Des opportunités se dessinent (2/2)

Quelle synthèse tirer de l’évolution financière et des placements en 2021? Et qu’attendre de 2022? Après un premier bilan de l’année 2021, Gérald Mayoraz, directeur de Groupe Mutuel Asset Management, se tourne vers l’avenir et évoque les coûts de «verdissement» de l’économie, l’évolution des taux et les opportunités qui se dessinent.

 

S’agissant de l’économie, vous dites que son «verdissement» aura un coût…

Un exemple très frappant nous vient de Chine. Ce pays a défini un plan de désinvestissement des énergies fossiles et d’amélioration des infrastructures spectaculaire. Avec des investissements à hauteur de USD 266 milliards dédiés uniquement à la transition énergétique en 2021, le gouvernement chinois avance à pas de géant, il annonce ce qu’il fait et fait ce qu’il annonce. Cela va modifier considérablement l’impact de la Chine sur l’environnement. Une transformation du mix énergétique des matières fossiles vers une électrification  «verte» de la société, va certes coûter en termes de matières premières, de développement technologique et de transformation de l’habitat mais les entreprises polluantes vont disparaître petit à petit. La Chine se projette aujourd’hui jusqu’en 2060, avec un calendrier précis. Elle estime que le pic de pollution sera atteint entre 2027 et 2030 et que ce n’est qu’après qu’elle pourra enregistrer une baisse d’émissions de CO2 très rapide. L’Europe n’est pas à la traîne non plus sur ce plan, ce sont plutôt les Etats-Unis qui ont encore un temps de retard.

 

Que peut faire la Suisse, la minuscule Suisse, qui se positionne souvent en bonne élève?

La Suisse est en effet une bonne élève, que ce soit en termes de projets d’infrastructure et de transformation des bâtiments, ou en termes de consommation d’énergie. L’amélioration de l’approche climatique en Suisse est plutôt basé sur le comportement du consommateur. Le dernier volet de la transformation énergétique et de l’amélioration climatique, c’est l’action du consommateur, qui doit se rendre compte de ce qu’il fait ou ne fait pas en faveur du climat.

 

Sommes-nous au début d’une nouvelle ère, avec une hausse des taux d’intérêt inévitable?

Je n’exclus pas que l’on connaisse la fin de plus de 30 ans de taux orientés à la baisse,  et que nous nous retrouvions dans un environnement où les taux d’intérêt seraient plus élevés. A nouveau, il faut porter un regard attentif sur la Chine, l’indice des prix à la production de ce pays  donnant la tendance de l’indice des prix à la consommation dans les pays développés. Ce n’est pas un problème en soi, si cette hausse s’effectue de manière coordonnée, sans choc d’inflation et baisse importante du pouvoir d’achat.

 

Or il est très important que ce pouvoir d’achat soit maintenu et que la consommation soit soutenue…

Tout le défi étant de savoir comment nous allons consommer (réd. sourires). Mais nous n’en sommes pas encore là.

 

A quoi êtes-vous attentif aujourd’hui en particulier en matière de placements? Sur quoi misez-vous?

Dans le cas d’une augmentation des taux, nous aurons la problématique de la valorisation des entreprises à «duration longue» – comme les plateformes internet ou de paiement, les entreprises technologiques, dont les résultats futurs sont potentiellement lointains et escomptés à un taux d’intérêt très bas.

Lorsque les taux augmentent, la valorisation de ces entreprises baisse. Le deuxième point d’attention concerne la désaffection des investisseurs par rapport à des entreprises qui ne font pas l’effort d’adapter leurs business modèles aux exigences climatiques.. Je ne parle pas ici seulement d’une approche ESG mais bien aussi du risque de rester engagé dans des types d’entreprises qui ne veulent pas s’adapter ou qui ne le peuvent pas.

 

Et les opportunités?

Elles sont bel et bien là, dans le contexte de la transformation du mix énergétique, de l’amélioration des infrastructures et de l’électrification de l’économie.

 

Des raisons donc d’être plutôt confiant?

Tout à fait. Les possibilités de générer du rendement sont encore existantes, mais sans doute pas de manière aussi spectaculaire qu’en 2020 ou 2021. Il faudra simplement que l’adaptation du marché à la baisse du bilan des banques centrales et la hausse des taux d’intérêt à court terme soient menées de manière coordonnée.

