terre béton

Béton, quelles alternatives durables ?

Immense consommatrice de béton, la filière de la construction génère une importante empreinte écologique. Pour y remédier, il est urgent de développer des solutions durables. Une des pistes pourrait consister à revenir à un mode de construction plus traditionnel, par exemple en (ré)utilisant de la terre.

Matériau de construction privilégié pour son coût, ses avantages structurels et sa longévité, le béton pose cependant d’importants problèmes écologiques. Parmi ses principaux défauts en matière de durabilité, on peut notamment mentionner sa composition. En effet, dans son cycle de production, le béton nécessite de nombreux matériaux et des ressources naturelles en très grande quantité. Ses deux ingrédients principaux étant le ciment et l’eau. Et pour fabriquer du ciment, il faut du sable, de l’argile et du calcaire, chauffés à très haute température. Une démarche aussi énergivore que problématique en considérant le prélèvement de ces matières premières dans les sols. Bien sûr, les acteurs de la construction et les cimentiers ont pris conscience du problème et s’activent déjà pour réduire l’empreinte environnementale de leur activité. Plusieurs projets et démarches encourageants vont dans la bonne direction, comme le réemploi des déchets de chantier et de démolition dans le cycle de production du béton par exemple.

On l’aura compris, pour pérenniser le secteur de la construction dans une optique durable, il est impératif de revoir fondamentalement la manière de bâtir. Et dans ce cadre, une des solutions pourrait consister à (ré)utiliser de la terre. Un retour à une pratique constructive plus traditionnelle remodelée en utilisant des techniques novatrices développées récemment. Plusieurs démarches, concrétisées par des sociétés novatrices prometteuses, commencent à intéresser les acteurs de la construction ainsi que les ingénieurs et architectes.

Terre et déchets de chantier, les nouveaux ingrédients durables

Lancée par Gnanli Landrou et Thibault Demoulin après leur doctorat à l’ETH, l’entreprise Oxara est parvenue à concrétiser une approche novatrice basée sur le principe suivant : produire un additif permettant d’utiliser les déchets de construction tels que les terres d’excavation dans la production d’un béton de terre sans ciment.

Une révolution dans le secteur, en particulier quand on sait que le domaine de la construction est le premier producteur de déchets en Suisse (84 %). Outre l’important volume de matériaux d’excavation et de percement – 57 millions de tonnes, soit 65 % de la production totale de déchets, il génère chaque année quelque 17 millions de tonnes de matériaux de déconstruction (Office fédéral de l’environnement, OFEV).

Des déchets encombrants qui, sans option de revalorisation, pèsent lourds dans le bilan écologique, en particulier en considérant leur transport loin des sites d’où ils sont issus. Et s’il était possible de recréer du béton, sans utiliser de ciment, en récupérant ces déchets d’excavation ? Une prouesse écologique qui porte le nom de Cleancrete©, un béton d’un nouveau genre, produit grâce à l’additif écologique novateur mis au point par Oxara. L’intérêt environnemental est de taille – notamment parce qu’il évite d’utiliser du ciment, réduisant ainsi fortement la quantité de CO2 émise lors du processus industriel de fabrication tout en revalorisant des ressources locales quasiment sur place. Cette innovation peut être utilisée pour des ouvrages s’élevant jusqu’à trois étages ou encore pour des éléments non structurels dans les bâtiments. Un type de construction dont l’ampleur correspond précisément à la configuration architecturale et urbanistique de la Suisse.

Réutiliser 60 à 70% des déchets locaux

L’entreprise collabore actuellement avec différents acteurs industriels établis en Suisse, en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en France, au Togo et en Inde. « Les déchets générés par l’industrie de la construction et démolition ne posent pas seulement problème sur le plan écologique ; c’est aussi un handicap économique, car outre le fait de ne pas les réutiliser, leur transport vers les décharges est coûteux », détaille le cofondateur Gnanli Landrou. « Notre démarche pourrait permettre de réutiliser 60 à 70% de ces déchets en favorisant des circuits courts et locaux. Globalement, on voit dans le secteur un réel intérêt pour des alternatives durables aux produits utilisés habituellement, ce qui représente un bon signe. Il reste cependant essentiel de pouvoir mettre au point des solutions qui puissent s’insérer dans les chaînes de production et les moyens logistiques déjà utilisés par les acteurs de la branche, pour faciliter leur utilisation. Ce qui est précisément le cas de nos produits. » À noter également, l’innovation d’Oxara engendre aussi des avantages liés aux excellentes propriétés des argiles qui captent une partie de l’humidité et participent ainsi à une régulation de l’hygrométrie ambiante.

