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Production alimentaire, quel impact environnemental ?

Produits localement, importés, cultivés biologiquement… les méthodes utilisées pour produire nos biens alimentaires jouent un rôle considérable en termes d’impacts sur l’environnement. Il en va de même pour la provenance avec, contrairement à ce que l’on pourrait penser, des phénomènes d’efficience à prendre en compte qui questionnent même les atouts durables de certaines filières de production locales par rapport à des denrées importées. Décryptage.

À l’échelle globale, la production alimentaire constitue depuis des décennies une problématique environnementale croissante. Pour donner d’emblée un indicateur clé, 80% de la déforestation mondiale est liée à l’agriculture intensive. Outre ce fait, la nuisance écologique de la production alimentaire est exacerbée par deux facteurs principaux : la croissance démographique et la mondialisation. Pour le résumer en une phrase, nourrir les huit milliards d’êtres humains que compte notre planète avec des méthodes et processus industriels globalisés à l’extrême génère une pollution des plus significatives, sans parler des problèmes de gaspillage, d’insécurité alimentaire, de malnutrition et même de famine. Pour quantifier la donne actuelle, rappelons que l’agriculture et l’élevage sont responsables de 20 à 30 % des émissions globales de gaz à effet de serre.

Concernant le gaspillage, notons également qu’environ un tiers de la production alimentaire est jeté, soit plus ou moins un milliard de tonnes par année dans le monde. Une problématique qui se produit tout au long de la chaîne de production et de distribution alimentaire, avec une responsabilité répartie proportionnellement entre les producteurs (39 %), les supermarchés (5 %), la restauration (14 %) et les ménages (42 %). La Suisse figure par ailleurs sur le podium des pays les plus producteurs de déchets par habitant en Europe.

Le paradoxe de la globalisation

Si les faits et chiffres démontrent clairement que les causes de la pollution engendrée par la production alimentaire sont liées en grande partie à un système globalisé et rationalisé à l’extrême, il reste que ce sont bien les prémices de ce même système qui ont permis de sécuriser l’alimentation de nombreuses populations durant l’après-guerre. Et dans le contexte de croissance démographique actuel, avec une population mondiale estimée par les Nations Unies à près de dix milliards de personnes d’ici à 2050, comment opérer une refonte du système de production permettant de conjuguer sécurité alimentaire et bonnes pratiques écologiques sans passer par le maintien des circuits mondialisés déjà en place ?

Pour Charlotte de La Baume, cofondatrice de l’entreprise Beelong, spécialisée dans le conseil et la formation en matière d’alimentation respectueuse de l’environnement auprès de collectivités publiques, de restaurateurs et d’acteurs de l’agroalimentaire, les méthodes de production et les régimes alimentaires constituent les problèmes auxquels il faut s’attaquer en priorité.

« De nombreux facteurs entrent en compte lorsque l’on aborde cette thématique. On entend aussi énormément d’informations plus ou moins véridiques quant à la nature du problème, notamment en raison des discours politiques et économiques qui influencent sa perception auprès du grand public. Mais le premier facteur à considérer, avant la provenance ou encore l’impact lié par exemple aux emballages, concerne bien les modes de production utilisés par l’industrie agricole. C’est là que le plus gros des impacts sur les ressources et sur l’environnement en général est engendré, comme la pollution des sols et des eaux souterraines, l’épuisement des ressources naturelles et énergétiques ou encore l’appauvrissement de la biodiversité. »

Protéines animales, le gouffre énergétique

Avant de s’intéresser de plus près aux multiples dimensions qui interviennent dans la problématique de la pollution alimentaire, il convient donc de revoir les fondements du système de production en vigueur actuellement. Rationalisée à l’extrême, la culture intensive nuit en effet à l’environnement dans de larges proportions. Si la méthode permet de maximiser les rendements dans un premier temps, elle engendre pourtant une baisse d’efficacité après quelques années seulement en raison de l’épuisement des ressources.

