coopérative

Le rôle innovant des coopératives d’habitation

Le monde des coopératives (considérées comme des maîtres d’ouvrage d’utilité publique) est vaste, riche et pionnier dans bien des domaines liés à l’habitation. En refusant la spéculation, le modèle permet des loyers abordables et, en impliquant les résidents, il vise une gestion démocratique. Les coopératives sont des microcosmes fondés autour de valeurs communes, où les décisions ont un impact direct sur la vie sociale, économique et écologique.

Être coopérateur, c’est avoir un statut à mi-chemin entre celui d’un propriétaire (de la coopérative) et celui d’un locataire (de son appartement). Une coopérative, qui peut réunir quelques appartements ou des milliers, favorise la solidarité, l’entraide et la participation. Et pour qui veut créer une telle structure, rien de plus simple : il suffit de réunir au minimum sept personnes, de rédiger des statuts, de tenir une assemblée constitutive et de l’inscrire au registre du commerce. Les membres doivent ensuite se rencontrer à intervalles réguliers lors d’assemblées.

Si le but premier d’une coopérative reste l’accès à des logements à loyers abordables, Patrick Clémençon, rédacteur en chef d’Habitation (revue de l’Association romande des maîtres d’ouvrage d’utilité publique – ARMOUP), relève toutefois qu’« il existe presque autant de coopératives que de buts fixés par les gens ». Car c’est bien là une des forces de l’approche : pouvoir façonner son lieu de vie selon ses sensibilités, ses besoins et ses envies. Et bien qu’encore minime, le nombre de coopératives augmente avec les défis actuels. « Elles représentent aujourd’hui 4,8% du parc immobilier suisse, explique-t-il. Mais avec la pénurie de logements et le manque de loyers abordables, leur nombre est en augmentation depuis quelques années. On sent également des préoccupations sociales et écologiques de plus en plus présentes. »

Les coopératives « écolos »

Un nombre croissant de coopératives attachent de l’importance aux problèmes écologiques et énergétiques et visent des constructions et des lieux de vie durables. En 2018, l’Office fédéral du logement a procédé à une évaluation statistique du standard énergétique des projets soutenus dans le cadre de l’aide au logement depuis 2004. Il a été constaté qu’un peu moins d’un dixième (9,5%) de tous les projets ont un label Minergie ou un autre label de durabilité. Pour les bâtiments neufs ayant bénéficié d’un prêt du fonds de roulement, cette proportion est bien plus élevée et se monte à 37%.

En matière d’exemplarité, Patrick Clémençon cite le projet Soubeyran (quartier de la Servette, Genève) des coopératives Luciole et Equilibre. Cette dernière demande à ses membres (24 logements et des locaux commerciaux) de renoncer à la voiture individuelle pour se tourner vers une offre d’autopartage développée pour le lieu. Outre cette spécificité de la coopérative Equilibre, les habitants et habitantes des deux coopératives ont poussé bien plus loin les réflexions écologiques : isolation de la façade avec des caissons préfabriqués remplis de bottes de paille (produite dans le canton de Genève), enduit en terre pour le revêtement intérieur, crépi à la chaux pour le revêtement extérieur, panneaux photovoltaïques en consommation directe, récupération de chaleur pour le chauffage et l’eau chaude.

« Une recherche a également été menée autour de la question de l’épuration des eaux usées, et plus particulièrement de la gestion des évacuations des toilettes, précise la coopérative Equilibre. Nous avons abouti à un système qui utilise très peu d’eau (4 l pour les fèces et 300 ml pour l’urine), permettant à un grand filtre biologique à lombricompostage d’épurer ces eaux noires. Celles-ci rejoignent ensuite les eaux grises (douches, cuisines, etc.) dans un filtre à sable pour, une fois épurées, compléter les eaux de toiture dans une cuve de récupération des eaux de pluie. Les chasses d’eau de l’immeuble, ainsi que l’arrosage du jardin, sont alimentées par cette cuve, assurant ainsi le principe d’un circuit fermé». L’exemple de Soubeyran illustre parfaitement la manière avec laquelle les coopératives peuvent participer aux efforts en matière d’habitation durable.

À relever également que des directives en matière d’occupation sont applicables pour la plupart des logements de coopératives, avec des pièces souvent attribuées en fonction du nombre de personnes. Ainsi, et selon une étude de l’institut statistiques Sotomo, qui se base sur des chiffres de l’Office fédéral de la statistique, les appartements coopératifs consomment 1/4 de terrain en moins par personne que les appartements locatifs classiques et même 60% de moins que les appartements occupés par des propriétaires.

