NFT : « ruée vers l’or » dans l’« Ouest sauvage » du droit d’auteur

Les NFTs (Non-Fungible Tokens – Jetons non-fongibles) ont pris le monde d’assaut et font bruire la cryptosphère depuis quelques temps déjà. Selon une plate-forme d’analyse économique, le volume des transactions de NFTs a atteint un record absolu au troisième trimestre de cette année, atteignant 10,67 milliards de dollars, avec une croissance stupéfiante de 700 % par rapport au trimestre précédent, alors qu’au premier trimestre, les ventes étaient de 1,2 milliard de dollars et au deuxième trimestre de 1,3 milliard de dollars. Vous vous demandez peut-être maintenant ce que peut bien être tout ce battage médiatique qui se fait autour des NFTs et comment cette technologie émergente refaçonne le monde tel que nous le connaissions, ou plutôt pensions le connaître. La pas si ignorée que ça aujourd’hui industrie du NFT, en plus de générer des milliards de dollars, met en lumière un domaine juridique qui était resté jusque-là dans l’ombre : le droit de propriété intellectuelle (PI). Les artistes, musiciens, éditeurs, les créateurs en général utilisent désormais les NFTs pour monétiser leurs œuvres et tirer le meilleur parti de leurs droits de propriété intellectuelle.

Qu’acquérez-vous (vraiment) lorsque vous achetez un NFT ?

En mars 2021, Mike Winkelmann (également connu sous le nom de Beeple) a vendu le collage numérique « Everydays: The First 5000 Days » lors d’une vente inhabituelle chez Christie’s, pour un montant incroyable de 69,3 millions de dollars, ce qui en fait le NFT le plus cher jamais vendu et même l’une des œuvres les mieux cotées d’un artiste encore vivant. Ainsi, si lorsque vous envisagez d’acheter un objet d’art, vous avez en tête une toile, une photographie ou une sculpture que vous pouvez réellement toucher, si vous achetez un NFT vous acquérez en fait un fichier numérique. Ce fichier est stocké sur une blockchain, contenant un jeton qui vérifie le caractère unique de la pièce en question et vous permet de retracer sa propriété depuis sa création. Fondamentalement, vous possédez le jeton qui confère la propriété et/ou la preuve d’authenticité de l’actif numérique et le NFT est ce jeton et non l’œuvre d’art elle-même. Révolutionnaire, non ?

 La « ruée » vers les NFT dans l’« Ouest sauvage » du droit d’auteur

Que l’engouement pour les NFTs soit en effet une sorte de « ruée vers l’or » ou non, il est encore trop tôt pour le dire, et il y a de fortes chances que si, historiquement, les « ruées vers l’or » ont été de courte durée, les NFT ont tout ce qu’il faut pour être là pour longtemps et changer tout autant la façon d’échanger et d’acheter de l’art que le cadre juridique. Le co-fondateur de Twitter, Jack Dorsey, a également rejoint le mouvement NFT et a vendu son tout premier tweet pour 2,9 millions de dollars, tandis que de plus en plus d’entreprises, telles qu’IBM, ont annoncé leur intention de « jetoniser » des brevets. Disney et McDonald’s ont également rejoint le parti NFT. Malgré tout le battage médiatique et l’incroyable potentiel transactionnel, le marché de la blockchain est encore largement non réglementé et il est souvent comparé à l’« Ouest sauvage ». Cependant, même dans ce « Wild West » numérique, la loi sur le droit d’auteur s’applique et les vendeurs et les acheteurs doivent en comprendre l’importance.

Contrairement à la possession d’une peinture ou d’une sculpture originales, posséder un NFT ne vous donne pas de droit d’exclusivité sur l’œuvre d’art, voir ainsi le cas de Jack Dorsey, dont le tweet, malgré son prix de vente élevé, est toujours accessible au public et peut toujours être lu, aimé ou retweeté par d’autres. Ainsi, lorsque vous achetez un NFT, ce que vous achetez réellement ce sont certains droits par rapport à l’actif numérique donné, mais pas l’actif lui-même, l’œuvre d’art elle-même n’étant pas la même dans le cadre des NFTs. Les NFTs ont été créés pour donner aux utilisateurs une authentique propriété numérique sur les œuvres d’art, l’intelligence artificielle (IA) et à peu près tout ce qui est numérisé, se présentant sous quelque forme et taille que ce soit. Leur caractère « non fongible » signifie essentiellement qu’ils ne sont pas interchangeables, sont facilement identifiables grâce à des métadonnées, qu’ils sont stockés et sécurisés sur un journal numérique utilisant la technologie blockchain, et qu’ils possèdent une valeur et une fonction uniques. Le problème avec les NFTs et le droit d’auteur est qu’il n’est toujours pas clair si le « minage », qui fait référence au processus par lequel l’art d’un artiste entre dans la blockchain Ethereum, sorte de grand livre accessible au public, non modifiable et inviolable, peut être considéré comme pertinent en matière de droit d’auteur, puisque le NFT fait référence à la création d’un jeton sur la blockchain et non à l’actif numérique lui-même.

