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Les 8 étapes pour coconstruire une Charte qui engage

Créer une Charte d’équipe engagée est à la portée de tout le monde. Pour gagner du temps et éviter les erreurs des débutant.e.s, il faut toutefois la mettre en place dans les règles de l’art. Voici un mode d’emploi (à inscrire dans les bonnes résolutions pour la nouvelle année).

 

Ayant montré dans une chronique précédente l’intérêt de coconstruire la “Fusée du Grütli” qui correspond à une Charte d’équipe engagée avec les membres de son équipe, j’ai été depuis sollicité par des lectrices* qui m’ont demandé comment faire et si elles pouvaient en faire une toutes seules.

La réponse est oui et non. Oui, car elles peuvent bien sûr réunir leur équipe pour aborder les 6 composants de la fusée pour rédiger une charte. Non, parce que l’expérience montre que les chartes réalisées dans ces conditions sont rarement vécues ou mêmes utiles. Plusieurs raisons expliquent la difficulté à obtenir le résultat souhaité, c’est à dire de l’engagement.

 

Les difficultés inhérentes au self-service

La première est que rédiger une Charte d’équipe engagée qui tient la route demande plus que de la bonne volonté : il faut une certaine expérience. Je le vois en comparant les premières chartes que j’ai créées il y a plusieurs années et celles que je rédige actuellement. C’est la nuit et le jour… Comme dans toute chose, on ne devient pas expert du jour au lendemain : c’est en forgeant qu’on devient forgeron. La débutante croit toujours avoir bien fait mais c’est avec l’expérience qu’elle prend la mesure des errements de ses débuts.

La deuxième est qu’une Charte d’équipe engagée aborde les sujets qui fâchent et que la manager est dans une posture délicate pour les aborder. C’est infiniment plus facile pour une externe de « mettre les pieds dans le plat » et/ou de confronter les membres de l’équipe, manager incluse, à certaines réalités ou même contradictions. La tentation de ne pas poser les problèmes sur la table est considérable quand la manager est aussi la facilitatrice de la réunion. Étant juge et partie, elle est dans une posture qui l’empêche d’être perçue comme neutre par le reste de l’équipe.

Cette posture est particulièrement délicate quand il faut parler des conséquences des transgressions. Rares sont les managers qui sont à l’aise pour les aborder et rares sont les collaboratrices qui aiment entendre leur manager parler de sanctions. Lorsque le sujet est abordé par la manager, le processus de création de la charte est presque toujours interprété comme un prétexte pour in fine introduire des sanctions. Cette perception détruit la confiance des collaboratrices envers leur manager. Quand c’est une facilitatrice qui n’a pas d’enjeu qui aborde les conséquences des transgressions, elle ne peut pas être taxée de manipulation comme c’est le cas de la manager. Chaque fois que je l’ai fait en tant qu’externe, les choses se sont bien passées et chaque fois que j’ai essayé dans ma propre équipe, j’ai pris des coups.

La troisième raison qui m’incite à déconseiller de créer sa propre charte est que celles qui sont créées entièrement par des personnes qui n’en ont jamais faites avant sont beaucoup moins complètes que celles qui ont été élaborées avec une personne qui sait ce qui devrait presque toujours y figurer. Avec l’expérience, j’ai appris qu’il est par exemple impératif d’y expliciter la manière de non seulement donner du feedback mais aussi de le recevoir.

 

Le processus efficace et rapide de cocréation qui est à votre portée

Après des années d’expérience, je recommande la démarche suivante pour obtenir rapidement une Charte d’équipe engagée qui va réellement impacter le comportement des membres de l’équipe, manager incluse :

