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CSEM : le photovoltaïque en question

Basé à Neuchâtel, le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM), mène des activités de recherche et développement dans les domaines de la micro-fabrication de précision, de la numérisation et des énergies renouvelables. Rencontre avec Bertrand Paviet-Salomon, group leader des développements des cellules solaires au silicium cristallin au CSEM.

À sa création en 2013, la division photovoltaïque du CSEM comptait une vingtaine de collaborateurs ; ils sont aujourd’hui plus de 80, répartis dans des équipes actives sur des technologies différentes. Leurs travaux couvrent ainsi toute la chaîne de valeur de l’énergie photovoltaïque : de la recherche et développement aux questions de production, en passant par l’intégration, le stockage et la gestion du réseau.

Bertrand Paviet-Salomon est docteur en photovoltaïque. Il est à la tête d’une équipe de 12 personnes dont l’activité principale est de développer des cellules solaires intégrant le silicium cristallin. Nous avons voulu en savoir plus sur les projets en cours et les innovations.

 

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En préambule, pourriez-vous nous livrer votre sentiment général sur la situation actuelle du photovoltaïque ?

Le Covid et les événements récents en Ukraine ont mis en lumière notre forte dépendance énergétique. Jusqu’à récemment, il était par exemple admis par certains que l’Europe assure la recherche et le développement en matière de photovoltaïque et que la Chine, usine du monde, se charge de la production. Mais aujourd’hui, pour des questions de sécurité d’approvisionnement et de relations politiques, l’Europe souhaite rapatrier toutes les étapes de production. On sent l’envie de reconstruire en Europe toute la chaîne de valeur. Du côté des acheteurs, des propriétaires, on sent également une prise de conscience, un désir de produire local et bas carbone. On réalise que ce n’est pas viable de promouvoir les énergies renouvelables tout en important des marchandises venues de l’autre bout du globe. Ce changement de paradigme ouvre de grandes possibilités au CSEM. Il nous permet d’accompagner des entreprises locales dans leur mise sur le marché de produits solaires, des fabricants de cellules aux fabricants de modules.

L’actualité, aussi violente soit-elle, serait une bonne nouvelle pour les questions de durabilité ?

Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est une bonne nouvelle, mais tant le Covid que le conflit en Ukraine obligent nos décideurs politiques à reconsidérer rapidement leurs positions sur l’approvisionnement énergétique en Europe. Mais c’est l’optimiste qui vous parle ; le réaliste dirait plutôt qu’il va falloir du temps pour cela. Aujourd’hui, la chaîne de production photovoltaïque n’existe plus qu’à petite échelle en Europe et il y a beaucoup à reconstruire. Et on prend une double peine parce que, non seulement on doit racheter à la Chine des technologies que nous avions développées en Europe il y a quinze ans, mais nous devrons en plus les remettre aux normes européennes, sous peine de ne pas pouvoir utiliser le résultat des productions. Le CSEM et le PV-Lab (Laboratory of photovoltaics and thin-films electronics) de l’EPFL ont collaboré étroitement avec le groupe Suisse Meyer Burger. Il est l’un des seuls groupes à redévelopper massivement la production de cellules et modules solaires en Europe, basées sur des innovations introduites à Neuchâtel. Le but est d’arriver rapidement à la production annuelle de plusieurs gigawatts de panneaux.

Sans transition, parlons cellules solaires. Votre équipe travaille à leur meilleure intégration. Sur quoi portent vos recherches ?

Dans la division photovoltaïque de manière générale, le moteur est d’améliorer constamment le rendement des cellules solaires, afin de rester compétitifs sur le marché et de soutenir l’industrie solaire. Pour cela, nous travaillons sur deux axes : les cellules photovoltaïques à pérovskite et celles en silicium cristallin. Si le deuxième matériau est moins coûteux et plus mature, il permettra au mieux d’atteindre les 29% de rendement de conversion au niveau des cellules solaires. La technologie combinant pérovskite et silicium cristallin, elle, bien qu’encore émergente, est l’une des seules capables de dépasser les 30% de rendement. Il faudra toutefois encore quelques années de recherche et développement avant sa mise sur le marché.

On a également au CSEM une innovation technologique sur ce qu’on appelle des cellules à contact arrière. C’est la technologie qui tire le meilleur parti du rendement potentiel du système cristallin à simple jonction. Son efficacité est en dessous de 30%, mais sa mise sur le marché est palpable. Nous sommes actuellement en phase de production pilote d’une centaine de mégawatts d’ici à deux ans avec un partenaire Suisse. La mise sur le marché est prévue dans moins cinq ans. Pour comparaison, dans cinq ans, la pérovskite en sera peut-être seulement à une production préindustrielle.

Vous ouvrez également des possibles en matière de panneaux solaires, avec des formes et des couleurs différentes.

On cherche en effet à les intégrer de manière plus esthétique, notamment en jouant sur les couleurs. Les projets Kaleo Solar (intégration d’une image en haute définition au cœur d’un panneau solaire) et la rénovation «Schutz & Rettung» à Zürich (toit solaire coloré), en partenariat avec Suisse 3S Solar Plus et Solaxess en sont de bons exemples.