 

Au Groupe Mutuel, le bilan financier et des placements en 2021 est-il satisfaisant?

Oui. Il s’élève à un peu plus de 4% pour les assureurs maladie, qui mènent une politique de placement très prudente et défensive, régie par l’ordonnance sur les assureurs-maladie et à environ 7% pour le secteur de la Prévoyance et des assurances complémentaires.

 

Le mot de la fin?

L’année 2022 sera sans doute un peu plus chaotique que 2021. Sur un horizon à plus long terme, la tendance lourde d’une adaptation des instruments d’investissement dirigés vers la transformation du mix énergétique à travers le monde permettra de mener des politiques plus favorables en termes de climat et sera probablement source de rendement.

 

L’expert de ce blog – Gérald Mayoraz

Après avoir travaillé à Genève, Zurich et Toronto dans le domaine bancaire de l’asset management, Gérald Mayoraz est revenu dans son Valais natal. Titulaire d’un diplôme fédéral d’analyste financier et de gestionnaire de fortune, il est actuellement CEO de Groupe Mutuel Asset Management SA, société dédiée à la gestion de fortune des entreprises du Groupe Mutuel. A ce titre, il conduit le département de gestion des capitaux de l’entreprise.

Une année 2021 de disruption (1/2)

Quelle synthèse tirer de l’évolution financière et des placements en 2021? Et qu’attendre de 2022? Les grandes tendances de l’économie vues par Gérald Mayoraz, directeur de Groupe Mutuel Asset Management SA. Première partie aujourd’hui, avec la disruption des chaînes d’approvisionnement et de distribution, une inflation forte et la résilience de l’économie suisse. Et seconde partie dans trois jours, avec un regard tourné vers l’avenir, les coûts de «verdissement» de l’économie, l’évolution des taux et les opportunités à venir.

2021 a vu les vagues de Covid se succéder. Comment décrire les grandes scansions et tendances de l’année écoulée?

Nous pouvons parler ici de l’impact que ces différentes vagues ont eu sur le système économique en général. Une des grandes nouveautés de 2021 aura été la disruption des chaînes d’approvisionnement et de distribution, dont l’effet sur l’économie en général a été spectaculaire. Une disruption qui a vu les matières premières et les produits finis – des semi-conducteurs aux métaux – devenir de plus en plus difficiles d’accès.

 

Cela s’est en particulier ressenti dans la seconde partie de l’année chez le consommateur lui-même…

Le consommateur a souvent dû attendre pour acheter sa voiture, son canapé ou construire ou rénover sa maison. L’impact de cette disruption, qui d’ailleurs dure encore, s’est traduit par une augmentation des prix. Une augmentation qui n’a pas été enregistrée seulement du côté de l’énergie – le pétrole et le charbon ayant beaucoup progressé en 2021 – mais aussi dans les biens de première nécessité, comme le café, le jus d’orange, le bois, le loyer, le prix des maisons, si bien qu’on aura observé dans la deuxième partie de 2021 une forte accélération de l’inflation – qui s’est élevée à quelque 7% aux Etats-Unis pour l’année 2021 (y compris énergie et transport).

Une situation qui pourrait devenir problématique?

Je dirais plutôt une situation qui peut être contenue si elle reste temporaire. On peut noter dans ce contexte qu’en 2021, les banques centrales américaine et européenne ont délivré un message selon lequel cette inflation serait justement temporaire et que nous allions bientôt revenir à des niveaux sensiblement plus bas. Or pour le moment ce n’est pas le cas. La réaction du consommateur, elle, aura été assez prompte. Aux Etats-Unis, on enregistre par exemple un nombre de grèves déclenchées en vue d’une augmentation des salaires qui n’avait plus été atteint depuis plus de quarante ans. Les salaires ont effectivement commencé à croître à partir de la mi-2021, ce qui bien entendu a compliqué la situation des entreprises, qui d’un côté ont vu les matières premières se renchérir et de l’autre les charges salariales augmenter.

 

Une spirale inquiétante?

