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Et si nous avions tous un droit à la prise ?

C’est une nouveauté de cette année, l’association faîtière Swiss eMobility, vigie de l’électromobilité en Suisse, étend désormais ses quartiers en terres romandes. À l’avant-garde de cette quête pour la propulsion électrique, Geoffrey Orlando, expert reconnu en mobilité électrique, prend les rênes en qualité de représentant romand. Bien que l’association soit encore peu connue du grand public, sa mission est au cœur des préoccupations collectives : encourager, promouvoir et faciliter le développement de la mobilité électrique en Suisse. Pour y parvenir, Swiss eMobility vise à éliminer les principaux obstacles qui freinent l’adoption de cette mobilité. Parmi ceux-ci émerge une problématique typiquement helvétique : comment faciliter l’accès à la recharge alors qu’une part considérable de la population vit dans des bâtiments multi-résidentiels locatifs ou en PPE ? Dans ce contexte, Geoffrey Orlando, avec sa nouvelle fonction, contribue activement à l’expansion nationale de l’association. Il est déterminé à faire progresser des éléments-clés pour une transition en douceur vers un avenir électrique.

 

Question : Qu’est-ce qui vous a personnellement attiré vers le domaine de la mobilité électrique et qu’est-ce qui vous motive dans votre rôle actuel ?

G.O. :

C’est son potentiel révolutionnaire pour transformer notre façon de vivre et de nous déplacer, tout en contribuant à la lutte contre le changement climatique. Dans mon rôle actuel chez Swiss eMobility, ce qui me motive chaque jour, c’est la possibilité d’avoir un rôle d’acteur dans cette transformation. Je suis particulièrement enthousiaste à l’idée de résoudre les défis complexes liés à l’adoption de la mobilité électrique en Suisse, notamment en facilitant l’accès à la recharge pour tous.

Question : Pourquoi le besoin pour Swiss eMobility d’ouvrir un bureau en Suisse romande ?

G.O. :

À l’occasion de son dixième anniversaire, Swiss eMobility a inauguré un bureau à Yverdon, dans le Canton de Vaud, pour renforcer sa présence en Suisse romande. Cette démarche vise à se rapprocher du tissu économique local, en particulier des entreprises émergentes dans le domaine de la mobilité électrique. Alors que notre bureau national à Berne œuvre depuis longtemps pour les intérêts de nos membres, nous avons remarqué que les Romands étaient insuffisamment représentés. Le bureau romand comble ce vide en offrant une plateforme d’échange en français, facilitant une implication active dans diverses initiatives, de la définition de nouveaux standards à l’élaboration de propositions politiques. Notre objectif est d’informer et de convaincre tant le grand public que les autorités en Suisse romande.

Quels sont les principaux freins à l’adoption de la mobilité électrique en Suisse ?

G.O. :

La mobilité électrique en Suisse a connu une ascension remarquable : si elle ne représentait que 5% des nouvelles immatriculations il y a quelques années, elle en compte désormais plus de 25% en 2022. Toutefois, cette croissance semble ne pas évoluer autant qu’espéré cette année, malgré une baisse des coûts, une augmentation de l’autonomie des batteries et une diversification des modèles disponibles. Le véritable défi à surmonter pour accélérer cette transition écologique réside dans l’accès aux solutions de recharge, surtout à domicile. En 2021, près de trois quarts des Suisses résidaient dans des logements collectifs, en tant que locataires ou copropriétaires. Pour ces personnes, l’installation d’une borne de recharge chez eux est souvent un casse-tête administratif, dépendant de la bonne volonté des gestionnaires et propriétaires.

Ceux qui franchissent le pas et optent pour un véhicule électrique se retrouvent souvent dans une situation précaire : ils sont contraints de recharger leur véhicule où ils le peuvent, que ce soit au supermarché, à une borne publique de quartier, ou sur leur lieu de travail. Ces électromobilistes sont appelés les « sans bornes fixes », et leur quotidien est loin d’être idéal. Ce mode de vie peu pratique dissuade de nombreux résidents de logements collectifs à passer à l’électrique. C’est d’autant plus regrettable que chaque nouvelle voiture thermique mise en circulation aujourd’hui sera une source d’émission de gaz à effet de serre pendant près de deux décennies ! Agir maintenant devient donc une urgence pour atteindre les objectifs de la Stratégie énergétique de la Suisse, qui vise la neutralité carbone d’ici 2050.

Quel est ce concept de « droit à la prise » et quelles répercussions pourrait-il avoir sur l’évolution et l’acceptation de la mobilité électrique ?

