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« La data sert aussi à réduire la consommation d’énergie »

Dans un contexte où la transition énergétique est devenue un enjeu majeur, les entreprises du secteur de l’énergie cherchent des solutions pour répondre aux défis qui se posent à elles. L’utilisation des données est l’un des leviers. Nils Rinaldi, responsable des activités d’analyse et de science des données chez Romande Energie, explique en quoi consiste son métier et comment la collecte et l’analyse de données permettent d’optimiser les réseaux électriques et de réduire la consommation d’énergie.

 

 

Tout d’abord, pourriez-vous préciser ce qu’est la data ?

La data est une expression courante qui désigne les données numériques stockées sous forme électronique dans des bases de données et qui peuvent être traitées par des ordinateurs. Mais il faut démystifier le monde de la data, parce que la compréhension de l’utilité des données est à la portée de tout le monde. Quand une entreprise réalise un bilan chiffré par exemple, il s’agit déjà d’un rapport basé sur des données. En fait, beaucoup en stockent depuis des années, mais ne les utilisent qu’à des fins opérationnelles.

 

Vous êtes responsable de la l’équipe data chez Romande Energie. Quel est le rôle de votre service ?

Notre récoltons, analysons et valorisons les données par le biais d’analyses descriptives (soit basées sur le passé), ou pour formuler des scénarios prescriptifs (recommandations et actions). On tente d’anticiper au maximum les besoins à venir, ce qui nous permet par exemple de dimensionner le réseau électrique au plus juste en fonction des prévisions de consommation, d’optimiser le fonctionnement de turbines de production ou de gérer les réserves hydrauliques, notamment durant la période hivernale. Il y a un outil qui nous aide à poser des analyses plus avancées, c’est le machine learning (apprentissage automatique, ndlr) : en se basant sur un modèle d’apprentissage, il est possible d’estimer ce qui va se passer dans quelques mois, et donc d’entreprendre des actions en conséquence. Mais on a besoin pour cela d’un grand volume de données.

En parallèle, nous passons également beaucoup de temps à écouter le métier, par exemple nos collègues qui exploitent et planifient le réseau, ou encore ceux qui négocient ou achètent l’énergie. Le but est de comprendre leurs besoins, afin de leur fournir les chiffres nécessaires à piloter au mieux leurs activités. Alors on récolte et on nettoie les données erronées ou de mauvaise qualité, puis on les normalise afin qu’elles puissent être exploitables dans un tableau de bord, tel un cockpit d’avion qui nous permet de nous guider, même en période de turbulences.

 

Qu’est-ce que ces analyses de données apportent aux clients de Romande Energie ?

On aide par exemple les grands consommateurs à analyser leur situation en interprétant leurs données. On les accompagne également dans la réduction de leur consommation. Pour les clients individuels, on déploie actuellement des compteurs intelligents dans les habitations qui enregistrent des mesures de consommation à une granularité de 15 minutes. Et pourquoi un enregistrement au quart d’heure ? Pour dimensionner notre réseau au plus près des besoins. Aujourd’hui, on réfléchit par exemple en termes de sécurité, alors on prévoit le pire et on dimensionne le réseau (p.ex. la taille d’un câble de cuivre) au maximum. Mais on pourrait être plus fin et précis : ce câble pourrait être finalement moins gros et ainsi plus économe. Les compteurs intelligents sont des mines d’or. Ils permettent notamment aux clients de voir rapidement leurs efforts d’économie sur leur consommation.

La Confédération a estimé dans une étude datant de 2012 que le déploiement des compteurs intelligents serait rentable, via des avantages économiques estimés entre 1.5 et 2.5 milliards de CHF, principalement découlant d’économies d’électricité chez les clients finaux. Une meilleure visibilité de la consommation électrique permet une meilleure maîtrise des coûts induits.

La data ne sert pas forcément à vendre plus de produits, elle est aussi là pour nous aider à réduire la consommation d’énergie.

 

Et comment intégrez-vous la question de la protection de la vie privée, dans cette démarche qui vise à récolter des données sur les habitudes de consommation de la population ?

Les données de consommation sont évidemment nécessaires pour la cellule de facturation, mais uniquement dans une version agrégée : il leur est possible de voir la somme de la consommation sur une certaine période et facturer en fonction, c’est tout.

En outre, la loi ne nous permet pas de consulter les données des compteurs intelligents en temps réel : les données de mesure enregistrées par quart d’heure ne sont rapatriées en central dans nos serveurs qu’une seule fois par jour, ce qui renforce la confidentialité des données.

Pour les autres traitements hors facturation, nous mettons en place un découpage entre le client et le compteur intelligent : on ne connaît pas la consommation de telle ou telle maison. Les données nous permettent néanmoins de comprendre le niveau de charge agrégé à un niveau plus haut du réseau (station de transformation par exemple).  Il faut une gouvernance de données qui soit forte. Mais nous avons besoins de ces datas : avant, la consommation était linéaire et anticipable. Aujourd’hui, avec le déploiement des panneaux solaires, la production s’est décentralisée, et l’avènement des voitures électriques ou des pompes à chaleur rend l’estimation de la consommation plus complexe.

 

Donc, heureusement que la data est là pour nous aider à relever les défis énergétiques ?

Il est certain que les data sont des aides précieuses. Mais il faut aussi rappeler qu’il existe une mesure rapide et efficace pour faire baisser notre consommation, c’est viser plus de sobriété dans nos comportements.

 

Vous avez rejoint le monde de l’énergie il y a à peine trois ans. Qu’est-ce qui vous a surpris en intégrant ce secteur ?

Qu’on soit autant dépendant du reste du monde ! On croit que la Suisse est énergétiquement autosuffisante, mais nous avons un grand déficit hivernal. La situation géopolitique a mis en lumière cette forte interdépendance avec l’Europe. J’ai aussi découvert l’égoïsme, ainsi que la disparité de politique énergétique des différents pays, notamment européens. J’ai été surpris de cette collaboration difficile, alors qu’il est important d’être solidaires pour amortir les chocs liés au conflit en Ukraine, ou les récentes maintenances prolongées d’une partie du parc nucléaire français.

 

Quels conseils donneriez-vous à qui souhaite se lancer dans ce métier d’analyses de données et quelles qualités sont recherchées pour ce domaine ?

Le métier d’ingénieur data ou de data scientist est relativement nouveau. À l’époque où j’ai fait mes études à l’EPFL, la filière n’existait pas encore. Il y a aujourd’hui des formations plus spécifiques et les passerelles entre les écoles sont possibles, ce qui permet à des profils très différents de rejoindre le monde de l’analyse et la science des données. L’industrie de l’énergie devient de plus en plus friande de ces profils. Ceux que l’on trouve sur le marché ont généralement une formation en ingénierie électrique ou en science des données. Mais nous avons de la peine à trouver des candidats pour les postes liés à la data dans l’énergie.

Quant aux qualités requises ? Nous aimons que les nouveaux collaborateurs aient une curiosité pour le métier. Si les compétences techniques spécifiques data sont nécessaires, il est important de savoir ce qu’est un kilowattheure ou d’être curieux à propos des problématiques métiers. Les clients de l’énergie sont avant tout celles et ceux qui travaillent au quotidien avec l’énergie, et le plus important pour nous est que ces données leur soient utiles.

 

Joëlle Loretan

Rédactrice

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