immobilier

Biens immobiliers protégés, comment les rénover énergétiquement ?

En Suisse, dans de nombreuses villes, les rénovations énergétiques se heurtent à la problématique de la préservation du patrimoine architectural. Comment concilier sauvegarde des biens protégés avec efficience énergétique et production durable ? On fait le point.

La transition énergétique implique d’opérer des rénovations massives au sein du parc immobilier helvétique. Le parc immobilier consomme près de 90 TWh, ce qui correspond à 40% environ de la consommation finale d’énergie en Suisse. De plus, il génère presque un tiers des émissions de CO2 sur notre territoire. La faute notamment à des constructions relativement vieilles qui, aujourd’hui, ne répondent plus aux exigences énergétiques et d’isolation nécessaires pour opérer la transition. Outre l’ancienneté des biens, le caractère architectural unique de certains ouvrages constitue une autre problématique en matière de rénovations énergétiques. Un patrimoine bâti qui, en plus de son importance culturelle et historique, représente également un argument touristique aux retombées non négligeables dans certaines régions. On pense notamment aux villes du Locle et de La Chaux-de-Fonds, dont les toitures si spécifiques et l’architecture industrielle du boom horloger sont inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco.

Outre les questions relatives aux pertes de chaleur, pouvant par exemple nécessiter le remplacement des vitrages ou la rénovation de l’isolation en façade, se pose aussi la question de la production d’énergie renouvelable. Installer des panneaux photovoltaïques en toiture impacte forcément l’esthétique du bâtiment, prétéritant sa certification ou sa labellisation patrimoniale par certains organismes, tels que l’Unesco. Mais alors, comment s’y prendre ?

Exemple neuchâtelois

Dans la région neuchâteloise, les villes du Locle et de La Chaux-de-Fonds sont pleinement confrontées à ce type de problématique. Défi principal : parvenir à concilier la production d’énergie solaire avec la préservation du patrimoine architectural des centres historiques de ces villes. Pour Laure-Emmanuelle Perret, fondatrice et directrice de LMNT consultancy, une entreprise qui propose des services d’accompagnement et de conseil en matière de photovoltaïque et de rénovations énergétiques, le point essentiel consiste à trouver une cohérence avec l’histoire des lieux concernés.

« Lorsque les villes du Locle et de La Chaux-de-Fonds nous ont mandatés pour étudier cette problématique, nous avons été jusqu’à monter une équipe constituée aussi bien d’ingénieurs que d’experts en sciences humaines. Une historienne s’est ainsi penchée sur les tournants historiques majeurs de la région et leur traduction architecturale à la base du patrimoine à préserver aujourd’hui. Ce travail nous a permis de comprendre comment le boom de l’industrie horlogère propre à ces régions s’est manifesté dans l’architecture et nous a considérablement aidé à imaginer les solutions à proposer aux autorités des villes. »

Cohérence historique

Concrètement, pour ces deux villes, les critères qui ont conduit à leur inscription au patrimoine mondial de l’Unesco concernent notamment la matérialité des éléments utilisés, soit les tuiles que l’on retrouve sur les toitures emblématiques de la région. Dans les propositions de directives émises par LMNT consultancy, la stratégie préconisée consiste entre autres à ne pas opter pour des infrastructures photovoltaïques mimant l’existant, mais plutôt d’en assumer pleinement la présence.

« Une manière de maintenir la matérialité des bâtiments historiques est de garder une certaine réversibilité des installations. Il s’agit alors surtout de garder une cohérence architecturale et urbanistique en utilisant par exemple des technologies de modules colorés et de différents formats. Bien sûr, il appartient à chaque commune ou région de privilégier les approches qui lui semblent les plus pertinentes. »

Sur le terrain, les pistes à suivre pour permettre aux propriétaires de ces biens historiques de participer à la transition consistent à installer des panneaux photovoltaïques de même couleur que les tuiles. Une solution qui permet un double avantage : ne pas trop impacter l’esthétique puisque la teinte originale de la toiture se retrouve dans les panneaux, et surtout ne pas toucher aux tuiles artisanales d’origine et à l’agencement en damier des toitures.

« Il est également intéressant de constater que la cohérence historique des lieux est conservée et remise au goût du jour dans notre approche », ajoute Laure-Emmanuelle Perret. « En fait, lors du boom industriel et horloger de l’époque, les façades des ateliers se distinguaient par une architecture pensée pour maximiser le passage de la lumière naturelle, afin d’éclairer et de chauffer les lieux de production. Aujourd’hui, il s’agit toujours de jouer avec l’utilisation de la lumière du soleil, mais pour produire de l’énergie. »

Permettre l’élan durable citoyen

Prévues comme des guidelines, ces propositions de directives devraient permettre aux propriétaires de prendre part activement à la transition énergétique, et aux autorités de répondre favorablement à leurs nombreuses demandes.

« Les Villes sont en effet régulièrement sollicitées par les propriétaires de ces biens protégés. On perçoit donc un réel engagement citoyen avec la volonté de pouvoir prendre part à la transition et de tendre vers une forme d’indépendance énergétique. Ce n’est donc pas un phénomène marginal. »

Et demain, quel patrimoine ?

Si la question de la préservation du patrimoine bâti implique forcément un regard attentif vers le passé, l’avenir est également à prendre en compte. En particulier aujourd’hui, face à l’urgence du changement climatique. Les infrastructures de production d’énergie renouvelable et leur ingénieuse intégration au sein de biens protégés doivent aussi donner naissance au patrimoine de demain, lorsque les prochaines générations se pencheront sur le passé en observant les efforts entrepris alors en matière de rénovations énergétiques.

« Il est important que les acteurs de la conservation du patrimoine et de l’énergie travaillent ensemble pour trouver des solutions communes. Certains compromis sont nécessaires, mais quand ils prennent sens dans une vision commune, cela permet d’avancer », rappelle Laure-Emmanuelle Perret. « Et protéger un patrimoine ne signifie pas non plus devoir le figer. Il s’agit davantage de parvenir à comprendre ce qui en fait quelque chose d’unique en restant fidèle à son histoire et à une époque pour en garantir la continuité dans un nouveau contexte, marqué par des impératifs différents. »

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

Besoin d’adaptation et de développement des réseaux électriques d’ici 2050

Afin d’atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050, la Suisse va devoir transformer en profondeur son système énergétique, notamment en substituant les énergies fossiles par de l’électricité, en plus d’une forte réduction des besoins en énergie grâce à la sobriété et à l’efficacité énergétique – nous vous en parlions dans un précédent article sur les Perspectives énergétiques 2050+, qui esquissent des scénarios relatifs à l’offre et à la demande énergétique en Suisse jusqu’en 2050. Une étude récente mandatée par l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) se concentre justement sur les effets d’une électrification poussée et d’un développement électrique massif des énergies renouvelables sur le réseau suisse de transport de l’électricité. Voyons donc comment les réseaux électriques vont devoir s’adapter et se développer d’ici 2050, afin de permettre l’atteinte de l’objectif de zéro émission nette de la Suisse.

 

Les scénarios développés dans le cadre des Perspectives énergétiques 2050+ ont permis de montrer que la transformation du système énergétique – pour atteindre l’objectif de zéro émission nette – est non seulement techniquement possible mais également économiquement viable. Cette transformation implique toutefois une électrification poussée et l’expansion massive du recours aux énergies renouvelables, soit autant d’enjeux pour les réseaux électriques. Ces derniers vont en effet devoir être adaptés et développés de façon importante ces prochaines années et décennies pour tenir compte du passage à une mobilité privée largement électrifiée, de l’installation d’un nombre croissant de pompes à chaleur en remplacement de chauffages fossiles, ainsi que du déploiement des énergies renouvelables, solaire photovoltaïque en tête.

Afin de transporter l’électricité produite et de fournir de manière fiable de l’électricité aux consommateurs, les besoins d’investissement sont donc importants et dépendent de divers facteurs tels que la gestion de la demande, en particulier dans le domaine de la mobilité électrique, ainsi que l’utilisation de technologies de réseau intelligent. L’injection de plus en plus décentralisée et intermittente de la production électrique est un autre facteur important de ces besoins d’investissement.

L’OFEN a donc mandaté le consortium de bureaux Consentec, EBP et Polynomics afin d’examiner quels effets aura la restructuration du système d’approvisionnement en électricité (selon les scénarios des Perspectives énergétiques 2050+) sur les réseaux de distribution d’électricité suisses. Il est donc question dans cette étude autant du besoin d’extension du réseau, que des coûts qui en découlent ou encore des impacts sur les tarifs du réseau.

 

Les scénarios de l’étude

Les besoins d’expansion du réseau, les coûts d’investissement, les coûts du réseau résultant de ces besoins et les tarifs pour les consommateurs finaux ont été analysés à l’aide de quatre scénarios visant à atteindre zéro émission nette des Perspectives énergétiques 2050+. Les résultats ont été comparés au scénario « Poursuite de la politique énergétique actuelle » (PEA), qui ne permet pas d’atteindre l’objectif de zéro émission nette et se contente de poursuivre les mesures mises en place jusqu’à fin 2018.