Pour donner un ordre d’idée, l’utilisation de cette solution novatrice permet d’obtenir un béton de terre dont la fabrication équivaut à 34 kilos de CO2 par mètre cube bâti. Sur un même ouvrage, à proportions égales, l’utilisation de béton classique se traduit par un produit générant au minimum 250 kilos de CO2 par mètre cube bâti. Une excellente performance environnementale dont le champ d’application reste toutefois un peu plus limité qu’en recourant à des bétons de types usuels. « Si les propriétés liantes naturelles de l’argile sont intéressantes, il faut tout de même préciser que nos produits ne permettent pas encore d’atteindre les mêmes propriétés que les bétons traditionnels en termes de résistance », précise le cofondateur Thibault Demoulin. « À l’heure actuelle, nos additifs vont donc surtout pouvoir être utilisés pour des sols, des murs intérieurs, voire en façade, notre prochain objectif étant de pouvoir les employer aussi pour des éléments structurels porteurs. »

Matériaux novateurs, une piste prometteuse

Le réemploi des terres d’excavation constitue également le point de départ de l’entreprise genevoise Terrabloc. Son idée : transformer ces volumes de terres en blocs de terre crue destinés à la construction. Un procédé novateur dont la plus-value locale et circulaire pourrait bien contribuer à résoudre la problématique environnementale du secteur.

Concrètement, l’innovation de Terrabloc repose également sur un principe assez ancien : construire en terre. Et de la terre, en considérant le rythme auquel se succèdent les chantiers actuellement, il y en a énormément. Plutôt que de l’acheminer en décharge par camion – une démarche à la fois coûteuse et non durable – la société genevoise propose de la compresser en la mélangeant avec un peu d’eau et une très faible proportion de ciment (moins de 5%) pour en faire des « briques » en terre crue. Mature et industrialisé, le procédé mis au point par Terrabloc permet même de concevoir des murs porteurs avec son produit écologique fabriqué en partenariat avec l’entreprise Cornaz à Allaman pour le marché romand. À Genève, des projets de grande envergure tels que la rénovation du Grand Théâtre ont par exemple été réalisés avec ce matériau.

Tentative valaisanne encourageante

En 2018, après avoir été approchée par Terrabloc pour démontrer la faisabilité de son produit, l’entreprise contheysanne de génie civil Evéquoz a exploré l’utilisation du matériau dans divers projets valaisans. « En tant qu’acteur de la construction, il nous semble important de nous ouvrir aux alternatives durables qui se développent », indique la directrice Laurence Gaillard-Quennoz. « Entre la filière bois et les projets novateurs qui voient le jour tels que celui de Terrabloc, il est aujourd’hui possible de questionner l’utilisation majoritaire du béton. »

La collaboration Terrabloc – Evéquoz incarne ainsi un premier lien porteur avec le tissu économique valaisan. Dans sa stratégie, l’entreprise contheysanne avait en outre suscité l’intérêt de plusieurs architectes du canton, maillon essentiel pour privilégier ces matériaux responsables dans les nouvelles constructions. Reste encore à convertir davantage d’acteurs impliqués dans le domaine pour faire baisser le prix de ces « briques », actuellement légèrement plus chères que les produits classiques. Un dernier obstacle économique qui reste toutefois minime puisque la démarche permet de limiter, voire d’éviter, les frais et la logistique relatifs à l’acheminement des terres d’excavation en décharge.

Si les solutions et alternatives écologiques se multiplient et intéressent de plus en plus les acteurs industriels du secteur, il reste à engendrer un effet de levier, notamment sur les prix, en convertissant l’ensemble de la branche à ces bonnes pratiques. La dynamique encourageante observée actuellement doit donc être généralisée pour impliquer toutes les parties concernées durant l’entier du processus d’un chantier, du maître d’ouvrage à l’architecte en passant par les entrepreneurs et les constructeurs.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

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