Droit de souscription préférentiel des actionnaires d’une société anonyme : rappel des principes et possibilités de le supprimer

L’étendue de la participation d’un actionnaire dans une société est une composante majeure de son pouvoir socio-économique au sein de celle-ci, si bien que l’actionnaire y est généralement attaché et ne souhaite pas la voir diminuer au profit d’autres actionnaires ou de tiers.

Afin d’éviter la dilution de la participation d’un actionnaire, l’art. 652b CO accorde à toute actionnaire un droit à la part des actions nouvellement émises qui correspond à sa participation antérieure (droit de souscription préférentiel).

Cependant, ce droit peut entrer en conflit avec les besoins de la société, raison pour laquelle sa limitation ou sa suppression peut être nécessaire à la poursuite du but de la société.

  1. Préambule

Le droit de souscription préférentiel est un droit en faveur des actionnaires leur permettant de souscrire prioritairement à l’émission de nouvelles actions proportionnellement à leur participation au capital-actions.

Si le droit de souscription préférentiel tend à protéger les actionnaires d’une éventuelle dilution (en termes de pourcentage de participation et non de valeur des actions respectivement de la participation), il peut cependant entrer en conflit avec les intérêts – notamment économiques – de la société anonyme. C’est la raison pour laquelle, la question de sa limitation voire de sa suppression se pose fréquemment en pratique.

La présente Newsletter a pour objectif d’expliquer aux différentes parties prenantes d’une société anonyme quels sont les principes applicables au droit de souscription préférentiel et les possibilités et les démarches à entreprendre pour limiter ou supprimer ce droit.

  1. Le droit de souscription préférentiel

En droit suisse, le droit de souscription préférentiel est exprimé à l’art. 652b al. 1 CO dont la teneur est la suivante : « Tout actionnaire a droit à la part des actions nouvellement émises qui correspond à sa participation antérieure ».

Cet alinéa pose le principe du droit de souscription préférentiel détenu par les actionnaires sur les actions nouvellement émises dans le cadre de l’augmentation ordinaire ou autorisée du capital-actions d’une société anonyme.

Il permet ainsi aux actionnaires qui ont une capacité financière suffisante de garder une participation équivalente après l’émission de nouvelles actions, ce qui signifie que la valeur nominale de leurs actions par rapport à la valeur nominale totale du capital-actions reste la même.

Exemple : X. SA est une société anonyme dont le capital-actions s’élève à CHF 100’000.-, entièrement libéré et divisé en 100 actions de CHF 1’000.- chacune. Y détient 60 actions soit 60% du capital-actions. Z détient, quant à lui, 40 actions soit 40% du capital-actions. L’assemblée générale de la société décide de l’augmentation ordinaire du capital-actions de la société pour un montant supplémentaire de CHF 20’000.-, soit 20 actions de CHF 1’000.-. Y aura un droit de souscription préférentiel correspondant à 60% de l’augmentation, soit CHF 12’000.- ou 12 actions. Z aura, de son côté, un droit de souscription préférentiel correspondant à 40% de l’augmentation, soit CHF 8’000.- ou 8 actions. Si les deux actionnaires exercent leur droit de souscription, ils garderont une participation équivalente au capital-actions augmenté à CHF 120’000.- (Y détiendra 72 actions de CHF 1’000.-, soit 60% du capital-actions ; X détiendra 48 actions de CHF 1’000.-, soit 40% du capital-actions).

Les conditions d’exercice du droit de souscription préférentiel – notamment le prix de souscription – sont fixés par l’assemblée générale en cas d’augmentation ordinaire du capital-actions et par le conseil d’administration en cas d’augmentation autorisée (dans le nouveau droit de la société anonyme, le capital-actions autorisé sera remplacé par une marge de fluctuation du capital. Pour plus de détails, voir V. Meylan, La dernière réforme du droit de la société anonyme : points essentiels).

  1. La limitation ou suppression du droit de souscription préférentiel

La décision d’augmenter le capital-actions peut supprimer le droit de souscription préférentiel des actionnaires pour autant qu’il existe de justes motifs (art. 652b al. 2 CO).

Cette décision est soumise aux trois conditions cumulatives suivantes :

  • (i). la décision doit en principe être prise à la majorité qualifiée (art. 704 al. 1 ch. 6 CO) par l’assemblée générale ; et
  • (ii). la suppression ou la limitation doit être objectivement fondée, c’est-à-dire reposée sur de justes motifs ; et
  • (iii). la suppression ou la limitation doit respecter le principe d’égalité de traitement entre les actionnaires et le principe du ménagement dans l’exercice du droit (proportionnalité).
  1. Décision de limitation ou suppression du droit

La limitation ou la suppression du droit de souscription préférentiel est en principe décidée dans le cadre de la décision relative à l’augmentation (ordinaire ou autorisée) du capital-actions.

Cette décision doit recueillir au moins les deux tiers des voix attribuées aux actions représentées et la majorité absolue des valeurs nominales représentées (majorité qualifiée ; art. 704 al. 1 ch. 6 CO). Elle peut ainsi être imposée à un actionnaire qui ne dispose pas d’une minorité suffisant pour bloquer une telle décision.

Dans le cadre de l’augmentation autorisée du capital-actions, la décision d’augmentation appartient au conseil d’administration. L’assemblée générale garde toutefois la compétence de décider du sort du droit de souscription préférentiel dans la décision d’autorisation d’augmentation du capital-actions.

