A Genève, construire son chez-soi est un rêve toujours plus difficile

Home sweet home ! Qui n’a jamais rêvé de construire la maison de ses rêves ? Un intérieur à son image, un jardin, de l’espace, autant d’atouts qui trouvent un écho particulier depuis l’apparition de la COVID-19 et des limites de nos logements en temps de pandémie. Dans une étude de 2019, Swisslife estimait qu’il fallait huit ans en Suisse pour accéder à cet eldorado. Sans compter les délais de construction particulièrement longs dans le canton de Genève !

 

Si elle se distingue par sa 3e place dans le « World Happiness Report », la Suisse ne peut, en revanche, pas se prévaloir d’un bon score dans l’obtention de permis de construire. Pour la Banque Mondiale, sur une échelle de 1 à 190 (1 étant le meilleur), la Suisse affiche un médiocre 71… Ce chiffre prend en compte différents aspects tels que la procédure de demande de permis de construire, le nombre d’étapes administratives, les coûts de l’ensemble du processus, le temps et le contrôle qualité, mais occulte la dimension fédérale. Le chiffre aurait été encore plus catastrophique s’il s’était adossé aux statistiques genevoises ! Comme l’a montré le magazine Baublatt dans une étude de 2017, le délai moyen d’obtention d’un permis de construire à Saint-Gall s’élèvait à 98 jours, mais à 208 jours à Genève, alors que la moyenne fédérale était de 157 jours.

Et depuis, cela n’a pas évolué dans la bonne direction. Aujourd’hui plus que jamais, Genève se retrouve à la traîne. Quand il faut un mois en Valais pour obtenir une autorisation pour une villa individuelle, entre cinq et six dans le canton de Vaud, Genève peut imposer des délais de près de 18 mois, auxquels s’ajoutent parfois huit à dix mois de démarches nécessaires pour déposer un projet de construction. Un manque de cohérence qui, à terme, menace de se répercuter sur la vision urbaine et territoriale de l’ensemble de l’arc lémanique.

À la congestion actuelle et au manque de terrains s’additionne le problème du changement soudain des conditions-cadres, le moratoire de la zone villa en est la preuve. Si les règles peuvent se modifier entre le dépôt du permis de construire et son acceptation, que devient l’acquéreur genevois, pauvre poupée dans les mains de ces autorités ! Une situation qui risque de le pousser à s’exiler vers d’autres cantons, quand ce n’est pas en France, pour éviter ce parcours du combattant.

 

L’abrogation du moratoire de la zone villa, une victoire en demi-teinte

Dans ce contexte, l’abandon du moratoire de la zone villa répond à cette demande importante de densification. Mais cette demi-solution reste vite limitée. Avec la levée du gel des dérogations, les communes bénéficient désormais d’une autorité conséquente sur la densification de leur zone 5, sous réserve d’un plan directeur communal adapté aux nouvelles exigences. Et c’est là que le bât blesse. Avec un délai de deux ans pour l’élaboration de leur stratégie (jusqu’au 31 décembre 2022), un préavis favorable des communes sera nécessaire pour accéder aux autorisations durant cette période. Un processus limitant qui risque encore de ralentir les démarches déjà fastidieuses. Avec seulement six communes ayant validé leur plan, l’avenir de la construction ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices dans le canton de Genève.

 

Cette question de durée est primordiale puisqu’elle aura un impact direct sur le bien être des habitants de ce canton. En effet, plus longue est la procédure, plus incertaine en est la conclusion. Que dire à un acquéreur qui aura patienté quatre ans pour finalement se voir refuser le sésame tant attendu ? Cette planification prouve aussi, s’il le fallait encore, le manque de concertation entre les cantons qui va aboutir à un renforcement des flux de mobilités entre les cantons de Vaud et Genève car ce dernier aura été trop lent à construire, contrairement à son voisin.

Dans ce contexte de plus en plus difficile, l’architecte va jouer un rôle toujours plus important. Au-delà de la gestion administrative, il doit être garant de la qualité architecturale, la grande sacrifiée sur l’autel des normes et de la complexité. Sa réflexion va porter sur l’habitat de demain qui devra impérativement répondre aux besoins futurs des habitants de ce canton. Il ne faudrait jamais perdre de vue ce dernier point !

 

Des communes genevoises défient le canton sur la densification

Depuis plusieurs années, les Genevois s’écharpent sur les questions de densification. Les pro et les anti-constructions se battent sur le futur de la région mais cette tension est également palpable entre le canton et certaines des 45 communes. En effet, l’État, soucieux de coordonner un développement harmonieux de la région, use du Plan directeur cantonal, son instrument de politique d’aménagement du territoire. Celui-ci a force d’autorité notamment sur les plans directeurs communaux, lesquels lui sont subordonnés. Entre les visions cantonales et communales, les différences sont souvent irréconciliables.