« La culture intensive nécessite l’utilisation de plus de produits chimiques et privilégie en outre un labourage profond et régulier de la terre, ce qui détruit les micro-organismes présents dans le sol et qui contribuent considérablement à sa fertilité et à sa structure. »

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Parmi les pratiques industrielles intensives ayant une forte nuisance environnementale, mentionnons la culture céréalière servant à nourrir le bétail. Pour faire simple, le fait de consommer des protéines animales de manière trop régulière nécessite la mobilisation de gigantesques ressources pour nourrir les animaux que nous finissons par manger. Outre les ressources énergétiques et naturelles – rappelons que, selon le Water Footprint Network, 15’000 litres d’eau seraient nécessaires pour produire un kilo de viande de bœuf – il s’agit aussi de considérer les ressources spatiales dédiées à ces cultures.

« Et c’est un point fondamental, car ces surfaces, si elles étaient consacrées à des cultures destinées à la consommation humaine, pourraient permettre de changer la donne, notamment en matière de sécurité alimentaire », ajoute Charlotte de La Baume.

Suisses mauvais élèves

L’herbe consommée par les animaux en Suisse vient en grande partie du pâturage qui ne peut pas être exploité autrement, pour des cultures par exemple. Autre point problématique : le grain, majoritairement importé, que l’on donne en complément aux animaux et qui nécessite également d’importantes surfaces bloquées pour sa culture. Ce qui explique que pour réduire l’empreinte environnementale de son alimentation, le premier réflexe à avoir devrait consister à réduire sa consommation de protéines animales. « Surtout qu’en Suisse, la population s’avère très carnivore avec une moyenne par habitant de neuf repas hebdomadaires contenant des produits carnés. On est bien au-dessus des trois fois par semaine maximum, comme le recommande l’OMS. »

Si les Suisses mangent donc trop de viande, les restaurateurs ne sont pas en reste en ce qui concerne le poisson. Car dans nos restaurants, les neuf poissons proposés le plus souvent dans les menus figurent tous dans le top dix des espèces les plus menacées. « On ne peut pas forcément leur en vouloir car, pour la plupart, ils ne sont tout simplement pas au courant », souligne la cofondatrice de Beelong. « Un manque de connaissance et d’information que nous nous efforçons d’ailleurs de combler en proposant des formations ainsi que des calculateurs, autant aux acteurs de la restauration collective qu’aux principaux groupes de l’agroalimentaire. Globalement, on sent tout de même que cette problématique éveille de plus en plus les consciences et que la branche se responsabilise. »

Quelques valeurs sûres

Notons également que la provenance joue évidemment un rôle dans l’impact environnemental de nos denrées alimentaires. Si le local est intéressant, du moment que les produits soient de saison, il faut aussi savoir que tous les produits importés ne sont pas forcément très problématiques. Surtout en considérant l’efficience et la centralisation des opérations qui sont déployées dans la chaîne de distribution. Le mode de transport utilisé est en revanche à considérer attentivement. La route et les voies maritimes étant bien sûr moins polluantes que l’avion. Comment savoir de quelle manière nos produits importés ont été acheminés ? C’est simple. Plus les produits sont frais et issus d’exploitations éloignées géographiquement, plus il y a de chances qu’ils aient été importés par avion. Le cas typique : les kiwis de Nouvelle-Zélande. Cultivés à l’autre bout du monde mais pourtant vendus frais dans les étalages de nos supermarchés, ils sont importés massivement par avion puisque, par voie maritime puis routière, le produit ne serait tout simplement plus frais.

Enfin, pour favoriser une alimentation respectueuse de l’environnement, il s’agit également de porter attention aux différents labels qui garantissent des modes de production vertueux. En Suisse, les labels Bio Suisse, Bourgeon Bio Suisse et Demeter constituent des valeurs sûres en matière de qualité environnementale des méthodes de production utilisées. À noter également, les différents labels biologiques propres aux chaînes de distribution comme ceux proposés par Coop ou encore Migros s’avèrent aussi fiables puisqu’ils se basent en fait sur les mèmes critères que ceux de l’Ordonnance sur l’agriculture biologique Suisse.

En matière de prix, si les produits issus de l’agriculture biologique sont encore légèrement plus chers puisque leur mode de production s’avère moins optimal que les cultures intensives, il reste possible de rattraper ce coût en changeant ses habitudes alimentaires. À nouveau, et on ne le rappellera peut-être jamais assez, diminuer les apports protéiques d’origine animale dans son assiette en les remplaçant par exemple par des sources végétales permettra de s’y retrouver financièrement, tout en contribuant à réduire son impact sur la planète.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

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