  1. Choisir une facilitatrice qui réunit impérativement les caractéristiques suivantes : pour être perçue comme neutre, elle ne doit pas avoir d’enjeu ou être soumise à l’influence de personnes qui sont parties prenantes de l’équipe. Elle doit évidemment avoir l’expérience d’avoir fait des Chartes d’équipe engagée qui incluent une gestion robuste des transgressions et des vrais indicateurs de finalité/succès (KISs). Elle doit être incisive pour aller au fond des choses et assurer la cohérence du tout. Elle doit enfin avoir une grande maîtrise de la langue pour assurer la clarté du contenu. Sans ces quatre conditions, il vaut mieux être seule que mal accompagnée.
  2. La facilitatrice demande à toutes les membres de l’équipe, manager incluse, de compléter un questionnaire en ligne qui lui permet de savoir ce que chacune souhaite voir figurer dans la charte. Étant neutre, les membres de l’équipe lui disent la vérité.
  3. Sur la base des réponses au questionnaire et de son expérience, la facilitatrice rédige un projet customisé de Charte d’équipe engagée cohérente et représentative de la culture apparemment souhaitée par l’équipe.
  4. L’équipe se réunit ensuite pour débattre du contenu du projet de charte. En travaillant sur un projet de charte cohérent, les débats se concentrent sur ce qui est réellement important. Ils ne durent généralement pas plus d’une journée. C’est un énorme gain de temps comparé aux discussions sans fin qui peuvent avoir lieu lorsque les membres de l’équipe partent d’une feuille blanche et sans expérience.
  5. Une fois le consensus obtenu, la Charte d’équipe engagée est soumise à la N+1 de la manager (N) de l’équipe. Cette validation permet de s’assurer que le contenu de la charte n’est pas en contradiction avec la culture ou les règles de l’organisation.
  6. La version définitive est ensuite signée par tous les membres qui l’ont élaborée.
  7. Un dispositif de monitoring périodique est enfin mis en place pour s’assurer que la Charte d’équipe engagée est bien vécue et que son non-respect a des conséquences.
  8. La charte devra ensuite être révisée améliorée au fil du temps.

Cette démarche très structurée est celle qui, sur la base de mon expérience, permet d’obtenir les Chartes d’équipe engagée les plus efficaces avec un minimum d’effort et de temps consacré par les membres de l’équipe.

 

* L’emploi du féminin dans le texte est délibéré. Ce parti-pris fait partie des multiples remises en question et changements de posture mentale suggérés dans mes programmes de formation au Leadership équitable et bienveillant, tant dans le MicroMBA de Romandie Formation qu’à l’Université de Genève. En optimisant l’engagement, ce leadership maximise la performance.

Les leaders équi-bienveillants ne sont pas des utopies (2)

Mon post précédent montrait que le Leadership équitable et bienveillant existait même dans les ONG. Celui ci-dessous enfonce le clou avec le témoignage de Marco Bambace, un autre étudiant qui a également partagé son vécu dans l’examen qu’il a soumis après avoir suivi le premier module sur les leviers de l’engagement dans le CAS in Responsible Leadership” de l’Université de Genève :

« Au début de ma carrière, j’ai eu la chance d’avoir un patron, James, qui était un leader exceptionnellement attentionné. Il était très intelligent, stratégique et un penseur rapide, mais ce qui le distinguait était sa capacité à écouter et à équilibrer les besoins entre l’intérêt de l’entreprise, lui-même et les membres de l’équipe, et sa capacité à mettre les gens à l’aise et à donner le meilleur d’eux-mêmes.

Chaque fois que je devais trouver une solution à un problème, il écoutait ma proposition et la traitait avec diligence. Il posait ensuite des questions pour tester mon idée, pour évaluer si elle était facile à mettre en œuvre et quels en étaient les avantages et les inconvénients. Parfois, il avait peut-être une autre approche, mais si mon idée pouvait fonctionner, il me laissait la liberté de choisir comment aller de l’avant. Dans les cas où James avait clairement une meilleure solution que la mienne, il ne l’imposait jamais sur ma proposition, mais il partageait son idée et nous évaluions ensemble comment l’intégrer à la mienne afin d’obtenir la meilleure solution.

Ce qui m’a encore plus impressionné, c’est que même pendant les exigences quotidiennes de la vie réelle qui exercent une pression considérable sur l’organisation, James a réussi à trouver le temps et l’énergie nécessaires pour concilier les éléments d’un leadership bienveillant en responsabilisant, en encadrant et en offrant du soutien aux gens.

