Les leaders équi-bienveillants ne sont pas des utopies (1)

Certains lecteurs de mes derniers posts m’ont reproché d’être un utopiste en soulignant que dans la vraie vie où la nécessité d’être performant empêche d’être bienveillant, il n’y a pas de place pour la bienveillance ou l’équité. Pour leur montrer que leur perception ne correspond qu’à une croyance limitante, je prends l’initiative de partager un premier témoignage provenant de la traduction de l’examen de Chadi Kazan qui a suivi le module en Responsible Leadership de l’Université de Genève en 2019, dans lequel il raconte ce qu’il a vécu :

L’équité et la bienveillance ne sont pas que pour les Bisounours

« De 2013 à 2015, j’ai eu la chance de travailler sous la direction de M. Gerard Lynch au Centre du commerce international (ITC), une coentreprise ONU/OMC à Genève. Gerry était alors à la tête du département informatique et dirigeait une équipe de 15 personnes chargées de l’ensemble de l’infrastructure et des systèmes informatiques de l’ITC, au service de projets de développement à travers le monde financés par des donateurs internationaux. Gerry a incarné le gestionnaire bon, bienveillant et juste que je m’efforce de devenir un jour. Grâce à son style de coaching combiné avec une touche humaine, il a réussi à nous rallier derrière lui et à nous faire livrer objectif après objectif, réalisation après réalisation. Il s’est attaché à définir une mission claire pour l’équipe informatique : Promouvoir le changement positif par l’innovation technologique et donner l’exemple au reste de l’organisation qui a peur de s’exprimer ou qui est satisfaite du statu quo. Passionné par son travail et ses responsabilités, il nous a transmis cette passion et nous l’a rappelée jour après jour. En y repensant maintenant, je constate qu’il a appliqué certaines règles de gouvernance telles qu’enseignées dans le module de leadership du DAS in Entrepreneurial Leadership de l’Université de Genève :

– Il a identifié une mission pour l’équipe en s’assurant que nous la connaissions et que nous savions ce qu’elle signifiait. […]

– Dès le départ, il a mis en place un processus clair de promotion basé sur la performance, l’ancienneté et le développement personnel. Il s’est assuré que tous ceux qui se joignaient à lui en étaient informés et qu’ils étaient d’accord. Cela signifiait également qu’il était juste et crédible dans son évaluation. Il faisait en sorte que ceux qui méritaient les promotions sur la base des critères qu’il avait définis les recevaient; il a insisté auprès de la direction malgré le fait qu’à l’ITC, il fallait passer par un processus de sélection concurrentiel pour être promu au mérite. Cela nous a permis de lui faire encore plus confiance.

– Il a créé un environnement sans peur où chacun pouvait exprimer son opinion sans crainte de représailles ou de jugement. Il a fallu quelques expériences pour que cela soit “cru” par le personnel, comme le fait qu’il accepte les critiques ou qu’il s’adresse à la direction lorsqu’il estimait que les choses étaient injustes.

La confiance est plus efficace que la peur

Parmi les nombreux traits qui le caractérisent, il y en a un qui mérite d’être souligné : sa capacité à nous faire confiance pour la mise en œuvre de sa vision. Comme les fonds des donateurs étaient alloués à l’ITC, il y avait une forte pression pour livrer des projets et des produits de qualité afin de satisfaire les donateurs et les inciter à continuer à soutenir l’ITC. Comme chaque projet avait une composante informatique, Gerry a choisi de confier le projet à un membre de l’équipe avec des attentes claires et bien communiquées : ayant été formé dès son arrivée sur PRINCE2, la méthodologie de gestion de projet, ce chef de projet était responsable de la planification, de la gestion du projet, de la gestion de la relation client  […] et de la mise en œuvre. Il pouvait bénéficier du coaching de Gerry et d’autres gestionnaires de projet. Par ailleurs, nous étions tous encouragés à innover et à oser expérimenter de nouvelles technologies comme bon nous semblait, pour autant que cela puisse être utile, que cela nous permette d’en tirer des leçons et que cela nous aide à mieux faire ce que nous avions à faire.

[…] Un autre manager aurait pu juste se contenter de nous fournir les outils pour mieux faire notre travail (très courant à l’ONU), mais il se souciait vraiment de notre propre développement autant que des livrables. Il prévoyait des budgets de formation pour chacun de nous, même ceux qui étaient des ressources temporaires.  Il faisait venir des experts pour nous enseigner des méthodes et compétences que nous n’aurions pas pu obtenir sans son soutien. […] Il a donc contribué au développement de nos compétences et à notre employabilité bien au-delà de ce que nous pouvions espérer. Le fait de nous confier des projets importants  […] ne l’a pas empêché de reconnaître nos réalisations : nous avions chacun nos 15 minutes de gloire en présentant nos réalisations au reste de l’organisation ou aux donateurs. Le responsable du projet était mis en valeur en présentant son travail. Il a ainsi fait en sorte que la haute direction de l’ITC connaisse le nom de chacun d’entre nous, ce qui était rare pour une équipe informatique. Nous nous sentions fiers d’être reconnus. »

Ce témoignage montre qu’un Leadership équi-bienveillant permet non seulement d’avoir des collaborateurs engagés et reconnaissants mais aussi de livrer une performance au moins aussi élevée que le management hiérarchique “à l’ancienne”.

