Une approche du paradigme du nouvel inventeur : l’IA peut-elle vraiment détenir des droits de propriété intellectuelle ?

L’intelligence artificielle (IA) et la propriété intellectuelle (PI) sont à l’honneur depuis un certain temps déjà et font sensation, d’autant plus que le nombre d’inventions issues de l’IA faisant « équipe » avec des chercheurs a rapidement augmenté au cours de la dernière décennie. Le nœud du problème de cette tendance ascendante est de savoir si l’IA peut détenir ou non des droits de propriété intellectuelle, question qui a commencé à diviser les experts juridiques et technologiques.

L’étincelle qui a allumé ce débat est DABUS (Device for the Autonomous Bootstrapping of Unified Sentience), un système d’IA créé par Stephen Thaler qui peut fonctionner de manière indépendante et créer des produits par lui-même, pour lequel Stephen Thaler a demandé des brevets dans 17 juridictions. Il n’y a rien d’anormal à déposer un brevet, mais Stephen Thaler a déposé des demandes nationales et internationales de brevets en désignant DABUS comme en étant l’inventeur. Les demandes remettaient en cause la pratique traditionnelle de la propriété intellectuelle et soulevaient la question de savoir si seuls les humains pouvaient être désignés comme inventeurs dans un dépôt de brevet.

Une IA peut-elle détenir des brevets ?

Traditionnellement, le droit relatif aux brevets considère qu’un brevet peut être accordé à toute personne qui invente un produit ou un procédé qui apporte une nouvelle façon de faire quelque chose ou une nouvelle solution technique à un problème. DABUS a effectivement apporté quelque chose de nouveau au monde et, sur les 17 demandes de brevet déposées jusqu’à présent, seules l’Afrique du Sud et l’Australie ont délivré des brevets nommant DABUS comme en étant l’inventeur. Dans le même temps, le Royaume-Uni et les États-Unis ont rejeté la demande, au motif que la machine à IA ne pouvait pas être considérée comme un inventeur, car l’inventeur doit être un individu/une personne physique. C’est ainsi que, la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles estimant que seule une personne peut être un inventeur, Stephen Thaler a fait savoir que, puisqu’il n’était pas l’inventeur, il n’avait aucun droit sur le brevet.

Œuvre créé par une IA et propriété

Ainsi, l’une des questions posées par les spécialistes de la propriété intellectuelle est de savoir si une IA peut être un créateur et si elle est capable de posséder ce qu’elle crée. Un argument serait que ces technologies d’IA sont autonomes avant d’être « entraînées » et programmées pour associer certaines données à des sorties. Bien sûr, l’IA casse la baraque et révolutionne la technologie telle que nous la connaissions, mais est-elle vraiment si brillante ?

Par exemple, un système d’IA, une fois « entraîné », peut associer des mots à des descriptions telles que leur indicateur grammatical, qu’il s’agisse d’un verbe, d’un nom ou d’un adjectif et peut en outre apprendre à créer des phrases. Cela devient intéressant surtout qu’une fois que le programmeur a écrit le code grâce auquel les outils nécessaires pour former des phrases sont donnés au système, le programmeur ne sait pas vraiment comment le système d’IA coordonnera les données et quelle sorte de phrases – compréhensibles – il produira. Alors, une fois créées, à qui appartiennent réellement ces phrases ?

Pour creuser le problème de la propriété de l’œuvre créée par IA, une question judicieuse à poser est de savoir qui est l’auteur de cette création ? Suivant un raisonnement logique, la propriété du travail généré par l’IA devrait appartenir à la ou les personnes qui ont créé l’algorithme donné du programme qui a produit le travail – si nous considérons l’IA comme impliquant des machines/systèmes agissant en dehors du contrôle humain. Conventionnellement, l’auteur est considéré comme étant la personne qui crée l’œuvre – bien entendu, à moins que la personne ne soit un employé et que, selon l’accord signé avec l’employeur, le droit d’auteur appartienne à ce dernier.

Un autre problème est que l’IA n’est pas considérée comme étant une entité juridique comme les sociétés, qui ont une personnalité juridique (ce qui signifie que l’entité est constituée et administrée en vertu du droit des sociétés). Et, si l’entreprise devait commettre une fraude ou tout autre type d’inconduite, les tribunaux compétents tiendraient pour responsables les individus se trouvant derrière la structure de l’entreprise, cependant, si nous suivons le même raisonnement dans le cas de l’IA, alors le logiciel développeur ou l’utilisateur responsable de l’infraction donnée ne peut pas vraiment être tenu responsable d’une non-personne.

Début décembre 2021, les chercheurs de la centrale d’IA DeepMind de Google basés à Londres, aux côtés d’une poignée de mathématiciens, ont annoncé que l’IA a été utilisée pour la première fois pour prouver de nouveaux théorèmes mathématiques montrant que l’IA peut être appliquée à des tâches aussi abstraites que les mathématiques pures ou aussi difficile que la génération de protéines. D’aucuns diraient que l’IA ne serait rien sans l’apport humain, l’IA n’étant qu’un simple outil utilisé par les développeurs et les scientifiques pour résoudre des problèmes spécifiques, sur la base d’algorithmes dépendant du savoir-faire du programmeur. Mais en est-il ainsi ? Une autre IA de DeepMind, AlphaGo Zero, utilisant un réseau de neurones, va de l’avant et prouve le contraire, en apprenant le jeu complexe du Go et en réussissant à devenir le premier programme informatique à vaincre un joueur humain professionnel.

Conclusion

Même si DABUS a remporté quelques victoires, il semble que l’ensemble du débat concernant l’invention des œuvres générées par IA continuera de soulever des questions, de diviser l’opinion et de pousser à l’harmonisation entre le cadre juridique et les développements technologiques. Pendant ce temps, le Royaume-Uni a déjà lancé une consultation publique sur la manière dont les systèmes de droit d’auteur et de brevet devraient traiter et accueillir l’IA et dans quelle mesure la protection de la propriété intellectuelle pourrait être étendue aux créations/inventions de systèmes d’IA. En attendant, l’Union européenne, les États-Unis et d’autres organisations telles que l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) mènent également des études pour trouver les bonnes solutions aux litiges en matière de propriété intellectuelle liés à l’IA. Et, à cette fin, la Commission européenne, aux côtés d’autres groupes d’intérêt, a commencé à prendre de plus en plus en compte l’option de créer un cadre juridique ex novo, dans le sillage de la quatrième révolution industrielle.

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Paul Cosmovici

Me Paul Cosmovici, avocat dans le domaine des marques, brevets et designs, travaille notamment pour des clients situés en Suisse, France, Allemagne, USA ou Royaume-Uni. Il a une grande expérience dans la stratégie liée à la propriété intellectuelle. Son expérience comprend la structuration de transactions commerciales, ainsi que la protection d’actifs de propriété intellectuelle. Me Paul Cosmovici conseille des entreprises menant des activités telles que pharmacies, aliments et boissons, FMCG, logiciels, banques, fonds d'investissement et universités publiques.

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