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Un petit geste pour l’Homme

En juin 2023, Nina Sukow et Johann Recordon, membres de l’équipe du Centre de compétences en durabilité de l’UNIL, ont publié une synthèse intitulée « Peut-on se passer des écogestes ». Ils se sont penchés sur les implications de ces « petits gestes » en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES), ainsi que sur les défis sociétaux qui entourent leur adoption.

Définis comme des actions individuelles visant à réduire notre empreinte carbone, les écogestes englobent une palette de comportements. Dans le domaine de l’énergie, on peut citer le fait de débrancher ses appareils électriques, d’éteindre la lumière en quittant une pièce, de baisser le chauffage ou encore de simplement couvrir les casseroles durant la cuisson. Une étude sur la France, mentionnée dans ce travail de synthèse, estime que la moitié environ des réductions possibles provient d’actions ne nécessitant aucun investissement financier. Ajoutons que bien souvent également, ils ne nous enlèvent aucun de confort. Les écogestes s’apparentent à de bonnes vieilles habitudes perdues, à retrouver.

Les écogestes les plus impactants

Dans leur synthèse, Nina Sukow et Johann Recordon mentionnent le poids de certaines actions individuelles dans la réduction des émissions de GES, même si les auteurs rappellent que la comparaison entre les études peut être délicate. « De fortes différences existent au niveau de la méthodologie employée, ainsi que des actions incluses ou omises dans les analyses, précisent-ils. À cela s’ajoutent les spécificités des pays considérés, des hypothèses formulées, ainsi que des sources ou de la temporalité des données traitées ». Des tendances sont toutefois visibles et deux catégories d’actions aux potentiels significatifs ont été identifiées : celles réalisables par les individus et celles relevant des propriétaires immobiliers. La question des transports est en tête de liste pour les premiers, alors que le passage aux énergies renouvelables est judicieux pour les seconds (voir tableau ci-dessous). Les auteurs rappellent toutefois l’évidence : ne pas produire ou consommer est toujours une option moins carbonée que d’optimiser l’impact d’une action.

 

 

Des gestes individuels et une réalité plurielle

Il serait faux de penser que l’efficacité des écogestes se limite aux actions individuelles. Car vous aurez beau faire tous les efforts du monde pour prendre le bus plutôt que votre voiture individuelle par exemple, si votre quartier n’est pas desservi en transports publics, alors il vous sera difficile de tenir vos bonnes résolutions. Nina Sukow et Johann Recordon ont ainsi tenté de savoir si ces petites gouttes d’eau (personnelles) pouvaient vraiment devenir des océans (collectifs) et la réponse est entre-deux, ou plutôt entre tout et tous. Le lien est étroit entre comportements individuels et contexte socio-économique. « Les écogestes sont indispensables, mais insuffisants pour atteindre les objectifs remettant de respecter l’Accord de Paris, nous disent les chercheurs. Les actions individuelles sont liées à ce que met en place l’État pour assurer une transition écologique importante et rapide […] et les individus sont fortement influencés par le système socio-économique (valeurs culturelles, croyances, habitudes, normes sociales) dans lequel ils vivent, ainsi que par les facteurs structurels tels que les conditions de travail, les structures urbaines et les schémas quotidiens de vie ». Ils ajoutent que du côté des individus, de nombreux leviers allant au-delà de l’action individuelle existent également, tels que l’implication dans le collectif en tant que citoyenne ou citoyen, au sein de son milieu professionnel, en tant que membre d’associations, ou à travers toute autre forme d’engagement.

Les écogestes et les richesses

Les chercheurs mettent également en lumière la question des inégalités en matière de contribution au changement climatique, puisque le lien est établi entre « revenus » et « émissions de CO2 ». La Suisse, pour ne citer qu’elle, se place dans le top 15 des pays les plus émetteurs de carbone par habitant au monde. Une bonne position dans ce mauvais classement, qui devrait à lui seul nous faire réagir. En détaillant l’empreinte carbone de la Suisse en fonction des revenus, voilà ce qu’il en ressort :

  • le 50 % de la population ayant les revenus les plus bas émet 7.5t CO2/personne/an
  • le 40 % suivant émet 15t CO2/personne/an
  • le 10 % ayant les revenus les plus élevés émet 44t CO2/personne/an

Le 1 % le plus riche de la population Suisse émet même 160t CO2/personne/an précise la synthèse. Ainsi, en tant que plus gros émetteur, le potentiel de réduction est plus important dans la catégorie de population, ou les pays plus aisés financièrement. Les riches (nous donc !) ont donc grandement leur part à jouer.