L’un des points de friction porte sur la zone 5, la zone résidentielle, destinée aux villas. Si celle-ci n’abrite, pour l’heure, que 10 % des logements et 13 % de la population, elle réserve le plus important potentiel de construction du canton. Certaines communes acceptent la perspective cantonale de densification alors que d’autres tentent d’appliquer leurs propres règles.

 

De 2013 à 2019, les propriétaires en zone 5 ont pu obtenir des dérogations pour plus densifier leur parcelle (augmenter l’indice d’utilisation du sol [IUS]) sans avoir à demander une modification de zone pour le pouvoir le faire.

Ces dérogations ont conduit à une forte augmentation des autorisations de construire (+30 % entre 2014 et 2018). Le nombre de logements groupés soit les villas mitoyennes, logements contigus, etc. a été multiplié par quatre. Six communes du canton (Chêne-Bourg, Collonge-Bellerive, Thônex, Troinex, Vandoeuvres, Veyrier) ont concentré 50 % de toutes ces demandes.

 

Ce climat, favorable à la construction, a néanmoins pris la forme, en quelques années, d’un développement non coordonné conduisant à une dégradation du paysage urbain, architectural et de l’environnement. L’État, sous la pression des communes et d’une certaine opinion publique, a décidé, en novembre 2019, de geler toute dérogation.

Ce moratoire pourrait être levé d’ici la fin de l’année car un consensus a été trouvé. Désormais, le canton impose aux communes la création de périmètres de densification accrue ou faible en fonction de l’environnement dans lequel ils se trouvent. La densification sera plus importante dans les zones proches des voies de communication, des espaces publics et plus faibles dans les zones de patrimoine bâti et paysager ou proche d’un habitat naturel. Les communes doivent donc communiquer leur indice d’utilisation du sol. Pour l’heure, seules quatre communes (Bellevue, Onex, Thônex et Vandoeuvres) ont communiqué leur Plan directeur communal (PDcom).

 

Cette obligation génère deux types de réponses. Il y a d’un côté les communes ayant tendance à respecter la densification diversifiée de l’État et à la communiquer dans leur plan directeur communal. De l’autre, celles qui expriment une forme de rejet en gardant sous silence l’indice d’utilisation du sol. Elles lui préfèrent des critères qualitatifs comme la perméabilité du sol, la végétalisation, l’intégration dans le paysage, etc.

Sans surprise, les communes proches du centre économique de Genève (Onex, Thônex, Troinex, Vernier) ont tendance à beaucoup plus respecter les directives du plan directeur cantonal et donc à communiquer l’IUS car celui-ci leur est bénéfique. À l’inverse, les communes plus éloignées du centre (Anières, Bellevue Corsier, Vandoeuvres, etc.) ou se trouvant sur les rives du lac et abritant une population plus bourgeoise restent plus réfractaires à l’utilisation de l’IUS et à son dévoilement.

Elles veulent conserver la main sur leur développement. Elles adoptent un système de contrepartie pour éviter l’imposition d’IUS. Ainsi, un propriétaire désireux d’augmenter la densité de son projet doit alors contribuer financièrement à l’aménagement d’infrastructures. Cela permet aux communes de garder une petite marge de manœuvre pour analyser les projets « au cas par cas » et ce, malgré les directives cantonales.

Citons Vandoeuvres, qui fixe des conditions d’intérêt public telles que « la préservation ou la reconstitution des composantes paysagères constitutives de l’identité communale » ou encore « le fonctionnement des réseaux de mobilité ».

 

Sans juger une position communale ou une autre, le cadre cantonal soulève des interrogations. Chaque zone villas présente ses spécificités sociales, territoriales, etc. de même que la commune dans laquelle elle se situe. La zone 5 d’une commune périurbaine comme Onex favorise une densification plus importante. A Anières, en raison de son éloignement et de son manque d’infrastructure de mobilité, l’État ne peut pas appliquer une densité similaire à cette même zone.

 

Le canton souhaite subordonner cette densification à une « taxe d’équipement » systématique. Les propriétaires privés devront s’acquitter des coûts publics engendrés par une densification plus importante. Pourtant le seul emploi d’un indice d’utilisation du sol ne préjuge pas de la qualité d’un projet et de son intégration réussie dans son contexte.

Le bras de fer entre le canton et certaines communes va donc se poursuivre encore ces prochaines années.

La mutation du logement post-covid

Les événements de ces derniers mois ont redéfini notre approche du lieu de vie et de ses fonctions. Les limites entre les espaces privés et professionnels sont devenues floues. L’organisation du logement est devenue un casse-tête pour chacun car nous avons expérimenté la rigidité de nos appartements incapable de s’adapter à une transformation soudaine. Nos espaces, nos bâtiments doivent être repensés.