Lors de la planification du travail et de la répartition des tâches au sein des équipes, James a toujours eu une vision à long terme et a assigné des projets à des personnes afin de répondre à leurs intérêts et à leurs aspirations, et il a également intégré les possibilités de développement personnel dans son processus décisionnel. Cela lui paraissait très spontané, mais il n’y arrivait que parce qu’il savait exactement ce que les gens aimaient et n’aimaient pas, grâce aux fréquentes conversations informelles qu’il avait avec son équipe.

Dans le comportement de James, je peux trouver beaucoup d’éléments du framework des leviers de l’engagement. Parmi ses qualités, je peux reconnaître tous les éléments qui soutiennent les trois impératifs du succès collectif, de l’équité et de la bienveillance. Ses comportements étaient également alignés sur le cadre, comme le soulignent les exemples fournis ci-dessus. Le processus de gouvernance au sein de l’équipe n’a pas été aussi formalisé que le suggère le cadre de référence du leadership équi-bienveillant, mais aucun des cinq membres de l’équipe n’a jamais eu l’impression que les objectifs n’étaient pas clairs ou qu’il était traité de façon injuste. Comme je l’ai mentionné, James a eu un comportement très spontané et je ne suis pas en mesure de dire combien de préparation il a fait dans les coulisses et s’il a appliqué, consciemment ou non, l’un des outils du framework du leadership équi-bienveillant.

Sous sa direction, j’ai eu l’impression de m’être considérablement amélioré et je suis devenu meilleur dans la prise de décision parce que j’ai appris à être toujours ouvert d’esprit et prêt à évaluer et à ajuster mes idées après avoir écouté le point de vue des autres.

James a eu une excellente opportunité de carrière aux États-Unis et il est passé à autre chose. Jusqu’à présent, je n’ai jamais autant travaillé pour quelqu’un d’autre. James est toujours un modèle pour moi et j’ai essayé d’intégrer les principes de leadership que j’ai appris en faisant partie de son équipe. Cinq ans après sa relocalisation, je me suis rendu en Californie – où il vit actuellement – pour une réunion d’affaires avec un autre membre de son ancienne équipe. Lorsque nous l’avons contacté pour un petit rendez-vous, il nous a invités chez lui, où sa femme nous a préparé un délicieux dîner, et nous a présentés à leurs deux enfants. Un autre exemple de son authenticité en tant que véritable personne bienveillante. »

Ce témoignage confirme que susciter l’engagement est parfaitement possible et que les collaborateurs engagés travaillent bien mieux que ceux qui ne le sont pas. J’espère que cela clouera le bec à tous ceux qui pensent qu’un Leadership équitable et bienveillant n’existe que dans les contes de fées.

Comme ces deux témoignages montrent qu’il est parfaitement possible d’être un bon leader, les managers qui ne parviennent pas à avoir des collaborateurs engagés ont le choix entre reconnaître qu’ils doivent se dépêcher d’apprendre les leviers de l’engagement ou qu’ils ont été nommés suite à une erreur de casting. Dans ce dernier cas et compte tenu du fait que leur direction attend certainement de ses cadres qu’ils suscitent de l’engagement, ils sont évidemment assis sur un siège éjectable.

 

Les leaders équi-bienveillants ne sont pas des utopies (1)

Certains lecteurs de mes derniers posts m’ont reproché d’être un utopiste en soulignant que dans la vraie vie où la nécessité d’être performant empêche d’être bienveillant, il n’y a pas de place pour la bienveillance ou l’équité. Pour leur montrer que leur perception ne correspond qu’à une croyance limitante, je prends l’initiative de partager un premier témoignage provenant de la traduction de l’examen de Chadi Kazan qui a suivi le module en Responsible Leadership de l’Université de Genève en 2019, dans lequel il raconte ce qu’il a vécu :