Les avantages des coopératives

Si les coopératives apportent leur pierre à l’édifice sur les questions écologiques, elles proposent également des réponses en termes de logement (démographie, vieillissement), de structures des ménages (familles monoparentales/recomposées, ménages sans enfant), de modes de vie et de valeurs (bi-activité, écologie, vie collective). Et les avantages sont nombreux :

– Loyers moins chers : les coopératives sont tenues par le principe de l’utilité publique et ne cherchent donc pas le profit. Elles soustraient durablement des immeubles de la spéculation et calculent leurs loyers à prix coûtant, avec des bénéfices réinvestis dans la coopérative. Si, du fait du prix de la construction et des terrains, les loyers de départ peuvent paraître relativement élevés, au fil des ans, ils deviennent en moyenne 20% plus bas que les loyers du marché.

– Sécurité de bail : dans le marché libre, un propriétaire peut résilier les baux des locataires, effectuer des travaux, puis augmenter le prix de location. Dans les coopératives, les locataires sont mieux protégés : en cas de travaux lourds ils sont relogés, puis réintègrent leur logement avec une hausse de loyer raisonnable.

– Participation et investissement : chaque coopérateur dispose d’une voix lors des assemblées (et quel que soit le nombre de parts sociales qu’il détient). Chacun influe sur les orientations générales de la coopérative, parfois même déjà lors de la phase de conception des logements.

– Mixité et intégration : en proposant des loyers modérés, les coopératives attirent des profils très différents (familles, personnes seules, âgées, étudiants), favorisent les valeurs sociales (intergénérationnel, mixité, espaces collectifs) et d’entraide (autogestion, solidarité). Plusieurs d’entre elles sont également engagées dans l’intégration des personnes en situation de handicap issues de l’immigration.

– Entretien des bâtiments : les coopérateurs, soucieux de leur lieu de vie, entretiennent en général mieux les bâtiments. Le taux de rénovation dans les coopératives est plus élevé que la moyenne de l’ensemble des logements, puisque le but recherché par les coopératives n’est pas le rendement à court terme, mais bien le maintien de la valeur de leur parc à long terme.

– Innovation et développement durable : il n’est pas rare que les coopératives proposent des techniques constructives ou des typologies d’habitations innovantes. Elles font des tests, à l’image du projet Mehr als wohnen (« plus qu’habiter » en français) à Zurich, construit sur une friche à l’abandon et pour lequel quelque 55 coopératives se sont associées pour la construction de 13 bâtiments « durables ». Pour documenter le projet de cette « super coopérative », une collaboration scientifique a été menée avec l’EPFZ (Ecole polytechnique fédérale de Zurich) et l’OFL (Office fédéral du logement).

Importance des politiques foncières

Si les coopératives préfèrent généralement acheter leur terrain, les plus jeunes d’entre elles n’en ont pas toujours les moyens. Pour les aider, villes et cantons possèdent un outil très intéressant, le droit de superficie, comme l’explique Patrick Clémençon : « En mettant à disposition des terrains, le droit de superficie permet de construire dans les zones où vous ne pourriez simplement pas acheter de propriété ». En d’autres termes, la coopérative loue le terrain sur lequel la propriété est construite : elle possède donc le bien immobilier, sans être propriétaire du terrain sur lequel il est bâti. En Suisse, les droits de superficie s’étendent en général sur une durée de 30 à 100 ans.

Le développement des coopératives dépend donc fortement de la politique foncière adoptée. Et le sujet s’invite dans les urnes. En effet, le Groupement des coopératives d’habitation genevoises a lancé, en mars dernier, une initiative pour augmenter le nombre de logements coopératifs (de 11 000 aujourd’hui, à 22 000 d’ici à 2030). L’année passée, nous votions sur l’initiative de l’ASLOCA « Davantage de logements abordables », qui demandait 10% de logements d’utilité publique dans le parc immobilier suisse. Acceptée par cinq cantons, dont quatre romands (Genève, Vaud, Neuchâtel, Jura et Bâle-Ville), elle a été refusée sur le plan fédéral (à 57.1%). Conscient de la nécessité de prendre des mesures complémentaires au marché, le Parlement a toutefois décidé de soutenir le fonds de roulement destiné à financer des prêts aux maîtres d’ouvrage d’utilité publique, au moyen d’un nouveau crédit-cadre d’un montant de 250 millions de francs (sur dix ans). La victoire n’est donc pas écrasante pour les coopératives, mais les impulsions (et les avantages) sont bien réelles.

Renseignements et infos :

L’Association des maîtres d’ouvrage d’utilité publique (ARMOUP) propose un soutien aux coopératives, ainsi qu’un cycle de formation à l’attention des employés et membres du conseil d’administration des coopératives. www.armoup.ch
Lien vers le guide en ligne qui vous renseignera sur la manière de fonder et gérer une coopérative d’habitation. www.fonder-construire-habiter.ch

Joëlle Loretan

Journaliste

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