biomasse

La Suisse et son potentiel biomasse

Qu’il s’agisse d’épluchures ménagères, d’engrais de ferme ou de bois, la biomasse contient une énergie précieuse exploitable sous forme d’électricité, de chaleur ou de carburant. « La valorisation de la biomasse se situe à cheval entre le traitement des déchets et la production d’énergie » illustre Yves Membrez de Biomasse Suisse. L’énergie issue de la biomasse est quant à elle renouvelable et neutre en CO2. « En Suisse, elle est en outre également durable, précise l’OFEN, car avant de produire de l’énergie, la matière organique est utilisée une première fois pour l’alimentation, humaine et animale, ou comme matériau de construction ».

Dans le cadre du programme d’encouragement Energie 2014-2021, financé à hauteur de 250 millions par la Confédération, la revue Diagonale (février 2022) de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) nous apprend que 1300 spécialistes, dont ceux du WSL, ont exploré les solutions techniques, sociétales et politiques en vue de la transition énergétique et d’une production d’énergie plus durable. Depuis de nombreuses années, l’Institut fédéral collecte des données et a ainsi développé des modèles de simulation pour évaluer la disponibilité de chacune des sources d’énergie renouvelable : la biomasse, l’eau, le vent et le soleil. Résultat : les substances organiques comme le bois, les produits de la fauche, le fumier et le lisier recèlent un trésor d’énergie. « La biomasse est un précieux substitut aux combustibles et carburants fossiles. Elle est de toute façon présente et peut être transformée en énergie de manière efficiente », explique Oliver Thees, chercheur en sciences forestières et économiste du WSL. La contribution énergétique des biomasses – ligneuses et non ligneuses – pourrait s’élever à 27 TWh d’énergie par an.

La biomasse, c’est quoi ?

Comme expliqué dans cette courte vidéo, la biomasse désigne tout ce qui se compose de matière organique renouvelable, telle que les déchets verts et les épluchures des zones d’habitation, les résidus de récoltes et les engrais de ferme en agriculture ou encore les déchets alimentaires de la restauration. Toutes ces matières peuvent être transformées en biogaz et permettent de produire de l’électricité, de la chaleur et du carburant pour la mobilité. Plus de 13’500 véhicules à gaz sont actuellement en circulation sur les routes Suisses selon l’association Suisse de l’Industrie gazière (ASIG), un chiffre encore relativement confidentiel, au vu des 6,4 millions de véhicules routiers à moteur immatriculés en Suisse.

En 2020, un cinquième de l’énergie renouvelable provenait de la biomasse selon SuisseEnergie. Et pour le petit clin d’œil, le site Futura science nous rappelle très justement que « la première forme d’exploitation de la biomasse est l’activité physique. La transformation des aliments en énergie musculaire a longtemps été l’une des principales sources d’énergies des économies, jusqu’à l’industrialisation ».

La biomasse sèche et humide

L’OFEN – entre autres – classe la biomasse en deux catégories :

  • La biomasse ligneuse sèche (bois de forêt, de récupération, etc.) : elle est la plus ancienne source d’énergie et représente le 85% de l’énergie provenant de la biomasse en Suisse. Elle est transformée en énergie par le biais de la combustion ou la gazéification.

Comment on obtient de l’énergie ?

La combustion consiste à brûler le bois pour la production de chaleur (traitement thermique), alors que la gazéification transforme la biomasse sèche en gaz de synthèse. Cette transformation thermochimique consiste à décomposer par la chaleur (plus de 1000°C) une biomasse sèche en présence d’un réactif gazeux (gaz carbonique, vapeur d’eau puis oxygène/air). Ce combustible, gaz de synthèse au mélange de monoxyde de carbone et d’hydrogène, peut alimenter un moteur thermique pour produire de l’électricité ; la chaleur résultant du processus peut également être valorisée dans un réseau le chauffage à distance. La production simultanée de chaleur et d’énergie s’appelle la cogénération.

La commune de Puidoux et Romande Energie ont misé sur cette approche avec une installation mise en service en 2018. La centrale couvre l’équivalent des besoins annuels en électricité de 1’500 ménages. La centrale Enerbois, fruit d’un partenariat entre Romande Energie et la scierie Zahnd (Rueyres) est également un exemple du genre. Plus grande centrale de biomasse de Suisse romande, elle génère 26.5 millions de kWh d’électricité par année – la consommation de plus de 7’500 ménages – en brûlant les sous-produits de la scierie Zahnd (écorces et plaquettes), alors que la chaleur est valorisée sur site pour les différents processus industriels. Avec la sciure de bois issue de la scierie (un autre sous-produit), Enerbois produit par ailleurs plus de 18’000 tonnes de pellets par an, de quoi chauffer environ 4’500 ménages.

 

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Enerbois, la plus grande installation biomasse de Suisse.
© Romande Energie.

 

  • La biomasse humide et peu ligneuse (biodéchets, lisier et fumier, résidus de récolte, boues d’épuration, etc.)

Le procédé biochimique appelé méthanisation (ou digestion anaérobie) permet de transformer la biomasse humide en biogaz, pour la production de chaleur et d’électricité. Les principaux producteurs de biogaz en Suisse à partir de biomasse humide sont les stations d’épuration (STEP).

 

Comment on obtient de l’énergie ?

La biomasse humide est transformée en gaz dans des digesteurs (grandes cuves) contenant des bactéries anaérobies (actives en l’absence d’oxygène). La charge organique est alors décomposée pour produire du gaz renouvelable (ou biogaz). Il peut être soit directement utilisé comme source d’énergie, soit utilisé dans des centrales de cogénération pour produire de l’électricité et de la chaleur. Il peut également être purifié avant d’être distribué dans le réseau de gaz et il est aussi transformable en biométhane pour servir de carburant. Toutefois, si la production de biogaz à partir de biomasse humide avait autrefois le vent en poupe, son développement ne s’est pas poursuivi de manière soutenue, comme l’explique Yves Membrez de Biomasse Suisse, directeur du bureau d’étude et de conseils EREP SA. Cet ingénieur civil est spécialisé dans le traitement et la valorisation des déchets et effluents organiques depuis plus de 40 ans. « Quand j’ai commencé mes activités dans les années 1980, la Suisse comptait environ 150 sites de production de biogaz agricoles. Mes collègues suisses allemands avaient l’habitude de dire que par rapport au nombre d’habitants, nous étions le pays industrialisé avec le plus grand nombre d’installations. Aujourd’hui il en reste environ 120. » Il précise que l’énergie est devenue ensuite très bon marché et que les agriculteurs, subissant de fortes pressions, avaient alors d’autres priorités que celle de développer des usines de production de biogaz sur leurs exploitations. « Il faudrait aujourd’hui une politique résolue et concertée pour que la biomasse prenne de l’ampleur, ce qui manque encore » ajoute-t-il.

 

Quand y en a plus, y en a encore

Le digestat : en effet, dans le cadre d’une fermentation anaérobie de la biomasse humide, tout ce qui n’est pas facilement décomposable se retrouvera à la sortie. C’est le digestat, que l’on trouve sous forme solide ou liquide. Riche en nutriments tels que l’azote, le phosphore et le potassium, il peut se composter ou servir d’engrais pour l’agriculture. En Suisse, environ 300 000 m3 de digestat liquide sont produits annuellement dans les installations de méthanisation. Cependant, toute la biomasse humide n’est pas valorisable, comme le précise Yves Membrez de Biomasse Suisse. « Les digestats qui viennent des boues d’épuration ne peuvent être utilisés dans l’agriculture. C’est interdit en Suisse pour des raisons qui remontent à la vache folle, mais aussi parce qu’on n’a pas encore de solutions pour supprimer les résidus médicamenteux présents dans les eaux usées – même si l’idéal serait de ne pas les y mettre. On peut toutefois épandre le digestat qui résulte des autres sources de biomasse humide. »

Le biochar : principalement produit à partir de résidus de bois, le biochar (ou charbon végétal) est un produit dérivé de la pyrolyse de la biomasse, soit la conversion thermique de la matière organique en l’absence d’oxygène. Il peut être utilisé entre autres pour améliorer la fertilité des sols, retenir l’eau et les nutriments, stimuler la croissance des plantes et réduire le recours aux engrais chimiques. Le biochar peut également contribuer à la séquestration du carbone dans les sols.