L’équité et la bienveillance ne sont pas que pour les Bisounours

« De 2013 à 2015, j’ai eu la chance de travailler sous la direction de M. Gerard Lynch au Centre du commerce international (ITC), une coentreprise ONU/OMC à Genève. Gerry était alors à la tête du département informatique et dirigeait une équipe de 15 personnes chargées de l’ensemble de l’infrastructure et des systèmes informatiques de l’ITC, au service de projets de développement à travers le monde financés par des donateurs internationaux. Gerry a incarné le gestionnaire bon, bienveillant et juste que je m’efforce de devenir un jour. Grâce à son style de coaching combiné avec une touche humaine, il a réussi à nous rallier derrière lui et à nous faire livrer objectif après objectif, réalisation après réalisation. Il s’est attaché à définir une mission claire pour l’équipe informatique : Promouvoir le changement positif par l’innovation technologique et donner l’exemple au reste de l’organisation qui a peur de s’exprimer ou qui est satisfaite du statu quo. Passionné par son travail et ses responsabilités, il nous a transmis cette passion et nous l’a rappelée jour après jour. En y repensant maintenant, je constate qu’il a appliqué certaines règles de gouvernance telles qu’enseignées dans le module de leadership du DAS in Entrepreneurial Leadership de l’Université de Genève :

– Il a identifié une mission pour l’équipe en s’assurant que nous la connaissions et que nous savions ce qu’elle signifiait. […]

– Dès le départ, il a mis en place un processus clair de promotion basé sur la performance, l’ancienneté et le développement personnel. Il s’est assuré que tous ceux qui se joignaient à lui en étaient informés et qu’ils étaient d’accord. Cela signifiait également qu’il était juste et crédible dans son évaluation. Il faisait en sorte que ceux qui méritaient les promotions sur la base des critères qu’il avait définis les recevaient; il a insisté auprès de la direction malgré le fait qu’à l’ITC, il fallait passer par un processus de sélection concurrentiel pour être promu au mérite. Cela nous a permis de lui faire encore plus confiance.

– Il a créé un environnement sans peur où chacun pouvait exprimer son opinion sans crainte de représailles ou de jugement. Il a fallu quelques expériences pour que cela soit “cru” par le personnel, comme le fait qu’il accepte les critiques ou qu’il s’adresse à la direction lorsqu’il estimait que les choses étaient injustes.

La confiance est plus efficace que la peur

Parmi les nombreux traits qui le caractérisent, il y en a un qui mérite d’être souligné : sa capacité à nous faire confiance pour la mise en œuvre de sa vision. Comme les fonds des donateurs étaient alloués à l’ITC, il y avait une forte pression pour livrer des projets et des produits de qualité afin de satisfaire les donateurs et les inciter à continuer à soutenir l’ITC. Comme chaque projet avait une composante informatique, Gerry a choisi de confier le projet à un membre de l’équipe avec des attentes claires et bien communiquées : ayant été formé dès son arrivée sur PRINCE2, la méthodologie de gestion de projet, ce chef de projet était responsable de la planification, de la gestion du projet, de la gestion de la relation client  […] et de la mise en œuvre. Il pouvait bénéficier du coaching de Gerry et d’autres gestionnaires de projet. Par ailleurs, nous étions tous encouragés à innover et à oser expérimenter de nouvelles technologies comme bon nous semblait, pour autant que cela puisse être utile, que cela nous permette d’en tirer des leçons et que cela nous aide à mieux faire ce que nous avions à faire.

[…] Un autre manager aurait pu juste se contenter de nous fournir les outils pour mieux faire notre travail (très courant à l’ONU), mais il se souciait vraiment de notre propre développement autant que des livrables. Il prévoyait des budgets de formation pour chacun de nous, même ceux qui étaient des ressources temporaires.  Il faisait venir des experts pour nous enseigner des méthodes et compétences que nous n’aurions pas pu obtenir sans son soutien. […] Il a donc contribué au développement de nos compétences et à notre employabilité bien au-delà de ce que nous pouvions espérer. Le fait de nous confier des projets importants  […] ne l’a pas empêché de reconnaître nos réalisations : nous avions chacun nos 15 minutes de gloire en présentant nos réalisations au reste de l’organisation ou aux donateurs. Le responsable du projet était mis en valeur en présentant son travail. Il a ainsi fait en sorte que la haute direction de l’ITC connaisse le nom de chacun d’entre nous, ce qui était rare pour une équipe informatique. Nous nous sentions fiers d’être reconnus. »

Ce témoignage montre qu’un Leadership équi-bienveillant permet non seulement d’avoir des collaborateurs engagés et reconnaissants mais aussi de livrer une performance au moins aussi élevée que le management hiérarchique “à l’ancienne”.

 

 

PS: le prochain blog incluera un autre témoignage authentique. A suivre !