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Comment Romande Energie participe à la stabilité du réseau suisse

Le développement des énergies renouvelables intermittentes, telles que le photovoltaïque et l’éolien, modifie profondément le système électrique suisse. La variabilité de leur production augmente les besoins d’équilibrage du réseau s’appuyant sur des sources d’énergie pilotables. Romande Energie a récemment équipé trois de ses centrales hydrauliques de systèmes permettant de répondre rapidement à ces variations de production et participe désormais encore plus activement à la stabilité du réseau national.

La stabilité du réseau et les services système

On entend par « réseau électrique » l’ensemble des infrastructures qui permettent d’acheminer l’énergie électrique produite dans des centrales jusqu’aux consommateurs finaux. Si le grand public connaît principalement les lignes aériennes qui traversent les campagnes, le réseau ne s’arrête pas aux seuls fils électriques. Il comprend également des transformateurs, des éléments de sécurité et aussi de nombreux systèmes permettant sa surveillance et son contrôle. Car le réseau électrique est en permanence observé de près afin de garantir son bon fonctionnement. À la différence des autres infrastructures de distribution, telles que les réseaux d’eau ou de gaz, le réseau électrique présente la particularité de devoir maintenir sans cesse l’équilibre entre production et consommation. À chaque instant, la quantité d’énergie qui y est injectée doit être aussi proche que possible de celle qui en est soutirée. Une différence significative entre la consommation et la production entraînerait une variation de la fréquence et par conséquence le dysfonctionnement de nombreux appareils conçus pour fonctionner à une fréquence de 50 Hz.
En Suisse, la mission de maintenir la stabilité du réseau est confiée au gestionnaire national du réseau de transport : SwissGrid. En plus de construire et d’opérer les lignes à hautes tensions permettant de transporter l’électricité sur de longues distances, cette société gère les « services système » dont le but est d’assurer l’équilibre permanent entre production et consommation. Il existe trois types de services système : primaires, secondaires et tertiaires. Les services système primaires sont caractérisés par des temps d’intervention très courts et permettent un réglage fin. À l’opposé, les services système tertiaires font intervenir des quantités d’énergie bien plus importantes sur des durées plus longues et sont ainsi destinés à un suivi plus « grossier » des variations. Finalement, les services système secondaires se situent entre ces deux extrêmes et complètent ainsi les moyens d’actions de SwissGrid.

Concrètement, lorsqu’un écart de fréquence est constaté, SwissGrid demande à ses partenaires de modifier leur production d’électricité. Si la fréquence est trop haute, la production devra être réduite. Si au contraire la fréquence est trop basse, il sera nécessaire d’augmenter la quantité d’énergie injectée dans le réseau afin de ramener la fréquence à sa valeur nominale. En échange de leur participation, les producteurs d’électricité participant à l’équilibrage sont dédommagés par SwissGrid grâce aux contributions versées par les consommateurs finaux au travers de leurs factures d’électricité.

Les 3 centrales hydrauliques de la cascade de l’Orbe

Romande Energie exploite trois centrales hydrauliques au fil de l’eau sur la rivière de l’Orbe. La plus en amont est la centrale de la Dernier, à Vallorbe. Située à proximité des grottes et des sources de l’Orbe, cette centrale plus que centenaire d’une capacité de 28 MW turbine également les eaux des lacs de Joux et Brenet dont elle a pour mission de réguler les niveaux. Elle produit l’équivalent de la consommation de quelques 8300 ménages chaque année. Quelques kilomètres plus bas, à proximité de la commune de Ballaigues, se trouvent le barrage du Day, retenant plus de 700’000 m3 d’eau dans le lac du Miroir, puis la centrale des Clées, la plus puissante des centrales hydrauliques de Romande Energie, construite en 1955. Finalement, en amont d’Orbe se trouvent la centrale de Montcherand et son bassin de compensation amont qui permet de réduire les variations de débit en provenance de la centrale des Clées.

Ces trois centrales ont récemment été équipées afin de pouvoir participer aux services système grâce à une exploitation astucieuse de leur configuration particulière.

Utilisation pour les services système

Toutes les centrales électriques pilotables, ce qui signifie que leur production peut être contrôlée dans une certaine mesure, sont opérées de manière à optimiser leur rentabilité. Cela implique typiquement une augmentation de la production autour des heures durant lesquelles le prix de l’électricité est le plus élevé, par exemple autour du pic de consommation de midi.

La participation aux services système nécessite une modification du mode de fonctionnement. En effet, la production de la centrale doit pouvoir être adaptée à tout moment selon les besoins de SwissGrid et pendant une semaine entière pour les services système secondaires. Cela veut dire que, durant la période pendant laquelle la centrale est susceptible d’être activée, son fonctionnement est généralement maintenu dans un état intermédiaire de manière à permettre son augmentation ou sa diminution à chaque instant. Le fonctionnement normal de la centrale est donc passablement perturbé, c’est pourquoi les partenaires de SwissGrid prêts à répondre aux sollicitations sont rémunérés, même s’ils ne sont pas nécessairement activés.