Par exemple, selon le Bureau Américain des Droits d’auteur, sont couvertes par les droits d’auteur les œuvres originales fixées sur tout support d’expression tangible, à partir duquel elles peuvent être perçues, reproduites ou autrement communiquées, soit directement, soit à l’aide d’une machine ou d’un dispositif. À la lumière de cela, de nombreux experts juridiques se creusent la tête pour comprendre comment les lois sur le droit d’auteur déjà existantes peuvent s’appliquer à cette technologie émergente. Outre les problèmes posés par la question de savoir si les NFTs peuvent être protégés par le droit d’auteur en tant qu’œuvres d’art ordinaires, certains artistes et créateurs sont déjà confrontés à une violation de leur droit d’auteur, leurs œuvres étant copiées et vendues sur les marchés des NFTs sans leur autorisation. Les NFTs, malgré leur caractère non-fongible, pourraient même rendre plus difficile la détermination de l’authenticité d’une copie. Les NFTs sont des caractères stockés sur une blockchain, une liste d’ensembles de données cryptographiquement interconnectés qui agissent comme un registre foncier – pour rendre la comparaison plus vivante – et peuvent être consultés par n’importe qui.

La nature même des NFTs a donc créé le besoin de repenser à la fois la protection sur la propriété intellectuelle et les politiques de licence et cette nécessité pousse les auteurs à mettre à jour leurs stratégies de propriété intellectuelle et à inclure des modifications liées aux NFTs en termes de licence, de cession ou d’attribution de droits de propriété intellectuelle. Lorsque vous achetez un NFT, vous n’acquérez généralement pas le droit d’auteur, à moins qu’il ne vous ait été cédé par l’artiste. Le problème avec le droit d’auteur est que même si Beeple a livré à l’acheteur une copie de l’œuvre d’art « Everydays », rendant la transaction plus proche d’une vente d’art ordinaire, il existe une myriade de copies de son œuvre d’art qui inonde Internet, sous une forme pas très différente de celle que l’acheteur a reçue (une copie d’ « Everydays » de 500 mégapixels), ce qui, à son tour, rend très difficile de s’assurer que ce que vous possédez est la copie authentique. L’on peut s’attendre à ce qu’avec l’essor des NFTs, il y ait plus de cas de contrefaçon et de piratage d’art numérique, celui-ci devenant beaucoup plus difficile à défendre devant les tribunaux. Le droit d’auteur « traditionnel » protège les droits moraux du créateur et, sauf indication contraire, le droit d’auteur sur l’œuvre d’art appartient à l’auteur de l’œuvre. Cela signifie, pour les propriétaires d’un NFT, que oui, ils ont des droits de propriété sur la blockchain, mais qu’ils n’ont pas de droits d’auteur sur l’œuvre d’art et qu’ils ne peuvent pas empêcher des tiers de copier, imprimer, partager l’œuvre d’art en question.

Bien entendu, le droit d’auteur et tous les autres droits de propriété intellectuelle associés à l’actif appartenant à l’auteur peuvent être transférés ou cédés à l’acheteur. Néanmoins, les relations entre le vendeur/auteur et l’acheteur et les droits attachés au NFT dépendent de ce que les parties conviennent en termes de cession de droits, droits relevant d’une juridiction donnée. Les droits de l’acheteur peuvent également être régis par les conditions générales définies par le marché des NFTs et le contrat intelligent, qui peuvent définir comment l’acheteur du NFT peut utiliser l’œuvre d’art.

Conclusion

Le buzz qui accompagne les lignes de code créées sur la blockchain (NFT) attire beaucoup l’attention en tant que canal permettant aux propriétaires de marques et de droits d’auteur de protéger et d’exploiter leurs droits. Dans cette nouvelle ère, on s’attend à ce que le droit sur la propriété intellectuelle s’adapte aux besoins du marché, en ajustant très probablement les moyens de processus d’enregistrement, de protection et de défense de la propriété intellectuelle et en soutenant l’innovation, la technologie et la vague de l’art numérique.

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Paul Cosmovici

Me Paul Cosmovici, avocat dans le domaine des marques, brevets et designs, travaille notamment pour des clients situés en Suisse, France, Allemagne, USA ou Royaume-Uni. Il a une grande expérience dans la stratégie liée à la propriété intellectuelle. Son expérience comprend la structuration de transactions commerciales, ainsi que la protection d’actifs de propriété intellectuelle. Me Paul Cosmovici conseille des entreprises menant des activités telles que pharmacies, aliments et boissons, FMCG, logiciels, banques, fonds d'investissement et universités publiques.

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