Identité graphique

Le pouvoir subliminal de l’identité visuelle

Le lien entre Jamies Oliver et Lidl ou comment créer une identité visuelle pour influencer l’inconscient de vos clients, gagner en visibilité, augmenter vos prix et sortir du lot.

Pensez à votre dernière visite au supermarché. A la recherche d’un berlingot de lait allégé? Vous vous dirigez automatiquement vers les emballages bleu ciel. Besoin d’un produit de beauté masculin? L’abondance de noir et de bleu foncé vous indique que vous êtes au bon endroit. Au rayon des féculents, le visage rassurant de Jamies Oliver vous conforte dans votre choix de riz au jasmin. Finalement aux étalages de légumes, le bourgeon bio de couleur verte envoie à votre un cerveau un signal mitigé: “plus cher mais censé être de meilleur qualité”. Quasi à votre insu, votre cerveau décode les signaux visuels environnants pour vous aider à naviguer dans cette mer de choix. 

 

Parler à l’inconscient

Daniel Kahneman, un psychologue et économiste américano-israélien et lauréat du prix Nobel d’économie en 2002 pour ses travaux fondateurs sur la théorie des perspectives, parle de deux modes de pensée: le système 1 (rapide, instinctif et émotionnel) et le système 2 (plus lent, plus réfléchi et plus logique). Selon les estimations, plus de 90% de notre activité mentale prend place au niveau du système 1, autrement dit de façon automatique et intuitive. D’un point de vue de création de marque, cela veut dire qu’en quelques millisecondes seulement, notre cerveau identifie, catégorise et juge une offre commerciale, et ce sur une base visuelle. L’identité visuelle, soit l’ensemble des éléments visuels (logos, couleurs, formes, textes etc.) qui identifie une marque, donne un cadre de référence qui guide (influence) la perception d’une marque. 

 

Cognition d’abord, décoration ensuite

Avant d’être un exercice esthétique, une identité visuelle est donc une affaire de cognition. Avant de se lancer dans une création ou une refonte d’identité visuelle, il est essentiel d’avoir une clarté sur les objectifs stratégiques de votre marque. Avez-vous un positionnement luxe, accessible ou de niche? Quelles sont les associations d’idées que vous souhaitez créer dans la tête de vos clients? Que voulez-vous “signaler” en priorité avec votre identité visuelle? Ce travail préparatoire permet de réduire la subjectivité –  la question n’est pas de savoir si Jean-Luc aime le bleu et les typographies à empattements mais plutôt de savoir si un bleu foncé accompagné d’un lettrage classique est adapté au positionnement de la marque dont Jean-Luc est responsable.

 

Couleurs et formes

Couleurs, formes, textures et tailles sont à la base de toute identité visuelle. Combinées intelligemment, elles permettent d’envoyer le “bon signal” à propos de votre marque. Passons en revue la couleur et la forme, deux éléments essentiels. La couleur, d’abord, est le plus rapidement décodée par le cerveau. Elle permet d’envoyer visuellement un message avant même que vous l’ayez consciemment identifié. L’identité visuelle de Lidl, par exemple, se base sur des couleurs primaires, utilisées de façon intentionnellement peu sophistiquée. Cela communique une offre bon marché (pas de sophistication superflue), accessible à tous (simple comme un jeu d’enfant) et attrayante (couleurs accrocheuses). Grand nombre de marques de fast-food, de KFC à Burger King, utilisent la même recette colorimétrique gagnante. A l’inverse, Globus Delicatessa, utilise principalement du noir et du blanc pour véhiculer une image haut de gamme. L’absence de couleurs primaires élève automatiquement la marque (et les prix de ses articles). Beaucoup de marques de luxe font par ailleurs confiance à cette même palette. Selon les secteurs, il est même possible pour une marque d’établir un lien fort avec une couleur spécifique – Le rouge des voitures Ferrari, le bleu-vert des boîtes Tiffany, L’orange des robots Kuka ou celui d’Easy Jet. “Posséder” une couleur particulière aux yeux de vos clients permet d’identifier vos produits et de créer immédiatement une association d’idées positive.  