Si les premiers jours de la vie confinée ont été accueillis avec un certain engouement, les contraintes ont très rapidement pesé sur le moral général. En cause, nos logements inadaptés à l’irruption d’un nouveau mode de vie. De lieux refuges, ils se sont transformés en cage, plus ou moins dorées, dans lesquelles se sont superposées de multiples fonctions jusqu’alors bien délimitées : travail, famille, loisir, repas. Si nos appartements urbains conviennent pour une utilisation pendulaire, donc intermittente, ils ont montré leur limite en dévoilant leur défaut majeur : leur manque de flexibilité. Où installer son bureau de fortune ? Comment gérer la séparation entre lieu de détente et place de travail ? Comment obtenir le calme nécessaire alors que les enfants jouent à côté ?

Si ce type de question ne s’était jamais vraiment posée avec autant d’acuité, l’organisation du logement est désormais devenue un casse-tête pour tous et surtout pour les architectes, créateurs des espaces de demain qui vont devoir prendre en compte ces nouveaux paramètres.

Jusqu’aux années 80, le bureau occupait son propre espace avant d’être supprimé dans un souci d’optimisation de l’espace et de coûts. Le logement s’est ainsi réduit au strict minimum en conservant un espace de vie commun ouvert sur la cuisine, l’ensemble relié à des chambres attenantes. Exunt les grands volumes qui caractérisaient les anciennes constructions et, dans le même mouvement, les pièces annexes. Cette réduction des surfaces s’est accompagnée d’une standardisation dans l’aménagement empêchant, ou du moins limitant fortement, toute modulation interne. Conséquence ? L’intérieur est inadapté aux changements soudains, comme l’a cruellement souligné cette crise sanitaire.

Il faut maintenant faire évoluer les typologies de l’habitat pour créer cette modularité.

Architectes et promoteurs doivent réinventer de nouvelles formes

Optimisons les espaces tout en gardant une flexibilité ! Il n’est pas nécessaire de posséder des centaines de mètres carrés pour le réaliser. L’ingéniosité des architectes fait des merveilles

Quand un bus Volkswagen peut à la fois disposer d’une cuisine, d’un couchage, et d’un salon, pourquoi un appartement ne pourrait-il pas suivre le même modèle d’adaptation ? Architectes et promoteurs doivent réinventer de nouvelles formes et imposer une nouvelle flexibilité.

Cela passe aussi par les espaces extérieurs. Terrasses, loggias, jardins d’hiver, vérandas, balcons sont plus que jamais nécessaire. Trop souvent sacrifiés sur l’autel des économies, ils ont prouvé leur nécessité, spécialement en milieu urbain. Il faut les généraliser dans les nouvelles constructions mais surtout les recréer dans les restaurations. La ville de Genève a un parc immobilier vieillissant. Alors que les possibilités de construction se restreignent,  en témoignent les nombreuses associations de défense du territoire qui ont émergé ces dernières années, les rénovations vont se multiplier. Si les pièces à vivre à l’extérieur sont absentes, il convient de les intégrer aux réalisations déjà existantes.

A Paris, dans le 17e arrondissement, une tour vétuste de logements, Bois le Prêtre, a vu un agrandissement de ses appartements, notamment des séjours, par la création de nouveaux planchers sur toute la périphérie de la tour. Les habitants ont ainsi gagné de la surface, ont amélioré leur confort de vie et les dépenses énergétiques ont fortement diminué.

C’est un moyen intelligent de revaloriser un parc immobilier.

La tour de Bois le Prêtre avant et après sa rénovation.

Cette modularité doit dépasser le cadre de l’appartement et s’appliquer à l’ensemble de l’immeuble. Le bâtiment va redevenir multi-usages avec une mixité de population, d’usages et de pièces de l’appartement, comme l’expérimente le modèle de la Cité Radieuse de Marseille, véritable « village vertical » et machine à habiter. Les espaces commerciaux doivent aussi devenir multi-usages. Les arcades en rez-de-chaussée doivent pouvoir se transformer au gré des envies et des besoins, sans qu’un appareil législatif trop contraignant ne les corsète.

Aujourd’hui les architectes suisses pourraient voir cette pandémie comme une opportunité, un temps suspendu pour faire des expérimentations, des prototypes à toutes les échelles et concevoir, non pas à la sortie de la crise, mais pour le futur. L’avenir promet une évolution vers un modèle de travail de plus en plus flexible. Autrefois réticentes au télétravail, cette crise aura prouvé aux entreprises les avantages de ce type de fonctionnement. Les architectes et les constructeurs vont repenser les logements, les immeubles de demain qui deviendront flexibles et réversibles, adaptables aux nouvelles exigences du marché du travail. Les investissements immobiliers se renforceront ces prochaines années. La Suisse doit faire évoluer son parc immobilier en investissant dans les rénovations. Cela ne consistera pas à changer deux ou trois fenêtres mais bien à repenser entièrement la construction. Nous pouvons, dès à présent, commencer cette transition. Matériaux plus performants, énergies mieux utilisés, aménagements repensés, ces normes vont peu à peu s’imposer. Voici venu le temps pour les architectes de profiter de cette crise pour faire un arrêt sur image, pour mieux comprendre les expériences spatiales vécues par chacun afin de faire évoluer l’habitat en fonction des besoins.