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Pollution digitale: enjeux et solutions

Avec l’essor des services numériques, comme le cloud computing ou encore la vidéo à la demande, les infrastructures et dispositifs digitaux massivement utilisés engendrent une énorme consommation d’énergie. Très peu informés sur l’impact environnemental de leur activité en ligne, les internautes et les entreprises pourraient pourtant changer la donne en adoptant des bonnes pratiques simples. Explications.

On ne la voit pas, ses effets ne peuvent pas s’observer directement et pourtant nous l’engendrons tous au quotidien. La pollution digitale constitue en effet une source de préoccupation environnementale de plus en plus inquiétante. Car pour soutenir nos diverses activités en ligne, les datacenters et serveurs informatiques se multiplient. Des infrastructures très gourmandes en électricité, notamment pour conserver une température basse au sein des vastes espaces dans lesquels nos précieuses données sont hébergées. La consommation énergétique due à nos habitudes digitales commence d’ailleurs à représenter des proportions significatives en égalant, voire dépassant, certains secteurs eux-mêmes très gourmands en énergie tels que le transport ferroviaire ou aérien. En même temps, alors que les services et le contenu en ligne sont disponibles et consommés en continu, il est possible d’adopter des comportements simples pour changer la donne, ou du moins minimiser notre impact environnemental. On remarque par ailleurs que certaines solutions énergétiques émergent, permettant par exemple d’exploiter les rejets de chaleur émis par les datacenters.

En Suisse, alors que le pays semble conforter sa réputation de forteresse digitale sur la scène internationale, cette problématique s’avère des plus préoccupantes. À l’échelle nationale, près de 8% de notre électricité est ainsi utilisée par les infrastructures liées à Internet. À titre comparatif, on peut souligner que le rail en consomme seulement un peu plus de 5%, et moins de 1% en ce qui concerne l’éclairage public.

Quelle empreinte carbone ?

Pour mieux se rendre compte de l’impact environnemental que nous engendrons tous les jours, il est aujourd’hui possible de quantifier l’empreinte carbone des activités digitales. Le fait de mener une simple recherche sur la toile correspond à l’émission d’environ 7 grammes de CO2. Et un peu moins de 20 grammes pour l’envoi d’un e-mail. Avec une équipe de 100 collaborateurs, une entreprise génère donc plus de 130 kg de gaz carbonique par employé chaque année, et cela rien qu’en considérant l’activité liée aux e-mails.

De manière globale, les différentes études menées sur l’impact écologique du digital se rejoignent pour dire qu’à l’échelle planétaire, l’utilisation des outils et services numériques représente 2% des émissions de CO2. Une proportion qui correspond environ à celle du transport aérien. Pour revenir à la Suisse, ses 93 datacenters équivalent à près de 154’000 m2, soit environ 24 terrains de football. À eux seuls, ces datacenters consomment 3,6% de toute l’électricité du pays.

Éducation digitale manquante

Pour Jean-Philippe Trabichet, responsable de la filière informatique à la Haute école de gestion Genève, un des principaux problèmes réside dans l’éducation digitale des utilisateurs. « En observant la manière dont les internautes utilisent leurs ordinateurs et smartphones lorsqu’ils surfent sur le web, la méconnaissance générale de bons comportements à adopter est flagrante. Ce qui s’avère normal finalement, car aujourd’hui très peu de personnes reçoivent une éducation digitale. À mes yeux, un changement généralisé de nos comportements en ligne pourrait déjà faire une grande différence. Pour cela, il faudrait commencer par sensibiliser les internautes sur l’impact énergétique de leurs habitudes numériques. »

Parmi les bons comportements à adopter, on peut déjà mentionner la manière dont on effectue ses recherches sur Internet. Très souvent, un internaute utilise l’outil de recherche de Google pour atteindre une adresse web qu’il connaît pourtant. Rien qu’en la saisissant directement dans la barre d’adresse, on réduit déjà son impact énergétique. Car le fait d’effectuer une recherche Google pour accéder à son site web fait tourner inutilement ses serveurs informatiques. Autre astuce simple : supprimer ses e-mails régulièrement. Car surchargée, une boîte mail nécessite un certain espace de stockage qui, à son tour, repose sur le fonctionnement continu des serveurs de son prestataire de messagerie.

Développement continu des services en ligne, la source du problème

En contexte professionnel, il est également possible d’agir de manière concrète en effectuant des modifications simples. Le plus facile consistant simplement à éteindre ses infrastructures informatiques lorsque leur utilisation n’est pas nécessaire. Cela peut sembler anodin, mais une société pourrait ainsi économiser jusqu’à deux tiers d’énergie. Pourtant, en observant comment travaille un collaborateur au sein d’une entreprise, on peut vite s’apercevoir que le temps d’utilisation des outils numériques ne correspond souvent pas pas à l’entier de sa journée. Le problème réside aussi et surtout dans les directives émises par certaines entreprises en la matière puisqu’il est effet fréquent d’observer chez certains groupes la présence de systèmes empêchant de mettre les infrastructures informatiques en veille, par exemple durant la pause de midi ou la nuit.

« Par rapport aux débuts de l’informatique, il faut bien réaliser le fait que tous les services et contenus digitaux que l’on a pris l’habitude d’utiliser et de consommer au quotidien sont constamment accessibles en ligne, faisant ainsi fonctionner de manière ininterrompue de puissants serveurs informatiques », poursuit Jean-Philippe Trabichet. « Un fait qui peut sembler banal. Mais aux débuts de l’utilisation des techniques numériques, certains types d’informations n’étaient pas accessibles aussi rapidement et facilement. On procédait alors en faisant des demandes spécifiques aux opérateurs qui les détenaient. En se développant, Internet et ses acteurs n’ont pas tenu compte de la consommation d’électricité massive engendrée par la mise à disposition continue d’informations et services en ligne. »

Vidéo énergivore

Parmi les autres pratiques digitales les plus problématiques, la consommation de vidéos s’avère également lourde de conséquences. Une vidéo de 3 Go visionnée en ligne correspond à 1000 ampoules basse consommation allumées pendant une heure. Et de nombreux utilisateurs ont également pris l’habitude d’écouter leur musique par l’intermédiaire de plateformes vidéos, telles que YouTube pour n’en citer qu’une. Ce qui s’avère inutile, surtout en optant pour une très haute résolution, comme la 4K, dont le format n’est d’ailleurs pas encore supporté par tous les smartphones.

« Il y a aussi un sérieux problème de l’offre qui, avec des abonnements illimités à bas prix, incitent bien sûr les utilisateurs à consommer énormément de services et contenus en ligne », ajoute Jean-Philippe Trabichet. « S’il est vrai que l’utilisation massive et incontrôlée du web s’avère inquiétante et mériterait d’être mieux régulée, il faut aussi se rendre compte que les ordinateurs contribuent à l’optimisation énergétique de nombreuses infrastructures. Les technologies de l’information et de la communication engendrent des comportements problématiques mais constituent en même temps des outils uniques et irremplaçables, par exemple pour améliorer le rendement des dispositifs qui produisent notre énergie ou encore pour optimiser l’utilisation de nos ressources. »

Cryptomonnaies, le gouffre énergétique

En plein essor, les cryptomonnaies sont également à considérer attentivement. Leur « minage », soit les opérations informatiques qui permettent de les générer et de valider les transactions qui sont effectuées avec, s’avère des plus énergivores. Selon différentes estimations, la puissance de calcul liée à la seule cryptomonnaie Bitcoin nécessiterait jusqu’à deux fois l’énergie que la Suisse consomme en une année.

Actuellement, l’énergie issue de sources durables consommée par la cryptomonnaie serait par ailleurs minime. La plus grande partie du réseau Bitcoin reposerait actuellement sur la production électrique issue de centrales à charbon situées en Chine.

Datacenters et chauffage à distance

Si le fonctionnement des datacenters engendre une importante consommation d’énergie en continu, il est tout de même possible de tirer parti de ces infrastructures. Car en faisant tourner des systèmes de ventilation et d’air conditionné pour maintenir au frais les serveurs dans lesquels les données sont herbagées, un datacenter émet de la chaleur. Dans ce sens, pourquoi ne pas valoriser ces calories dans l’optique d’alimenter des réseaux de chauffage à distance ?

Différents projets allant dans ce sens voient justement le jour en Suisse. Dans la zone industrielle genevoise de Plan-les-Ouates, plusieurs bâtiments sont ainsi raccordés à un réseau de chauffage à distance lui-même alimenté par les rejets thermiques du datacenter de la société d’hébergement Safe Host. Une stratégie durable qu’Infomaniak, autre acteur helvétique connu dans les services d’hébergement web, projette de développer encore davantage. Autre exemple en Suisse alémanique, où le datacenter d’IBM situé à Uitikon, non loin de Zurich, permet de contribuer au chauffage du bassin d’une piscine située à proximité.

Dans tous les cas, le défi d’alimenter des réseaux de chauffage à distance avec les rejets thermiques de datacenters consiste en la localisation géographique de ces différents éléments. Sur une trop longue distance, un tel réseau va subir des déperditions de chaleur qui obligent donc de rester proche du centre de données. La meilleure stratégie consiste donc à cibler des bureaux et bâtiments situés en zone industrielle, où l’implantation de datacenters s’avère moins problématique qu’au centre des agglomérations.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

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