Voici plus en détails les différents scénarios envisagés par l’étude :

 

  • ZÉRO base : électrification marquée du système énergétique
  • ZÉRO A : électrification du système énergétique encore plus marquée que dans le scénario ZÉRO base
  • ZÉRO B : électrification du système énergétique moins poussée que dans le scénario ZÉRO base et recours accru au biogaz et aux gaz synthétiques
  • ZÉRO C : électrification du système énergétique moins poussée que dans le scénario ZÉRO base, mais rôle accru joué par les réseaux thermiques ainsi que les combustibles et les carburants biogènes et synthétiques liquides

 

En s’appuyant sur ces différents scénarios, l’étude a permis d’examiner les impacts sur le réseau de distribution en Suisse selon trois facteurs-clés :

  • Électrification de la mobilité individuelle motorisée : selon les scénarios (permettant d’atteindre le zéro émission nette), les véhicules électriques devraient atteindre entre 3.5 et 4.7 millions d’unités en 2050, contre un peu plus de 100’000 véhicules purement électriques immatriculés aujourd’hui ;
  • Développement des pompes à chaleur : selon les scénarios (permettant d’atteindre le zéro émission nette), c’est entre 6 et 10 TWh d’électricité utilisées par les pompes à chaleur qui est attendue pour 2050, permettant le chauffage pour entre 56 et 78% de la surface de référence énergétique au niveau suisse. Actuellement les pompes à chaleur consomment 2 TWh d’électricité pour une puissance installée de 5 TW.
  • Production photovoltaïque : selon les scénarios (permettant d’atteindre le zéro émission nette), c’est entre 20 et 39 TWh d’électricité produite par des panneaux photovoltaïques qui est attendue pour 2050, pour une puissance installée de 22 à 44 GW. Actuellement les installations photovoltaïques fournissent 3,7 TWh par an, soit 6,3% des besoins en électricité de la Suisse.

 

Chiffres-clés des scénarios en matière d’électromobilité, de pompes à chaleur et de photovoltaïque. (Source)

 

Étant donné que l’électrification croissante de la demande (électromobilité et pompes à chaleur) et l’extension importante de la production photovoltaïque ont lieu de manière décentralisée, les répercussions de ces développements sur les réseaux de distribution, ont fait l’objet d’une analyse régionalisée à l’échelle des communes. Un modèle précis au bâtiment près a été utilisé à l’échelle des communes pour évaluer l’adéquation et la pénétration des pompes à chaleur et les installations PV en toiture et façade, ainsi qu’une simulation de toutes les voitures de tourisme et de tous les véhicules utilitaires légers et de leurs processus de recharge.

 

Résultats concernant les besoins d’extension du réseau

Le scénario ZÉRO base nécessite 2 à 2,5 fois plus d’extension du réseau que le scénario PEA, avec une augmentation de la charge de 70%, ainsi qu’une puissance photovoltaïque presque quatre fois plus importante. Dans le scénario ZÉRO A, qui prévoit une électrification encore plus poussée, les besoins en développement du réseau peuvent augmenter jusqu’à 30% par rapport au scénario ZÉRO base. En revanche, les scénarios ZÉRO B et ZÉRO C, qui impliquent une électrification moins importante, permettent une réduction des besoins d’extension du réseau pouvant atteindre 35% par rapport au scénario ZÉRO base.

Ces besoins d’extension du réseau peuvent varier fortement en fonction de la manière dont l’injection (de la production d’électricité renouvelable) et la charge (par exemple pour recharger une voiture électrique) sont gérées. Deux approches sont analysées, une gestion axée sur le réseau ou une gestion axée sur le marché.

Une gestion axée sur le réseau signifie que l’on cherche à adapter la demande, et donc la consommation, en fonction de l’offre et donc de la production. Une gestion axée sur le réseau permettrait une réduction des besoins d’extension du réseau de 25% à 60% dans le scénario ZÉRO base, en veillant à une gestion intelligente et une utilisation optimale des flexibilités. Cela peut notamment se faire en introduisant un système de tarifs dynamiques. Lorsqu’il y a beaucoup de production d’électricité solaire par exemple, le prix de l’électricité baisse et cela vaut plus la peine de charger sa voiture ou de lancer sa machine à laver le linge à ce moment-là. A l’inverse, si la production est plus faible, le prix augmente de sorte à repousser en partie les besoins de consommation.

En revanche, avec une gestion de la charge axée sur le marché, donc où chaque consommateur final décide à quel moment il souhaite consommer, sans tenir compte de la production instantanée d’électricité, les besoins d’extension du réseau peuvent être jusqu’à 3 fois plus élevés que dans le scénario ZÉRO base, selon le niveau de réseau. C’est par exemple le cas si les recharges des véhicules électriques à domicile (souvent la nuit) augmentent considérablement.

 

Résultats concernant les besoins d’investissement et les tarifs d’utilisation du réseau

Selon le scénario PEA, environ 45 milliards de francs sont nécessaires pour maintenir et développer l’infrastructure de réseau électrique sans objectifs supplémentaires. Toutefois, dans le scénario ZÉRO base visant à atteindre zéro émission nette, des investissements supplémentaires de 30 milliards de francs sont nécessaires. Dans le scénario ZERO A, qui implique une électrification encore plus marquée, les besoins d’investissement sont supérieurs de 39 milliards de francs par rapport au scénario PEA. La plupart de ces investissements visent la rénovation d’installations existantes, avec une répartition d’environ 75% pour la rénovation et 25% pour le développement.

Il est possible de réduire d’environ un quart les besoins d’investissement en adoptant un comportement de recharge optimal (recharge lorsque l’injection de courant renouvelable est élevée) dans la mobilité électrique, associé à un écrêtage simultané des pics d’injection des installations photovoltaïques à 70% de la puissance installée, ou à l’utilisation d’un réseau électrique plus intelligent.

Le tableau ci-dessous synthétise les investissements nécessaires à chaque scénario.

 

Besoins d’investissement dans le réseau de distribution de 2020 à 2050 pour les scénarios considérés (milliards de CHF). (Source)

 

Dans tous les scénarios, les coûts annuels totaux du réseau de distribution augmentent, passant de 3,4 milliards de francs aujourd’hui à 4,7 milliards de francs en 2050 dans le scénario PEA, de 108% pour atteindre environ 7,2 milliards de francs dans le scénario ZÉRO base, et de 121% dans la variante de scénario ZÉRO Base « PV selon le Conseil des États ». Les tarifs moyens pour les consommateurs finaux augmentent donc également, mais moins fortement que les coûts.

 

Les modifications de notre système énergétique auront des conséquences à tous les niveaux

Les résultats de l’étude montrent ainsi que l’électrification du système énergétique et l’introduction de sources d’énergie renouvelable, comme le photovoltaïque, auront un impact significatif sur les réseaux de distribution. Les défis auxquels les réseaux de distribution seront confrontés incluent la surcharge des transformateurs et des câbles en raison de la production intermittente d’énergie renouvelable.

Cela nécessitera des investissements importants dans l’infrastructure de réseau et des solutions technologiques pour gérer la production intermittente et l’injection décentralisée d’énergie renouvelable. Par exemple, les réseaux de distribution pourraient être équipés de dispositifs de stockage d’énergie pour aider à gérer les fluctuations de la production d’énergie renouvelable.

En outre, l’étude souligne que la coordination entre les différents acteurs du marché de l’électricité est cruciale pour garantir la fiabilité et la stabilité du réseau. Les autorités réglementaires et les gestionnaires de réseaux de distribution devront travailler ensemble pour coordonner la production et la distribution d’énergie.

Enfin, la transformation du système énergétique pour atteindre une neutralité carbone d’ici 2050 engendre non seulement des coûts directs, mais également des coûts indirects, avec des impacts sur l’économie dans son ensemble. En effet, l’ensemble du tissu économique, le prix des biens, la consommation et le commerce extérieur devront s’adapter aux nouvelles structures d’une économie décarbonée. Il va également sans dire que nos comportements en tant que consommateurs vont aussi devoir évoluer, afin que les larges modifications que va subir le système énergétique suisse soient cohérentes avec nos usages.

 

Hervé Henchoz

Rédacteur

 

Sources consultées pour rédiger cette synthèse

https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-91974.html

https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/74146.pdf

https://www.bfe.admin.ch/bfe/fr/home/politique/perspectives-energetiques-2050-plus.html

https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/mobilite-transports/infrastructures-transport-vehicules/vehicules/vehicules-routiers-parc-taux-motorisation.html

https://www.bundespublikationen.admin.ch/cshop_mimes_bbl/14/1402EC7524F81EDBB7F70EE0610BA520.pdf

sol

Désimperméabiliser les sols urbains

Amélioration de la gestion des eaux pluviales, rafraîchissement lors des canicules, réhabilitation des sols, etc. La transformation des espaces urbains selon le principe de la ville-éponge est porteuse de nombreux espoirs pour adapter les villes aux nouveaux enjeux (bio)climatiques. Aperçu des bonnes pratiques et des pistes pour orienter les stratégies de désimperméabilisation.

Une imperméabilisation en augmentation

En Suisse, d’après les chiffres de l’Office fédéral de la statistique, la surface totale imperméabilisée s’élevait à 2081 km2 en 2018 (soit à peine plus que la superficie du canton de St-Gall). Cela correspond à 5 % de la superficie du pays, et à 63% de la surface d’habitat et d’infrastructure (voir le graphique ci-après).