Potentiellement oui, et qui inquiète en effet les banques centrales. A la fin janvier 2022, la Banque Fédérale américaine a ainsi  annoncé qu’elle allait augmenter les taux d’intérêt et diminuer ses rachats d’actifs, c’est-à-dire cesser d’injecter de la liquidité dans les marchés. Cette situation peut ouvrir un nouveau contexte dans lequel la bonne performance boursière de l’année 2021 pourrait ne pas se répéter en 2022.

 

La situation des entreprises européennes est-elle  comparable à celle des entreprises américaines?

Nous sommes un peu décalés, toutefois le taux d’inflation en Allemagne s’élève à 5%, un taux que nous n’avions plus connu depuis des décennies. L’écart du taux d’inflation entre les pays européens et la Suisse – ou l’inflation de base se situe à environ 1% – a eu pour conséquence un renforcement du franc suisse, l’euro se retrouvant à 1,03 environ.

La Suisse s’en sort donc plutôt bien…

Effectivement. En 2020 et 2021 nous avons eu la preuve d’une économie suisse très résiliente. Les entreprises ont bénéficié des RHT, ce qui a été une excellente décision et ont pu se repositionner sur les marchés internationaux par le fait de la qualité de leurs produits et leur admirable capacité d’adaptation, malgré un renforcement du franc suisse et des taux d’intérêt à la hausse – ce qui ne s’était plus vu depuis 2018 environ.

 

Et pour la suite?

Plus tôt les restrictions imposées hors de Suisse en rapport avec le Covid seront levées, plus rapidement les chaînes d’approvisionnement et de distribution recommenceront à fonctionner de manière satisfaisante. Ce relâchement des restrictions devrait éviter le risque de spirale inflationniste, véritable cauchemar des banques centrales.

 

On note qu’un autre élément contribue lui aussi à l’inflation, ce sont les investissements selon les critères ESG…

Tant aux Etats-Unis qu’en Europe des montants gigantesques ont été validés par les différents parlements et sont maintenant à disposition pour « verdir » l’économie. Ce phénomène provoque également une demande de matières premières nécessaires à l’amélioration des infrastructures et pousse l’inflation à la hausse. Cet effort d’amélioration des infrastructures avec un impact climatique et social est toutefois nécessaire

 

Quand vous parlez d’impact social, c’est quoi?

L’impact social concerne l’accès à l’éducation, la financiarisation des petites entreprises dans les pays émergents, le développement des transports publics, l’accès facilité aux soins, toutes choses qui amélioreront le bien-être de la population.

 

Retrouvez la suite de cette interview le 18 mars 2022. 

 

L’expert de ce blog – Gérald Mayoraz

Après avoir travaillé à Genève, Zurich et Toronto dans le domaine bancaire de l’asset management, Gérald Mayoraz est revenu dans son Valais natal. Titulaire d’un diplôme fédéral d’analyste financier et de gestionnaire de fortune, il est actuellement CEO de Groupe Mutuel Asset Management SA, société dédiée à la gestion de fortune des entreprises du Groupe Mutuel. A ce titre, il conduit le département de gestion des capitaux de l’entreprise.

Les investissements durables et écologiques (2/2)

La politique d’investissement des sociétés administrées par le Groupe Mutuel est axée sur la prise en compte de l’environnement, des aspects sociaux et de la gouvernance d’entreprise (critères ESG ou Environnement, Social et Gouvernance). En avril 2021, le Groupe Mutuel a d’ailleurs obtenu une très bonne note pour ses placements financiers lors d’un audit externe indépendant. Le point avec Gérald Mayoraz, directeur de Groupe Mutuel Asset Management SA, société gérant les avoirs des entreprises du Groupe Mutuel.

 

Gérald Mayoraz, quels sont au Groupe Mutuel les critères de choix et la manière dont vous répartissez les risques en matière d’investissement?

Deux axes principaux nous guident. Le premier est celui de sortir peu à peu et de manière régulière des énergies à production de CO2, en particulier fossiles, et d’exclure de nos portefeuilles tout ce qui relève de l’ordre des armes. Cet axe inclut également de s’engager dans un dialogue actionnarial avec les entreprises sujettes à caution et d’aborder les investissements de manière à identifier les entreprises qui modifient d’ores et déjà leurs business modèles pour s’adapter à la régulation à venir.

Et le second axe?