 

Joëlle Loretan

Rédactrice

merit order

Tarification de l’électricité, comment ça marche?

Le prix de l’électricité dépend de nombreux facteurs, indépendamment des coûts de production d’une filière en particulier. Appelé « merit order », le système qui fixe les tarifs du courant heure par heure s’inscrit dans une démarche globale, propre au marché européen, qui prend en compte les coûts de toutes les filières. Ainsi, même l’énergie provenant d’une infrastructure renouvelable est impactée au niveau de son prix par la valeur des hydrocarbures encore largement utilisés pour produire le courant dont on a besoin. Explications.

Cela n’aura échappé à personne, le prix de l’énergie s’est envolé. Une forte augmentation que l’on peut bien sûr directement corréler au conflit en Ukraine. En très forte hausse, le prix des hydrocarbures, conjugué à l’importante demande énergétique hivernale, engendre des coûts de production électrique de plus en plus élevés. En témoignent les centrales à charbon et à gaz qui gonflent la tarification du courant en suivant le principe du « merit order », rouvertes à la hâte suite à l’anticipation de la pénurie alors que l’Europe commençait à les fermer, tout comme les centrales nucléaires françaises dont le long redémarrage a fait passer l’Hexagone d’exportateur à importateur.

 

merit-order

Source : www.aceenergie.com

 

Pour mieux comprendre cette dynamique énergétique et économique complexe, Clarisse Martin, spécialiste en gestion de portefeuilles énergie chez Romande Energie, nous donne ses explications. Interview.

 

Le prix de l’électricité est déterminé quasiment en continu en suivant le principe du « merit order ». De quoi s’agit-il ?

Ce système élaboré depuis longtemps par les économistes permet de déterminer le prix de l’électricité ou encore celui de différentes matières premières. Seulement, la spécificité du marché de l’électricité repose sur le fait que le courant ne se stocke pas, ou du moins très peu. Contrairement aux matières premières, dont la possibilité de les stocker permet de déterminer un prix fixe sur une base quotidienne, l’électricité est en flux constant. Son prix varie donc d’heure en heure. Pour le déterminer, le principe du merit order consiste à prendre en compte les coûts variables liés à toutes les filières de production électrique. Pour simplifier, donnons un cas de figure schématique dans le marché des matières premières. Imaginons que le marché du pétrole soit occupé par deux producteurs seulement. L’un bénéficiant d’infrastructures de production efficientes et peu coûteuses, l’autre d’installations vétustes et chères à l’utilisation. Le prix du baril de pétrole va alors être déterminé par le coût de production le plus élevé, soit celui du producteur ayant une installation moins performante. Pour l’autre, cela lui permet de vendre sa production en faisant une grande marge. Et pour le producteur à l’installation vétuste, ce système plutôt solidaire l’incite à investir pour moderniser son installation et réaliser une meilleure marge.

Comment se transpose cette dynamique dans le cas du marché de l’électricité ?

De la même manière, il s’agit de prendre en compte les coûts variables de toutes les filières impliquées dans la production d’électricité. Et cet exercice est répété chaque heure, en prenant en compte le moment durant lequel va être consommé le courant. Ainsi, dans le contexte actuel, avec des centrales à charbon et à gaz qui produisent du courant à un coût élevé, en grande partie en raison de l’envolée du prix des hydrocarbures, c’est tout le marché de l’électricité qui se voit impacté à la hausse.

Qu’en est-il des coûts liés à l’exploitation d’infrastructures de production renouvelables ?

Le photovoltaïque, l’éolien et l’hydraulique bénéficient de coûts de production faibles. Contrairement aux hydrocarbures, dont les prix oscillent selon les dynamiques géopolitiques et économiques, le soleil, le vent et l’eau ne coûtent rien en tant que « matières premières ». Économiquement parlant, l’exploitation d’infrastructures renouvelables repose donc essentiellement sur l’investissement de départ nécessaire à la construction des installations et leurs faibles coûts de maintenance et d’entretien.

La période actuelle est donc particulièrement favorable aux producteurs d’énergie renouvelable ?

En effet. Leurs coûts de production sont faibles en comparaison avec ceux des filières qui dépendent du prix des hydrocarbures alors que, comme expliqué, le prix de l’électricité se calcule sur la base du courant le plus cher à produire. Les filières durables font donc actuellement de grands bénéfices. Pour ne pas trop dérégler le système, et continuer à favoriser une approche plutôt solidaire, les autorités européennes ont tout de même fixé un seuil de revente maximum du courant à 180 € le mégawattheure pour les filières durables. Ainsi, avec un prix de l’électricité qui oscillait aux alentours de 300 € le mégawattheure, ces filières remboursent 120 € à la politique énergétique européenne. Ce bouclier tarifaire permet notamment de soutenir les industries touchées de plein fouet par l’augmentation du prix de l’énergie.

Cet écart entre la rentabilité des producteurs durables et les exploitations coûteuses risque-t-il de pousser les filières productrices polluantes à améliorer leur rendement dans l’optique d’accroître leur marge ?

Pas vraiment dans le sens où ces filières, même si elles parvenaient à être plus efficientes, dépendent toujours du prix des hydrocarbures d’une part, mais aussi des certificats de CO2 qu’elles doivent acheter pour compenser leurs émissions de carbone.

Et qu’en est-il du nucléaire ?

Les grandes centrales françaises qui ont été fermées accentuent la dépendance du marché aux coûts de production élevés des autres filières, à savoir celles du gaz et du charbon. Les plans de relance entrepris par l’Hexagone vont prendre du temps et la donne actuelle a ainsi fait passer le pays d’exportateur à importateur. En termes de coûts de production, la filière nucléaire représente le deuxième segment le plus compétitif après les exploitations renouvelables qui rassemblent le solaire, l’éolien et l’hydraulique.

Pour revenir à la mécanique du merit order, ce système ne constitue-t-il pas une forme d’injustice économique pour des pays disposant de grandes infrastructures durables, comme la Suisse avec l’hydraulique par exemple ?

Le système du merit order est majoritairement apprécié lorsque les prix de l’énergie sont bas, et critiqué lorsqu’ils grimpent. Il reste cependant le système le plus solidaire que l’on ait pu mettre en place. Et le plus fonctionnel également, puisqu’il permet de se mettre d’accord sur un prix de l’électricité déterminé heure par heure. Pour un pays comme la Suisse, dont la force hydraulique constitue un point fort tant en termes énergétiques qu’économiques, il faut garder à l’esprit que le marché reste européen. On ne peut donc pas faire sans. En même temps, les atouts écologiques et financiers des filières durables restent limités puisque ce type d’exploitations ne peut pas absorber la totalité de la demande énergétique. Sans parler des aléas météorologiques avec lesquels il faut composer. Ce que l’on peut dire en revanche, c’est que le système du merit order peut parfois engendrer un effet un peu pervers. À savoir le fait que certains producteurs peuvent être tentés de maintenir des filières énergétiques polluantes coûteuses, tant économiquement que durablement, pour garder une certaine pression sur les prix globaux et les pousser ainsi à la hausse.

Enfin, que dire des prévisions pour l’année prochaine, jusqu’à quand devrait durer cette situation de cherté de l’énergie ?

Difficile de le prédire avec exactitude. Mais le conflit actuel ne donne que peu de signes d’accalmie, ce qui devrait malheureusement continuer à peser sur notre système énergétique. Au niveau saisonnier, nous devrions tout de même voir une légère baisse des tarifs en été en raison de la diminution de la demande et de l’augmentation du courant produit de manière durable.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

alimentation

Production alimentaire, quel impact environnemental ?

Produits localement, importés, cultivés biologiquement… les méthodes utilisées pour produire nos biens alimentaires jouent un rôle considérable en termes d’impacts sur l’environnement. Il en va de même pour la provenance avec, contrairement à ce que l’on pourrait penser, des phénomènes d’efficience à prendre en compte qui questionnent même les atouts durables de certaines filières de production locales par rapport à des denrées importées. Décryptage.

À l’échelle globale, la production alimentaire constitue depuis des décennies une problématique environnementale croissante. Pour donner d’emblée un indicateur clé, 80% de la déforestation mondiale est liée à l’agriculture intensive. Outre ce fait, la nuisance écologique de la production alimentaire est exacerbée par deux facteurs principaux : la croissance démographique et la mondialisation. Pour le résumer en une phrase, nourrir les huit milliards d’êtres humains que compte notre planète avec des méthodes et processus industriels globalisés à l’extrême génère une pollution des plus significatives, sans parler des problèmes de gaspillage, d’insécurité alimentaire, de malnutrition et même de famine. Pour quantifier la donne actuelle, rappelons que l’agriculture et l’élevage sont responsables de 20 à 30 % des émissions globales de gaz à effet de serre.

Concernant le gaspillage, notons également qu’environ un tiers de la production alimentaire est jeté, soit plus ou moins un milliard de tonnes par année dans le monde. Une problématique qui se produit tout au long de la chaîne de production et de distribution alimentaire, avec une responsabilité répartie proportionnellement entre les producteurs (39 %), les supermarchés (5 %), la restauration (14 %) et les ménages (42 %). La Suisse figure par ailleurs sur le podium des pays les plus producteurs de déchets par habitant en Europe.

Le paradoxe de la globalisation

Si les faits et chiffres démontrent clairement que les causes de la pollution engendrée par la production alimentaire sont liées en grande partie à un système globalisé et rationalisé à l’extrême, il reste que ce sont bien les prémices de ce même système qui ont permis de sécuriser l’alimentation de nombreuses populations durant l’après-guerre. Et dans le contexte de croissance démographique actuel, avec une population mondiale estimée par les Nations Unies à près de dix milliards de personnes d’ici à 2050, comment opérer une refonte du système de production permettant de conjuguer sécurité alimentaire et bonnes pratiques écologiques sans passer par le maintien des circuits mondialisés déjà en place ?

Pour Charlotte de La Baume, cofondatrice de l’entreprise Beelong, spécialisée dans le conseil et la formation en matière d’alimentation respectueuse de l’environnement auprès de collectivités publiques, de restaurateurs et d’acteurs de l’agroalimentaire, les méthodes de production et les régimes alimentaires constituent les problèmes auxquels il faut s’attaquer en priorité.

« De nombreux facteurs entrent en compte lorsque l’on aborde cette thématique. On entend aussi énormément d’informations plus ou moins véridiques quant à la nature du problème, notamment en raison des discours politiques et économiques qui influencent sa perception auprès du grand public. Mais le premier facteur à considérer, avant la provenance ou encore l’impact lié par exemple aux emballages, concerne bien les modes de production utilisés par l’industrie agricole. C’est là que le plus gros des impacts sur les ressources et sur l’environnement en général est engendré, comme la pollution des sols et des eaux souterraines, l’épuisement des ressources naturelles et énergétiques ou encore l’appauvrissement de la biodiversité. »

Protéines animales, le gouffre énergétique

Avant de s’intéresser de plus près aux multiples dimensions qui interviennent dans la problématique de la pollution alimentaire, il convient donc de revoir les fondements du système de production en vigueur actuellement. Rationalisée à l’extrême, la culture intensive nuit en effet à l’environnement dans de larges proportions. Si la méthode permet de maximiser les rendements dans un premier temps, elle engendre pourtant une baisse d’efficacité après quelques années seulement en raison de l’épuisement des ressources.

« La culture intensive nécessite l’utilisation de plus de produits chimiques et privilégie en outre un labourage profond et régulier de la terre, ce qui détruit les micro-organismes présents dans le sol et qui contribuent considérablement à sa fertilité et à sa structure. »

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Parmi les pratiques industrielles intensives ayant une forte nuisance environnementale, mentionnons la culture céréalière servant à nourrir le bétail. Pour faire simple, le fait de consommer des protéines animales de manière trop régulière nécessite la mobilisation de gigantesques ressources pour nourrir les animaux que nous finissons par manger. Outre les ressources énergétiques et naturelles – rappelons que, selon le Water Footprint Network, 15’000 litres d’eau seraient nécessaires pour produire un kilo de viande de bœuf – il s’agit aussi de considérer les ressources spatiales dédiées à ces cultures.

« Et c’est un point fondamental, car ces surfaces, si elles étaient consacrées à des cultures destinées à la consommation humaine, pourraient permettre de changer la donne, notamment en matière de sécurité alimentaire », ajoute Charlotte de La Baume.

Suisses mauvais élèves

L’herbe consommée par les animaux en Suisse vient en grande partie du pâturage qui ne peut pas être exploité autrement, pour des cultures par exemple. Autre point problématique : le grain, majoritairement importé, que l’on donne en complément aux animaux et qui nécessite également d’importantes surfaces bloquées pour sa culture. Ce qui explique que pour réduire l’empreinte environnementale de son alimentation, le premier réflexe à avoir devrait consister à réduire sa consommation de protéines animales. « Surtout qu’en Suisse, la population s’avère très carnivore avec une moyenne par habitant de neuf repas hebdomadaires contenant des produits carnés. On est bien au-dessus des trois fois par semaine maximum, comme le recommande l’OMS. »

Si les Suisses mangent donc trop de viande, les restaurateurs ne sont pas en reste en ce qui concerne le poisson. Car dans nos restaurants, les neuf poissons proposés le plus souvent dans les menus figurent tous dans le top dix des espèces les plus menacées. « On ne peut pas forcément leur en vouloir car, pour la plupart, ils ne sont tout simplement pas au courant », souligne la cofondatrice de Beelong. « Un manque de connaissance et d’information que nous nous efforçons d’ailleurs de combler en proposant des formations ainsi que des calculateurs, autant aux acteurs de la restauration collective qu’aux principaux groupes de l’agroalimentaire. Globalement, on sent tout de même que cette problématique éveille de plus en plus les consciences et que la branche se responsabilise. »

Quelques valeurs sûres

Notons également que la provenance joue évidemment un rôle dans l’impact environnemental de nos denrées alimentaires. Si le local est intéressant, du moment que les produits soient de saison, il faut aussi savoir que tous les produits importés ne sont pas forcément très problématiques. Surtout en considérant l’efficience et la centralisation des opérations qui sont déployées dans la chaîne de distribution. Le mode de transport utilisé est en revanche à considérer attentivement. La route et les voies maritimes étant bien sûr moins polluantes que l’avion. Comment savoir de quelle manière nos produits importés ont été acheminés ? C’est simple. Plus les produits sont frais et issus d’exploitations éloignées géographiquement, plus il y a de chances qu’ils aient été importés par avion. Le cas typique : les kiwis de Nouvelle-Zélande. Cultivés à l’autre bout du monde mais pourtant vendus frais dans les étalages de nos supermarchés, ils sont importés massivement par avion puisque, par voie maritime puis routière, le produit ne serait tout simplement plus frais.

Enfin, pour favoriser une alimentation respectueuse de l’environnement, il s’agit également de porter attention aux différents labels qui garantissent des modes de production vertueux. En Suisse, les labels Bio Suisse, Bourgeon Bio Suisse et Demeter constituent des valeurs sûres en matière de qualité environnementale des méthodes de production utilisées. À noter également, les différents labels biologiques propres aux chaînes de distribution comme ceux proposés par Coop ou encore Migros s’avèrent aussi fiables puisqu’ils se basent en fait sur les mèmes critères que ceux de l’Ordonnance sur l’agriculture biologique Suisse.

En matière de prix, si les produits issus de l’agriculture biologique sont encore légèrement plus chers puisque leur mode de production s’avère moins optimal que les cultures intensives, il reste possible de rattraper ce coût en changeant ses habitudes alimentaires. À nouveau, et on ne le rappellera peut-être jamais assez, diminuer les apports protéiques d’origine animale dans son assiette en les remplaçant par exemple par des sources végétales permettra de s’y retrouver financièrement, tout en contribuant à réduire son impact sur la planète.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

ville

Tous nos besoins à portée de pieds : bienvenue dans la ville du quart d’heure

Offrir aux habitantes et habitants des villes, mais aussi des villages, la possibilité de pratiquer la majorité de leurs activités quotidiennes à proximité de chez eux, c’est l’objectif de la ville du quart d’heure. C’est l’habitant qui est à nouveau au cœur de cet urbanisme de proximité. Est-ce un nouveau concept ou une manière de présenter de façon très communicable pour le grand public ce vers quoi tendent les urbanistes actuels ? Voyons plutôt.

Réduire les trajets et mutualiser les espaces

Réfléchissez à vos activités régulières et aux déplacements qu’elles engendrent : vous rendre à votre travail, amener vos enfants à l’école ou à leur cours de théâtre, aller faire vos courses, vous rendre à votre salle de sport, aller boire un café, écouter un concert, nager, conduire votre tante chez son médecin, vous rendre à votre cours d’anglais – la liste est longue. Selon l’Office fédéral de la statistique, la population suisse passe chaque jour 90 minutes dans les transports – en moyenne 45 minutes à se déplacer pour ses loisirs, 17 minutes pour son travail, 13 minutes pour ses achats et le reste pour d’autres activités. La majorité de ces trajets se font en voiture (72%) ; viennent ensuite le train (12%), puis les déplacements piétons (5%), et enfin en bus (3%) – (autres 5%). En Suisse toujours, la mobilité est responsable de 33% de la consommation d’énergie et émet 39% du CO2. C’est donc un domaine sur lequel nous avons un grand potentiel d’action : et c’est sur l’un de ces constats de base qu’est né le concept de la ville du quart d’heure. En effet, si la majorité des activités que nous pratiquons régulièrement se trouvait à environ 15 minutes à pied ou à 5 minutes à vélo de chez soi, et si ces trajets étaient agréables, cela réduirait considérablement le temps passé sur les routes ou le rail, en plus de contribuer à les désaturer.

Le concept de la ville du quart d’heure tel qu’imaginé par son co-créateur Carlos Moreno, professeur associé à l’Institut d’administration des entreprises de Paris-Sorbonne, c’est une ville qui a plusieurs centres dont chacun offre à ses habitants ce qui est essentiel à son quotidien : faire des courses, travailler, s’amuser, se cultiver, faire du sport, se soigner, etc. Pour pouvoir offrir toutes ces activités dans un périmètre existant souvent déjà construit, l’une des solutions proposées est de partager les locaux et infrastructures existants. Les écoles pourraient ainsi servir à des cours de musique le soir, les discothèques devenir une salle de sports en journée, les cours d’écoles offrir un espace de jeux ou de rencontre supplémentaire le week-end, les bibliothèques des espaces de coworking, les bâtiments publics devenir des lieux d’exposition, etc. Selon Carlos Moreno : plutôt qu’offrir des infrastructures pour aller plus vite et plus loin, il vaudrait mieux utiliser les ressources disponibles à proximité, évitant ainsi des déplacements inutiles.

Mais pour que ce périmètre du quart d’heure fonctionne, il faut qu’il soit attractif, non seulement en termes d’activités proposées, mais aussi en termes d’espaces publics mis à disposition. Les habitants doivent avoir envie d’y passer du temps et d’y créer une vie sociale. Il s’agit donc d’améliorer les espaces publics, de végétaliser, de les rendre agréables pour toutes et tous. Il est également important d’impliquer la population dans la conception de leur centre, d’entendre leurs besoins et leurs envies.

L’exemple de Paris

Anne Hidalgo, maire de Paris, , a lancé le projet de ville du quart d’heure en 2020 et plusieurs mesures ont été planifiées dans ce cadre :

  • Ouvrir les cours d’école au reste du quartier et les végétaliser en « cours oasis » ;
  • Piétonniser des rues à proximité des écoles ;
  • Offrir des lieux qui accueillent des activités de grandes institutions culturelles parisiennes et des acteurs culturels de chaque arrondissement ;
  • Mettre en place des « kiosques citoyens » où les habitants peuvent se rencontrer, s’entraider, demander des conseils, avoir accès à des associations ;
  • Renforcer le maillage des commerces et services de proximité ;
  • Favoriser la production locale et/ou les circuits courts avec le label « Fabriqué à Paris ».

QUESTIONS À YVES BONARD, URBANISTE FSU, RESPONSABLE DE L’UNITÉ « PROJETS URBAINS » AU SERVICE D’URBANISME DE LA VILLE DE LAUSANNE.

 

yves bonard

Yves Bonard, que pensez-vous du concept de ville du quart d’heure ? Qu’est-ce qui vous plaît dans ce concept ?

La ville du quart d’heure est avant tout un slogan efficace pour résumer une stratégie urbanistique pas si aisée à mettre en œuvre. C’est un modèle idéal simple et facile à communiquer, pour répondre à la question clé : « Quelle ville voulons-nous ? ». Dans les villes qui s’étalent depuis plusieurs décennies, il y a un véritable enjeu à redonner de la valeur à la proximité. Ce modèle marque une rupture avec le celui de la ville fonctionnaliste, dans laquelle chaque espace est spécialisé et qui repose sur la mobilité individuelle motorisée : des grands quartiers de bureaux, des grands centres commerciaux périphériques, des quartiers purement résidentiels, etc. La ville du quart d’heure peut offrir de nombreux avantages : réduire les déplacements pendulaires, diversifier les quartiers pour leur donner davantage de qualité et d’attractivité, favoriser les interactions sociales, économiques et culturelles et renforcer l’attachement des gens à leur quartier. À noter qu’en Suisse, compte tenu de l’échelle maitrisée des villes et agglomérations, la ville du quart d’heure est déjà une réalité pour bon nombre de personnes.

Et quelles sont vos critiques de ce modèle ?

Sa mise en œuvre est un peu utopique et se heurte à des difficultés concrètes. Il ne tient par exemple pas compte du fonctionnement désormais largement globalisé de nos sociétés : de nombreuses marchandises et services reposent en effet sur des échanges à distance (commerce en ligne p.ex.). De plus, dès que l’on s’éloigne des quartiers relativement denses, dans les espaces périurbains, les espaces ruraux ou alpins par exemple, il est très difficile de faire vivre économiquement certains commerces ou services.

Concrètement, dans une administration, quels sont vos outils pour favoriser cet urbanisme de proximité ?

À Lausanne par exemple, nous venons de réviser notre plan directeur communal qui définit comment chaque quartier pourra se développer dans les 15 prochaines années. Cet outil nous permet de favoriser cet urbanisme de proximité en identifiant en amont quels sont les manques par quartier et en développant des équipements publics de qualité dans chacun des quartiers (parcs, écoles, infrastructures sportives, espaces publics attractifs, etc.). Cet outil urbanistique permet également de favoriser l’offre commerciale par sa règlementation. Pour favoriser l’installation de commerces dans certains périmètres critiques en termes de rentabilité, les commerces d’utilité publique représentent une piste intéressante.

Puisque la moitié des déplacements sont dus aux loisirs, quelle a été votre réflexion concernant cet enjeu ?

Il s’agit tout d’abord de comprendre de quels loisirs nous parlons. S’il s’agit d’une pratique sportive, nous pouvons favoriser l’implantation d’équipements sportifs au cœur des différents quartiers (salle de gym, piscines, parcours extérieurs, etc.). S’il s’agit d’avoir accès à la nature, nous avons la chance à Lausanne d’être au contact direct de grandes entités naturelles très attractives : les rives du lac, le massif forestier de Sauvabelin, le Chalet à Gobet. Il s’agit de favoriser l’accès à ces lieux de détente en transports publics et d’offrir plus de lieux de baignade aménagés par exemple. Pour les loisirs éloignés des centres urbains (en montagne p.ex), il est nécessaire d’offrir des alternatives à la voiture individuelle, en proposant notamment des déplacements facilités en transports publics.

Et quels potentiels d’amélioration voyez-vous encore pour une ville qui réponde aux enjeux actuels ?

Comme le prône la ville du quart d’heure, l’espace public en milieu urbain est un espace précieux sur lequel trop de place est encore dévolu à la voiture. Il doit être mieux partagé pour permettre la plantation d’arbres par exemple, essentiels à la qualité de vie des habitants, permettre plus de déplacements agréables pour les piétons et les cyclistes, favoriser les rencontres, etc. La ville de demain doit réduire drastiquement ses émissions carbone et s’adapter aux multiples effets du changement climatique. Mais face à ce défi, nous devons veiller aux conséquences sociales, afin que cette transition n’augmente pas les inégalités présentes en milieu urbain, mais au contraire vienne les corriger.

 

Hélène Monod

Rédactrice

transports

Que se passe-t-il quand on rend les transports publics gratuits ?

Alors que les débats sur la mobilité durable se concentrent sur le type de véhicules à favoriser sur nos routes, la vraie question semble ailleurs. Car c’est surtout en parvenant à opérer un pivot massif vers les transports en commun que l’on pourrait engendrer un effet de levier décisif. Dans certains pays, les autorités ont franchi le pas en optant pour la gratuité des transports publics. Quels impacts génère ce modèle ? Est-il applicable en Suisse ? Explications.

Symbole de liberté et de prospérité économique, la voiture individuelle incarne désormais une dimension bien plus problématique. La nécessité d’opérer une transition écologique de toute urgence implique de revoir les fondamentaux de notre fonctionnement sociétal et, parmi eux, notre mobilité. Qu’elles soient à essence, électriques ou encore hybrides, nos voitures et leur utilisation individuelle constituent toujours un réel problème. Car même si certaines initiatives encourageantes voient le jour, comme le co-voiturage ou encore les flottes de véhicules partagés mis à disposition des usagers, l’utilisation de la voiture en Suisse reste extrêmement individualisée. Pour donner un ordre d’idée, les véhicules des Helvètes ont transporté 1,62 passager en moyenne en 2019. Un gâchis énergétique qui, quelles que soient les performances écologiques des moteurs développés actuellement par l’industrie automobile, ne semble pas prêt de diminuer sans parvenir à opérer une transition massive vers les transports publics.

Dans ce cadre, inciter la population à utiliser davantage les transports en commun peut s’avérer décisif. Parmi les options envisageables par les autorités, celle de la gratuité a déjà décidé plusieurs pays, dont l’Estonie ou encore le Luxembourg. Similaire à la Suisse sur de nombreux aspects économiques, géographiques et sociétaux, le Luxembourg est devenu le premier pays au monde à supprimer les tarifs appliqués aux utilisateurs des transports publics en 2020.

Quel impact ?

Au Luxembourg, les autorités se disent convaincues de la pertinence de leur positionnement novateur. La démarche a-t-elle permis de doper le nombre d’utilisateurs des transports publics de manière significative ? Pas si facile à dire, notamment à cause de la pandémie qui est intervenue durant la même période, faussant les habitudes et données liées aux déplacements. Si le Luxembourg n’a ainsi pas été en mesure de quantifier directement les effets de cette mesure, les chiffres correspondant à la période du déconfinement souligneraient une augmentation de l’utilisation des transports publics.

 

transports publics gratuits

 

Avec 200’000 frontaliers venant travailler au Luxembourg chaque jour, le plan de mobilité des autorités a clairement pour objectif de changer les habitudes des voyageurs. Parallèlement à la gratuité, d’importants efforts sont ainsi déployés pour améliorer la ponctualité et la qualité des transports dans le but d’inciter les gens à délaisser leur voiture. Ce qui peut paraître évident. Pourtant, dans les faits, plus de personnes dans les transports publics ne signifie pas forcément moins d’automobilistes. À Tallinn, malgré le positionnement précurseur de la capitale estonienne en matière de mobilité, les statistiques indiquent même une augmentation de la proportion d’utilisation de la voiture.

Un constat que partage également Vincent Kaufmann, professeur à l’EPFL et Directeur Scientifique du Forum Vies Mobiles – Institut de recherches et d’expérimentations créé par la SNCF. « Il s’agit aussi et surtout de s’interroger sur l’objectif recherché lorsque l’on évoque cette question de gratuité des transports publics. S’il est vrai que la démarche permet d’augmenter le nombre d’usagers dans les bus, les trams et les trains, elle ne permet en effet pas d’agir sur le nombre d’automobilistes. En gros, ceux qui aiment utiliser leur véhicule privé continuent à le faire. Ce qui pose alors une autre question, à savoir qui sont les nouveaux usagers que l’on attire dans les transports publics ? S’il s’avère que ces personnes sont celles qui se déplaçaient auparavant à vélo ou à pied, a-t-on vraiment amélioré les choses ? »

Et en Suisse ?

Sous nos latitudes, notons déjà que le cadre légal ne facilite pas l’instauration d’une telle démarche. « Il est en effet inscrit dans la constitution que les usagers doivent participer financièrement à l’utilisation des transports publics », rappelle Vincent Kaufmann. « Un motif notamment invoqué par les autorités lors du refus des différentes initiatives menées en faveur de la gratuité à Genève ou Fribourg par exemple. »

Autre aspect à prendre en compte : la balance économique entre les coûts absorbés par l’État, via nos impôts, et ceux pris en charge par les voyageurs directement. « Cette balance est d’environ 50% en Suisse. Ce qui veut dire que lorsqu’un utilisateur achète son billet, il paie plus ou moins la moitié du coût total de l’utilisation du transport. Pour l’État, assumer la totalité de ce coût n’est simplement pas possible. En France ou en Allemagne, où des initiatives de gratuité ont aussi été menées localement, les transports en commun sont davantage subventionnés. La donne est donc très différente, avec une balance d’environ 75% – 25% sur de nombreux réseaux de transports publics. Pour l’État, assumer les 25% restant de ces coûts s’avère donc beaucoup plus réaliste et permet même de s’y retrouver financièrement puisque certains frais disparaissent, comme ceux liés à l’entretien des distributeurs ou aux salaires des contrôleurs. »

Modèle persistant

Difficile donc d’imaginer de manière réaliste l’instauration de la gratuité des transports publics en Suisse. À la rigidité du cadre légal et économique, s’ajoute aussi un aspect psychologique fort. « Malgré tout l’argumentaire avancé en faveur des transports publics, et aussi performants qu’ils puissent être, la voiture représente encore un confort indéniable pour l’utilisateur. Dans notre société, l’automobile constitue une possession privée, dans laquelle le voyageur bénéficie de son propre espace protégé. Ce que l’on ne retrouve pas dans les transports en commun. »

Le professeur de l’EPFL ajoute encore que, suite à des calculs et modèles esquissés de manière informelle avec un collègue mathématicien, le levier incitatif décisif qui permettrait de changer les habitudes en matière de transport consisterait à rétribuer les voyageurs prêts à délaisser leur véhicule pour les transports en commun. « Ce qui est évidemment intenable. En revanche, de manière plus réaliste, adopter une politique plus fine et nuancée pourrait s’avérer pertinent. Si la gratuité pour tous n’est pas réaliste, ni forcément souhaitable, l’envisager pour les ménages en difficulté ou pour les personnes en situation de précarité, pour qui la mobilité constitue un handicap social et économique, aurait peut-être plus de sens. »

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

maison-ecologique

Tour de Suisse des maisons écologiques (part. 2)

De nombreux architectes, entrepreneurs et propriétaires s’impliquent pour concrétiser des projets immobiliers durables. Nous vous proposons un petit tour d’horizon en Suisse pour partir à la découverte de logements qui se distinguent du point de vue écologique.

Bâtir son logement, quel beau projet. Et quel projet encore plus beau si l’on parvient à combiner la construction de son nid avec les impératifs durables qui s’imposent à notre époque. En Suisse, plusieurs maisons se distinguent par l’emploi de matériaux écologiques, l’élaboration de systèmes d’isolation novateurs ou encore l’utilisation d’énergies renouvelables locales pour tendre vers l’autonomie. Tout au long de cette série, on vous emmène pour un petit tour de Suisse afin de vous faire découvrir des maisons inspirantes et leurs concepteurs, voire leurs habitants.

Châtillon (FR)

C’est une maison qui reflète le calme et la paix de la nature environnante. Construite sur les hauteurs du lac de Neuchâtel, à Châtillon, cette villa représente surtout un engagement concret puisqu’elle n’est autre que celle de l’ingénieur spécialisé en énergies renouvelables Marc Muller. Une maison qui incarne donc les réflexions engagées et les prises de position fortes de l’ingénieur en matière de transition ou de décroissance. Le message est d’autant plus fort que la villa tient une promesse de départ loin d’être anodine : démontrer la possibilité d’habiter dignement tout en étant complètement autonome. De fait, le logement n’est pas raccordé au réseau électrique ni au réseau d’eau. Un projet de taille, qui démarre en 2015.

S’il est ingénieur, Marc Muller est aussi autodidacte quand il s’agit de concrétiser les plans et calculs de son projet d’habitat. « J’ai en effet pris part à toute la construction de ma maison, en faisant autant des travaux de maçonnerie que d’installation sanitaire mais aussi de menuiserie. Dès le départ, ma démarche a consisté à utiliser les atouts naturels de l’environnement dans lequel allait se trouver ma maison. »

Architecture organique

Une vision architecturale durable qui contraste avec les approches technologiques développées globalement. Exemple : profiter des dispositions naturelles du terrain en utilisant la végétation tel un store. Durant la chaude saison, le feuillage fourni qui entoure l’ouvrage permet de filtrer le rayonnement solaire. Et en hiver, à l’inverse, la végétation dénudée optimise le passage des rayons sur les baies vitrées du logement, contribuant ainsi à le chauffer. Pour optimiser l’efficience de ce chauffage naturel et limiter au maximum les déperditions de chaleur, une isolation de 60 centimètres d’épaisseur de paille a été installée. Les fenêtres sont par ailleurs constituées d’un triple vitrage. À l’intérieur, un poêle à bois vient compléter le système, en participant au chauffage de l’eau sanitaire durant les mois les plus froids de l’année.

La toiture compte en outre des panneaux photovoltaïques assurant une puissance de 12 kW. Le courant alimente les appareils ménagers et contribue aussi au chauffage de l’eau sanitaire. Enfin, un système de batteries est également présent, permettant à la famille de recharger ses véhicules et vélos électriques. Le surplus restant est récupéré dans des batteries au lithium de récupération (2ème vie).

Simplicité, circularité et autonomie

Construite sur une ossature en bois issu des forêts des préalpes fribourgeoises, la maison comporte des murs d’une composition plutôt unique. En effet, ils sont en partie composés de la terre issue des travaux d’excavation entrepris sur le terrain pour construire une piscine naturelle. Et oui, pour Marc Muller l’idée de base a toujours consisté à ne faire aucun compromis sur le confort.

 

piscine-maison-ecologique

 

Pour les murs, notons encore qu’à la terre d’excavation sur site ont été ajoutés du sable et de la paille. Une composition naturelle et durable enveloppe ainsi la maison, conçue sans murs porteurs intérieurs. Une configuration pensée dans l’optique de laisser une grande liberté à la famille – et aux futurs habitants dans le siècle à venir – dans l’agencement du lieu et son évolution dans le temps.

Autre astuce architecturale des plus ingénieuses, récupérer une ressource naturelle si précieuse : l’eau de pluie. « J’ai imaginé un système de collecte et de stockage intégré sur le toit. Muni d’un filtre, il offre la possibilité de fournir l’ensemble de l’eau potable qui coule dans nos robinets. » Au total, le dispositif permet de stocker 6000 litres d’eau de pluie.

Une configuration dont l’ingéniosité et la simplicité se traduisent par des performances des plus significatives, tant sur le plan économique qu’en termes de confort. La maison autarcique de Marc Muller fournit en effet par elle-même l’énergie nécessaire au chauffage, à la mobilité et à l’approvisionnement en eau potable de la famille, sans oublier l’arrosage du jardin au sein duquel un potager est soigneusement entretenu. Côté finances, le projet constitue également une réussite exemplaire puisque les charges mensuelles ne dépassent pas 50 francs, montant qui sert à acheter le bois de chauffage uniquement.

Le concepteur

Pour Marc Muller, le déclic durable et environnemental se produit en 2002, lors d’un séjour personnel au sein d’une ferme au Canada. « C’est à ce moment que j’ai pris conscience de mon attachement à la nature, tout en réalisant qu’il était parfaitement possible de conjuguer confort, ou qualité de vie, et développement durable. »

Suite à ce séjour, il se lance dans les énergies renouvelables. Objectif : contribuer à mettre en œuvre la transition écologique et énergétique au sein des collectivités, des entreprises et de diverses organisations. Ingénieur, il s’intéresse avant tout aux facteurs psychologiques et décisionnels qui peuvent intervenir dans une perspective de changement et d’adaptation. Une vision affinée lors d’un périple entrepris en 2009 durant lequel il réalise un tour du monde de deux années à bord d’une voiture électrique-solaire construite pour l’occasion par des écoles d’ingénieurs. Il traverse alors quatre continents à la seule force de l’énergie solaire afin d’aller à la rencontre des acteurs de la transition écologique aux quatre coins du globe. Son créneau principal : revenir massivement aux métiers et savoir-faire pratiques.

« La réussite de la transition énergétique dépend en grande partie de notre capacité à former très rapidement un grand nombre de professionnels dans les métiers de la construction, de l’agriculture et de l’énergie. Il nous faut parvenir à opérer un virage décisif vers des savoir-faire concrets et pratiques pour mette en œuvre la transition. »

Découvrez la maison en vidéo !

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

Smart mobility

SMART MOBILITY : les solutions pour la mobilité de demain

La mobilité représente pratiquement 40% des émissions de CO2 émises sur le territoire suisse. Il est donc plus que nécessaire de multiplier les moyens de décarboner ce secteur. Les solutions de Smart Mobility (mobilité intelligente) ne manquent pas et se répandent en Suisse et dans le monde.

Le concept de Smart Mobility (ou mobilité intelligente) s’inscrit dans la logique des Smart Cities  (villes intelligentes) : ces dernières sont connues pour exploiter les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le but d’optimiser leurs opérations, mais aussi d’augmenter la qualité de vie de la population. Elles ont aussi tendance à encourager et exploiter les innovations technologiques qui permettent d’atteindre ces buts. Ces idées et outils, appliqués au thème de la mobilité, donnent lieu à divers projets permettant par exemple d’optimiser la circulation routière, d’améliorer le service de transports publics ou encore de proposer des solutions de mobilité partagée innovantes.

Utiliser la technologie pour une mobilité intelligente

La Ville de Pully, par exemple, utilise les TIC depuis 2015 pour compiler les déplacements des personnes sur son territoire, et ainsi pouvoir améliorer les infrastructures en conséquence. En partenariat avec Swisscom et l’EPFL, les signaux des téléphones portables sont collectés de façon anonyme et permettent ainsi une visualisation en temps réel des déplacements, ainsi qu’une compilation de ceux-ci permettant d’établir, entre autres, des statistiques variées et poussées. Habituellement, on obtient ce type de données en les collectant à une fréquence choisie (tous les 5 ans pour l’agglomération lausannoise), ce qui ne permet évidemment pas une quantité et une qualité d’information aussi utile qu’avec une récolte de données en continu.

 

Exemple de visualisation flux de mobilité générés par les données Swisscom, ici exemple de la ville de Zürich (Source)

 

Le développement et l’utilisation de véhicules autonomes électriques est aussi un sujet récurrent dans les Smart Cities. Ces solutions offrent des possibilités intéressantes pour combler certains manques au niveau de la mobilité, tel que le fameux « problème du dernier kilomètre » (last mile problem). En effet, autant pour la mobilité personnelle que pour le transport de marchandises, le dernier (ou le premier) maillon du trajet est souvent le plus problématique : le transport d’un colis entre un entrepôt et son destinataire par exemple, ou encore le trajet entre le domicile et la gare. Pour adresser cet enjeu, une solution pionnière de navette autonome circulant entre la gare et le centre-ville a été mise en œuvre à Sion entre 2016 et 2021 par CarPostal, transportant 55’000 personnes sur cette période. De nombreuses villes et entreprises, en Suisse et à l’international, ont depuis expérimenté différentes déclinaisons de cette piste. À Saas-Fee par exemple, village sans voitures, un « robot à bagages » autonome a transporté les bagages des touristes entre la gare et leur logement pendant tout l’été 2022, offrant ainsi plus de confort aux voyageurs. Dans une ville avec des voitures, ce genre de solutions permettrait de remplacer un trajet qui aurait probablement été fait en taxi par une alternative bien moins carbonée.

 

Robi, le robot à bagages de Saas-Fee (Source)

 

Dans le but d’éviter l’utilisation de voitures personnelles et de multiplier les moyens disponibles pour chacun, les options de mobilité partagée se multiplient : des dizaines de plateformes et d’applications proposent aujourd’hui le partage (entre particuliers ou via une entreprise) de tous types de trajets et de moyens de transports. Entre (tant d’) autres, Mobility permet la location à la demande de voitures et fourgons de toutes tailles, Publibike met des vélos à disposition dans les villes, Lime des trottinettes électrique, Carvelo2go des vélos cargos, Taxito permet de demander un covoiturage à la minute dans des points définis, Go ! de commander un taxi… Et Whim tente (timidement pour le moment) de compiler toutes ces options dans une seule application ! Aujourd’hui, chaque scénario de partage de véhicule et de transport, ou presque, peut être réservé au moyen d’une plateforme digitale.

Mais pas que !

Mais Smart ne veut pas seulement dire technologique ! Les Smart Cities se veulent aussi intelligentes par leur capacité à répondre aux besoins de leur population de façon astucieuse et ingénieuse, même avec des moyens plus classiques ou à basse technologie. Car une ville intelligente se doit aussi de faire usage de ses ressources de façon durable, et ceci ne pourrait se faire en injectant des solutions techniques, numériques ou connectées à chaque problème. En matière de mobilité, il n’est pas forcément nécessaire de réinventer la roue pour innover.

Pour adresser la problématique du dernier kilomètre pour la logistique de site, citons par exemple les plateformes des transbordement multimodales, qui proposent de centraliser la marchandise à destination du centre-ville dans une seule zone, puis de livrer les colis au moyen de vélos cargos jusqu’à leur destination finale. Ceci permet d’éviter de surcharger le centre-ville de véhicules lourds de chaque transporteur et chaque commerce, améliorant ainsi le trafic, la qualité de l’air, le bruit… C’est le cas par exemple du Microhub Riviera, basé à Vevey, qui dessert pas moins de 20 localités en vélo-cargo depuis 2019.

Fonctionnement du Microhub Riviera (Source)

 

Pour améliorer l’accès à des alternatives de mobilité à moindre impact, comme le vélo ou l’autopartage, on peut notamment citer les solutions proposées par certains quartiers ou coopératives d’habitations : le quartier « Huniziker Areal » de la coopérative Mehr Als Wohnen à Zürich, entre autres, ne se contente pas d’une bonne offre de transports en commun et de pistes cyclables : les locataires des appartements bénéficient aussi automatiquement de l’accès à une « station de mobilité » comprenant des vélos (ordinaires, électriques, cargos) et une voiture électrique. Les personnes y résidant s’engagent d’ailleurs à renoncer à toute voiture privée. Dans la même veine, la CODHA, coopérative genevoise, a développé son propre service d’autopartage pour l’usage des résidents de l’écoquartier de la Jonction.

 

Station de mobilité, Mehr Als Wohnen (Source)

 

Une ville intelligente se devant d’être au plus proche des besoins de sa population et orientée vers la demande, les démarches bottom-up et de co-créations citoyennes sont aussi à souligner. Pour rester sur la thématique du vélo, citons la plateforme Bikeable : cet outil permet aux cyclistes d’indiquer des endroits problématiques rencontrés à vélo, créant ainsi une base de données directement exploitables pour les communes (les Villes de Zürich et d’Ecublens notamment en ont fait l’expérience). L’association porteuse du projet va d’ailleurs prochainement faire évoluer la plateforme pour inclure aussi les problématiques liées à la mobilité piétonne, elle s’est d’ailleurs déjà renommée « Moveable ».

Sans perdre l’objectif de vue

Toutes ces solutions permettent de repenser nos manières de nous déplacer et offrent des moyens ingénieux de modifier nos habitudes. Mais il est essentiel de garder à l’esprit que, pour réduire l’impact environnemental du secteur de la mobilité, l’objectif est d’aller vers moins de mobilité carbonée, et donc aussi vers moins de mobilité tout court (voir notamment notre article publié dernièrement sur la démobilité). Une nouvelle proposition de mobilité devrait donc notamment éviter de remplacer un trajet qui se serait fait à pied ou à vélo par une alternative électrique, qui aura un impact environnemental supérieur. C’est ce qui a malheureusement pu être observé avec l’exemple des trottinettes électriques partagées, dans le cadre d’une étude sur la situation à Paris : leur utilisation remplacerait l’usage de la voiture (individuelle ou partagée) pour seulement 7% des kilomètres qu’elles parcourent…

Ainsi, les projets favorisant les déplacements à pied sont aussi particulièrement importants, bien que cette thématique soit moins souvent exploitée. La Ville de Bâle a par exemple mené un projet pilote visant à fluidifier – et rendre donc plus rapides et plus agréables – les déplacements à pied, en basant la programmation des feux de signalisation sur la circulation piétonne plutôt que sur celle des voitures. En détectant l’approche d’une personne au moyen de capteurs et priorisant leur passage, l’attente est diminuée, voire supprimée, et on évite les situations où les feux passent au rouge pour les voitures malgré l’absence de personne souhaitant traverser.

Être Smart, tout un art !

Une solution technologique n’est ainsi pas Smart par essence, l’enjeu étant donc d’identifier le bon moyen de mobilité pour le bon scénario, adapté aux besoins tout en restant économe en énergie et en ressources. La tâche n’est pas des moindres… Mais de nombreux projets – initiés autant par des collectivités publiques, des entreprises et des mouvements citoyens – se répandent partout en Suisse et dans le monde, offrant toujours plus de scénarios de se déplacer avec un impact moindre mais de façon confortable. L’innovation d’aujourd’hui et de demain se veut résolument Smart : astucieuse, citoyenne et durable !

 

Manon Membrez

Spécialiste durabilité

mobilité

Mobilité électrique VS hydrogène

L’Union Européenne (UE) a annoncé le clap de fin des véhicules thermiques avec l’interdiction dès 2035 de vendre des véhicules neufs à essence ou diesel, ainsi que des véhicules hybrides. Cette interdiction a pour ambition de réduire à zéro les émissions de CO2 des voitures neuves vendues dans l’UE, et de facto en Suisse puisque notre pays en importe la totalité de ses véhicules. Aujourd’hui, deux options se distinguent sur le marché, alors comment choisir entre la mobilité électrique et la mobilité hydrogène ?

Les mobilités sans émission de CO2

Si le terme électromobilité s’est longtemps targué d’être un concept d’ingénieur, il fait désormais partie de notre quotidien. Fréquemment employé, il désigne les véhicules électriques, c’est-à-dire ceux que l’on approvisionne avec de l’électricité, comme on le ferait pour un téléphone ou un ordinateur. Cette électricité, stockée dans une batterie, permet au véhicule de disposer d’une certaine autonomie pour rouler, mais aussi pour alimenter ses différents composants.

Cette mobilité électrique se développe en parallèle de la mobilité hydrogène, plus discrète. Cette dernière, comme son nom l’indique, désigne les véhicules alimentés avec de l’hydrogène. Le plus généralement, il s’agit de véhicules équipés d’une pile à combustible et d’un moteur électrique. Autrement dit, l’hydrogène lui sert de carburant, mais celui-ci est, lors du roulage, converti en électricité grâce à la pile pour ensuite alimenter un moteur électrique. Pour être tout à fait complet, il convient aussi de mentionner qu’il existe des projets de moteurs à combustion fonctionnant à l’hydrogène, mais ceux-ci sont aujourd’hui plutôt des prototypes (e.g., ToyotaOrecaJCB). De tels véhicules auraient l’avantage d’être très similaires aux véhicules thermiques actuels, en étant alimentés par de l’hydrogène au lieu de l’essence ou du diesel.

