à la photosynthèse à partir du CO2 présent dans l’air) que le bois absorbe pendant sa croissance ainsi que tout au long de sa durée de vie. Véritable puits de carbone, un mètre cube de bois permet de fixer une tonne de CO2. « Le bois capte non seulement mieux le CO2 que d’autres matériaux de construction et en plus en émet moins. », ajoute Sébastien Droz.

Aussi, plus la durée de vie du bâtiment est longue, plus l’avantage de l’utilisation du bois est important. Un bâtiment en bois vieux de soixante ans possède une empreinte carbone inférieure de 80 % à celle d’un bâtiment conventionnel, compte tenu des capacités de stockage du bois.

« On parle souvent des trois S lorsque l’on aborde la question du traitement du CO2 par le bois. Il s’agit de la séquestration, du stockage et de la substitution. », précise Sébastien Droz. Tout d’abord, le bois capte le CO2 avec la photosynthèse (séquestration), avant de le stocker. Puis, vient le troisième S – la substitution, ce qui signifie qu’en utilisant le bois, on substitue d’autres matériaux qui sont de forts émetteurs de CO2. « On permet ainsi d’économiser des émissions qui auraient eu lieu avec d’autres matériaux. » Le graphique ci-dessous permet de visualiser clairement les différences d’émission entre les matériaux de construction conventionnels et le bois.

Comparaison des émissions de CO2 par m3, selon les matériaux

comparaison-co2-materiauxSource

 

Construire en bois permet également d’accélérer d’un tiers le temps de construction, ce qui en fait une option compétitive. « Par exemple, une maison individuelle pour une famille peut être hors d’eau en trois ou quatre jours. », détaille Sébastien Droz. « On peut planifier très précisément les différentes étapes du chantier, grâce notamment aux éléments préfabriqués. » Bien que ce système puisse encore aujourd’hui souffrir d’une connotation quelque peu négative, cela permet de mieux anticiper les besoins. Les mentalités évoluent à ce sujet.

Le coût d’un ouvrage construit majoritairement en bois peut être plus élevé qu’un bâtiment en béton. Cependant, cet état de fait ne prend pas tous les paramètres nécessaires en compte. « Non, il n’est pas plus cher de construire en bois, contrairement aux idées reçues », affirme Sébastien Droz. Bien que la facture lors de la construction puisse parfois être plus élevée, le choix de ce matériau permet comme vu précédemment de gagner non seulement en temps de réalisation, mais également en efficacité énergétique, « ce qui rend finalement le choix du bois bien plus avantageux et qualitatif que d’autres matériaux ».

Enfin, un bâtiment en bois est tout autant résistant au feu qu’une tour en acier. La vitesse de combustion du bois étant en effet prévisible, alors que l’acier se déforme à 400 degrés Celsius et s’effondre. « Nous avons des données empiriques éprouvées à ce sujet. », confirme Sébastien Droz, qui ne font pas du bois une matière plus dangereuse que d’autres lorsqu’il est question de risques d’incendies.

Implications de l’utilisation du bois comme matériau de construction

Le bois comme matériau de construction comporte donc à la fois des avantages et quelques défis. Des paramètres tels que la provenance de celui-ci, la gestion des forêts dont il est issu ainsi que les éventuels soutiens et encouragements financiers sont des éléments à prendre en compte.

La provenance et le transport du bois sont des paramètres essentiels. Un bois produit localement aura toujours moins d’impact qu’un bois étranger. Cependant, si le bois provient de pays voisins et qu’il est transporté par les moyens les plus durables possibles, son impact peut être considéré comme moindre. Le bois est une ressource renouvelable, à condition que la forêt dont il est issu soit gérée de façon durable. « Est-ce que l’on ne va pas piller nos forêts, si l’on en augmente l’usage ? C’est une question qui revient souvent », explique Sébastien Droz. Il est important de rappeler que la situation de la Suisse n’est pas la même qu’ailleurs dans le monde. En Suisse, il pousse plus de bois que ce qui est utilisé. « Nous pourrions utiliser bien plus de bois local sans entamer les fonctions de la forêt. » – pour rappel, les fonctions de la forêt sont notamment le maintien de la biodiversité, la production d’eau potable, la protection contre les dangers naturels (notamment en zone montagneuse), et enfin, la fonction sociale et de détente aussi). Ceci s’explique par le fait que la forêt suisse est gérée de façon exemplaire. « Dans le jargon, on appelle la méthode de gestion des forêts appliquée en Suisse la forêt de jardinage. Il n’y a pas de surexploitation, on n’a pas le droit de couper plus que ce qui pousse. », précise Sébastien Droz.