 

 

Degré d’imperméabilisation des différentes surfaces d’habitat et d’infrastructure, en 2018 © OFS 2021

 

La tendance est malheureusement au renforcement de l’imperméabilisation. La surface totale imperméabilisée a ainsi augmenté de près de 40% entre 1985 et 2018. L’augmentation des surfaces d’habitation, des surfaces de transport et des changements structurels dans l’agriculture y sont pour beaucoup. Alors qu’entre 1985 et 1997, 19,4 km2 de sol ont été imperméabilisés en moyenne chaque année, cette valeur a baissé à 16,9 km2 pendant la période 1997-2009, pour remonter à 17,6 km2 pendant la dernière période d’observation (2009-2018), ce qui correspond à un peu plus d’un m2 toutes les deux secondes.

 

Une vulnérabilité accrue face à un cycle de l’eau perturbé

L’imperméabilisation croissante des sols urbains pose des problèmes majeurs aux villes. D’une part, elle les rend particulièrement vulnérables face aux dérèglements du cycle de l’eau liés au changement climatique. Les fortes précipitations comme celles qu’a connu la région lausannoise le 12 juin 2018 vont être de plus en plus fréquentes (NCCS, Scénarios climatiques 2018), et entraînent des inondations d’autant plus dévastatrices quand l’eau ne peut pas s’infiltrer. À l’inverse, l’eau étant aussi une ressource précieuse pour permettre notamment à la végétation de pousser, et de jouer à son tour un rôle rafraîchissant. Le manque de pleine terre en ville est donc synonyme d’une raréfaction de l’eau en période de sécheresse.

La carte de l’aléa de ruissellement modélisée par l’Office fédéral de l’environnement en 2018 permet de se rendre compte de ces risques à l’échelle des territoires. Bien qu’il s’agisse d’un modèle n’ayant pas été vérifié sur le terrain, elle permet de cibler les zones sujettes à des risques d’inondation en cas de fortes pluies.

 

Carte de l’aléa de ruissellement (OFEV), extrait sur la ville de Lausanne

Penser la ville comme une éponge

Face à ces défis, le concept de ville-éponge s’est développé dès les années 2000 en Chine et inspire aujourd’hui des villes du monde entier. La ville-éponge serait ainsi capable d’absorber au maximum les eaux pluviales dans le sol et les zones humides afin de réguler les inondations urbaines, et diminuer la vulnérabilité durant les périodes de sécheresse en préservant l’eau comme ressource. Pour ce faire, la ville-éponge fait la part belle aux toitures végétalisées, zones humides, bassins de rétention, étangs et fossés de drainage, ainsi qu’aux espaces verts et ouverts végétalisés.

En Suisse, l’OFEV a publié différents documents de référence touchant aux questions de la gestion des eaux de pluie dans l’espace urbain (Eau de pluie dans l’espace urbain), ou à l’adaptation des espaces publics au changement climatique (Quand la ville surchauffe). De son côté, la VSA (Association suisse des professionnels de l’eau) a lancé début 2022 un projet sur la ville-éponge, dont l’objectif est de promouvoir cette dernière comme nouveau paradigme d’aménagement urbain. Une offre de sensibilisation et de formation (webinaires, cours) est proposée, et le projet prévoit aussi d’intégrer le thème de la ville-éponge dans les PGEE (plans généraux d’évacuation des eaux).

 

Bonnes pratiques de Suisse et d’ailleurs

Avec son programme Acclimatasion lancé en 2014 avec le soutien de la Confédération, la Ville de Sion a fait figure de pionnière dans l’adaptation des espaces publics au changement climatique. En termes de planification, la ville intègre progressivement dans ses instruments d’aménagement du territoire des éléments qui favorisent la prise en compte du climat. Cela va du plan directeur communal aux plans d’aménagement détaillé et plans de quartier. Plusieurs espaces publics ont déjà été réaménagés, comme l’espace des remparts ou l’UAPE du Temple protestant (voir sur https://www.sion.ch/albumsphotos/detail/25732). Pour diffuser les bonnes pratiques, la Ville a également publié le « Guide des revêtements perméables » en collaboration avec l’HEPIA. Celui-ci donne un aperçu large des revêtements perméables possibles selon les usages souhaités.

À Genève, l’Office cantonal de l’eau (OCEau) a lancé une démarche novatrice pour diffuser les bonnes pratiques sur la gestion de l’eau. Intitulée « Eau en ville », elle propose notamment une documentation complète et des échanges d’expérience réguliers entre professionnels (https://www.ge.ch/eau-ville-changement-pratiques-applications).

Ailleurs en Europe, d’autres exemples peuvent inspirer les projets d’aménagement urbain. En France, le Cerema a édité une fiche sur la désimperméabilisation et la renaturation des sols (disponible ici). Parmi les bons exemples, on peut notamment citer celui des transformations de rues minérales en rues-jardins. C’est notamment le cas de Bordeaux, avec les rues Paul Camelle et Kléber. En Belgique, la ville d’Anvers déploie aussi des rues-jardins. Après avoir mené des projets pilotes temporaires avec la population, plusieurs rues ont été réaménagées définitivement, comme la Lange Ridderstraat (voir la photo de titre de l’article), avec des pieds de façades végétalisés et un pavage plus perméable au centre.

 

Désasphalter, et après ?

Les projets de désimperméabilisation se multiplient, mais posent encore d’épineuses questions quant à la réhabilitation des sols artificialisés et du devenir des matériaux bitumineux. En effet, la terre végétale étant une ressource finie, remplacer les sols « morts » sous l’asphalte par un apport de terre ne saurait être une solution durable. De même, l’exportation et le traitement des matériaux bitumineux peut aussi s’avérer coûteuse.

Dans cet esprit, certains projets misent sur l’idée de n’exporter aucun matériau, et de faire avec l’existant. C’est le cas des projets du bureau Wagon Landscaping, qui met un point d’honneur à intervenir de la manière la plus sobre possible. Ainsi, dans une cour d’immeuble à Paris, le projet Asphalte Jungle a permis de réutiliser l’enrobé bitumineux découpé pour créer un « technosol » avec des horizons recomposés avec les matériaux présents.

 

Asphalte Jungle, Paris (Wagon Landscaping, photo : Yann Monel)

 

Ce genre d’approches sobres et pragmatiques sont particulièrement intéressantes alors que la désimperméabilisation (et la végétalisation) des villes est de plus en plus urgente. Pour transformer rapidement et à grande échelle les espaces urbains vers la « ville-éponge » tout en préservant les ressources, nous avons tout à gagner à miser sur un travail faisant la part belle à la revalorisation des matériaux in situ, et à des choix de plantes adaptées aux conditions locales et aux contraintes posées par le changement climatique.

 

Mathieu Pochon

Ingénieur environnemental

 

Pour aller plus loin :

 

La géothermie au service des entreprises et des collectivités pour décarboner leur mix énergétique

La géothermie est une énergie renouvelable, locale, disponible en continu 24h/24, neutre en CO2 et favorable à l’économie locale. Elle peut être intégrée dans un bâtiment ou un quartier, pour produire de la chaleur, fournir du froid ou stocker de l’énergie. À l’avenir, elle produira également de l’électricité en continu été comme hiver. Malgré des coûts d’investissements plus élevés que pour les énergies fossiles, la géothermie est moins chère sur la durée de vie des installations grâce à des coûts opérationnels très faibles et stables dans le temps. L’association faitière Géothermie-Suisse regroupe l’ensemble des acteurs et les accompagne pour libérer le potentiel de la géothermie.

L’énergie géothermique est la chaleur stockée dans le sous-sol. Le terme « géothermie » se compose des mots grecs « geo » (terre) et « thermos » (chaleur). Des températures supérieures à 1’000° C prévalent sur 99% de la masse du globe terrestre. On ne rencontre des températures inférieures à 100° C que sur un millième de cette masse, soit dans les 3 km les plus proches de la surface du globe.

Différents types de géothermie pour tous les usages énergétiques

Selon la profondeur, on parle de géothermie de faible, de moyenne ou de grande profondeur. À une profondeur de 10-20 mètres, la température terrestre en Europe centrale s’élève à environ 12° C. Ensuite, la loi du gradient géothermique prévaut, soit une augmentation moyenne de la température de 3° C tous les 100 mètres.

Il existe dix types de systèmes géothermiques qui permettent de chauffer, de refroidir ou de stocker de l’énergie, et même de produire de l’électricité (voir figure ci-dessous), avec de nombreux exemples à succès. En Suisse, on utilise aujourd’hui principalement les sondes géothermiques verticales (SGV) de 200-300m, qui permettent de produire de la chaleur mais également de fournir du froid en été (geocooling), voire de stocker de la chaleur dans le sous-sol pour le prochain hiver. Ces dix dernières années, la production d’énergie grâce aux SGV a plus que doublé en Suisse pour représenter plus de 3’800 millions de kWh de chaleur (env. 5% des besoins de chaleur en Suisse).