La forme, ensuite, ajoute un niveau de lecture supplémentaire et permet de créer des associations d’idées plus précises. TWG Tea, une marque de thé de luxe singapourienne par exemple, combine une typographie à empattement classique avec une mise en page inspirée par une esthétique colonialiste. Le tout donne l’impression immédiate d’une marque traditionnelle, évocatrice d’une époque passée. Et pourtant la marque TWG a été lancée en… 2008. 

 

Plus qu’un logo, un système

Vous aurez probablement compris qu’un logo seul n’est pas suffisant pour définir et identifier une marque. Il ne peut aller bien loin sans principe de mise en page, éléments typographiques, couleurs etc. Mais le logo Nike me direz-vous? N’est il pas si réussi et reconnaissable qu’il se suffit à lui même? Réponse courte: absolument pas. Un logo, aussi simple qu’il soit, fait partie d’un système visuel. L’espace autour du swoosh, la taille des typographies, le style de photographie utilisé, les matériaux d’impression, ou encore les couleurs pétantes. Tous ces éléments doivent être définis pour assurer une cohérence (et donc une reconnaissance) de la marque à travers tous ses supports de communication. On parle alors de charte graphique. 

Pour une entreprise désireuse de professionnaliser son image de marque, développer uniquement un logo sans identité visuelle est donc un exercice vain. Un logo ne vit pas dans le vide. Son utilisation doit être clairement codifiée. Lors de la refonte de l’identité visuelle de la Fongit (la Fondation Genevoise pour l’Innovation Technologique), nous avons créé une identité visuelle modulaire qui permet une déclinaison infinie de mise en page tout en respectant des principes très rigides.

 

Et les PME?

Mais qu’importe les choix graphiques réalisés, une identité visuelle sert à influencer (voire modifier) la perception d’une marque. Elle peut permettre à une entreprise de gagner en visibilité, d’augmenter ses prix ou encore de sortir du lot, et ce en particulier pour les PME. En effet, rares sont les PME qui bénéficient d’une identité graphique réfléchie. Se différencier est donc plus facile qu’il n’y paraît. Quelques exemples issus de la pratique. 

Un hôtel 4* parisien, le Terrass” Hôtel, cherchait à augmenter le taux d’occupation de ses salles de séminaires. L’hôtel a fait le choix de créer une nouvelle marque dédiée. Positionné comme “un studio événementiel de quartier”, STAGE bénéficie d’une identité visuelle ludique et colorée, loin de l’image corporate de ses concurrents. Depuis son lancement, STAGE accueille cours de yoga, brunch du dimanche et ciné-club pour enfants. 

STAGE Paris

 

Plus proche de chez nous, Strausak, un fabricant de machines-outils établi à Bienne, souhaitait sortir du lot. D’un point de vue graphique, la plupart des concurrents de Strausak utilisent une imagerie similaire (visuels techniques et images libres de droit). Pour se différencier, Strausak utilise des rendus 3D monochromes des pièces de machines. Inspirée du monde du design d’objet, l’esthétique minimaliste exprime la simplicité d’utilisation de la machine.

Strausak Poster

 

Dans un marché concurrentiel, une identité graphique bien pensée peut facilement placer votre marque en tête de gondole. Se différencier est plus facile qu’on le pense, mais courir le risque d’être radicalement différent, par contre, n’est pas aussi évident. Au supermarché comme ailleurs, toutes les marques veulent sortir du lot, mais aucunes d’elles ne veulent se retrouver seules. Ou, autrement dit, le lait allégé n’est pas prêt de laisser tomber le bleu ciel.

 

Illustration: Nelly Damas pour Creative Supply.

 

 

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Youri Sawerschel

Youri Sawerschel est le fondateur de Creative Supply, une société de branding alliant stratégie et créativité. Il enseigne également la stratégie de marque à l’EPFL, l’EHL, la HEG et l’ESSEC. Sur son blog, il partage avec vous les techniques essentielles pour vous aider à créer et faire grandir votre marque.

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