Ceci permet au bois de pouvoir se régénérer à un rythme tout à fait soutenable, comme le montre le graphique ci-dessous.

Taux de régénération et utilisation du bois en Suisse

 

bois-suisseSource

 

Au vu de son utilisation, la Suisse sera cependant toujours importatrice de bois. « Bien que cette question revienne souvent, il n’existe pas de chiffres détaillant la part de bois local utilisé en Suisse qui s’élève à environ 60% », informe Sébastien Droz. Cependant, cela n’empêche pas les politiques publiques d’encourager de plus en plus l’utilisation du bois local. Le Canton de Vaud a notamment lancé au début du mois de mars 2023 un programme de subventionnement de l’utilisation du bois vaudois. « Une enveloppe de 1,5 million de francs a été débloquée sur trois ans pour soutenir les maîtres d’ouvrage qui utilisent du bois vaudois dans leur réalisation », détaille Sébastien Droz. Ainsi, un minimum de 20 mètres cubes de bois dans un projet permet d’obtenir une subvention de 10 % de la valeur du bois.

En conclusion, le bois comme matériau de construction comporte de nombreux avantages, tant environnementaux qu’opérationnels et même financiers. Il est à espérer que les programmes d’encouragement de son utilisation vont continuer à se multiplier afin de venir à bout des dernières idées reçues qui ralentissent encore l’essor de son utilisation.

Quelques exemples d’ouvrages en bois

 

La Tour de Malley, Prilly



 

Cité des Sciences, Yverdon-les-Bains


 

Raffeisen Arena, Porrentruy


 

Maison de l’environnement, Lausanne


 

 

Manon Mariller

Géographe

 

Liste des sources consultées et pistes pour aller plus loin

avenir

Avenir énergétique 2050 : possibilité d’évolution du système énergétique suisse.

L’Association des entreprises électriques suisses (AES) a publié en décembre 2022 l’étude « Avenir énergétique 2050 » qui tente de répondre à la question : à quoi pourrait ressembler l’approvisionnement énergétique de la Suisse d’ici 2050 – lorsque le pays est supposé avoir atteint la neutralité carbone ? Le rapport révèle notamment que sans une accélération massive du développement des énergies renouvelables et un échange étroit d’énergie avec l’Europe, la Suisse ne pourra pas atteindre ses objectifs énergétiques et climatiques actuels et futurs. Ce bref article présente une synthèse de l’étude, en mettant en avant les axes de travail et les solutions avancées.

Contexte de publication du rapport

L’étude « Avenir énergétique 2050 » est la ligne directrice pour la branche, la politique et la société. Cette recherche – menée par environ 70 collaboratrices et collaborateurs de la branche – examine les scénarios pouvant permettre de modifier le système énergétique suisse actuel ainsi que leurs impacts potentiels, en particulier en ce qui concerne les objectifs énergétiques et climatiques de la Suisse. L’étude démontre comment le système énergétique suisse peut évoluer avec l’aide de quatre scénarios réalistes basés sur deux dimensions générales. D’une part, l’acceptation de nouvelles infrastructures énergétiques (développement offensif VS défensif) affecte la transformation du système. D’autre part, l’intégration de la Suisse dans le marché de l’énergie européen, notamment par le biais d’accords avec l’Union européenne, est également un facteur d’influence (Suisse intégrée VS isolée).

