Contrefaçon, marques de luxe et propriété intellectuelle – des ananas à Patek Philippe

Si autrefois avoir sur sa table un ananas était le symbole ultime du luxe et de la richesse, de nos jours, posséder une Patek Philippe indique aux yeux d’autrui qui vous êtes, votre statut socio-économique, etc. L’ananas était une nouveauté pour les Européens et surtout, il était rare, semblable à bien des égards aux montres Patek Philippe d’aujourd’hui. Il pourrait sembler à première vue que la comparaison n’a aucun sens, mais elle en a pourtant si on la regarde de manière créative. L’ananas était incroyablement élitiste et seules quelques cours royales pouvaient y avoir accès, tout comme aujourd’hui une montre Patek Philippe Grandmaster Chime. L’ananas est un fruit collectif composé de 100 à 200 petits fruits fusionnés sur un axe central, tandis qu’une Patek Philippe est composée de plus de 200 éléments particuliers. Ainsi, comme il y a des siècles, les produits de luxe sont encore aujourd’hui consommés par des clients qui veulent s’assurer une distinction sociale et, malgré son élitisme et ses énormes profits, même le marché du luxe est confronté à des défis majeurs qui perturbent la conduite des affaires.

Pourquoi les marques de luxe sont-elles des cibles potentielles ?

La contrefaçon est une activité très rentable pour les organisations opérant en dehors de la loi dans le monde entier, une activité qui développe constamment ses techniques de fabrication et sa gamme de produits, à la fois hors ligne et en ligne. Elle est devenue l’un des quatre cavaliers des défis actuels auxquels se voient confrontées les marques de luxe, car elle touche les critères de rareté et d’exclusivité, qui, outre la qualité, est le principal facteur de vente. Les produits de luxe se vendent pour leur fonctionnalité, comme toutes les autres marques, mais ils vendent aussi un rêve, ce qui les rend encore plus attrayants. Alors, lorsque le rêve est inatteignable, les fabricants de contrefaçon le rendent réalisable.

Des marques de luxe comme Chanel, Louis Vuitton, Prada, Fendi, Gucci et Dior figurent parmi les marques les plus contrefaites au monde, selon le même Rapport Mondial sur la Contrefaçon de Marques. Ainsi, plus une marque est connue, plus il y a de chances qu’elle soit la victime d’une contrefaçon de marque, comme le logo LV de Louis Vuitton, les C accolés dos à dos de Chanel ou la forme ou le design d’une Patek, d’une Rolex ou d’une Cartier, car ces signes « parlent » aux consommateurs.

Il y a aussi un paradoxe dans tout cela. Si le tartan Haymarket de Burberry ou les chaussures à semelle rouge de Christian Louboutin sont des marques reconnaissables, immédiatement associées à la richesse et à l’élitisme, avec la montée de la contrefaçon et du marché pirate, des produits similaires sont disponibles à l’achat dans une rue de traverse à un prix et/ou une qualité extrêmement bas. Ces exemples illustrent ce que les recherches marketing ont montré jusqu’à présent, ce qui signifie que, pour que les marques soient contrefaites, elles doivent avoir un succès et une notoriété incroyables, et certains pourraient même aller jusqu’à affirmer que lorsqu’une marque de luxe est contrefaite, cela signifie qu’elle a atteint son apogée. Alors que, pour certaines marques de luxe, la contrefaçon de leurs produits peut se traduire comme une publicité, d’autres soutiennent que le phénomène affecte la promesse de qualité faite au client et crée de l’insatisfaction vis à vis de la marque.

Propriété intellectuelle versus contrefaçon

Les marques de luxe sont probablement devenues aussi reconnaissables que les drapeaux nationaux. À la base de ce phénomène se trouve la capacité même à produire et à monétiser une marque reconnaissable et distinctive. Conformément à l’Accord de l’OMC sur les Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC), les « produits de contrefaçon de marque » désignent des marchandises – emballage compris – portant une marque non autorisée, qui est identique à celle enregistrée et qui enfreint les droits du propriétaire de la marque. Habituellement, les marques s’assurent qu’elles labellisent l’ensemble des éléments pouvant faire l’objet d’une marque : la combinaison de mots, lettres, chiffres, dessins, forme des produits, symboles, couleurs et la liste peut continuer encore longtemps. Pourtant, cela ne signifie pas qu’elles sont protégées, car les contrefacteurs réussissent à fabriquer des produits de haute qualité ressemblant presque intégralement aux produits authentiques, décrits dans le jargon comme « AAA », « 1:1 » ou « miroir ». Cela signifie que, pour les acheteurs, il est très difficile de faire la différence entre un produit authentique et un produit contrefait. En fait, ils sont si bien fabriqués que les différences peuvent résider dans de petits détails, comme les coutures différant de quelques millimètres, la police de caractère ou la couleur utilisée.

L’OCDE a constaté que les produits de luxe de contrefaçon les plus saisis sont les montres, la maroquinerie, les parfums et les accessoires, et que les entreprises les plus touchées par ce phénomène sont principalement enregistrées aux États-Unis, en France, en Suisse, en Italie, en Allemagne, au Japon, en Corée et au Royaume-Uni, pays où sont implantées les marques de luxe. L’on pense que le marché des produits contrefaits et piratés aurait atteint un montant stupéfiant de 1820 milliards de dollars en 2020, avec une perte estimée à environ 32 milliards de dollars en 2017 en raison des ventes en ligne uniquement, étant donné qu’il est difficile d’estimer le montant perdu par les marques de luxe dans les ventes hors ligne, selon le Rapport Mondial sur la Contrefaçon de Marques. Des études montrent que plus de 80 % de ces marchandises ont été saisies par les douanes de la seule Union Européenne, en provenance de Chine, suivie de l’Inde, de la Russie, de la Turquie et de l’Ukraine, comme le montre un récent document de travail de la Commission européenne.

Cependant, parfois même avoir une marque déposée ne suffit pas. Le motif à carreaux Damier de Louis Vuitton créé en 1888 a été contesté pour être trop générique et donc incapable d’être protégé par le droit des marques, la semelle rouge de Christian Louboutin rencontre également des problèmes de marque et a été contestée au motif qu’elle était dépourvue de caractère distinctif et que la couleur rouge ne pouvait pas être une marque déposée. Les marques ont gagné dans ces cas-là, mais ce qui est frappant, c’est que même si ce sont de puissantes entreprises, elles se voient toujours confrontées au fardeau des longues procédures judiciaires.

Conclusion

Les tendances mondiales semblent indiquer que les contrefacteurs utilisent des technologies de plus en plus sophistiquées et fabriquent des produits de haute qualité qui ont un marché relativement stable dans les pays en développement. Avec de tels produits vendus dans les rues de traverse, les arrière-boutiques et partout sur Internet, il est difficile de poursuivre tous les contrefacteurs de marques, il est donc beaucoup plus probable qu’une marque de luxe poursuive un contrefacteur fabriquant des produits de haute qualité qu’un autre produisant de la mauvaise qualité. L’engouement pour la contrefaçon rend difficile pour les entreprises haut de gamme de maintenir la rareté et l’exclusivité de leurs produits sans diluer leur image sur le marché, et c’est pourquoi protéger leur propriété intellectuelle, y compris les droits d’auteur, les marques, les secrets commerciaux et les brevets – le cas échéant – devient plus qu’impérieux.

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Paul Cosmovici

Me Paul Cosmovici, avocat dans le domaine des marques, brevets et designs, travaille notamment pour des clients situés en Suisse, France, Allemagne, USA ou Royaume-Uni. Il a une grande expérience dans la stratégie liée à la propriété intellectuelle. Son expérience comprend la structuration de transactions commerciales, ainsi que la protection d’actifs de propriété intellectuelle. Me Paul Cosmovici conseille des entreprises menant des activités telles que pharmacies, aliments et boissons, FMCG, logiciels, banques, fonds d'investissement et universités publiques.

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