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Désimperméabiliser les sols urbains

Amélioration de la gestion des eaux pluviales, rafraîchissement lors des canicules, réhabilitation des sols, etc. La transformation des espaces urbains selon le principe de la ville-éponge est porteuse de nombreux espoirs pour adapter les villes aux nouveaux enjeux (bio)climatiques. Aperçu des bonnes pratiques et des pistes pour orienter les stratégies de désimperméabilisation.

Une imperméabilisation en augmentation

En Suisse, d’après les chiffres de l’Office fédéral de la statistique, la surface totale imperméabilisée s’élevait à 2081 km2 en 2018 (soit à peine plus que la superficie du canton de St-Gall). Cela correspond à 5 % de la superficie du pays, et à 63% de la surface d’habitat et d’infrastructure (voir le graphique ci-après).

 

 

Degré d’imperméabilisation des différentes surfaces d’habitat et d’infrastructure, en 2018 © OFS 2021

 

La tendance est malheureusement au renforcement de l’imperméabilisation. La surface totale imperméabilisée a ainsi augmenté de près de 40% entre 1985 et 2018. L’augmentation des surfaces d’habitation, des surfaces de transport et des changements structurels dans l’agriculture y sont pour beaucoup. Alors qu’entre 1985 et 1997, 19,4 km2 de sol ont été imperméabilisés en moyenne chaque année, cette valeur a baissé à 16,9 km2 pendant la période 1997-2009, pour remonter à 17,6 km2 pendant la dernière période d’observation (2009-2018), ce qui correspond à un peu plus d’un m2 toutes les deux secondes.

 

Une vulnérabilité accrue face à un cycle de l’eau perturbé

L’imperméabilisation croissante des sols urbains pose des problèmes majeurs aux villes. D’une part, elle les rend particulièrement vulnérables face aux dérèglements du cycle de l’eau liés au changement climatique. Les fortes précipitations comme celles qu’a connu la région lausannoise le 12 juin 2018 vont être de plus en plus fréquentes (NCCS, Scénarios climatiques 2018), et entraînent des inondations d’autant plus dévastatrices quand l’eau ne peut pas s’infiltrer. À l’inverse, l’eau étant aussi une ressource précieuse pour permettre notamment à la végétation de pousser, et de jouer à son tour un rôle rafraîchissant. Le manque de pleine terre en ville est donc synonyme d’une raréfaction de l’eau en période de sécheresse.

La carte de l’aléa de ruissellement modélisée par l’Office fédéral de l’environnement en 2018 permet de se rendre compte de ces risques à l’échelle des territoires. Bien qu’il s’agisse d’un modèle n’ayant pas été vérifié sur le terrain, elle permet de cibler les zones sujettes à des risques d’inondation en cas de fortes pluies.

 

Carte de l’aléa de ruissellement (OFEV), extrait sur la ville de Lausanne

Penser la ville comme une éponge

Face à ces défis, le concept de ville-éponge s’est développé dès les années 2000 en Chine et inspire aujourd’hui des villes du monde entier. La ville-éponge serait ainsi capable d’absorber au maximum les eaux pluviales dans le sol et les zones humides afin de réguler les inondations urbaines, et diminuer la vulnérabilité durant les périodes de sécheresse en préservant l’eau comme ressource. Pour ce faire, la ville-éponge fait la part belle aux toitures végétalisées, zones humides, bassins de rétention, étangs et fossés de drainage, ainsi qu’aux espaces verts et ouverts végétalisés.

En Suisse, l’OFEV a publié différents documents de référence touchant aux questions de la gestion des eaux de pluie dans l’espace urbain (Eau de pluie dans l’espace urbain), ou à l’adaptation des espaces publics au changement climatique (Quand la ville surchauffe). De son côté, la VSA (Association suisse des professionnels de l’eau) a lancé début 2022 un projet sur la ville-éponge, dont l’objectif est de promouvoir cette dernière comme nouveau paradigme d’aménagement urbain. Une offre de sensibilisation et de formation (webinaires, cours) est proposée, et le projet prévoit aussi d’intégrer le thème de la ville-éponge dans les PGEE (plans généraux d’évacuation des eaux).

 

Bonnes pratiques de Suisse et d’ailleurs

Avec son programme Acclimatasion lancé en 2014 avec le soutien de la Confédération, la Ville de Sion a fait figure de pionnière dans l’adaptation des espaces publics au changement climatique. En termes de planification, la ville intègre progressivement dans ses instruments d’aménagement du territoire des éléments qui favorisent la prise en compte du climat. Cela va du plan directeur communal aux plans d’aménagement détaillé et plans de quartier. Plusieurs espaces publics ont déjà été réaménagés, comme l’espace des remparts ou l’UAPE du Temple protestant (voir sur https://www.sion.ch/albumsphotos/detail/25732). Pour diffuser les bonnes pratiques, la Ville a également publié le « Guide des revêtements perméables » en collaboration avec l’HEPIA. Celui-ci donne un aperçu large des revêtements perméables possibles selon les usages souhaités.

À Genève, l’Office cantonal de l’eau (OCEau) a lancé une démarche novatrice pour diffuser les bonnes pratiques sur la gestion de l’eau. Intitulée « Eau en ville », elle propose notamment une documentation complète et des échanges d’expérience réguliers entre professionnels (https://www.ge.ch/eau-ville-changement-pratiques-applications).

Ailleurs en Europe, d’autres exemples peuvent inspirer les projets d’aménagement urbain. En France, le Cerema a édité une fiche sur la désimperméabilisation et la renaturation des sols (disponible ici). Parmi les bons exemples, on peut notamment citer celui des transformations de rues minérales en rues-jardins. C’est notamment le cas de Bordeaux, avec les rues Paul Camelle et Kléber. En Belgique, la ville d’Anvers déploie aussi des rues-jardins. Après avoir mené des projets pilotes temporaires avec la population, plusieurs rues ont été réaménagées définitivement, comme la Lange Ridderstraat (voir la photo de titre de l’article), avec des pieds de façades végétalisés et un pavage plus perméable au centre.

 

Désasphalter, et après ?

Les projets de désimperméabilisation se multiplient, mais posent encore d’épineuses questions quant à la réhabilitation des sols artificialisés et du devenir des matériaux bitumineux. En effet, la terre végétale étant une ressource finie, remplacer les sols « morts » sous l’asphalte par un apport de terre ne saurait être une solution durable. De même, l’exportation et le traitement des matériaux bitumineux peut aussi s’avérer coûteuse.

Dans cet esprit, certains projets misent sur l’idée de n’exporter aucun matériau, et de faire avec l’existant. C’est le cas des projets du bureau Wagon Landscaping, qui met un point d’honneur à intervenir de la manière la plus sobre possible. Ainsi, dans une cour d’immeuble à Paris, le projet Asphalte Jungle a permis de réutiliser l’enrobé bitumineux découpé pour créer un « technosol » avec des horizons recomposés avec les matériaux présents.

 

Asphalte Jungle, Paris (Wagon Landscaping, photo : Yann Monel)

 

Ce genre d’approches sobres et pragmatiques sont particulièrement intéressantes alors que la désimperméabilisation (et la végétalisation) des villes est de plus en plus urgente. Pour transformer rapidement et à grande échelle les espaces urbains vers la « ville-éponge » tout en préservant les ressources, nous avons tout à gagner à miser sur un travail faisant la part belle à la revalorisation des matériaux in situ, et à des choix de plantes adaptées aux conditions locales et aux contraintes posées par le changement climatique.

 

Mathieu Pochon

Ingénieur environnemental

 

Pour aller plus loin :

 

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