Bien que les véhicules hydrogènes ne rejettent comme déchet que de l’eau, la fabrication d’hydrogène en elle-même n’est pour l’instant pas aussi vertueuse. Historiquement, l’hydrogène se faisait à partir d’hydrocarbures (i.e., gaz naturel et charbon), cependant un tel procédé entraîne l’émission de CO2 et ne résout donc en rien la problématique actuelle. La fabrication d’hydrogène renouvelable, dit « vert », s’obtient le plus couramment par électrolyse de l’eau, à partir d’électricité provenant uniquement d’énergie renouvelable (l’hydrogène vert peut également être produit à partir de biomasse, mais ce procédé est aujourd’hui peu répandu ; un projet pilote se développe en Suisse : H2 Bois). Ce procédé, au cours duquel les molécules d’eau sont séparées en hydrogène et en oxygène, a le vent en poupe mais, plus cher, il représente aujourd’hui moins d’un pourcent de la production mondiale d’hydrogène (IEA). Il requiert également de grandes quantités d’électricité renouvelable, en raison notamment du rendement du processus d’électrolyse qui est actuellement de l’ordre de 60%, même si les technologies permettront bientôt de meilleurs rendements.

La croissance de la mobilité électrique

Ces dernières années ont vu le développement à toute allure de la mobilité électrique. Cette croissance spectaculaire, aujourd’hui 16% des nouvelles immatriculations en Suisse sont électriques contre 1.5% il y a seulement 5 ans (AutoSuisse), s’explique par de multiples raisons, telles que les progrès technologiques des batteries et la diminution de leur coût, les incitations politiques ou encore une volonté d’indépendance par rapport aux énergies fossiles. La célèbre marque américaine n’est donc plus la seule à proposer toute une gamme de véhicules chargés à l’électricité. Elle se voit même rattrapée dans le domaine des véhicules à recharge bidirectionnelle, dit V2G, en ne proposant actuellement aucun modèle contrairement à d’autres fournisseurs (e.g., Nissan). Ces véhicules permettent la décharge de la batterie afin de l’utiliser comme une batterie mobile. Imaginez ainsi pouvoir charger votre voiture la journée au bureau, lorsque les panneaux photovoltaïques produisent de l’électricité, et ensuite la décharger le soir pour alimenter votre domicile. Ce futur n’est plus très lointain.

Globalement, les batteries électriques répondent bien aux besoins de la mobilité individuelle, avec une autonomie généralement comprise entre 370 et 470 km (TCS), quand la distance moyenne journalière parcourue en Suisse est de 37 km (DETEC). Le réseau de bornes s’élargit également avec aujourd’hui près de 5’000 bornes (TCS) publiques sur le territoire suisse et l’obligation légale de pré-équiper les nouveaux parkings afin de faciliter par la suite l’installation de bornes de recharge.

Pariant sur l’excellent rendement des moteurs électriques, trois fois plus efficaces que leurs concurrents thermiques, les transporteurs Galliker et Friderici Spécial ont inauguré l’année dernière la mise en service de deux camions électriques de 40 tonnes disposant d’une autonomie de 500 km, une première mondiale. Ces camions équipés chacun d’une capacité de batterie de 900 kWh sont cependant encore loin d’être la norme, ils ont d’ailleurs été achetés comme des camions « classiques », puis leur infrastructure diesel a été remplacée par un moteur électrique.

Développement de la mobilité hydrogène

Cette histoire nous ferait presque oublier que dans le domaine du transport, les camions hydrogènes ont jusqu’à présent eu plus de succès en Suisse. Notre pays est d’ailleurs pionnier en termes de mobilité hydrogène, grâce en partie à l’association privée, Mobilité H2 Suisse, qui rassemble différents acteurs du domaine aux intérêts variés. Sous son impulsion, des distributeurs et des producteurs d’hydrogène ont émergé, tels que Hydrospider. Ce dernier produit de l’hydrogène vert à partir d’énergie hydraulique de la centrale de Gösgen. Aujourd’hui, 12 stations sont alimentées en hydrogène et 47 trains de remorques lourds sillonnent les routes suisses à l’hydrogène.

 

 

Ces acteurs subissent cependant de plein fouet la crise énergétique, alors qu’on pensait voir les prix de l’hydrogène à la baisse, la flambée du coût de l’électricité a eu l’effet inverse puisque l’hydrogène vert est produit à partir d’électricité. Ainsi, la production d’Hydrospider, principal producteur d’hydrogène vert en Suisse, souffre de ces prix. Malgré cela, les acteurs continuent leurs développements, convaincus du potentiel de l’hydrogène vert pour la mobilité lourde. Cette conviction est partagée par Liehberr qui développe des véhicules de chantier à combustion hydrogène.

Il faut dire que sur papier, l’hydrogène est particulièrement plaisant en raison de sa grande autonomie (aujourd’hui de l’ordre de 600 km), de sa recharge rapide en seulement quelques minutes et d’une résistance au froid bien meilleure. Cependant, si la force de l’hydrogène est son excellente densité massique d’énergie, c’est-à-dire qu’un kg d’hydrogène possède autant d’énergie qu’environ 3 kg de pétrole, sa densité volumique est très faible.  Autrement dit, le volume requis pour stocker l’hydrogène est énorme. En comprimant l’hydrogène à haute pression, soit 700 bars, il faut 7 fois plus de volume d’hydrogène que d’essence pour une même quantité d’énergie. Un défi pour son transport comme pour son stockage.

Comment choisir aujourd’hui entre un véhicule électrique et un véhicule à pile hydrogène ?

Cette success story suisse ne doit pas nous faire oublier l’essentiel : la production et la compression d’hydrogène sont des processus particulièrement énergivores. Sans oublier que l’hydrogène n’est pas simple à transporter ni à stocker, car il s’échappe très facilement en raison de la petite taille de ses molécules. De plus, l’approvisionnement en hydrogène impose de nombreuses restrictions de sécurité, ce dernier reste un gaz très inflammable, qui rend donc inimaginable toute recharge à domicile. Se pose principalement la question de la pertinence de transformer de l’électricité en hydrogène pour finalement reconvertir cet hydrogène en électricité au sein des véhicules, avec un processus qui au final consomme près des deux tiers de l’énergie de départ.

La bonne question est peut-être de savoir dans quel domaine la mobilité électrique n’apporte pas une réponse satisfaisante.  L’autonomie des véhicules électriques est souvent pointée du doigt, cependant on observe des batteries de plus en plus denses qui permettent d’atteindre des autonomies très raisonnables. Après tout, qui peut se vanter de rouler régulièrement plus de 400 km d’une traite ? Si la mobilité individuelle se dessine de plus en plus au rythme de l’électromobilité, que les cars postaux tendent vers la même voie (CarPostalCarPostal2) et les camions expérimentent encore les deux options, la question est plus épineuse pour certains véhicules spécifiques. Les épandeuses, les dameuses et autres appareils de chantier sont autant de véhicules pour lesquels l’autonomie, la recharge rapide et la résistance au froid sont des paramètres clés que l’électrique aujourd’hui ne peut leur garantir. Sans oublier que certains de ces véhicules, telles que les pelleteuses utilisées dans les mines, fonctionnent dans des environnements dépourvus de bonnes connexions au réseau. Renforcer le réseau actuel pour répondre à ces besoins entraînerait inévitablement une hausse du coût du timbre, et par conséquent des factures d’électricité. Cet hiver, des dameuses électriques (Val-Cenis) mais aussi hydrogène (Alpe d’Huez) seront exploitées dans certains domaines skiables pour tenter d’apporter une réponse pratique à une question concrète.

Pour conclure

Dans ce domaine en constante évolution, que l’on opte pour l’électromobilité ou la mobilité hydrogène, l’électricité renouvelable reste le nerf de la guerre. Cependant, la maîtrise moins contraignante de l’électricité rend l’option électromobilité plus simple et tend à relayer la mobilité hydrogène à des applications de niche pour la mobilité lourde. Si la solution parfaite n’est pas encore aujourd’hui clairement identifiée, l’OFEN y travaille en élaborant actuellement une feuille de route 2050 sur l’hydrogène. Affaire à suivre donc !

 

Marine Cauz

Experte externe