Plusieurs milliers d’installations sur nappe d’eau souterraine de faible profondeur existent en Suisse et fournissent 580 millions de kWh. Une quinzaine de forages font fonctionner des bains thermaux avec de l’eau chaude en Suisse, par exemple à Loèche-les-Bains. Un chauffage à distance géothermique avec de l’eau géothermale à 65°C fonctionne depuis 30 ans à Riehen (BS). Il n’existe aujourd’hui pas encore de production d’électricité géothermique en Suisse mais plusieurs projets sont en cours de développement comme à Haute-Sorne (JU) et devraient fournir de l’électricité au réseau d’ici 2029.

 

La diversité de la géothermie contribue à la décarbonisation

La géothermie est une ressource clé de la stratégie énergétique 2050 de la Confédération pour atteindre l’objectif « zéro net ». Rien que dans le domaine de la chaleur – production et stockage – le potentiel économiquement exploitable et écologiquement durable de la géothermie est supérieur à 20 TWh/an, ce qui représenterait 25% des besoins de chaleur en 2050. Pour la production d’électricité, la géothermie peut aussi contribuer à la sécurité d’approvisionnement de la Suisse avec 2 TWh/an d’électricité géothermique et une production tout l’hiver.

Un fort besoin de connaissance du sous-sol et des subventions pour la géothermie de moyenne et grande profondeur

L’enjeu principal pour le développement de la géothermie de moyenne à grande profondeur est l’actuelle méconnaissance du sous-sol. Sans passé pétrolier, notre pays doit explorer son sous-sol profond pour permettre un développement serein et sécurisé de la géothermie. Un programme exploratoire sera mis prochainement en place par la Confédération. Des subventions fédérales de 60% existent déjà pour faire de la prospection ou de l’exploration du sous-sol et ainsi augmenter les chances de succès des forages, car chaque forage représente un potentiel énergétique de plusieurs MW.

Géothermie-Suisse, une association au service de la géothermie et de ses membres

Afin de libérer ce potentiel, l’association faitière Géothermie-Suisse regroupe l’ensemble des acteurs de la géothermie : fournisseurs d’énergie, planificateurs, autorités fédérales, cantonales et communales, Hautes Ecoles, etc.

Géothermie-Suisse facilite le dialogue entre les différentes parties prenantes, crée des plateformes pour le développement du marché, forme les acteurs de la transition et s’engage à tous les niveaux pour des conditions-cadres favorables. Elle fournit les premiers conseils et oriente les demandeurs sur des entreprises membres de Géothermie-Suisse spécialistes. Elle organise annuellement le forum connect4geothermal pour faire connaître les nouveautés dans le domaine de la géothermie et rassembler tous les acteurs. Elle organise des échanges et partage d’expérience dans le cadre du programme Transfer sur des thématiques spécifiques comme les campagnes sismiques ou les données minimales de forages géothermiques.

La formation modulaire GEOTH, visant à accroître les compétences pour mieux intégrer la géothermie dans le mix énergétique, aura lieu de septembre à décembre. Cette formation modulaire se situe à l’interface entre l’accès à la ressource en sous-sol et sa distribution ainsi que son utilisation en surface. Elle s’adresse à différents publics-cibles (décideurs, techniciens communaux, planificateurs, hydrogéologues, ingénieurs) avec une approche à la carte, en fonction des connaissances préalables. Les cours peuvent être suivis indépendamment les uns des autres.

 

Jérôme Faessler

Géothermie Suisse

durabilité

Boussole 21 : mode d’emploi

Lancée initialement par le Canton de Vaud, la plateforme Boussole21 propose aux acteurs publics et privés d’analyser la durabilité de leur projet. Un outil pratique qui permet de bénéficier d’une vue d’ensemble claire tout en favorisant la collaboration entre les parties prenantes. Explications.

Lancer un projet durable peut vite constituer un véritable casse-tête si l’on ne bénéficie pas d’un cadre de travail organisé. Quel que soit le domaine concerné par un tel projet, la durabilité est avant tout une affaire commune, dans laquelle de nombreux acteurs et partenaires peuvent être amenés à intervenir. Une donne valable aussi bien pour des initiatives privées que pour des démarches collectives entreprises au niveau public. Dans ce cadre, l’État de Vaud a lancé il y a quelques années déjà Boussole21, une plateforme d’aide à la réalisation et au suivi de projet durable.

Objectif principal : analyser la durabilité de son projet au sein d’un espace de travail collaboratif permettant à chaque partie prenante d’apporter sa contribution et ses réflexions. Concrètement, Boussole21 se présente sous la forme d’une plateforme web. Développé en Open Source, le logiciel a continuellement été amélioré durant ces dernières années par le Canton de Vaud, les responsables d’associations de développement économique régionales vaudoises, le Canton de Fribourg, le Canton du Valais ainsi que la société Estia du Parc scientifique de l’EPFL.

Bureau virtuel

En ligne, la plateforme Boussole21 permet de réaliser une évaluation rapide de son projet en prenant en compte 20 critères tels que la mobilité, l’énergie, la résilience économique, la formation et l’éducation, la cohésion sociale ou encore la gestion publique. Pour chaque aspect pris en compte par le logiciel, une évaluation basée sur un système de notation allant de « défavorable » à « favorable » permet d’analyser en détail l’impact durable de son projet.

« L’outil a en effet été pensé de la manière la plus large possible dès sa conception », souligne Guillaume de Buren, Chef du Bureau de la durabilité à l’État de Vaud. « Bien plus qu’un système de quantification objectif, Boussole21 se base sur une approche systémique, invitant les utilisateurs de la plateforme à approfondir des réflexions ouvertes sur tous les aspects pouvant être liés ou impactés par leur projet. Imaginons un projet de mobilité, outre les aspects pratiques, économiques et écologiques, il est possible grâce à la plateforme de considérer l’impact en termes de cohésion sociale. Le projet est-il inclusif et favorise-t-il le lien social ou, au contraire, marginalise-t-il une partie de la population ? Ces questionnements permettent d’intégrer tous ces paramètres à l’équation durable dont il est question. C’est d’ailleurs ce qui fait la force et la pertinence de la plateforme. »

Accessible à tous, le système ne nécessite pas de compétences ni de connaissances spécifiques préalables. Des modules multi-utilisateurs facilitent en outre la collaboration et la gestion de projet avec des check-lists et validations intermédiaires. L’outil est par ailleurs conçu de manière à pouvoir suivre toutes les phases d’un projet durable, de l’élaboration des premières étapes au suivi des effets et performances en passant par la réalisation.

« Pensé de manière ouverte, l’outil offre en outre la possibilité aux porteurs d’un projet d’inviter des experts à donner leur analyse ou leur évaluation sur des points spécifiques, ce qui permet de compléter le rapport final fourni par la plateforme avec une expertise neutre et externe au projet concerné », précise le Chef du Bureau de la durabilité du Canton de Vaud.

Conformité au cadre légal

Pour les projets publics, tout comme des initiatives et démarches privées, Boussole21 permet aussi et surtout d’avancer dans son projet en s’assurant de sa conformité avec les différents engagements en matière de durabilité. Il est par exemple attendu des services de l’administration qu’ils documentent les impacts en termes de durabilité des objets qu’ils soumettent au Conseil d’État et au Grand Conseil. Sur le site de Boussole21, il est par ailleurs précisé pour la région vaudoise qu’« au Service de l’économie, l’évaluation de la durabilité avec Boussole21 est obligatoire pour toutes les demandes financières pour des projets régionaux d’infrastructures faites au titre de la loi cantonale sur l’appui au développement économique et de la loi fédérale sur la politique régionale (LPR) ».

Même dynamique dans les Cantons de Fribourg et du Valais, où les projets de lois et de décrets doivent mentionner les effets en termes de durabilité. Ce qui explique d’ailleurs l’adoption de Boussole21 pour soumettre la majorité de ces projets depuis plusieurs années.

« Pour les autorités, l’utilisation de Boussole21 permet de se baser sur des critères et évaluations limpides, par exemple pour se prononcer sur l’allocation de fonds à un certain projet », ajoute Guillaume de Buren. « Si la plateforme a d’abord été pensée comme un outil destiné aux collectivités, son utilisation dans le cadre de projets privés reste évidemment tout à fait possible et pertinente. Gratuit et en open source, il est très facile à utiliser, par exemple pour des projets d’architecture ou encore des initiatives ponctuelles. »

Exemple palinzard

Dans la Commune d’Epalinges, l’utilisation de Boussole21 est devenue systématique depuis plusieurs années déjà pour la remise de tous les préavis au Conseil communal. Une pratique généralisée pour tout type de projet qui permet aux responsables ainsi qu’aux membres du Conseil de bénéficier d’une évaluation durable rapide et précise. Pour Maurice Mischler, en charge des finances, de la durabilité, de l’énergie, de la mobilité et des bâtiments, l’outil a en outre permis d’affiner la sensibilité aux enjeux durables auprès des chargés de projets et des membres de la Commune.

