La blockchain et la propriété intellectuelle peuvent-elles faire ensemble un pas de deux ou vont-elles trébucher et tomber à terre ?

L’essor des crypto-monnaies et de la technologie de la chaîne de blocs (blockchain) a des implications complexes dans de nombreux domaines comme la finance, la santé, les médias, les arts, l’immobilier, les chaînes d’approvisionnement et la logistique, les systèmes de vote, etc. Et même si la blockchain existe depuis longtemps déjà, ce n’est qu’au cours des deux dernières années qu’elle a pris son essor, étant principalement associée aux crypto-monnaies, mais aussi aux transactions et à la gestion de la propriété intellectuelle (PI).

La chaîne de blocs est une technologie polyvalente synonyme de transparence, de sécurité, de responsabilité, présentant une forte résistance à la fraude et des coûts de maintenance relativement faibles, car cette technologie crée une base de données partagée qui peut suivre et enregistrer ensemble toutes les transactions et tous les actifs. Et vu qu’aucun utilisateur ne régit la blockchain et qu’il n’y a donc pas de grand livre centralisé, que la chaîne est constamment mise à jour et que les utilisateurs ont accès à toute l’activité dans l’ordre chronologique, à partir du moment où quelque chose est sur la chaîne, il ne peut pas être supprimé. Tous ces traits ont beaucoup à voir avec la PI, car il y a de fait quelques domaines où la PI et la blockchain se croisent.

La blockchain est là pour rester (sa portée intersectorielle)

Cette chaîne de blocs dont on parle tant est un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP ; distributed ledger technology – DTL), décentralisé, disponible et immuable qui enregistre la provenance des actifs numériques, en gros, un système qui enregistre les données. Depuis que la blockchain est un DEEP, il a été enregistré une augmentation du nombre de dépôts de brevets et de marques liés à cette technologie de base et aux marques adjacentes et pour le seul Office des brevets et des marques des États-Unis (USPTO), après une recherche rapide, l’on peut trouver environ 7333 enregistrements en la matière. Cependant, ce ne sont pas les seules implications de l’essor du DEEP, et nous devrions nous attendre, dans les années à venir, à une application plus élaborée de la chaîne de blocs à la propriété intellectuelle.

Pour en donner une idée, l’on peut constater que, s’il n’y avait qu’environ 5 000 crypto-monnaies en 2020, il y en a maintenant – au moment où nous écrivons – quelque 6453, pour une capitalisation boursière totale de 2.550.514.112.015 $ et un volume d’échange total de 161.653.900.929 $. Parmi ces 6453 crypto-monnaies, nos lecteurs ont probablement entendu parler de Bitcoin, Ethereum, Binance Coin, Dogecoin ou Tether, d’autant plus que de nombreuses entreprises et même des États ont commencé à les utiliser.

Rappelons le cas déjà célèbre du président salvadorien, Nayib Bukele, qui a déclaré en juin que le Bitcoin, la toute première crypto-monnaie, deviendrait monnaie légale et, en quelques jours, la loi Bitcoin a été adoptée, devenant un instrument de paiement légalement reconnu, un moyen financier accepté par le système légal, ce qui se traduit, dans le présent cas, par l’obligation faite aux entreprises d’accepter le Bitcoin pour tout paiement.

Amazon, Microsoft, Nvidia, PayPal, Walmart, Alibaba, Samsung, Toyota, Nestlé ou Coca Cola font partie des entreprises qui ont adopté la chaîne de blocs. Spotify, par exemple, utilise la technologie blockchain pour faire correspondre les artistes aux accords de licence, tandis que De Beers utilise cette technologie pour sécuriser et suivre ses diamants tout au long de la chaîne de mise en valeur de ceux-ci, de la mine au tailleur, au polisseur ou encore au bijoutier.

La chaîne de blocs et la propriété intellectuelle peuvent-elles donc vraiment faire ensemble un pas de deux ?