 

 

PS: le prochain blog incluera un autre témoignage authentique. A suivre !

Le constat d’échec des cadres

Au vu de leur incapacité à susciter de l’engagement, beaucoup de cadres devraient être recyclés ou licenciés

Partant du constat que des collaborateurs engagés améliorent la productivité et les profits (à concurrence de 35%), on devrait évidemment attendre des cadres qu’ils optimisent le niveau d’engagement de leurs équipes. Qu’en est-il sur le terrain ?

Malheureusement le tableau est peu glorieux : de nombreuses études mettent en évidence qu’environ la moitié des collaborateurs n’aspirent qu’à changer d’employeur ou de chef. 26% des Canadiens préfèreraient même que leur chef soit un logiciel plutôt qu’un humain. Pourquoi un logiciel ? Parce que le logiciel est bien plus équitable qu’un humain : il n’abuse pas de son pouvoir ; il ne fait pas de favoritisme ; il est prévisible et il fait ce qu’il dit, sans état d’âme.

Un sondage indique même que les trois quarts des employés considèrent que leur chef est la pire partie de leur emploi et la première source de stress. Il enfonce le clou en précisant que 65% des collaborateurs préfèreraient changer de chef que d’avoir une augmentation de salaire… La honte!

Nous savons tous qu’on peut faire dire n’importe quoi aux statistiques mais il faut quand même reconnaître qu’une bonne partie des conversations entre collègues ou avec leurs amis proches est consacrée à discuter des misères subies au travail. Le problème est donc réel.

La Suisse fait-elle mieux ? A peine ! A part le fait que seuls 54% des Suisses recommandent leur employeur, la note moyenne qu’ils attribuent à leur chef n’est que de 6.2 sur 10. Franchment pas très flatteur !

Il ressort de ces quelques études que trop de cadres n’obtiennent pas un niveau d’engagement suffisant. Cela signifie que la performance et donc les profits sont très loins d’être au niveau attendu.

Pourquoi autant de cadres échouent à obtenir de l’engagement ?

Il n’y a pas d’explication unique mais j’en rappelle une :  les cadres n’étant généralement évalués que par leur propre hiérarchie dans un processus top-down, ils focalisent l’essentiel de leurs efforts à plaire à ceux qui vont les évaluer. C’est très compréhensible mais cela conduit à négliger le niveau d’engagement qu’ils obtiennent des collaborateurs qu’ils encadrent. En s’efforçant de plaire à leurs supérieurs, certains cadres en viennent à oublier de donner envie à leurs équipes de s’investir dans la réussite collective…

A partir du moment où le niveau d’engagement que chaque cadre obtient de ses équipes est aussi mesuré, il devient enfin possible de remettre l’église au milieu du village. Chaque cadre doit non seulement performer pour plaire à ses supérieurs mais la mesure du niveau d’engagement qu’il obtient auprès de ses équipes révèlera aussi sa capacité à obtenir ce qu’on attend de lui : de l’engagement.

Que faire quand un cadre a un score d’engagement insuffisant ?

Le cadre qui ne réussit pas à donner envie à ses collaborateurs de s’investir peut bien sûr pratiquer la politique de l’autruche en espérant que personne ne s’en rende compte. A une époque où tout se sait et où l’information circule à très grande vitesse, la tête dans le sable n’est pas une solution très durable : le siège éjectable sera un jour ou l’autre activé.

Je constate en pratique que beaucoup de cadres n’obtiennent pas le niveau d’engagement qu’ils pourraient obtenir juste parce qu’ils font preuve de maladresse ou parce qu’ils ignorent certains outils qui leur permettraient de changer la donne. Pour eux, la deuxième option est de se former. Il existe heureusement des formations ou du coaching pour apprendre comment avoir des équipes engagées. Par exemple, le CAS in Responsible Leadership de l’Université de Genève ou le Programme de “Leadership équi-bienveillant au quotidien” de Romandie Formation.

Troisième option pour ceux qui ne veulent ou peuvent pas changer les choses : se recycler dans un job qui leur convient mieux. Comme toutes les activités ne peuvent pas convenir à n’importe qui, tout le monde n’est pas fait pour être cadre. Une position d’expert sans encadrement peut par exemple être bien plus gratifiante que de mal encadrer ses équipes, avec les conséquences évidentes qui en résultent. L’intelligence et la sagesse consistent à faire ce qui nous convient en mesurant qu’on parvient au résultat attendu. Pour un cadre c’est aussi d’avoir des collaborateurs engagés. S’il n’y parvient pas, il doit avoir le courage de renoncer à encadrer avant d’y être forcé…