« L’intérêt principal de l’outil consiste en effet à pouvoir obtenir un aperçu rapide de l’impact de chaque projet. Présentée sous la forme d’un graphique radar, l’évaluation durable se basant sur les 20 critères retenus par la plateforme est appréciée en un coup d’œil. En remplissant les différents champs prévus par l’évaluation en ligne, l’utilisateur est par ailleurs sensibilisé aux enjeux durables qui concernent son projet. En cas de mauvaise appréciation, l’évaluation finale étant basée sur un système de notation allant de A à F, un responsable de projet va pouvoir identifier directement les éléments problématiques et les potentiels d’amélioration à explorer davantage dans l’optique de rendre son projet plus durable et de réduire les impacts négatifs qu’il pourrait engendrer. »

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

economiser

10 astuces pour économiser l’énergie au bureau et chez soi

Économiser l’énergie devient essentiel, en particulier dans le contexte actuel marqué par le défi de la transition et les épisodes de pénurie qui nous menacent. Si l’efficience énergétique au niveau global est bien sûr à déployer à une échelle industrielle, il reste que nous pouvons toutes et tous, individuellement, contribuer à limiter le gaspillage.

Économiser l’énergie est une affaire collective. Chez soi ou au bureau, de simples gestes, adoptés au quotidien, permettent de réduire la consommation énergétique, pour ne pas dire le gaspillage, dans des proportions significatives. Si individuellement ces gestes peuvent sembler anodins, leur effet est évidemment maximisé si tout le monde s’y met. Car c’est bien connu, les petits ruisseaux font les grandes rivières.

Outre les bienfaits écologiques de ces écogestes à adopter, on notera aussi que ces bonnes habitudes à prendre permettent également de réaliser des économies sur le plan financier. Deux bonnes raisons de s’y mettre sans plus attendre.

AU BUREAU

À l’échelle d’une entreprise, le gaspillage quotidien d’énergie peut vite prendre des proportions importantes, tant sur le plan économique qu’écologique. Voici quelques recommandations, bien connues mais souvent délaissées, à mettre en place dans votre entreprise pour réaliser des économies d’énergie significatives.

Éteindre les lumières et le matériel informatique

Cela vous paraît évident ? Tant mieux. Encore faut-il le mettre en pratique. Car en se promenant en ville le soir, impossible de passer à côté des nombreux bureaux et espaces de travail vides, au sein desquels les lumières sont encore allumées. Sans parler des écrans d’ordinateurs, encore trop souvent laissés en mode veille. S’il est difficile d’estimer précisément pour une entreprise quelle est la proportion d’énergie ciblée par l’adoption de telles mesures, certains indicateurs globaux permettent de se faire une idée de l’ampleur de la pollution lumineuse. Ainsi, on sait qu’à l’échelle mondiale, près de 20% de l’électricité utilisée sert à produire de la lumière pendant la nuit. Et aux États-Unis, entre 30 et 60% de l’énergie utilisée pour l’éclairage n’est en réalité pas nécessaire et correspond au brûlage de 2 millions de barils d’essence par jour. Une astuce pour aller plus loin dans son entreprise : installer des détecteurs de présence pour éteindre la lumière dans les pièces vides.

Baisser le chauffage

En hiver, même s’il fait froid, nous vivons très souvent dans des espaces surchauffés au quotidien. Une consommation d’énergie inutile, dont on peut aisément se passer en faisant simplement preuve de bon sens, par exemple en optant pour des vêtements plus chauds comme des pulls en laine. À titre indicatif, le fait de baisser son chauffage d’un seul degré permet déjà de réduire sa consommation d’énergie de 7% !

Éviter la climatisation

Avec des étés qui semblent de plus en plus chauds et marqués par des épisodes de canicule, la climatisation est toujours plus appréciée. Pourtant, elle s’avère particulièrement énergivore, en consommant entre 1500 et 2500 watts par heure. Dans ce cas, on préconisera l’ombrage naturel, en baissant ses stores, et l’ouverture des fenêtres sur les différentes façades pour générer un courant d’air. En cas de travaux de rénovations énergétiques, il peut être judicieux d’évoquer ce point en étudiant les possibilités en matière de verres teintés ou encore de systèmes domotiques automatisés pour adapter l’ouverture des stores à la lumière naturelle.

Utiliser des multiprises

Vous avez certainement un stock de multiprises dans vos armoires. Pourquoi ne pas les utiliser et équiper vos bureaux et open-space ? Cette solution simple et ingénieuse s’avérera très rentable une fois que vos collègues auront pris l’habitude de l’utiliser. En termes de consommation énergétique, on sait par exemple que les appareils en veille peuvent représenter jusqu’à 10% d’une facture. Une multiprise à interrupteur permet de les débrancher momentanément.

Allumer l’imprimante uniquement en cas d’utilisation

Les imprimantes consomment beaucoup d’énergie. Éteignez-les lorsque vous ne les utilisez pas en veillant à éteindre leurs deux interrupteurs. Car même en étant apparemment éteintes, il est fréquent que les imprimantes continuent à consommer de l’électricité en raison de leur transformateur qui reste sous tension malgré le fait que leur témoin ne soit pas allumé.

À LA MAISON

Notre logement est également un lieu au sein duquel il est possible de réaliser des économies d’énergie conséquentes. Voici quelques écogestes à adopter sans plus attendre pour contribuer à réduire la consommation globale tout en réalisant des économies sur le plan financier. Pour vous, Romande Energie a par ailleurs réalisé un livre blanc gratuit vous permettant de connaître en détail les bonnes astuces pour consommer mieux et moins l’électricité.

Électroménager et appareils électriques, observer de près l’étiquette énergétique

Lors de l’achat d’appareils électroménagers ou électriques, on privilégiera bien sûr les appareils les mieux notés. Quel que soit l’appareil en question, presque tous les produits qui consomment de l’électricité sont notés selon leur performance énergétique grâce à l’étiquette-énergie. Du A ou A+++ pour les appareils les plus efficients au G pour les plus énergivores, les modèles sont notés selon des critères établis au niveau fédéral pour aider la clientèle au moment de faire un choix. Pour donner un ordre d’idée de l’impact de cette notation énergétique, on peut mentionner le fait qu’une cafetière notée A+++ consommera jusqu’à deux fois moins d’électricité qu’un équivalent en A, et jusqu’à trois fois moins qu’un équivalent en D.

Cuisiner de manière écologique

La cuisine est évidemment un lieu de grande consommation énergétique. Plusieurs écogestes peuvent y être adoptés. Par exemple, faire frémir – et non bouillir – l’eau de cuisson. On veillera aussi à toujours placer un couvercle sur la casserole pour accélérer le temps de cuisson et éviter le gaspillage énergétique dû à l’évaporation. Laver sa vaisselle au lave-vaisselle plutôt qu’à la main, si l’on bénéficie d’un appareil de dernière génération en mode ÉCO, permet d’économiser jusqu’à 50% d’eau et 25% d’électricité. Enfin, pour faire chauffer son thé, inutile d’utiliser la casserole, une bouilloire électrique s’avère plus rapide et plus économique.

Opter pour le bon éclairage

En matière d’éclairage, un des premiers bons réflexes à adopter consiste à opter pour des ampoules à LED. Leur durée de vie prolongée permet de rentabiliser leur prix légèrement plus élevé. Les ampoules de ce type réduisent l’utilisation d’énergie de moitié, voire de 80% si l’on installe des capteurs de présence pour éviter de garder la lumière allumée si personne n’est présent. Autre astuce : mettre en place des horloges permettant d’ajuster l’enclenchement et le déclenchement des éclairages pour n’éclairer qu’un certain temps.

Télétravail, s’installer en mode économe

Le télétravail est de plus en plus pratiqué, ce qui permet déjà de réduire les déplacements et la consommation d’énergie qui en découle. Mais chez soi, installer son poste de travail de manière économe implique de respecter certains critères simples. Concernant le matériel informatique, on privilégiera l’achat d’un ordinateur portable plutôt qu’un ordinateur de bureau, il consommera beaucoup moins d’énergie. Éviter la multiplication inutile des écrans permettra aussi d’éviter la grande consommation d’électricité dont ils sont responsables. Comme au bureau, le fait d’utiliser des multiprises permettra d’éteindre complètement ses appareils plutôt que de les laisser en mode veille. Pour rappel, en Suisse, 460 millions de francs sont gaspillés chaque année en raison des appareils laissés en mode veille. Enfin, pour l’imprimante, une imprimante à jet d’encre si vous imprimez peu de documents sera préférable qu’une imprimante laser. Bien sûr, limitez aussi vos impressions en privilégiant les versions numériques de vos documents.

Chauffage et utilisation des espaces de vie

Sans nous en rendre compte, nous générons des pertes d’énergie inutiles au sein de nos logements avec des gestes plutôt banaux en apparence. Par exemple, ne pas obstruer les chauffages avec des meubles ou encore des rideaux, voire des habits après la lessive pour les faire sécher, permet d’optimiser leur fonctionnement, et donc de limiter le gaspillage. Durant la nuit, le fait de baisser les stores et de fermer les volets dans ses pièces à vivre permet par ailleurs de conserver la chaleur à l’intérieur de chez soi. Concernant l’aération de ses pièces, il s’avère beaucoup plus économe de procéder à deux à trois aérations par jour en ouvrant les fenêtres en grand plutôt qu’en les laissant ouvertes en imposte. Enfin, en matière de réglage du chauffage, limitez la température maximale à 19°C dans les pièces à vivre et à 17°C dans les chambres. Les pièces inutilisées n’ont pas besoin d’être chauffées et durant vos absences pensez évidemment à abaisser la température. Pour les personnes frileuses, notez que le fait de diminuer la température de votre logement de 0.5°C à la fois permettra de vous habituer. Le corps s’habitue à une baisse de température en quelques jours seulement. Rappelons finalement que réduire la température d’un seul degré suffit à économiser 7% d’énergie de chauffage.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

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Les think tanks, des acteurs hybrides et influents

Les think tanks sont devenus, au fil du temps, des acteurs importants dans l’élaboration des politiques publiques et dans l’influence du débat. Ces organisations indépendantes de recherche et de réflexion produisent des analyses et des recommandations sur une vaste gamme de sujets, allant de la politique étrangère à la sécurité, en passant par l’énergie, l’économie ou encore la culture.