Projet Kaleo – La technologie développée par le CSEM, en partenariat avec la Banque Cantonale Neuchâteloise (BCN), permet d’intégrer une image en haute définition au cœur d’un panneau solaire. Kaleo offre ainsi de nouvelles perspectives en matière d’affichage et d’architecture. Source : Kaleo Solar / Photo : Kaleo-Solar.ch _BCN _CSEM SA _Guillaume Perret

 


Schutz & Rettung_Lors de la rénovation du toit du siège du « Schutz & Rettung » (service de secours et de sauvetage) à Zürich, des toits solaires colorés adaptés aux bâtiments classés monuments historiques ont remplacé les tuiles. Le bâtiment possèdedésormais l’un des plus grands toits solaires colorés d’Europe. Source et photo : 3S Solar Plus AG

 

On vise également à multiplier les applications, en développant des matériaux flexibles et plus légers. Il faut savoir que le poids au mètre carré d’un panneau solaire est de 15 à 20 kg. Si les centrales solaires sont au sol (champs solaires), ça ne pose pas de difficulté. Mais lorsque vous souhaitez en installer sur votre toit, sur votre façade, sur votre balcon, voire sur un avion – comme sur les ailes du fameux SolarStratos –, ça se complique. Toute l’ingénierie du CSEM est de minimiser le poids tout en conservant des propriétés mécaniques suffisantes, pour des panneaux qui doivent résister à la grêle, à la charge mécanique et au fort cyclage thermique (élévations et baisses successives rapides de la température du module). De plus, ils doivent être déployables partout : sur terre, sur mer et dans les airs. Pour maximiser la production, on effectue des variations de l’architecture du panneau solaire.

Varier l’architecture du panneau solaire, qu’est-ce que cela veut dire ?

Je vous donne un exemple : dans la grande majorité des cas, les panneaux solaires sont faits avec un verre transparent sur la face avant – productrice d’énergie – et un film de polymère opaque à l’arrière. Mais sous certaines conditions, on pourrait utiliser la réflectivité de la surface qui se trouve en dessous des panneaux solaires. En hiver, par exemple, pourquoi ne pas se servir de la lumière qui se réfléchit sur la neige ? On parle alors de technologie bifaciale, avec une énergie produite avec la face avant aussi bien qu’avec la face arrière. Un autre exemple où l’architecture du panneau peut être modifiée, c’est l’agrivoltaïque. L’idée est de combiner productions agricole et photovoltaïque, sans mettre en compétition terres agricoles et champs solaires. On installe donc des panneaux solaires qui laissent passer la lumière pour les plants, tout en produisant de l’énergie.

Le CSEM travaille également sur le stockage et l’utilisation de l’énergie. Quelles sont les questions soulevées ?

Le stockage apparaît comme nécessaire dans nos sociétés qui compteront un nombre croissant d’énergies intermittentes. Se posent des questions assez classiques, comme : comment avoir des batteries avec un ratio capacité de stockage / poids favorable ou comment prédire de manière précise l’énergie restante dans la batterie ? On se questionne également sur la manière la plus fiable de prédire la production des panneaux solaires, en fonction des variations météo. Cela passe par des algorithmes mathématiques de plus en plus évolués. On apprend du passé en se basant sur les algorithmes d’apprentissage, mais on profite des avantages du présent : les installations photovoltaïques induisent beaucoup d’installations indépendantes sur le territoire, ce qui permet au final un maillage assez précis de la météo locale en temps réel et à l’échelle d’un pays.

Il semble que le cuivre soit envisagé pour remplacer l’argent dans la fabrication des cellules photovoltaïques. Pourquoi ?

Vous soulevez une de nos thématiques prioritaires : la durabilité des panneaux solaires, notamment des matériaux nécessaires à leur fabrication. À l’heure actuelle, on utilise des matériaux à base de métal d’argent pour déposer les contacts métalliques des cellules solaires. Or le prix de l’argent a tendance à fortement fluctuer. De plus, si on déploie le solaire comme planifié dans les 10 ou 20 ans, l’industrie photovoltaïque pourrait consommer chaque année la quasi-entièreté des ressources mondiales annuelles disponibles d’argent métal. Or, ce n’est pas tenable, car d’autres industries, minières notamment (luxe, semi-conducteurs) en ont également besoin. Le cuivre peut alors être envisagé comme matériau de remplacement : il est beaucoup plus abondant, meilleur marché et permet de réduire les pertes opto-électriques des cellules. Il possède tous les atouts pour améliorer la durabilité de l’énergie solaire. Le concept est évoqué depuis une dizaine d’années, mais c’est aujourd’hui qu’on sent un réel intérêt de la part des industriels. Le CSEM a une expertise reconnue à l’international sur cette question. Nous sommes un des rares instituts à appliquer un procédé global de fabrication de cellules avec du cuivre viable industriellement.

 

Joëlle Loretan

Journaliste

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