De jurisprudence constante, cette compétence peut toutefois être déléguée au conseil d’administration si la décision d’autorisation fixe les conditions-cadres (motifs particuliers, objectifs poursuivis, etc.) de la suppression ou de la limitation du droit de souscription préférentiel.

  1. Justes motifs

La suppression ou la limitation du droit de souscription préférentiel doit être objectivement fondée à la lumière de l’ensemble des circonstances et en fonction du type de société en question (cotée/non cotée).

En d’autres termes, la décision doit reposer sur des motifs qui imposent la restriction au droit de souscription préférentiel dans le cas concret. L’art. 652b al. 3 CO dresse une liste exemplative de situations qui constituent de justes motifs, à savoir :

  • L’acquisition d’une entreprise ;
  • L’acquisition de parties d’entreprise ;
  • L’acquisition de participations à une entreprise ;
  • La participation des travailleurs.

En pratique, d’autres situations peuvent constituer – suivant les circonstances – de justes motifs permettant de limiter ou supprimer le droit de souscription préférentiel des actions dans le cadre de l’émission de nouvelles actions.

Il peut notamment s’agir des motifs suivants, que nous classeront dans les trois catégories suivantes :

  • Les motifs relatifs au financement de la société : l’élargissement de l’actionnariat de la société dans la perspective d’une cotation, d’une admission au négoce ou d’un enregistrement de nouvelles actions aux bourses nationales ou étrangères ; l’octroi d’une option de surallocation (« Greenshoe ») ; la valorisation d’une levée de fonds propres respectivement d’un tour de financement (lorsqu’il ne pourrait être réalisé qu’à des conditions moins favorables, sans l’exclusion du droit de souscription préférentiel).
  • Les motifs relatifs à l’intéressement et la participation des collaborateurs : l’intéressement des employés, des membres du conseil d’administration ou de consultants de la société ou de l’une de ses filiales ; l’octroi de bonus sous forme d’options ou d’actions.
  • Les motifs relatifs à la restructuration ou à l’assainissementde la société : l’acquisition de sociétés, d’actifs de sociétés, de participations, de produits, de droits de propriété intellectuelle, de licences ou de nouveaux projets d’investissement ou encore pour des placements d’actions privés ou publics à des fins de financement et/ou refinancement de telles transactions ; la fusion ; l’acquisition d’une participation dans la société par un partenaire stratégique ; le remboursement d’un prêt mezzanine ; l’assainissement de la société (notamment la conversion de fonds étrangers en fonds propres).

Dans tous les cas, le bien-fondé de la limitation ou de la suppression du droit de souscription préférentiel dépendra de la situation spécifique de la société. Un motif peut être suffisante pour une société donnée, mais en même temps ne pas constituer un motif suffisant pour une autre société dont les besoins (notamment financiers) sont limités.

  1. Respect de l’égalité de traitement et du principe du ménagement dans l’exercice du droit

Par principe, aucun actionnaire ne doit être avantagé ou désavantagé de manière non fondée par la suppression du droit de souscription préférentiel. Il est possible de s’écarter de ce principe lorsque les circonstances et les intérêts de la société le justifient.

Dans tous les cas, la suppression doit être nécessaire à la poursuite des buts légitimes de la société et doit être exercée « avec ménagement » (principe de proportionnalité). Elle doit ainsi être nécessaire à la réalisation du but poursuivi par la société (nécessité) et doit suffire à atteindre celui-ci (aptitude).

Ces principes sont également applicables même en l’absence de restriction du droit de souscription préférentiel : dans l’arrêt TF 4A_531/2017 du 20 février 2018, le Tribunal fédéral a considéré, malgré le fait que les droits préférentiels de souscription n’étaient pas limités, que l’importance de la dilution subie par les actionnaires qui n’ont pas exercé leur droit pouvait être réduite en augmentant le capital-actions avec des actions ayant un montant supérieur à la valeur au pair. La décision prise par l’assemblée générale est alors viciée car cette dernière avait la possibilité de prendre des mesures permettant d’atteindre le but visé qui étaient moins dommageables pour l’actionnaire minoritaire.

  1. Les conséquences d’une limitation ou suppression non justifiée du droit de souscription préférentiel

Les conséquences d’une limitation ou suppression non justifiée du droit de souscription préférentiel dépendent de l’organe ayant pris la décision de restriction du droit.

La décision de l’assemblée générale de supprimer ou limiter le droit de souscription peut être annulée sur la base de l’art. 706 al. 1 et 2 CO, ce qui n’est pas le cas pour la décision du conseil d’administration prise en vertu d’une délégation de compétence valable qui viole le droit de souscription préférentiel, laquelle ne peut faire l’objet uniquement d’une action en responsabilité sur la base des art. 754 ss CO.

  1. Conclusion

Il convient de retenir de la présente Newsletter que le droit de souscription préférentiel est une composante essentielle à la qualité d’actionnaire qui ne peut être supprimé ou limité que dans l’intérêt de la société et en vue de la poursuite de son but.

Les actionnaires majoritaires veilleront ainsi à ne pas limiter ou supprimer le droit de souscription préférentiel des actionnaires de manière chicanière, sans motif ou pour leurs propres intérêts. Si nécessaire, ils feront appel à un spécialiste pour vérifier si motifs de suppression ou de limitation du droit de souscription préférentiel constituent de justes motifs au regard du droit suisse.

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Vincent Meylan

Vincent Meylan est associé de l’étude LE/AX Avocats. Il est spécialisé en droit des affaires (M&A, droit des sociétés, droit des contrats, gouvernance d'entreprise), en droit bancaire et financier, ainsi qu'en droit de la blockchain et des crypto-monnaies.

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