Axes de travail et scénarios envisagés

Les quatre scénarios sont explicités dans le schéma suivant :

 

schema-energie-suisse

Schéma présentant les quatre scénarios envisagés
(Source : www.strom.ch/fr/avenir-energetique-2050/telechargements)

 

La première dimension décrit la position de la Suisse par rapport à l’Europe énergétique. Les deux positions envisagées sont d’une part « isolée » et d’autre part « intégrée ». La position « isolée » implique que la Suisse n’est guère intégrée dans l’Europe de l’énergie et doit en grande partie s’approvisionner elle-même en électricité. Les capacités d’importation et d’exportation sont très limitées. L’échange de nouveaux agents énergétiques n’est possible que dans une mesure réduite. La position « intégrée » de la Suisse sous-tend pour sa part que le pays est totalement incorporé à l’Europe énergétique. Il peut donc échanger en grande quantité de l’électricité avec ses voisins. L’échange de nouveaux agents est donc possible à grande échelle.

La seconde dimension est la position – ou l’acceptation – nationale de nouvelles infrastructures énergétiques et technologies. Les deux postures envisagées sont « défensive » et « offensive ». La posture dite défensive prévoit un développement limité de la production d’électricité au moyen de technologies actuellement largement acceptées. Aucune mesure de grande ampleur ne peut être prise du côté de la demande. La posture offensive présage une acceptation nationale élevée de nouvelles infrastructures énergétiques, ce qui encourage le développement de la production d’électricité dans le pays au moyen de toutes les technologies disponibles. De même, des possibilités pour notamment piloter la consommation et la production sont mises en œuvre.

Principales conclusions du rapport

Le rapport se conclut par 12 constats principaux issus des quatre scénarios envisagés, dont voici une synthèse.

Accélérer le changement de paradigme énergétique pour atteindre les objectifs climatiques est primordial pour la Suisse. Les besoins en électricité augmentent, notamment pour remplacer les énergies fossiles dans les transports et le chauffage. Les scénarios envisagés impliquent une électrification complète pour atteindre la neutralité climatique. L’acceptation de nouvelles infrastructures énergétiques et l’intégration dans le marché européen de l’énergie sont des dimensions importantes pour transformer le système énergétique actuel. Le scénario « offensif-intégré » est le plus favorable en termes de coûts et de dépendance aux importations d’électricité. La réduction des importations d’énergie fossile pourrait représenter une économie annuelle de 1 à 5 milliards de francs suisses. L’hydroélectricité restera le pilier du système énergétique suisse, avec environ 35 TWh/an de production. Le photovoltaïque alpin et l’éolien apportent quant à eux une production électrique d’environ 2 TWh et 3 TWh, respectivement dans les scénarios « offensifs ». Pour renforcer la sécurité d’approvisionnement en hiver, il est possible d’ajouter environ 2 TWh de production d’électricité à partir de l’eau accumulée. Enfin, l’importation d’hydrogène vert via le réseau européen peut devenir un élément-clé de l’approvisionnement énergétique de la Suisse en hiver, en plus de l’hydroélectricité et du photovoltaïque. Cependant, la transformation du système énergétique suisse dépend non seulement de l’acceptation de nouvelles infrastructures énergétiques, mais aussi d’une étroite coopération énergétique avec l’Union européenne. La Suisse doit ainsi poursuivre ses efforts pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques fixés.

Conclusion

En définitive, le rapport mentionne des éléments déterminants, qui ne demandent « plus qu’à » être mis en œuvre, tant financièrement, techniquement que politiquement. En effet, que ce soit tant via une transformation du système actuel vers une électrification complète qu’une collaboration stable avec les pays voisins et donc l’Union européenne, cette étude fait office de feuille de route pour la planification énergétique cruciale actuelle et future. Cependant, il manque peut-être un regard plus critique et détaillé sur la façon dont l’énergie est actuellement consommée en Suisse, ainsi que sur la diminution des besoins en la matière.

 

 

Manon Mariller

Géographe

 

Liens consultés pour rédiger cet article et ressources utiles

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Approvisionnement électrique hivernal : la Suisse n’est pas indépendante.

En hiver, la Suisse n’est pas « électriquement » autonome. Notre production indigène ne suffit pas à couvrir nos besoins, alors nous en importons des pays voisins. En parallèle, la nécessaire transition énergétique, et plus récemment l’éclatement du conflit en Ukraine ont bousculé les choses. La Suisse vise alors plus d’indépendance énergétique et mise sur sa force hydraulique et son potentiel solaire. Mais elle oublie peut-être – et nous aussi – que l’efficience et la sobriété sont également de puissants leviers.