On les appelle en français les « laboratoires d’idées ». Souvent créés par des experts et des chercheurs, les think tanks cherchent à influencer le débat public et les décideurs politiques en fournissant des informations et des analyses indépendantes. Ils peuvent être financés par des gouvernements, des entreprises, des fondations, des particuliers ou des organisations sans but lucratif et si certains sont politiquement orientés, d’autres cherchent à rester impartiaux. Les think tanks peuvent également différer en taille, en portée et en influence. Il existe aujourd’hui des milliers de think tanks dans le monde entier, chacun ayant ses propres objectifs, domaines d’expertise et approches.

Les réflexions initiales

Les think tanks sont nés aux États-Unis au début du XXe siècle, en réponse à la complexité croissante des problèmes sociaux, économiques et politiques auxquels faisaient face les gouvernements et les décideurs politiques de l’époque. Il était alors question de fournir une expertise indépendante et approfondie sur des questions spécifiques pour aider les gouvernements à prendre des décisions plus éclairées. Les buts ne sont pas très différents aujourd’hui.

En Suisse, on recense près d’une centaine de think tanks, dont le plus connu est le World Economic Forum. Fin 2020, notre pays se classait ainsi à la 18e place mondiale, d’après une étude du Think Tanks and Civil Societies Program, institut rattaché à l’Université de Pennsylvanie et souvent présenté comme le « think tank des think tanks », comme le relève PME Magazine.

Il est également utile de distinguer les think tanks des autres types d’organisations, telles que les clusters ou les associations et les fondations :

  • les think tanks sont des organisations indépendantes qui répondent à différents besoins, tels que le conseil aux décideurs politiques, l’expertise et la recherche, l’influence sur l’opinion publique, l’offre d’opportunités de collaboration et de réseautage. Ils peuvent avoir différents statuts juridiques, être financés par des dons, des subventions ou des contrats de recherche ;
  • les clusters sont des regroupements d’entreprises, d’organisations ou d’institutions dans un même secteur d’activité géographiquement concentré. Ils travaillent ensemble dans le but de stimuler l’innovation, l’échange d’informations et les collaborations, afin de renforcer la compétitivité et la croissance économique du secteur concerné ;
  • les associations sont quant à elles des organisations à but non lucratif qui rassemblent des personnes ou des entreprises – membres – partageant des intérêts ou des objectifs communs, tels que la promotion d’une cause, la défense d’intérêts ou la pratique d’une activité ;
  • les fondations sont également des organisations à but non lucratif, créées par un donateur pour soutenir financièrement ou promouvoir une cause particulière. Ces donateurs-créateurs peuvent être des particuliers, des entreprises ou des institutions publiques.
  • En résumé, les clusters sont des regroupements d’entreprisesles associations et les fondations sont des organisations à but non lucratif qui poursuivent des objectifs communs, tandis que les think tanks sont des organisations qui produisent des analyses et des recommandations pour influencer les décisions politiques.

 

LES THINK TANKS DE L’ÉNERGIE

Certains think tanks se dédient aux questions liées à l’énergie. En voici quelques exemples, actifs en Suisse et à l’étranger :

Center for Energy Policy and Economics (CEPE) / Suisse

Le CEPE contribue à la recherche et à l’enseignement dans le domaine de la politique et de l’économie énergétique. Par ses activités nationales et internationales, il développe et applique de nouvelles méthodes empiriques. Le centre cherche également à améliorer les bases de la prise de décision par les entreprises et les gouvernements, avec des analyses d’économie et de politique énergétiques, ou encore la rédaction d’options de politique énergétique. Les chaires du CEPE forment également les étudiants des Ecoles polytechniques fédérales de Zürich (EPFZ), en proposant un programme de conférences et de séminaires ainsi que des colloques sur l’économie et la politique des ressources, de l’environnement et de l’énergie.

Forum stockage d’énergie suisse (FEES) de l’AEES / Suisse

Le Forum Stockage d’énergie Suisse organise et diffuse des connaissances approfondies sur les possibilités de stockage, l’utilisation des accumulateurs d’énergie dans l’intérêt du système et du climat, les conditions-cadres et les modèles d’activité permettant ce type de mise en œuvre. Le Forum est organisé de façon intersectorielle – chaleur, électricité, mobilité – et indépendant de toute technologie. Il élabore et diffuse des bases scientifiquement fondées par l’intermédiaire de ses propres analyses et études. Il sensibilise et informe également les milieux politiques, l’administration et le grand public sur les interactions, le contexte et les nouveaux développements en matière de stockage d’énergie.

Rethink_ing / Suisse

suisse.ing – l’Union Suisse des Sociétés d’Ingénieurs-Conseils s’est dotée d’un think tank intitulé rethink_ing. Quatre Innovationmeets ont réuni en 2021 et 2022 des personnes aux intérêts, aux horizons professionnels et aux besoins différents. Il a ainsi été possible de créer une plateforme sur laquelle a été développée de manière co-créative et sans contraintes politiques ou économiques, une vision d’une ville durable sur le plan social, écologique et économique. L’objectif : penser hors du cadre. Actuellement, un premier projet de “conversations de quartier” est mis en œuvre.

The Shift Project / Suisse

The Shifters Switzerland est une association au sens des articles 60 et suivants du CC, créée en 2020. Elle adapte les travaux du centre de réflexion français The Shift Project au contexte suisse.

The Shift Project

Sans doute le plus connu des think tanks en matière énergétique, dont l’illustre président est l’ingénieur et conférencier Jean-Marc Jancovici. Le Shift Project se concentre sur la transition énergétique et œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone, alors que « The Shifters Switzerland », créée en 2002, adapte les travaux du centre de réflexion français The Shift Project au contexte suisse. La plateforme Shift your job regroupe par ailleurs des entreprises et organisations (situées sur le territoire français) identifiées par les bénévoles de Shift Project comme contributives à la transition carbone.

> Think Tanks’Org et Think Tanks Guide

Ces plateformes répertorient les think tanks, par thématique (premier lien), et par région (second lien). Une ressource pratique et utile.

Agora Energiewende / Allemagne

Agora Energiewende (Allemagne) : Agora Energiewende est un think tank allemand qui se concentre sur la transition énergétique et la politique énergétique en Allemagne, en Europe et dans le monde.

Institute for European Environmental Policy / Belgique

L’Institut de politique environnementale européenne est un think tank européen qui se concentre sur la politique environnementale et climatique de l’UE, y compris la politique énergétique.

>  The Florence School of Regulation / Italie

La Florence School of Regulation est un think tank européen qui se concentre sur la réglementation et la politique énergétique en Europe.

European Climate Foundation / Europe

Think tank européen qui travaille à promouvoir la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique en Europe.

Think tank Parlement européen / Europe

Cartographie des principaux think tanks d’Europe et présentation des projets qui y sont menés, notamment sur les questions énergétiques.

 

Joëlle Loretan

Rédactrice

énergie

Energie, quand la distribution est assurée par les coopératives

C’est un changement de paradigme progressif qui prend désormais une certaine ampleur, transformant la configuration classique de la distribution d’énergie. Parallèlement aux distributeurs, de nombreuses coopératives voient en effet le jour en Suisse, proposant aux citoyens de prendre part activement au développement d’infrastructures et de réseaux énergétiques. On fait le point pour saisir l’importance et les enjeux de ce mouvement.

En Suisse, 297 coopératives d’énergie assurent l’approvisionnement électrique de 230’000 personnes. Ces regroupements, au sein desquels les citoyens deviennent co-propriétaires des infrastructures énergétiques, contrastent avec l’hégémonie historique des grands distributeurs. Comment le mouvement est-il amené à se développer ? Quels en sont les avantages d’un point de vue citoyen, politique et durable ? Et quel rôle doivent assurer les distributeurs en parallèle ? Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre dans cet article pour comprendre comment cette nouvelle dynamique peut favoriser le déploiement d’infrastructures et de réseaux énergétiques responsables.

Si la gestion de la distribution a longtemps été assurée par les grands groupes, le modèle des coopératives qui se développe de manière significative en Suisse ainsi qu’en Europe redistribue les cartes entre producteurs, distributeurs et consommateurs. Concrètement, une coopérative d’énergie se distingue des acteurs traditionnels par le statut et la place que les consommateurs y occupent. En effet, ces derniers ne sont plus de simples consommateurs, mais deviennent partie prenante du système en tant que copropriétaires des infrastructures énergétiques. Une configuration qui permet à tous les membres d’une coopérative de participer financièrement au déploiement d’infrastructures leur appartenant. Outre l’aspect financier de la copropriété, la coopérative constitue aussi et surtout un modèle démocratique au sein duquel chaque membre peut prendre part activement à la prise de décisions et à la politique menée par l’organisation sur le long terme.