G.O. :

Ce droit est une innovation qui a déjà fait ses preuves chez nos voisins allemands et français. Imaginez un immeuble où un seul locataire (ou copropriétaire) exprime le désir d’avoir une borne de recharge électrique. Ce droit oblige les gestionnaires, propriétaires et autres copropriétaires à considérer cette demande, rendant ainsi impossible tout refus d’installer une infrastructure de recharge dans les parkings communs. Mais attention, cela ne signifie pas nécessairement que la charge financière incombe aux propriétaires ou aux gestionnaires. Ils peuvent tout aussi bien opter pour un modèle de « contracting » (i.e., un contrat de prestation de service), où une entreprise spécialisée investit dans l’infrastructure et en assure l’exploitation. Ces entreprises tirent leur revenu de la vente d’électricité ou d’un système de forfait mensuel. Le « droit à la prise » ouvre donc des horizons pour ces acteurs, leur permettant de déployer leurs solutions de « contracting » et de répondre potentiellement aux besoins des trois quarts des suisses qui vivent dans des logements collectifs. Ce concept est donc une véritable opportunité, en particulier pour les « sans bornes fixes », qui sont souvent laissés sans possibilité de recharge chez eux.

Comment envisagez-vous l’introduction de ce droit en Suisse ?

G.O. :

Swiss eMobility, sous le leadership de son président Jürg Grossen, également Conseiller national et chef du Groupe vert’libéral au Parlement, milite activement pour l’instauration de ce droit à la prise au niveau fédéral. Une motion a été déposée en début d’été au Conseil national et qui a malheureusement reçu un avis défavorable du Conseil fédéral à la fin du mois d’août. Nous gardons espoir que les parlementaires sauront contredire cet avis et appuyer cette initiative cruciale. Les détails du droit à la prise seront affinés une fois qu’il aura franchi les étapes législatives, notamment les votes à l’Assemblée fédérale et au Conseil des États dans les mois à venir.

Doit-on s’inquiéter des conséquences d’un développement si rapide de la mobilité électrique ? Existe-t-il un risque que le réseau électrique ne puisse pas gérer une augmentation aussi soudaine de la demande ?

G.O. :

Nous prévoyons en effet une forte croissance de la mobilité électrique en Suisse, avec l’objectif que d’ici 2035, un véhicule sur deux soit électrique. Cette vitesse de déploiement dépendra en grande partie de la facilité avec laquelle les gens pourront recharger leurs véhicules chez eux. Cependant, cette hausse de la consommation électrique, estimée à environ 10%, ne doit pas être perçue comme un obstacle. Au contraire, elle pourrait se transformer en une réelle opportunité.

Premièrement, l’impact sur notre réseau électrique pourrait être atténué en encourageant la recharge lente, que ce soit à domicile ou sur le lieu de travail. En d’autres termes, si la recharge lente devient une habitude d’usage, il n’y aura pas besoin de surdimensionner l’infrastructure de recharge rapide dans l’espace public, ce qui minimisera les pics de demande de puissance sur le réseau. De plus, la recharge lente permet de favoriser la longévité des batteries.

Deuxièmement, il est crucial que ces stations de recharge lente soient « intelligentes » et programmables. Elles pourraient ainsi charger les véhicules pendant les heures où la production électrique dépasse la consommation et faciliter l’intégration des énergies renouvelables. Ces bornes intelligentes offriraient également l’avantage d’optimiser l’autoconsommation pour les sites équipés de panneaux solaires ou d’éoliennes.

Enfin, considérons que la plupart des véhicules passent environ 95% de leur temps à l’arrêt, leurs batteries pourraient fonctionner comme des unités de stockage d’énergie stationnaires. Grâce à des bornes de recharge bidirectionnelles, ces véhicules pourraient être chargés pendant les pics de production d’énergie renouvelable et déchargés pendant les pics de consommation, agissant comme de véritables outils de régulation du réseau. C’est ce que l’on appelle la technologie V2G, ou « Vehicle-to-Grid ». Ainsi, les véhicules électriques ne seraient pas seulement des moyens de transport, mais aussi des acteurs-clés dans la flexibilité du réseau électrique grâce à une gestion intelligente de l’offre et de la demande.

En bref, loin d’être un risque, la mobilité électrique pourrait bien être une pièce maîtresse de la transition et modernisation de notre réseau électrique.

Quels facteurs considérez-vous comme les incitations-clés pour encourager les individus à opter pour un véhicule électrique plutôt qu’un véhicule thermique ?

G.O. :

Les véhicules électriques offrent de nombreux avantages économiques et pratiques. Nous anticipons qu’ils seront moins coûteux à l’achat que les véhicules thermiques d’ici 2025, et ils sont déjà plus économiques à l’usage, car l’électricité est moins coûteuse que l’essence ou le diesel. L’expérience de conduite est également transformée, avec un moteur silencieux et sans vibrations.

Imaginez un instant votre voiture électrique non pas comme un simple moyen de transport, mais comme une pièce maîtresse dans le puzzle complexe de la transition énergétique. Chaque fois que vous branchez votre véhicule, vous faites plus qu’éviter les émissions de CO2 ; vous devenez un acteur-clé d’un réseau électrique intelligent et résilient. Grâce à des bornes de recharge pilotables, votre voiture peut stocker de l’énergie pendant les pics de production d’énergies renouvelables locales et la redistribuer en période de forte demande. Ainsi, chaque individu contribue, à son échelle, à une gestion intelligente du réseau électrique et à optimiser l’utilisation des ressources énergétiques. Ce n’est pas seulement une question de sobriété ou d’innovation technologique, c’est un impératif pour un avenir plus durable.

 

Marine Cauz

Experte externe

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