batterie alpine

La batterie alpine au cœur du stockage

 À la faveur des retours de concessions, la « batterie alpine » se consolide en Valais. Avec le concept d’Usine hydroélectrique Valais initié par les Forces Motrices Valaisannes (FMV), ce projet permettra à terme d’augmenter la production et de stocker de l’énergie supplémentaire derrière les murs des barrages, dans une complémentarité entre hydroélectricité et photovoltaïque. Elle participera ainsi à la sécurité d’approvisionnement hivernal de la Suisse et contribuera à la stabilité du réseau dans toute l’Europe.

L’Usine Hydroélectrique Valais est le concept porté par FMV. L’idée ? Fédérer les actrices et les acteurs de l’hydroélectricité. Et en son cœur : la batterie alpine. Cette vision « intégrée » revêt une importance nationale et internationale. D’ici à 2050, le canton du Valais sera le plus important producteur hydroélectrique de Suisse.

Focus sur la batterie alpine

Une batterie stocke de l’électricité pour que celle-ci puisse être utilisée à un moment ultérieur. Avec la batterie alpine, c’est pareil. Sauf qu’elle n’est pas tangible : c’est un concept. Pour Pascal Fauchère, chargé d’information à FMV, « ce que l’on appelle communément une batterie est en fait un ensemble d’accumulateurs reliés entre eux de façon à créer et stocker de l’électricité. Si l’on transpose cette idée à un territoire, on peut imaginer que les lacs d’accumulation (appelés aussi lacs de barrage ou lacs de retenue) en montagne constitueraient, s’ils étaient reliés entre eux, une seule et même batterie. Exploités aujourd’hui comme autant de « petites » piles, les 46 grands aménagements valaisans au fil de l’eau ou à accumulation (de plus de 10 MW) dialogueraient pour fonctionner de manière globale et connectée. » Si la batterie alpine existe aujourd’hui déjà, elle est morcelée, avec des lacs de barrage qui fonctionnent séparément les uns des autres. À partir de 2050, ils fonctionneront de concert.

Les retours des concessions et l’augmentation des capacités

Deux moteurs aident à la réalisation de l’Usine Hydroélectrique Valais « virtuelle », et donc d’une batterie alpine : le retour des concessions et les besoins d’augmenter les capacités hivernales de production électrique.

– Les retours des concessions : aujourd’hui, de nombreux concessionnaires et actionnaires se partagent les différents barrages valaisans (Alpiq et Axpo pour les uns, une commune valaisanne, FMV, BKW et Romande Energie pour les autres, ou encore les CFF, etc.). Mais les principales concessions de droits d’eau arriveront à échéance d’ici à 2055. Dans la loi valaisanne, l’attribution aux communes concédantes de 70% de la force hydraulique et au canton de 30% – à un prix solidaire qui seront ensuite revendus à FMV au prix du marché – pousse chacun à revoir sa copie. Dans ce modèle, FMV sera présente dans chacun des aménagements en Valais. La société possède ainsi une vision d’ensemble qui lui permet une production et une gestion optimisée des installations dans un bassin versant donné.

– L’augmentation des capacités de production : pour augmenter la production de cette énergie très flexible, l’étude du potentiel de FMV pour le compte du Canton identifie le rehaussement des ouvrages existants, la construction de nouveaux ouvrages et l’utilisation des futures retenues naturelles liées au retrait des glaciers. En Valais, huit projets ont déjà été identifiés lors de la table ronde de l’hiver 2021 pilotée par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga : à eux seuls, ils permettront d’augmenter la production de 1,2 térawattheure.

Mais pour accroître la production, FMV table également sur une meilleure coordination des bassins versants. « Jusqu’à présent, l’histoire centenaire de l’hydroélectricité dans les Alpes se caractérisait notamment par un développement répondant aux besoins locaux de l’économie et de la population », nous apprend le Service de l’énergie et des forces hydrauliques du Canton du Valais. « Chaque centrale hydroélectrique existante était construite sur la base d’un concept technique spécifique. Aujourd’hui, une vue d’ensemble de tous les affluents s’écoulant dans le Rhône est nécessaire pour une utilisation rationnelle et une gestion durable de l’eau. » FMV a donc réalisé un inventaire des bassins versants dans le canton et identifié le potentiel de production hivernale supplémentaire issue du stockage. Avec toutes ces différentes mesures, 2,2 térawattheures supplémentaires (2,2 milliards de kilowattheures) pourraient théoriquement être produits d’ici 2040, soit plus ou moins l’équivalent des objectifs fixés par la Confédération.

Le soleil et l’eau pour une production vertueuse

Si l’énergie solaire excédentaire est aujourd’hui exportée pendant la période estivale, FMV évoque la possibilité de l’utiliser pour contribuer à pomper davantage d’eau dans les lacs de retenue. Autrement dit, de stocker la production photovoltaïque sous forme de mètres cubes d’eau. Un volume de 655 millions de mètres cubes supplémentaires pourrait ainsi être amené dans les lacs de barrages en été, d’une part par la gravité naturelle, mais également par pompage à l’aide de l’énergie photovoltaïque alpine produite à partir de panneaux installés sur les lacs de montagne, les murs des barrages ou en plein champ. Au printemps, les réserves seraient alors plus importantes qu’actuellement. « La réalisation de parcs photovoltaïques alpins est d’autant plus souhaitable que leur production est supérieure aux installations de plaine et que la part d’électricité produite en hiver s’approche régulièrement des 50% » précise FMV.

Ce « transfert énergétique de l’été vers l’hiver » présente deux avantages :

– il contribue à la sécurité de l’approvisionnement de la Suisse, particulièrement en hiver
– il participe à la décarbonisation de la société et à la transition énergétique en faveur du climat

Reste encore à clarifier les questions économiques et environnementales mais, pièce par pièce, la vision de FMV se construit et compte sur le soleil (photovoltaïque) et l’eau (barrage). À l’issue des grands retours de concessions, l’Usine Hydroélectrique Valais sera née, avec en son cœur la batterie alpine « renouvelable », atout de la transition énergétique.

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« J’espère que l’hiver prochain provoquera des déclics au sein de la population »

Stéphane Maret dirige depuis deux ans et demi les Forces Motrices Valaisannes (FMV). L’une des missions actuelles de cette société est, dans le contexte du retour de concessions, de développer l’Usine Hydroélectrique Valais, dont la batterie alpine est le cœur. Quelques questions à cet ingénieur électricien pour qui les ressources eau-soleil forment « la dream team des énergies renouvelables ».

Pourriez-vous nous rappeler brièvement le rôle de la batterie alpine en devenir ?

On développe massivement les nouvelles énergies renouvelables, qui sont des ressources formidables, mais qui viennent quand la nature le veut. Une solution pour pallier cette production intermittente est le stockage. C’est là que les barrages, et donc le projet de batterie alpine, prend une importance capitale, puisqu’ils sont capables de stocker l’énergie (eau) et de la turbiner le moment voulu pour produire de l’électricité et ainsi réguler le réseau.

Le réseau national donc ?

Il n’existe pas de réseau national : le réseau est européen, il est totalement interconnecté. Les Alpes – donc les barrages – joueront ainsi un rôle de batterie et de régulateur pour l’ensemble de l’Europe.

Pourquoi l’Usine Hydroélectrique Valais sera-t-elle majoritairement en mains valaisannes (FMV), alors que le projet revêt une importance nationale, voire internationale ?

Il s’agit de dispositions légales introduites par la loi cantonale sur les forces hydrauliques de 2018. Elle précise qu’au retour des concessions, 60% au minimum des aménagements devront être en mains valaisannes, dont 30% à FMV. Après les derniers retours de concessions prévus en 2055, nous posséderons 30% de toute la force hydraulique en Valais. Les communes valaisannes concédantes auront le solde et elles pourront, si elles le souhaitent, engager des partenariats hors canton.

Le canton du Valais produit 10 milliards de kilowattheures sur son territoire et en exporte 7 milliards. Nous produisons donc pour l’ensemble de la Suisse. C’est pour cela que la loi cantonale prévoit que 40% de la force hydraulique pourra être vendue à des partenaires externes. Le Valais a, souhaite et aura des partenaires.

À terme, on évoque des sécheresses plus fréquentes. Comment l’Usine Hydroélectrique Valais intègre-t-elle ce « risque » de manque d’eau dans ses plans ?

C’est une excellente question, qui est au cœur de nos réflexions : la multifonctionnalité de l’eau. Nous pensons qu’en 2050, la force hydraulique ne servira pas uniquement à produire de l’électricité. Certains barrages serviront à certaines périodes à la distribution d’eau potable, à l’irrigation durant les périodes de sécheresse ou encore à la gestion des dangers naturels en stockant l’eau dans les barrages pour éviter qu’elle ne dévale la vallée et ne provoque des dégâts par exemple.

Les études que nous avons menées conjointement avec des hautes écoles en Suisse montrent qu’il n’y aura pas moins de précipitations en 2100, mais qu’elles seront inégalement réparties dans le temps (période) et dans l’espace (lieu). On aura également moins de neige, mais les apports se feront toujours sous forme de précipitations.

La Suisse est le château d’eau de l’Europe aujourd’hui et elle le sera dans 100 ans. Les phénomènes seront plus violents qu’aujourd’hui et, malgré la fonte inéluctable des glaciers, les précipitations permettront de remplir les barrages. Le climat va évoluer et il faudra s’adapter : on aura des problèmes de répartition de la ressource, de dangers naturels et de sécheresse, mais pas de quantité d’eau.

Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui, avec tous ces défis ?

Il y a deux horizons temporels : pour cet hiver, la situation est assez anxiogène. Bien que je ne croie ni à un blackout généralisé, ni au contraire à un hiver « normal », je pense que nous aurons des restrictions et peut-être même des contingentements. Mais les prédictions sont très difficiles, nous en sommes réduits aux conjectures. Je suis en revanche plus positif pour le long terme. J’ai le sentiment que 2022-2023 sera à marquer d’une pierre blanche et que nous allons vraiment prendre en main cette transition énergétique. Mais, quoi qu’il en soit, je suis dans le domaine de l’énergie depuis 30 ans et je n’ai jamais eu à me demander s’il y aura de l’électricité l’hiver prochain. On vit une véritable rupture de paradigme.

Le mot de la fin est pour vous…

L’humanité doit relever l’extraordinaire défi du changement climatique et cesser d’émettre du CO2 à l’horizon 2050, au risque que la planète ne s’emballe. La bonne nouvelle, c’est qu’en Suisse, nous possédons les solutions pour répondre à cet immense problème avec l’eau, le soleil. Mais je crois aussi au fort potentiel du vent et de la géothermie profonde. Selon le GIEC, nous sommes au bord du précipice. Mais nous avons les ressources et la solution. Maintenant, il faut agir. J’espère vraiment que l’hiver prochain, s’il devait être compliqué, provoquera des déclics au sein de la population, pour que chacune et chacun prenne conscience et agisse.

 

Joëlle Loretan

Rédactrice

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