Songeons aux startups dans le domaine technologique et à la nouvelle vague d’innovateurs, dans la mesure où toutes les entreprises à part entière souhaitent protéger leur propriété intellectuelle dans cet environnement commercial extrêmement compétitif dans lequel, dans de nombreux cas, l’exclusivité est la clé du succès, c’est là que l’intérêt de la chaîne de blocs prend tout son sens.

Tout d’abord, la chaîne de blocs peut être utilisée comme un registre de propriété intellectuelle où tous les propriétaires de PI peuvent conserver les certificats numériques de leur PI et utiliser la plate-forme afin d’obtenir des redevances d’autres personnes utilisant leurs inventions ou leurs travaux créatifs via des contrats intelligents.

Ensuite, un contrat intelligent est un programme informatique basé sur la technologie blockchain qui s’exécute automatiquement chaque fois qu’une condition déterminée est remplie, ce qui signifie des procédures plus simples en termes d’application et d’établissement des droits légaux. Ces contrats auto-exécutables peuvent s’avérer très utiles dans les transactions de brevets par exemple, qui impliquent généralement plusieurs étapes dans le processus habituel : vérifier la cession du brevet, sa validité, négocier le contrat de vente, payer et notifier les offices de brevets concernés par les transactions données.

Les contrats intelligents peuvent être utilisés par des inventeurs qui recherchent des investisseurs mais qui souhaitent en même temps protéger leur travail. Ainsi, grâce à un enregistrement électronique comprenant une brève description du projet, les inventeurs pourraient commercialiser leur produit et le protéger en permettant à d’autres d’accéder à plus d’informations en acceptant les termes et conditions d’un contrat intelligent. De cette manière, les titulaires de brevets pourraient étoffer le nombre de leurs licenciés pour ce qui est du savoir-faire et des secrets commerciaux, sans pour autant mettre en péril leurs droits de propriété intellectuelle, d’autant plus que les informations publiées sur la chaîne de blocs pourraient être utilisées comme preuves dans des procédures juridiques liées à la propriété intellectuelle.

Enfin, la technologie de la blockchain peut être utilisée pour stocker et cataloguer différents types d’œuvres originales, d’autant plus qu’il n’existe pas de moyens appropriés pour les auteurs et les créateurs de cataloguer leurs œuvres. Cela signifie aussi que la propriété, la qualité de créateur et l’origine peuvent être difficiles à prouver. À l’ère d’Internet, faire respecter ses droits d’auteur peut s’avérer difficile, car tout le monde peut télécharger ou copier le contenu créé et l’utiliser ; mais avec la chaîne de blocs, les auteurs peuvent voir en temps réel qui utilise leur travail, arrêter les violations du droit d’auteur ou identifier les opportunités de licence et monétiser leurs créations.

La chaîne de blocs peut aider à sécuriser la preuve de la propriété en obtenant des certificats numériques hachés des actifs de PI, qui serviront de preuve solide. En plus de cela, la chaîne de blocs peut être utilisée comme outil d’authentification pour valider l’intégrité de l’actif de PI car elle ne permet pas la duplication, et elle peut ainsi empêcher le piratage en permettant de distinguer, grâce aux registres, les actifs authentiques des contrefaçons.

Conclusion

Les actifs incorporels sont devenus un élément clé de l’économie et leur sécurité fait partie d’une saine et bonne stratégie commerciale. Et, avec l’utilisation de la technologie blockchain, l’on s’attend à une augmentation, en termes de rapport, des droits de propriété intellectuelle et des redevances, tout en se généralisant, en se réglementant et en stimulant en permanence l’innovation.

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Paul Cosmovici

Me Paul Cosmovici, avocat dans le domaine des marques, brevets et designs, travaille notamment pour des clients situés en Suisse, France, Allemagne, USA ou Royaume-Uni. Il a une grande expérience dans la stratégie liée à la propriété intellectuelle. Son expérience comprend la structuration de transactions commerciales, ainsi que la protection d’actifs de propriété intellectuelle. Me Paul Cosmovici conseille des entreprises menant des activités telles que pharmacies, aliments et boissons, FMCG, logiciels, banques, fonds d'investissement et universités publiques.

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