En matière d’approvisionnement électrique durant les mois d’hiver, la Suisse compte fortement sur les excédents de production de ses voisins, France et Allemagne en tête. Or, chacun vise la sortie des énergies fossiles, dans un contexte géopolitique tendu. « La Suisse et les pays européens sont en train de considérablement développer leur production d’électricité provenant des énergies renouvelables et d’arrêter en contrepartie les centrales au charbon et les centrales nucléaires. Cela se répercute également sur les flux d’électricité dans le réseau électrique européen et donc sur la sécurité du réseau et la sécurité de l’approvisionnement de la Suisse » mentionne un rapport de l’OFEN publié en octobre 2021. Ainsi, l’Allemagne (pour ne citer qu’elle) tente de s’affranchir du gaz venu de Russie en prolongeant le fonctionnement de certaines centrales nucléaires jusqu’au 15 avril 2023 (au lieu de fin 2022). Elle vient par ailleurs de signer un accord avec le Qatar pour un approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL) pour les 15 prochaines années.

L’Europe est « sous pression énergétique ». La Suisse également. Intégrée au réseau électrique européen et au marché international, les prix dans notre pays sont étroitement liés à ceux pratiqués à l’extérieur de nos frontières.

En quoi les perturbations sur le marché du gaz nous impactent-t-elles ?

La Suisse ne possède pas de gisement de gaz et en importe pour produire de la chaleur. En 2021, près de 60% des bâtiments à usage d’habitation sont chauffés au mazout et au gaz. Nous en consommons également indirectement pour nos besoins électriques, puisque l’Allemagne, par exemple, a recours à des centrales à gaz pour produire de l’électricité. À ce sujet, l’Université de Genève (UNIGE) vient de mettre en ligne la plateforme horocarbon, qui permet de suivre la composition et les variations du mix électrique suisse. Alimenté par des données de production suisses et étrangères, ce compteur virtuel s’adresse autant à la population qu’aux scientifiques et à la sphère politique. Voilà ce que l’UNIGE publiait fin 2022 dans un communiqué. « Le 6 décembre 2022 à minuit, le compteur horocarbon indiquait que le mix électrique suisse se composait de près de 50% d’électricité importée. Cette énergie provenait à 65% d’Allemagne, à 17% d’Autriche et à 18% d’Italie. La majeure partie (49%) de l’électricité consommée était produite par le gaz. »

De l’eau et du soleil pour la Suisse

Avec ses 220 barrages, la Suisse possède la plus forte densité de tels ouvrages au monde. En outre, 682 centrales hydrauliques produisent environ deux tiers de l’électricité du pays. Elles sont, comme toutes les énergies renouvelables, sujettes aux variations météorologiques. Pour viser plus d’autonomie, notre pays a ainsi prévu d’augmenter massivement sa production renouvelable (hydraulique, solaire, éolien, etc.). Dans le cadre du développement solaire, les Chambres fédérales ont adopté fin septembre 2022 des mesures visant à faciliter la création de grandes installations photovoltaïques dans les Alpes. Le canton du Valais a sauté sur l’occasion et adopté les mesures visant à appliquer sur son territoire ces nouvelles dispositions fédérales. Le parlement valaisan vient d’accepter (en février 2023), en une seule lecture, un décret qui facilitera le déploiement de grandes installations solaires en milieu alpin, non sans amener de légitimes préoccupations, comme le souligne le journal Le Temps. « Afin d’accélérer le processus d’autorisation pour ces champs solaires alpins, l’exécutif valaisan pourra désormais statuer seul sur les dossiers, sans passer par la commission cantonale des constructions, qui octroie d’habitude les permis de construire situés hors zones à bâtir. L’effet suspensif en cas de recours sera par ailleurs levé, ce qui fait que ces projets ne seront pas bloqués en cas de contestation devant les tribunaux. » Une rapide décision qui fait grincer les dents, puisqu’elle ouvre une voie royale à certains gros projets, prévus notamment dans les montagnes valaisannes, – en dépit de leurs impacts potentiellement néfastes sur le paysage et la nature. Pro Natura et les Vert.e.s Valais exigeant un débat cantonal sur ces grandes installations dans les espaces alpins sauvages, ils ont annoncé un référendum. À noter que, dans ce contexte, les installations solaires flottantes sur des surfaces artificielles étaient déjà favorisées par l’ordonnance sur l’aménagement du territoire de juillet 2022 ainsi que par la plupart des ONG. Elles permettraient en effet de mutualiser les infrastructures existantes, tout en présentant un apport de production substantiel.