Aujourd’hui, mentionnons déjà que ces 297 coopératives helvétiques génèrent une puissance cumulée comprise entre 50 et 94 MW, soit moins de 3% de la puissance solaire totale installée en Suisse.

Levier participatif décisif

En considérant les différents modèles sociaux, économiques et politiques qui sous-tendent la gestion des réseaux d’énergie, on peut constater que la dynamique participative propre aux coopératives permet d’engendrer un véritable effet de levier en faveur de la transition énergétique. Conscients des enjeux durables qui les concernent, les copropriétaires rassemblés dans ce type de structure ont en effet la possibilité de concrétiser leurs aspirations et visions en matière de paradigme énergétique responsable. On en trouve d’ailleurs plusieurs exemples, en Suisse comme en Europe.

À Ernen, dans la vallée de Conches, c’est par la création d’une coopérative que la commune a pu opérer sa mue durable en remplaçant les chaudières à mazout de ses habitations par un système de chauffage à distance (CAD). Il y a une dizaine d’années, plus de 300 logements du village alpin ont ainsi été raccordés au nouveau réseau de CAD. Chaque année, cette infrastructure permet d’économiser 300’000 litres de mazout. Outre l’aspect durable, la démarche comporte une forte valeur ajoutée d’un point de vue économique et participatif puisque le projet aide en effet à maintenir des emplois sur place, dans l’entreprise Forst Goms chargée de la coupe de bois local et de la transformation en pellets pour alimenter le CAD. L’investissement de 5 millions de francs nécessaire à la transformation, supporté par la société coopérative fondée pour le projet, offre la possibilité aux habitants de profiter d’une réduction des coûts significative par rapport à l’ancien système de chauffage à mazout.

Autre exemple de modèle gagnant des coopératives au Danemark, sur l’île de Samsø, où les habitants sont propriétaires d’un parc de plusieurs dizaines d’éoliennes depuis 1998. L’île est même parvenue à devenir autonome au niveau énergétique. Un processus collectif durable qui fonctionne notamment parce que la population est allée à la rencontre des autorités locales afin de demander des changements concrets, tels que l’ouverture du capital des infrastructures énergétiques aux citoyens qui participent au projet.

En Suisse, si les coopératives ne permettent pas forcément de tendre vers l’autonomie énergétique (ce n’est d’ailleurs par leur but premier), elles constituent cependant des alternatives aux modèles classiques des plus pertinentes, en particulier dans un contexte de décentralisation de la production d’énergie, porté notamment par le déploiement du photovoltaïque sur les toitures des habitants. Dans ce sens, on constate que les autorités et les grands groupes actifs historiquement dans la distribution d’énergie ont tout intérêt à soutenir la dynamique. La décentralisation ne pouvant pas être réalisée à l’échelle industrielle uniquement et devant, au contraire, inclure les habitants – producteurs durables à leur tour – dans l’équation énergétique.

Distributeurs et regroupements de consommateurs, des modèles complémentaires

Consciente de cette nouvelle donne et des préoccupations actuelles des consommateurs producteurs, Romande Energie entend bien accompagner le mouvement. Sur son site web, on trouve par exemple des conseils et points clés destinés aux propriétaires d’infrastructures énergétiques souhaitant se rassembler pour autoconsommer avec leurs voisins. Le groupe a en outre réalisé un livre blanc qu’il propose depuis son site pour informer les personnes intéressées sur les éléments essentiels à observer et la marche à suivre dans l’optique de former ces rassemblements. Pour Céline Rihs, Product manager chez Romande Energie, ces dynamiques traduisent une volonté de diminuer l’impact du consommateur des plus encourageantes qu’il s’agit de soutenir et encadrer pour favoriser son éclosion auprès du plus grand nombre.

« Deux cas de figure principaux sont possibles. Les communautés d’autoconsommateurs, dans lesquelles les habitants utilisent le courant d’une infrastructure photovoltaïque commune tout en gardant un lien individualisé avec le gestionnaire de réseau de distribution (GRD), et les regroupements pour la consommation propre, dans lesquels le GRD intervient uniquement comme lien avec le réseau à l’échelle du quartier au sein duquel se trouve le regroupement. »

Positives et prometteuses, ces initiatives nécessitent tout de même un certain encadrement, notamment pour qu’elles puissent se concrétiser correctement. « C’est précisément ce rôle d’accompagnement et de pédagogie que doivent jouer les distributeurs », souligne Céline Rihs. « L’idée étant d’informer les habitants intéressés par ce type de démarches en leur expliquant les possibilités et limites du système tout en leur fournissant des outils tels que le livre blanc que nous mettons à disposition du grand public. »

En considérant le fort intérêt pour les questions énergétiques, notamment depuis l’éclatement du conflit en Ukraine et les pressions qui en découlent sur l’approvisionnement en énergie, il est fort probable que ces initiatives, tout comme la multiplication des coopératives, continuent à se développer dans des proportions significatives. Du côté des installateurs photovoltaïques, les commandes ne désemplissent pas et la filière s’est même organisée pour mettre au point des cursus plus rapides afin de former les futurs professionnels du secteur et répondre à la forte demande. Un signe encourageant, qui démontre en tous cas une prise de conscience collective quant à la nécessité d’opérer rapidement la transition énergétique.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

énergie

Électricité, ce qui se cache derrière votre facture

Avec la hausse du prix de l’énergie, les consommateurs voient leur facture d’électricité augmenter dans des proportions significatives. Si le contexte énergétique, économique et géopolitique actuel génère une tendance haussière au niveau des tarifs, d’autres facteurs sont à considérer pour comprendre cette augmentation. Faisons le point.

Si le coût de l’électricité semblait dérisoire il y a quelques années, l’augmentation des tarifs actuels fait, avec raison, réagir les consommateurs. Pourquoi notre facture d’électricité est-elle plus élevée qu’auparavant ? Quels facteurs expliquent cette hausse ? Et surtout, à quoi s’attendre durant ces prochaines années, et pourquoi ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cet article.

Déjà, pour comprendre comment s’articulent les montants répercutés dans notre facture d’électricité, il s’agit de distinguer ses trois composantes principales : l’énergie, le transport et les taxes. Si l’une de ces composantes s’avère directement impactée par les fluctuations du marché, les autres sont corrélées à des dynamiques politiques, sociales et durables distinctes. Point de situation.

1. L’énergie

Dans notre facture d’électricité, l’énergie constitue la première composante la plus évidente. Déterminée par notre consommation effective, cette tranche du prix total correspond au nombre de kWh utilisés par ménage. Concernant l’électricité, le prix du courant est déterminé en continu par de nombreux facteurs, dont les fluctuations du marché de l’énergie, notamment régi par le système du merit order. Et dans le contexte géopolitique en vigueur depuis l’invasion russe en Ukraine, marqué par une inflation importante et des épisodes de pénuries d’hydrocarbures, le prix de l’électricité grimpe. Pour faire simple, notons que le système du merit order fixe le prix de l’électricité en tenant compte du coût marginal de production de la dernière centrale sollicitée, soit actuellement celui des filières fonctionnant avec des énergies fossiles. Sur le marché, les producteurs s’alignent donc sur ces filières coûteuses, ce qui se répercute sur notre facture.

« Chez Romande Energie, notre politique d’achat d’énergie vise cependant à limiter au maximum notre dépendance à ces fluctuations pour réduire les risques », souligne Julie Blumberger, Business Line Manager. « Notre stratégie d’approvisionnement implique ainsi des achats répartis sur des périodes de quatre ans, pour lisser ces fluctuations. Concrètement, cela veut dire que nous fixons en amont des périodes durant lesquelles nous allons acheter l’énergie. Le prix de l’électricité dépend également des infrastructures de production dont on dispose. Le fait de bénéficier de ses propres moyens, comme les barrages par exemple, permet de ne plus dépendre totalement des fluctuations du marché, même si l’entretien de ces infrastructures s’avère coûteux. »

En termes d’infrastructures de production, les communes et gestionnaires de réseaux romands sont nombreux à avoir diminué leurs investissements durant ces dernières années, notamment en raison d’un prix de l’électricité resté très bas pendant une longue période. Aujourd’hui, cette tendance s’inverse. Romande Energie fait figure de profil intermédiaire en la matière, en couvrant environ 40% des besoins énergétiques de ses clients avec ses  sites de production, dont des centrales au fil de l’eau, des parcs solaires photovoltaïques et des centrales biomasses. Durant ces prochaines années, il reste très difficile de prédire si cette composante de notre facture d’électricité va aller en augmentant, en se stabilisant ou en baissant.

2. Le transport

Cela peut sembler évident, mais on a parfois tendance à oublier que l’électricité n’arrive pas si facilement dans notre prise. Avant cela, elle doit bien sûr être transportée par l’intermédiaire d’un vaste réseau, dont l’entretien et le développement s’avèrent des plus coûteux. Dans ce domaine, la deuxième composante de la facture se divise en deux parties. Au niveau national, le réseau très haute tension – les pylônes et lignes électriques qui nous raccordent au réseau européen – est géré par Swissgrid. Et au niveau régional, les zones de distribution sont assurées par les gestionnaires et distributeurs locaux, dont fait partie Romande Energie pour le canton de Vaud et une partie du Valais.

