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Séquestration du carbone, mode d’emploi

Face à l’urgence climatique, une des solutions à entreprendre à large échelle pourrait consister à accompagner un processus naturel simple : la séquestration du CO2. Depuis quelques années, des techniques industrielles se développent pour accentuer les effets de ce principe, parallèlement à ce que la nature fait déjà. Explications.

Face à la crise climatique, la réduction des émissions de CO2 s’avère primordiale. Si le développement et le déploiement à large échelle de technologies plus propres, notamment en matière d’approvisionnement énergétique durable, s’avèrent essentiels, il s’agit aussi de maîtriser plus finement le carbone rejeté par nos sociétés qui s’accumule dans l’atmosphère. L’heure n’est donc plus seulement à la réduction des émissions de CO2, mais également à la capture du carbone.

Dans ce sens, les techniques de séquestration du carbone ont un rôle-clé à jouer. Et pour cela,

Selon les données fournies par le GIEC (2018), pour limiter le réchauffement à 1,5°C, il serait nécessaire de parvenir à séquestrer de 100 à 1000 Gt de CO2 d’ici à 2100. Ainsi, parallèlement aux processus naturels de séquestration du carbone déjà essoufflés par l’intensité de nos activités industrielles, des techniques artificielles se développent.

Comment ça fonctionne ?

L’approche industrielle de la séquestration du carbone consiste à utiliser des technologies de capture du CO2 dans l’air ambiant. Une fois capturé, le dioxyde de carbone est alors injecté sous terre sous forme de fluide, pour finalement être encapsulé dans la roche. Pour ce faire, il s’agit d’identifier des sites géologiques présentant deux caractéristiques : une roche suffisamment poreuse pour absorber le carbone injecté et la présence d’une couche imperméable au-dessus pour éviter que le CO2 ne remonte à la surface. Autre paramètre à observer, la profondeur d’injection, qui doit être de 800 mètres au minimum pour que la pression exercée sur le fluide réduise son volume de plus de 500 fois, augmentant ainsi les capacités de stockage. Si le processus peut sembler audacieux d’un point de vue technique et sécuritaire, la technologie est en réalité éprouvée puisqu’elle repose sur les dispositifs développés par l’industrie pétrolière depuis des décennies.

« Ce sont en effet les pétroliers qui ont développé les premiers systèmes de séquestration souterraine du CO2 », souligne le professeur Lyesse Laloui, qui dirige le Laboratoire de Mécanique des Sols à l’EPFL. « Ces premiers développements n’étaient pas entrepris dans une démarche durable, mais bien pour exploiter pleinement les gisements pétroliers qui, après un certain temps, nécessitent le recours à un fluide sous pression – le CO2 – pour faire remonter le pétrole à la surface. Ce processus intéresse dorénavant les industriels dans une démarche environnementale puisqu’ils sont soumis à des pressions de plus en plus fortes en matière de politique durable. »

Quand on y pense, remettre nos émissions de gaz à effet de serre dans le sous-sol suit en quelque sorte une logique naturelle puisque les hydrocarbures que l’on exploite massivement en proviennent. Des questions sécuritaires sont évidemment à considérer, notamment en matière de risques sismiques. « La séquestration du carbone induit en effet une certaine sismicité, d’où l’importance de surveiller étroitement les sites dans lesquels on injecte le CO2 », poursuit Lyesse Laloui. « Quant au risque que le CO2 s’échappe, il existe en effet, mais reste minime en comparaison des bénéfices apportés par sa séquestration. Sans capture du carbone, ce gaz s’accumule de toute façon dans l’atmosphère. Si une partie du volume séquestré s’échappe à nouveau on reste dans tous les cas dans un schéma de diminution des émissions. »

Et en Suisse ?

Mandaté par la Confédération, le laboratoire du professeur Lyesse Laloui mène actuellement une étude dans l’optique de capturer nos émissions de carbone afin de les exporter en train puis par bateau jusqu’en Islande, où elles seraient stockées dans le sous-sol grâce à une roche volcanique qui permet de capturer efficacement le CO2. Si l’impact carbone de la démarche reste à quantifier, elle permettrait de surmonter les obstacles politiques qui, en Suisse, rendent l’opération de séquestration dans notre sous-sol complexe.

« En Suisse, les techniques de capture du CO2 intéressent fortement les faîtières de l’industrie puisque la taxe carbone à laquelle leurs membres sont soumis s’élève à 120 francs la tonne, bien plus que chez nos voisins européens », ajoute Lyesse Laloui. « Sur les 35 millions de tonnes de CO2 émises chaque année en Suisse, il serait théoriquement possible d’en capter 10 millions.  la politique helvétique sur ce sujet porte en outre sur des travaux de prospection géophysique visant à scanner notre sous-sol pour voir de quels potentiels de stockage nous disposons. Le fait de capter et de stocker notre CO2 sous nos latitudes permettrait aussi de générer une chaîne de valeur industrielle des plus intéressantes, en créant des savoir-faire et des emplois ici. Dans ce sens, on peut s’inspirer du modèle norvégien, précurseur dans le domaine, où l’État assume une partie des coûts de ces opérations. »

Exemples nordiques

En Norvège, cela fait en effet près de 30 ans que l’on pratique la capture du CO2, comme en témoigne le projet Sleipner, cogéré par la compagnie Equinor, active dans les énergies pétrolière et éolienne. Depuis 1996, cette initiative consiste à capter les rejets de CO2 issus de l’exploitation du champ gazier offshore Sleipner, situé en mer du Nord. Le système permet ainsi de stocker environ un million de tonnes de CO2 par an dans une formation aquifère saline située à 800 mètres sous le fond marin. Si des rejets de CO2 ont été observés suite à une faille il y a quelques années, la démarche démontre tout de même la faisabilité à grande échelle de ce type de processus.

En Islande, un autre projet d’envergure existe aussi. Basée sur les techniques dites de Direct Air Capture (DAC), une installation mise en place en 2021, développée par la start-up suisse Climeworks, capture le CO2 directement dans l’air pour le stocker ensuite sous forme minérale dans le sol, transformant ainsi le carbone en pierre. La start-up suisse, issue de l’ETH Zurich, se concentre ainsi sur les technologies d’absorption du CO2 dans l’air ambiant, laissant la tâche d’injection et de séquestration du fluide carboné dans le sous-sol à l’entreprise Carbfix, implantée à Reykjavík. Il y a peu, Climeworks a par ailleurs remporté différents appels d’offres du gouvernement américain pour explorer des pistes de séquestration du carbone à large échelle. Encore coûteuse, la technologie de la start-up helvétique intéresse de plus en plus les milieux industriels puisque leurs émissions de gaz à effet de serre deviennent de plus en plus chères, notamment avec une taxe carbone susceptible d’augmenter. La technologie suscite même un fort intérêt auprès du géant bancaire américain JP Morgan, qui a investi plus de 20 millions de dollars dans sa technologie.

Émissions négatives

Les technologies de captage, de stockage et d’utilisation du CO2 sont par ailleurs indiquées par le GIEC comme faisant partie des solutions à déployer dans la lutte contre le réchauffement climatique. Des mesures également approuvées durant la COP 27 pour leur potentiel de réduction massif des émissions de gaz à effet de serre. Reste encore à voir comment rendre ces opérations les plus efficientes et propres possibles, notamment afin de ne pas dépenser trop d’énergie émettrice de CO2 lors du processus de capture et de liquéfaction ainsi que lors du transport. Parmi les différentes approches possibles, il s’agit aussi d’explorer les solutions qui existent en matière d’émissions négatives. Dans ce domaine, on parle notamment de bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECCS). L’idée étant d’exploiter le fait que les plantes transforment le CO2 en biomasse, cette dernière fournissant de l’énergie à des usines ou à des infrastructures industrielles captant puis stockant à leur tour le CO2 dans le sous-sol. Dans les approches jouant sur les dynamiques naturelles, on peut aussi augmenter la teneur en carbone des sols par le biais de résidus de récolte ou de biochar – un charbon d’origine végétale obtenu par la transformation thermique (pyrolyse ou gazéification) de différentes sources de biomasse.

Dans tous les cas, il est généralement bien plus facile et moins coûteux d’éviter d’émettre une tonne de CO2 que de faire appel aux technologies de capture et de séquestration. Ces dernières ne pouvant pas se substituer aux efforts d’efficience. Par ailleurs, leur utilisation ne doit pas non plus donner l’illusion qu’il reste possible de continuer à exploiter de l’énergie fossile en quantité. En conclusion, la solution miracle n’existe pas.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

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