 

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ARNAUD ZUFFEREY

« Si on cherche à remplacer l’atome, c’est simple : visons l’efficience »

Selon l’ingénieur Arnaud Zufferey, la question de notre approvisionnement hivernal pourrait être largement résolue si nous visions « simplement » l’efficience et la sobriété. Il évoque également l’énorme potentiel des éoliennes et du solaire sur nos toits et façades. Un peu de bon sens au milieu de l’urgence.

Arnaud Zufferey, vous êtes ingénieur en informatique et avez travaillé durant de nombreuses années dans le domaine de l’énergie, notamment au service cantonal en Valais. Il y a deux ans, vous avez décidé de lancer le bureau Olika, pourquoi ?

J’ai un profil hybride qui n’entrait ni dans la case des services informatiques, ni dans celle des services de transition énergétique. Mon rôle n’était pas toujours bien compris, voire marginalisé. Alors j’ai décidé de capitaliser sur ce que je voyais plus comme une force qu’une faiblesse et je me suis lancé à mon compte.

Vous travaillez notamment avec la science des données. Auriez-vous un exemple concret de leur apport dans le monde de l’énergie ?

Dans mon travail, je combine effectivement les approches à la fois énergétiques et informatiques, en m’appuyant sur la data science, qui se situe au carrefour de l’énergie, de l’informatique, des statistiques et des maths. J’ai par exemple travaillé sur l’électrification d’un parc de bus et de camions. En utilisant les données de parcours, j’ai constaté une circulation très inégale : beaucoup de véhicules faisaient très peu de kilomètres et très peu en faisaient beaucoup. Mon client a donc pu prendre conscience de ces différences et planifier l’électrification de sa flotte en fonction.

Mais quand je dis que je fais de la data science pour l’énergie, beaucoup ne comprennent pas vraiment, même si la plupart saisit les avantages qui en découlent. Alors je parle plutôt d’analyses d’un parc automobile, mais pas de data science. Je dois dire que certains distributeurs d’énergie ont par ailleurs compris les enjeux et les bénéfices, comme Romande Energie qui a internalisé quelques profils du genre. Mais ça reste la minorité.

Vous utilisez volontiers le terme « Winterstrom » pour communiquer sur la question de nos importations électriques hivernales. Pourquoi ?

En 2019, l’OFEN a publié une étude qui s’appelait « Winterstrom Schweiz » et qui n’a jamais été traduite en français, alors qu’elle posait les bases de décisions prises aujourd’hui. Alors j’utilise ce mot avec ironie, parce que les décisions se prennent en Suisse allemande et les études sont souvent publiées en allemand, même lorsqu’il s’agit de thématiques importantes, comme l’adaptation de l’ordonnance sur l’énergie (OEne). Si vous n’êtes pas parfaitement bilingue, vous ne pouvez pas prendre position sur une base légale qui va dicter l’installation du solaire dans nos montagnes par exemple. Je pense aux projets comme Gondosolar ou Grengiols. Au niveau fédéral, on ouvre la voie à ces méga projets solaires en milieu alpin et au niveau cantonal, la loi a été votée en une seule session, sans référendum et elle est entrée en force. Du jamais vu ! Pour installer d’énormes centrales solaires alpines au sol, on sacrifie ainsi l’aménagement du territoire, la nature et le paysage, mais aussi l’agriculture et le tourisme. La guerre en Ukraine a éclaté et on a pris des décisions dans la précipitation, sans procéder à des analyses et sans ouvrir de discussions sur le sujet. On fait du patchwork dans l’urgence.