Le choix des maux

Au-delà des gestes eux-mêmes, Nina Sukow et Johann Recordon se sont penchés sur le pouvoir des mots dans la communication autour des écogestes. Quels récits ou histoires sont capables de mobiliser les individus pour qu’ils tissent des liens au niveau collectif ? Ainsi, la littérature consultée par les chercheurs épingle les communication binaire et réductrice (« oui c’est bien ; non ce n’est pas bien »). Les discours autour des écogestes devraient s’atteler à mettre en avant leur rôle positif dans la remise en question collective et l’amélioration du vivre ensemble, pour dépasser le sentiment d’impuissance face à la crise écologique ainsi que, potentiellement, ouvrir la porte à d’autres types d’engagement.

En résumé, pour avoir un impact significatif, les gestes individuels doivent être soutenus par des changements systémiques. Les politiques publiques, les initiatives sociales et une communication positive sont les pièces du puzzle nécessaire pour concrétiser le potentiel des écogestes. Ils devraient être perçus comme des catalyseurs du changement, incitant à une réflexion plus profonde sur notre mode de vie et notre relation avec la planète.

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« Il faut montrer l’importance des écogestes, sans mettre toute la responsabilité sur l’individu »

Nina Suckow était collaboratrice de recherche au Centre de compétences en durabilité (CDD) de l’UNIL au moment du travail de synthèse évoqué dans cet article. Aujourd’hui, elle co-pilote la plateforme Volteface Étudiants, qui vise à rapprocher les étudiants du terrain, en favorisant les contacts avec des partenaires pour leurs travaux de mémoire.

Quelle a été votre motivation à vous intéresser à ce sujet des écogestes ?

Au milieu du flot d’informations et de chiffres sur les écogestes, il est parfois difficile de discerner ceux qui sont réellement significatifs. Personnellement, je souhaitais y voir plus clair et professionnellement, nous étions régulièrement sollicités au CCD pour nous exprimer sur l’importance des écogestes et leurs impacts. Cette synthèse visait à mettre de l’ordre dans les informations, à souligner les tendances scientifiques actuelles et à sensibiliser sur nos responsabilités individuelles et collectives.

Vous suggérez que les discours sur les écogestes devraient cibler en priorité les populations les plus aisées financièrement. Les écogestes, c’est pour les riches ?

Oui et non. Au niveau mondial, 10 % des plus riches dans le monde émettent 50 % des émissions de gaz à effet de serre. En Suisse, les 10 % les plus riches émettent 6 fois plus de tonnes de CO2 que les 50 % aux revenus les plus bas, tandis que le 1% le plus riche en émet 21 fois plus. Il est donc pertinent de demander des efforts différenciés selon les revenus. Il serait intéressant que les écogestes se généralisent peu importe le revenu, mais l’idée est surtout que plus on émet de CO2 plus on a une marge importante dans la réduction de nos émissions.

Quels aspects vous ont surpris lors de ce travail ?

La proportion des inégalités entre les pays, mais également à l’intérieur d’un même pays en fonction des richesses et des revenus, m’a frappé. Les chiffres sur les enjeux écologiques évoqués sont souvent des moyennes qui occultent des réalités variées, et mettre en lumière ces inégalités afin de pouvoir mettre en place des solutions pertinentes est crucial. Mon co-auteur Johann Recordon et moi-même avons également été interpellés par la difficulté de parler des écogestes et de l’importance d’agir à un niveau individuel, tout en s’inscrivant dans un mouvement collectif. Il faut réussir à souligner la place des écogestes, sans mettre toute la responsabilité sur l’individu, et tout en mettant en perspective le rôle de l’individu avec celui des collectivités et des entreprises.

Et avez-vous identifié des pistes pertinentes pour les collectivités et les entreprises ?

Nous ne sommes pas penchés sur leur rôle précisément dans cette synthèse, par contre, au-delà des écogestes, je trouve important de transmettre la complexité des enjeux écologiques, en interconnectant les différentes échelles et acteurs et en reconnaissant que l’individu fait partie d’un tout. Connaître le rôle des collectivités et entreprises est essentiel pour cela. L’Agence de la transition écologique en France (ADEME) mentionne des pistes notamment pour des entreprises, comme par exemple la responsabilité de transformer ses processus industriels, de changer ses modèles d’affaires, de réorienter sa raison d’être ou encore d’adopter une stratégie de neutralité carbone. Les collectivités, elles, permettent notamment l’organisation sur un territoire et la mise en œuvre de stratégies de neutralité carbone.

Au-delà de ce travail de synthèse, vous êtes également co-président de Step Into Action et facilitatrice au sein du cercle Playfight. Pourquoi ces engagements ?

Chacun de nous a un rôle à jouer dans les enjeux écologiques actuels. Certes avec des marges de manœuvre différentes, mais je suis portée par l’idée de donner la possibilité aux gens d’être acteurs de leur environnement autant intérieur qu’extérieur. Personnellement, ces engagements sont ma manière de ne pas rester impuissante et de mettre en mouvement ma conscience des réalités écologiques et mon constat des injustices qui en découlent.

 

Joëlle Loretan

Rédactrice externe

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