Ce qui pour moi est très important est d’investir dans des entreprises ayant un impact, c’est-à-dire celles en mesure de créer, par exemple au niveau technologique, des solutions pouvant aider les entreprises dans ces phases de reconversion. Nous investissons également dans des entreprises ou des fonds ayant un impact social, situées dans des pays à bas taux de PIB par tête, cela pour contribuer à la création de micro-entreprises au niveau local et d’aider ainsi les personnes à se «financiariser» c’est-à-dire à s’intégrer dans un réseau de crédit et d’investissement. Cela permet d’influencer directement le bien-être de populations fragilisées par la pandémie et le dérèglement climatique.

Peut-on définir la part ou la pondération des placements durables par rapport à l’enveloppe globale?

C’est tout le défi. Nous sommes en train d’analyser des fournisseurs de « notes », qui doivent être indépendants, pour savoir à quelle notation correspondent chacun de nos investissements, au niveau de la production de CO2 et de l’impact sociétal. Nous aurons ainsi une image très claire du niveau auquel nous nous trouvons. L’objectif, dans les investissements à impact, est d’arriver à 15% environ de la fortune sous gestion.

Par ailleurs, l’objectif relatif à la production de CO2 est de respecter les conventions signées par la Suisse en termes de lutte pour le climat, soit les Accords de Paris.

Un mot sur la situation ESG des portefeuilles et les performances réalisées des placements de ces dernières années au Groupe Mutuel?

La situation des portefeuilles en termes de critères ESG est bonne. Nous avons un ratio de A sur une échelle allant de A+ à D. Cela ne veut pas dire que nous sommes arrivés au but, mais il s’agit d’une base qui doit nous permettre de nous améliorer encore sur ce chapitre. De manière générale, nous affichons des performances tout à fait en ligne avec ce que nous pouvons attendre des différentes stratégies de placement appliquées dans les sociétés gérées par le Groupe Mutuel.

En savoir plus sur la note ESG du Groupe Mutuel dans cette vidéo:

De bonnes nouvelles donc. Tout cela est conduit et géré par des hommes et des femmes bien réels, peut-on s’en faire une image? Qui sont-ils?

L’équipe en charge de la gestion des capitaux est composée de 9 personnes au sein de Groupe Mutuel Asset Management SA. Un des critères auxquels j’accorde une grande importance est d’ouvrir les yeux, de sortir, d’aller voir et apprendre ce qui se passe en dehors et de se tenir au plus près de l’évolution des possibilités d’investissements et des attentes de rendement futurs selon les types d’actifs. Nous avons un comité de placement, qui se réunit de manière régulière avec trois intervenants externes qui nous apportent aussi leur expertise dans les différents types d’actifs. C’est à partir de là que nous en arrivons à une décision d’allocation tactique, implémentée par la suite par notre équipe.

Le mot de la fin (provisoire, bien sûr)?

Je reprendrais la citation de Bertrand Piccard, quand il dit, je cite de mémoire, que si nous sommes bel et bien face à une crise climatique, il ne faut pas considérer cela seulement comme un problème ou sombrer dans la peur, mais bien aborder cette problématique comme une opportunité, qui doit permettre de contribuer à changer la manière d’investir en prenant en compte l’impact des entreprises sur le climat, l’environnement et le bien-être des personnes.

Je partage entièrement ce message positif. Dans le même temps, nous allons évidemment continuer de tout faire pour que les rendements des portefeuilles des sociétés gérées par le Groupe Mutuel correspondent aux objectifs de rentabilité nécessaires, en particulier dans le 2ème pilier.

 

(Re)lire la première partie de l’interview de Gérald Mayoraz «Le dérèglement climatique devrait être considéré comme une opportunité» (1/2)

 

L’expert de ce blog – Gérald Mayoraz

Après avoir travaillé à Genève, Zurich et Toronto dans le domaine bancaire de l’asset management, Gérald Mayoraz est revenu dans son Valais natal. Titulaire d’un diplôme fédéral d’analyste financier et de gestionnaire de fortune, il est actuellement CEO de Groupe Mutuel Asset Management SA, société dédiée à la gestion de fortune des entreprises du Groupe Mutuel. A ce titre, il conduit le département de gestion des capitaux de l’entreprise.