« Cette composante réseau dans la facture est donc indépendante des fluctuations du marché et du prix de l’énergie », précise Julie Blumberger. « Cependant, l’entretien et le développement du réseau coûtent très chers, en particulier dans le contexte actuel d’électrification intensive de notre société. Transports publics électriques, mobilité individuelle, bornes de recharge, pompes à chaleur : tous ces dispositifs nécessitent une importante mise à jour de notre réseau qui n’a pas été construit dans l’optique de supporter une telle demande. »

Durant ces prochaines années, cette tendance à la hausse de la composante réseau de notre facture d’électricité devrait logiquement persister. Une dynamique qui traduit aussi et surtout un engagement durable souhaité par la société. Nécessaire à la pérennisation des infrastructures existantes et au déploiement de dispositifs durables, cette augmentation doit également permettre de réaliser progressivement ce que l’on appelle le smart grid. Ce réseau intelligent dont la gestion automatisée par des processus informatiques permettrait d’optimiser le délicat équilibre à maintenir en permanence entre l’offre et la demande. Décarboner notre paradigme énergétique implique de développer massivement les énergies renouvelables. Et qui dit énergies renouvelables, dit aussi et surtout production aléatoire (en fonction des aléas météorologiques) et décentralisée. D’où la nécessité d’adapter le réseau.

3. Les taxes

Réparties au niveau fédéral, cantonal et communal, les taxes permettent d’assurer le déploiement de la Stratégie énergétique 2050 et la concrétisation sur le terrain de notre politique énergétique. Romande Energie ne touche évidemment rien sur cette composante de la facture d’électricité, en percevant et redistribuant intégralement ces montants aux acteurs concernés.

« À nouveau, cette composante est indépendante des prix de l’énergie et de leur fluctuation sur le marché », souligne Julie Blumberger. « Ces taxes sont le reflet de notre politique énergétique, dont l’engagement social a encore été mis en lumière lors des récentes votations en faveur de la loi climat. En considérant la nécessité de décarboner nos filières de production, il est normal que ces taxes augmentent ponctuellement. En janvier 2024, une nouvelle taxe fédérale entrera par ailleurs en vigueur pour pérenniser notre patrimoine hydraulique et renforcer notre indépendance énergétique. »

Pour les prévisions durant ces prochaines années, la tendance à la hausse devrait se confirmer également pour cette composante de la facture d’électricité. Une augmentation qui devrait aussi permettre de réaliser en partie des projets de grande envergure au sein des filières hydrauliques, dont des travaux de surélévation des barrages.

En conclusion : se donner les moyens de sortir de la dépendance économique et environnementale aux hydrocarbures

Plus que la tendance à la hausse de certaines composantes de notre facture d’électricité, il s’agit de considérer ces dynamiques à l’aune du défi durable que notre société doit parvenir à relever. La transition énergétique a un certain prix. En même temps, en mettant les moyens nécessaires à disposition, il devient possible de financer collectivement ce changement de paradigme tout en bénéficiant en parallèle d’avantages financiers suite aux économies d’énergie que l’on peut commencer à réaliser, que ce soit au niveau des transports, de nos habitudes de consommation ou encore de notre habitat.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

merit order

Tarification de l’énergie: comment ça fonctionne?

Au sein du réseau européen, le prix de l’électricité est déterminé selon un principe appelé « merit order ». Un système qui, suite à la crise énergétique, doit être repensé pour protéger producteurs et consommateurs. Explications.

Cela n’aura échappé à personne, la crise énergétique exerce une pression significative sur les prix. Mais pourquoi la crise politique et énergétique actuelle, dont l’impact concerne directement les hydrocarbures, affecte-t-elle également le tarif de l’électricité ? Pour le comprendre, il faut s’intéresser à une notion-clé : le merit order. Un principe sur lequel les producteurs et distributeurs doivent se baser au sein du réseau européen pour fixer le prix de revente de l’électricité sur le marché spot, soit les tarifs déterminés à très court terme pour le lendemain. Pour comprendre ces mécanismes, nous avons posé nos questions à Clarisse Martin, Portfolio Manager & Senior Analyst chez Romande Energie.

Le merit order, c’est quoi ?

Il s’agit d’un système permettant aux producteurs et distributeurs de déterminer le prix de revente de l’électricité au quotidien. Pour ce faire, le merit order fonctionne en prenant en compte les coûts marginaux de production de toutes les filières énergétiques, à savoir le solaire, l’éolien, l’hydroélectrique, le nucléaire et les hydrocarbures, soit le charbon, le gaz et le pétrole. Respectivement, ces différentes filières ont un coût de production marginal croissant. Si l’on prend le solaire et l’éolien, une fois les infrastructures de production construites, il suffit de les entretenir, ce qui ne demande pas d’investissements massifs puisque le soleil ou le vent sont « gratuits ». Les autres filières ont donc des coûts additionnels et celles produisant du courant avec du gaz ou du charbon voient aujourd’hui leurs charges s’envoler en raison des épisodes de pénuries provoqués par le conflit en Ukraine.

En quoi le fonctionnement du merit order fait-il augmenter le prix de l’électricité comme on l’a vu ces derniers mois ?

Le système du merit order implique de se caler au niveau des prix de la dernière filière sollicitée ayant les coûts marginaux de production les plus élevés. Dernièrement, avec la crise énergétique provoquée par la guerre, le prix des hydrocarbures s’est envolé. Les filières produisant du courant avec du gaz ou du charbon doivent donc assumer des coûts très élevés qui se répercutent sur nos factures puisque nous sommes dépendants du réseau et du marché européen, en particulier en hiver lorsque nous devons importer une partie de notre électricité.

En considérant le contexte géopolitique, énergétique et économique actuel, le merit order ne doit-il pas être repensé ?

Oui. La Commission européenne est d’ailleurs en train de revoir le Market Design du système, soit certains rouages économiques et contractuels clés de son fonctionnement. Si le merit order va rester, la Commission planifie cependant de rajouter des éléments actuellement « hors marché », soit des contrats à long terme. Ce n’est donc pas une réforme structurelle, le marché spot va continuer à fonctionner de la même manière. Au total, trois leviers d’action sont envisagés :

  • lier producteurs et consommateurs par des power purchase agreement (PPA). Un type de contrat qui lie ces deux parties sur le long terme en déterminant des besoins énergétiques et des tarifs pour garantir un prix de revente et ne plus subir les fluctuations trop fortes du marché.
  • mettre en place des compléments de rémunération bidirectionnels. Un accord passé entre les Etats et les producteurs de leurs pays qui consiste à favoriser les investissements dans les infrastructures renouvelables et nucléaires locales. Pour ce faire, les producteurs sont censés redistribuer leur excédent à l’Etat quand le marché est au-dessus des prix déterminés en amont, et, inversement, l’Etat reversera l’excédent aux producteurs quand le marché est en-dessous des tarifs fixés.
  • conclure des contrats d’approvisionnement énergétique à échéance longue. Prévus actuellement sur des périodes allant jusqu’à quatre ans (l’horizon de liquidité du marché), les achats d’électricité devraient se baser sur de plus longues durées, allant jusqu’à dix ou quinze ans. Cet ensemble de mesures, qui traduit l’interventionnisme des Etats, devrait être mis en place entre fin 2023 et mi 2024.

Quels effets attendre de ces mesures ?

De manière générale, toutes ces mesures sont élaborées dans un même but, protéger les consommateurs et les producteurs de la volatilité des prix du marché. Globalement, on voit que ces mesures se basent sur la pérennisation des relations entre producteurs et consommateurs, par exemple en s’engageant sur des périodes contractuelles plus longues. En même temps, on voit que ces mesures doivent aussi favoriser le développement d’infrastructures renouvelables et nucléaires locales, permettant aux Etats de tendre vers une plus grande indépendance énergétique. Des effets également attendus en Suisse, qui reste dépendante du réseau européen. À terme, ces dynamiques pourraient engendrer une tendance à la baisse de la composante énergie de notre facture d’électricité.

Quelles autres mesures sont prévues par la Commission européenne concernant les filières renouvelables en particulier ?

Il est notamment demandé aux gestionnaires de réseaux de développer des solutions technologiques permettant de couper momentanément les infrastructures de production renouvelable du réseau. Une démarche qui permettrait ainsi d’éviter les prix négatifs pour ces filières, un phénomène qui intervient parfois l’été lorsque l’offre dépasse la demande. Les producteurs doivent alors payer pour se débarrasser du courant produit en cas de bonnes conditions de vent et d’ensoleillement alors que la demande est faible. Plus localement, il est également prévu d’autoriser formellement les regroupements de petits consommateurs, leur permettant de mutualiser leurs infrastructures de production durable pour réduire leurs coûts. Une pratique d’ailleurs de plus en plus répandue et encadrée en Suisse, à propos de laquelle nous avons également publié un livre blanc destiné aux consommateurs et propriétaires d’infrastructures renouvelables.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation