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Quelles actions simples modifient durablement nos comportements ?

Savoir que notre comportement impacte négativement sur l’état de la planète ne nous suffit visiblement pas pour agir. Pour changer, d’autres leviers que celui de l’information et de la sensibilisation doivent être utilisés. Nous sommes des êtres rationnels, parfois, mais pas dans nos comportements. Alors, comment fonctionnons-nous ?

Nos choix quotidiens essentiels pour une transition écologique

Aujourd’hui, je prends mon vélo ou ma voiture pour me rendre au travail ? Je règle mon chauffage sur 20 ou sur 23 degrés ? Je mets dans mon panier des légumes locaux ou cultivés à l’autre bout du monde ? J’achète des billets de train ou d’avion pour mon week-end à Rome ? Je coche « Fonds écologiques » ou « Fonds provenant d’énergies fossiles » dans mon application bancaire ? Tous les jours, nous effectuons des centaines de choix. Faites le compte. La plupart du temps, nous les faisons de façon automatique, sans y penser, alors qu’ils sont importants, essentiels même pour sortir de la crise climatique à laquelle nous sommes confrontés, pour économiser nos ressources naturelles, pour rester en bonne santé, etc. La mauvaise nouvelle c’est que l’information est loin de suffire pour influencer le choix des personnes que nous cherchons à convaincre. C’est ce que nous apprend le livre d’Eric Singler « Green Nudge, Réussir à changer les comportements pour sauver la planète », Pearson France, 2015. La bonne nouvelle, c’est que toujours plus de chercheurs issus de l’économie comportementale s’intéressent à la compréhension des comportements humains et des facteurs qui les influencent. Discipline relativement jeune, elle combine des connaissances sur le comportement humain issues de la psychologie, de la sociologie et de l’économie.

Qu’est-ce qui nous pousse à changer de comportement ?

Les études scientifiques montrent que 80% des facteurs influençant les changements de comportement pro-écologiques résultent de facteurs situationnels et non pas de connaissances de l’individu. En effet, le fait que nous bénéficions d’informations claires, que nous comprenions le problème ne garantit pas que nous agissions en adéquation avec cette information. Une enquête menée en 2015 par l’ADEME en France montre par exemple que deux tiers des Français se déclarent soucieux de la protection de l’environnement. Mais cette prise de conscience se traduit-elle par un changement de comportement de la grande majorité des Français ? La réponse est non. Et c’est la même chose dans tous les pays. Plusieurs leviers sont utilisés aujourd’hui pour favoriser de nouveaux comportements : informer pour convaincre, utiliser des leviers économiques pour inciter, réguler pour imposer, innover pour apporter de nouvelles solutions. Toutes ces actions sont importantes mais insuffisantes. Les défenseurs du Green Nudge en proposent d’autres qui ne s’adressent pas à notre système rationnel et calculateur, mais à notre système intuitif, émotionnel et avare d’efforts qui pilotent visiblement la plupart de nos décisions. Alors de quoi s’agit-il ?

Les leviers pour favoriser le changement

Deux grandes catégories de facteurs ont une influence importante sur notre comportement. Les facteurs sociaux : « Ce que font et pensent les autres (famille, amis, voisins, collègues, etc.) influence considérablement mes comportements » ; et les facteurs environnementaux, situationnels : « Nous sommes fortement influencés par la manière dont les choix nous sont proposés ». Comment donc « utiliser » ces facteurs d’influence pour favoriser un comportement eco-friendly ? En créant des Nudges :des interventions mineures dont le coût est bas et qui vont s’inscrire facilement dans le processus de décision, l’objectif étant de faire basculer le comportement du bon côté, vers des comportements favorables à l’environnement dans les domaines aussi variés que l’énergie, la mobilité, la consommation, les éco-gestes, l’alimentation, etc.

1. Le levier des normes sociales

Il s’agit de communiquer une information relative aux autres à un moment pertinent dans le processus de décision. Cette méthode est l’un des leviers les plus utilisés.

Expérimentation sur la réduction d’utilisation d’énergie par des foyers américains
Menée sur 600’000 foyers aux Etats-Unis par la société d’électricité américaine Opower, active dans les solutions d’économies d’énergie, cette expérimentation a consisté à informer les foyers sur leur consommation d’énergie de deux manières différentes : le premier groupe a reçu une lettre standard relative à sa consommation d’énergie. Le second groupe a reçu cette lettre accompagnée des chiffres de consommation des voisins : « Vous avez utilisé x% d’électricité de moins/de plus que vos voisins ». Si leur consommation est supérieure aux autres, la lettre fournit des conseils pour réduire sa consommation. Le groupe ayant été comparé aux voisins a réduit de 3% sa consommation par rapport au premiers groupe. 3% peut sembler faible, mais c’est l’équivalent de la consommation énergétique des villes américaines de Saint Louis et Salt Lake city réunies. Une manière simple et rapide de faire des grandes économies.

Hunt Alcott, « Social Norms and Energy Conservation », Journal of Public Economics, 95 (9), 1082-1095, 2011.

Expérimentation sur des messages de sensibilisation à la réduction de consommation d’énergie
Menée à San Marco en Californie, cette expérimentation a testé différents messages de sensibilisation qui ont été placés sur les portes d’entrées d’habitants de la ville à plusieurs mois d’intervalles : un premier message montrait l’apport économique des économies d’énergie, un second montrait ses apports écologiques, un troisième était un message citoyen et enfin le dernier message était un message de comparaison avec son voisinage :« 77% de vos voisins ont déclaré qu’ils éteignaient leur climatiseur et utilisaient leur ventilateur, svp faites comme eux ». Ce dernier message a permis de réduire de 10% la consommation énergétique des foyers, devançant significativement les autres messages.

J.M Nolan, P.W. Schultz, R.B. Cialdini, N.J Goldsteinet V. Griskevicius, « Normative Social Influence is Underdetected », Personality and Social Psychology Bulletin, 34(7), 913-923, 2008.

2. Le levier de la reconnaissance

La reconnaissance des autres est également importante pour modifier nos comportements.

Expérimentation américaine visant à réduire la demande énergétique aux moments de forte consommation en Californie
Pour cette expérience, une lettre a été envoyée à tous les ménages pour qu’ils s’engagent à réduire leur consommation lors des moments de forte consommation. Dans le premier cas de figure, le nom des volontaires a été affiché sur les kiosques d’information du quartier, dans le deuxième cas de figure, il n’y avait que le code postal des volontaires qui était affiché. Il y a eu trois fois plus de volontaires dans le cas de figure où le nom avait été affiché. Et même sept fois plus qu’avec une incitation financière de 25 dollars.

Erez Yoeli, Moshe Hoffman, David G. Rand et Martin A. Nowack. “Powering up with indirect reciprocity in a large-scale field experiment”. PNAS, 18 juin 2013, vol. 110, Suppl.2, 10424-10429.

3. Le levier des choix par défaut

Les choix par défaut proposés ont un impact très important sur les décisions et les comportements des gens. Ils ne demandent aucun investissement supplémentaire.
Si tous les choix par défaut proposés étaient pensés de façon écologique, ils impacteraient positivement l’environnement de façon très simple.

« Comment renforcer le choix de l’énergie renouvelable dans les foyers allemands »
Cette étude, menée sur 42’000 foyers allemands devant choisir un plan relatif à la fourniture d’électricité, consistait à leur proposer deux options : un plan classique et un plan énergie verte avec un surcoût par rapport au plan classique. Dans le premier cas de figure, l’adoption du plan classique proposé était pré-coché avec possibilité de cocher l’énergie verte. Dans le second cas, c’est l’option énergie verte qui était pré-cochée. Dans le premier cas, seuls 7% ont coché l’énergie verte, dans le second cas, 70% ont maintenu le choix de l’énergie verte. Pourquoi un tel comportement ? Est-ce la force de l’inertie ? Le fait que les foyers perçoivent ce choix comme un recommandation implicite ?

Ebeling F. & Lotz S, « Domestic uptake of green energy promoted by opt-out tariffs”, Nature Climate Change, 2015

Une imprimante qui imprime recto-verso en noir et blanc par défaut, des contenants de sodas plus petits pour lutter contre l’obésité, etc. Réfléchissons tous aux choix par défauts que nous pourrions préinstaller en vue d’économies d’énergie, de consommation responsable ou encore de promotion de la santé.

4. Le levier de la saillance

Le levier de la saillance consiste à capter l’attention et à donner une information claire et directe AU MOMENT OÙ la décision se prend.

Exemple de réduction de consommation énergétique par les utilisateurs de la lessive Ariel
Afin de promouvoir le lavage à 30 degrés, tout aussi efficace qu’un lavage à 40 degrés et plus économe en énergie, une agence d’économie d’énergie anglaise s’est associée à la lessive Ariel pour communiquer l’information au bon moment. La bouteille s’est transformée en excellent supports d’information car il informe juste au moment de l’action. « Turn to 30 » a été écrit en gros sur la bouteille. L’information a déclenché le comportement souhaité pour 15% des gens en plus.

5. Le levier du cadrage des informations

Nous sommes très sensibles à la forme que prend une information ou au vocabulaire utilisé pour présenter les options de choix que l’on souhaite privilégier.

Quantité de nourriture consommée selon le nom donné à un sachet de frites ?
Cette expérimentation menée pour des questions de santé publique montre que selon le nom donné à des sachets de frites 1. (petit, moyen et grand), 2. (normal, grand et king), 3. (mini, petit et normal), les gens achèteront des sachets plus ou moins grands et mangeront plus ou moins. Dans le cas 3, les gens consomment 20% de calories en plus par exemple.
Nous prenons tous de nombreuses micros-décisions quotidiennes et faisons des choix rapides. Le choix des mots est ainsi un levier favorable vers des comportements souhaités.

Pierre Chandon et al, 2013, INSEAD.

6. Le levier de la simplification

Ce levier consiste à simplifier et réduire au maximum les efforts nécessaires à l’action souhaitée.

Expérimentation à Copenhague pour réduire le littering
La Ville a placé des empreintes de pied vertes sur le sol de certaines zones qui se dirigent vers les poubelles pour les trouver plus facilement. Ceci a permis de réduire de 46% les déchets dans les zones concernées.

Ainsi, nous l’avons vu, de nombreux leviers efficaces existent pour favoriser les comportements souhaités.

Pour réfléchir à un projet qui fonctionne, vous pouvez vous appuyer sur le « Guide de l’économie comportementale : comprendre et changer les comportements » publié par l’Office fédéral de la santé publique pour favoriser la promotion de la santé et la prévention. Ce guide peut également être utile pour faire changer des comportements environnementaux. Il s’agit, comme le montre ce guide, de se questionner tout d’abord sur les publics cibles, les comportements actuels, les blocages identifiés, et les comportements souhaités.

Des spécialistes qui nous accompagnent

Le bureau international Behavioral Insights accompagne les gouvernements, les autorités locales, les entreprises et les organisations caritatives de plus de 30 pays en proposant des nudges et en utilisant souvent des changements simples pour résoudre des problèmes politiques majeurs, notamment dans les questions écologiques.

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En Suisse, le bureau aXess, composé d’Yves François, psychologue, et de Jeremy Grivel, docteur en neurosciences, accompagne la conception d’actions favorisant des comportements plus respectueux de l’environnement. Interview.

Yves François, quels types d’acteurs font appels à vos services et pourquoi ?

Nous accompagnons des entreprises, des villes, des cantons, des régions, des parcs naturels, etc. qui souhaitent modifier certains comportements de leurs employés, habitants, visiteurs,et cherchent de nouvelles manières de le faire. Ils souhaitent par exemple réduire certaines incivilités dans des espaces publics, promouvoir une mobilité plus douce pour les déplacements de leurs employés, réduire le littering dans des parcs, favoriser le tri des déchets. En bref, les nudges que nous mettons en place avec nos mandants permettent de changer tous types de comportements allant dans le sens d’une transition écologique.

Comment vous y prenez-vous concrètement pour mettre en place ces actions ?

Nous commençons toujours par une phase d’observation : de l’environnement, des comportements actuels, de la communication utilisée. Ensuite, selon chaque contexte et selon les objectifs souhaités, nous proposons différentes actions : des adaptations de l’environnement, des messages à communiquer, etc. Parfois certains éléments de l’environnement actuel ne doivent pas être modifiés : un parking à vélo débordant ? Il ne faut rien changer car cela renvoie comme message aux employés que ce moyen de transport est très apprécié de ses collègues, et grâce au levier de la norme sociale, cela favorisera l’utilisation du vélo par d’autres.

Un exemple concret pour illustrer votre travail ?

Nous avons eu le mandat d’une ville située au bord d’un lac de réduire le littering dans un des parcs naturels bordant le lac. Une première phase d’observation nous a permis de situer les trajets des utilisateurs du parc et leur comportement. Notre proposition a été de renforcer l’aspect naturel du parc – en enlevant tout aménagement urbain comme les bancs (remplacés par des troncs de bois), d’enlever toutes les poubelles du parc et de les remplacer par un gros container propre et visible placé à l’entrée du parc. L’être humain adapte son comportement à l’environnement dans lequel il se trouve : dans un chantier rempli de poussière on laisse plus facilement traîner ses déchets, alors que dans un environnement naturel et soigné, on fera attention d’en préserver la propreté.

En quoi ces nudges, qui apportent de petits changements, peuvent-il avoir un effet boule de neige ?

Le cerveau humain a besoin de cohérence. Si par exemple on troque sa voiture contre un vélo pour faire ses courses, cela nous poussera peut-être à nous rendre au travail à vélo afin de tendre vers plus de cohérence. Le premier petit changement issu d’un nudge est une sorte de produit d’appel vers des changements plus importants. Aux collectivités publiques et aux entreprises de promouvoir cette cohérence : par exemple rien de moins efficace que de promouvoir des poubelles à tri sous l’évier de chaque foyer et de contredire ce comportement en ayant des poubelles uniques dans l’espace public. Bon nombre de communes ont compris ce manque de cohérence et installent maintenant sur le domaine public, des poubelles permettant le tri.

Pour celles et ceux qui souhaitent aller plus loin, le Sanu organise avec aXess :

Une formation sur « Comment favoriser des comportements plus respectueux de l’environnement : Stratégies pour changer les comportements en faveur du développement durable »
Une formation sur les « Neurosciences de la transition ».

 

Hélène Monod

Rédactrice

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