Dans une centrale au fil de l’eau, la production est ajustée en agissant sur le débit d’eau orienté vers la turbine qui entraîne l’alternateur. Ainsi, en déroutant plus ou moins d’eau vers les groupes de génération, on ajuste la production aux besoins de SwissGrid. Dans le cas d’une centrale unique, l’énergie portée par l’eau déroutée des groupes de génération serait perdue. Mais l’agencement particulier des ouvrages des centrales de l’Orbe, et notamment la présence du barrage du Day, permet de réduire cette perte d’énergie. En effet, de l’eau qui ne serait pas turbinée à la centrale de la Dernier pourrait l’être plus tard dans l’une des centrales en aval. Dans ce contexte, la retenue du barrage du Day, et dans une moindre mesure celle du bassin de compensation de la centrale de Montcherand, amènent une plus grande flexibilité temporelle et évitent les pertes d’énergie.

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Barrage du Day

Mais si ajuster le débit d’eau pour ajuster la production d’électricité et, au final, équilibrer le réseau, peut paraître simple, la mise en œuvre de ce principe s’avère plus complexe. SwissGrid mesure à chaque instant la fréquence du réseau et décide ensuite si, et à quel point, la production des différents partenaires doit être modifiée afin de garantir l’équilibre. Bien entendu, ce choix se fait sur des bases techniques mais également en tenant compte du résultat de la mise aux enchères de la participation aux services système. Les consignes correspondantes sont ensuite envoyées, au travers d’un protocole de communication dédié, à chaque partenaire qui les réceptionne dans leur centre de conduite. Là, les dispatchers étudient la manière optimale de répondre à cette consigne. Ils déterminent ainsi quelles centrales doivent être activées et selon quel plan, en prenant en compte de nombreux éléments tels que les prévisions de débits. Ces plans d’opérations sont ensuite renseignés dans le système de télé-conduite, qui permet d’observer et de piloter les différents éléments du réseau, qui le transmet jusqu’aux centrales. Finalement ils sont interprétés par des automates qui agissent sur les injecteurs chargés d’ajuster le débit d’eau orienté vers les turbines. Dans le cas des centrales de l’Orbe, les ordres transmis par le système de télé-conduite aux centrales sont rafraîchis toutes les 3 secondes, permettant de répartir astucieusement et continuellement les consignes de SwissGrid sur les trois centrales, d’assurer l’équilibre hydraulique du système et d’éviter ainsi des pertes d’énergie.

L’équilibre du réseau étant primordial pour la fiabilité du système et la sécurité d’approvisionnement, il est particulièrement important d’assurer cette fiabilité tout au long de la chaîne. Pour cette raison, les centrales désirant participer aux services système doivent subir une certification complète afin de pouvoir proposer effectivement leurs services. Cette certification prend la forme d’une sorte d’examen lors duquel SwissGrid envoie une consigne « artificielle » et vérifie que celle-ci est bien suivie. Obtenue à l’automne 2021 par Romande Energie, cette certification permet désormais aux centrales de la cascade de l’Orbe de participer encore plus activement à la transition énergétique.

Perspectives

La certification des centrales au fil de l’eau de la cascade de l’Orbe pour une participation aux services système a requis un savoir-faire particulier développé en interne par Romande Energie. En effet, si les caractéristiques des centrales hydroélectriques les rendent particulièrement adaptées à la stabilisation du réseau, les grandes centrales à accumulation sont plus traditionnellement utilisées en raison de leur plus grande flexibilité.

Si Romande Energie était déjà active dans le domaine de la stabilisation de la tension du réseau, sa participation au maintien de la fréquence au travers de ses trois usines hydrauliques est une première pour l’entreprise. Et le succès de ce projet pionnier, qui redonne de la valeur à ces ouvrages, ouvre de nombreuses perspectives. La première est la certification des autres ouvrages hydroélectriques de Romande Energie. Des projets sont déjà à l’étude sur les centrales de la Peuffeyre, à Bex, et celle de Vouvry, turbinant les eaux du lac Tanay. Mais ce savoir-faire pourrait également être appliqué aux nombreuses centrales au fil de l’eau qui valorisent l’eau des rivières du pays, grâce à la conclusion de partenariats avec leurs opérateurs.

Les services système seront amenés à prendre une importance toujours grandissante dans le système électrique suisse. Avec une transition énergétique dont le pilier principal est le photovoltaïque, une énergie propre mais par nature intermittente, le maintien de l’équilibre entre production et consommation nécessitera plus de centrales renouvelables capables de suivre ces variations. Car l’alternative est l’utilisation de centrales à gaz, particulièrement flexibles, mais dont l’empreinte écologique est bien supérieure à celle des centrales au fil de l’eau. En ce sens, l’utilisation des centrales de La Dernier, des Clées et de Montcherand pour la stabilisation du réseau représente un pas de plus vers une production électrique plus durable.

 

Christian Rod

Expert indépendant

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