Pourtant, installer des centrales photovoltaïques en altitude est une excellente idée, puisque les panneaux en haute montagne produisent plus d’énergie en hiver que ceux installés en plaine. Alors comment concilier production d’énergie hivernale et préservation de la nature ?

Techniquement, le projet du Lac des Toules est aussi du solaire alpin, mais son impact sur la nature et le paysage est très limité. C’est une installation pionnière et extrêmement bien réalisée, sans oppositions et avec un très faible impact sur le paysage et la nature. C’est l’art de bien faire et de bien réfléchir. Toutefois, l’adaptation de l’adaptation de l’ordonnance sur l’énergie dont je parlais plus haut semble avoir été pensée non seulement pour favoriser les projets de très grandes installations solaires dans les alpages, mais également pour exclure les autres des mécanismes de facilitation d’autorisation.

 

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L’OFEN mentionne qu’en recouvrant de panneaux photovoltaïques nos toits et nos façades, nous pourrions produire 67 TWh/an. Vous ajoutez que c’est plus de trois fois ce dont nous avons besoin pour remplacer les centrales nucléaires.

Il y a effectivement les toitures et les façades des bâtiments, mais aussi les infrastructures comme les parois anti-bruit des autoroutes, les lacs artificiels, les cultures (agrivoltaïque) ou encore les décharges. Et il faut préciser que les estimations de l’OFEN ont été calculées avec d’anciens panneaux solaires, avec un rendement d’environ 17%, alors qu’aujourd’hui il grimpe à 20-22%. C’est donc une estimation minimale ; nous pourrions arriver à 80 TWh, de quoi largement couvrir notre consommation d’électricité (58,1 térawattheures en 2023, chiffres OFEN).

Vous évoquez également une alternative au « Winterstrom », c’est l’efficience énergétique. Expliquez-nous ?

Dans un rapport, là encore non traduit en français, l’OFEN parle de 25 à 40% d’énergie gaspillée en Suisse. Le document mentionne que si on utilisait tout le potentiel, on atteindrait 14 à 23 TWh, soit plus que le nucléaire qui fournit 19 TWh. Alors si on cherche à remplacer l’atome, c’est extrêmement simple : renforçons l’efficacité. Il y a un autre levier qui est la sobriété, avec des choses simples à faire, comme éteindre les enseignes et les vitrines ou encore couper certains systèmes. Mais ce message pourtant simple n’est ni entendu, ni compris. Je n’ai d’ailleurs trouvé aucun rapport en Suisse sur cette question essentielle qui touche au bon sens. Je pense à une autre source que sont les éoliennes et qui permettraient également de soutenir notre approvisionnement hivernal ; elles ont un énorme potentiel de production hivernale. Pourquoi en parle-t-on si peu ?

Quelle(s) question(s) se poser pour faire avancer les choses ?

Nous avons les mêmes leviers à tous les niveaux : sobriété, efficacité et renouvelable. Ces trois aspects, pris dans cet ordre, donnent toujours un fil cohérent aux réflexions et aux actions. Malheureusement, on prend les choses à l’envers, ce qui n’est pas soutenable et ne permet pas de résoudre la crise énergétique et climatique.

C’est quoi la morale de l’histoire ?

J’ai la sensation que depuis une vingtaine d’années, les choses s’étaient figées et que le conflit en Ukraine est venu tout bouleverser. Tout est remis en question et les accords de collaboration entre les pays sont tendus. Je me questionne beaucoup, non pas pour cet hiver, mais pour les dix prochains. Et ce n’est pas avec quelques grosses installations solaires alpines qu’on va résoudre la question de notre approvisionnement et de notre transition énergétique. Nous n’avons pas encore posé les bases fondamentales d’un débat sain et constructif. Nous avons pourtant toutes les pièces du puzzle, mais restons cloisonnés, par service, par département, chacun entreprenant des actions de son côté et sans personne au sommet pour dégager des pistes claires et des stratégies cohérentes. Et puis on confond vitesse et précipitation. Sous prétexte de devoir accélérer, on fait les choses un peu n’importe comment.

 

Joëlle Loretan

Rédactrice