Et si le changement s’inspirait du mouvement « Open source » ?

Pour tous ceux qui réfléchissent au changement et pour ceux qui ont en fait l’expérience, les résultats sont souvent très décevants. La question qui se pose donc est pourquoi. Pourquoi est-ce que les transformations organisationnelles ressemblent-elles souvent à des tombeaux ?

Pour expliquer cela on invoque de très nombreuses raisons. La première est la puissance phénoménale des routines. Il y aussi une dimension cognitive et affective. Changer revient souvent à remettre en question ce qui a fonctionné jusqu’ici et qui a souvent contribué au succès des entreprises ce qui est profondément contre-intuitif. Finalement, il y a le management du changement qui trop souvent attribue la conception, le planning de la mise en œuvre et la communication à la direction de l’entreprise. Une étude de récente de Gartner[1]  montre non seulement les limites de cette approche mais surtout les bénéfices qu’une organisation peut retirer d’une participation active des personnes concernées dès le début du projet.

Gartner commence par nous rappeler ce que nous savions déjà que seules 30% des stratégies de changement réussissent, mais il nous dit aussi que 80% sont pilotées par les directions. Or qu’est-ce qui a changé ? Deux choses : la complexité des organisations (notamment celles qui ont adopté une organisation matricielle) mais surtout le degré d’information des employés qui sont très bien formés, ont une bonne vision de leur environnement et surtout communiquent les uns avec les autres. Le problème des stratégies « top down » c’est que les directions ne prennent pas ou ignorent les « workflows » réels qui font leur succès. Cette faiblesse se montre souvent fatidique lors de l’implémentation des stratégies de changement. Une fois mise en place, les initiants découvrent qu’elles sont difficiles à mettre en œuvre, qu’elles patinent, prennent du retard, démotivent leurs employés et souvent explosent leurs prévisions financières.Après avoir interviewé 6500 employés et quelques 100 DRH, Gartner conclut que pour améliorer les chances de réussir un changement, les entreprises qui réussissaient avaient mis en place la stratégie suivante :

  1. Premièrement, les dirigeants incluent leurs employés dans une démarche de co-création de décisions stratégiques.
  2. Deuxièmement, ils laissent la mise en œuvre à leurs employés.
  3. Troisièmement, ils encouragent une communication ouverte entre les personnes concernées

Le modèle dont ils s’inspirent est celui de l’Open source né dans les années 90 dans l’industrie informatique. L’Open Source repose sur deux principes : rendre le logiciel accessible à tout le monde et donner la possibilité à tout un chacun d’en améliorer le code ; ce qui n’empêche pas un processus rigoureux de validation. En effet, que vous preniez Linux ou Wikipedia, ils sont « gouvernés » par un groupe d’utilisateurs approuvés qui utilisent un ensemble de règles et de directives précises pour valider un changement.

Les résultats sont impressionnants : une augmentation du taux de réussite entre 34 et 58% mais aussi un gain de temps de 33% sur l’implémentation.

Ce qui distingue la gouvernance de l’Open Source, c’est tout d’abord qu’il existe un processus de décision formalisé et accessible à tous les contributeurs, ce qui veut dire que tout le monde sait comment sont prises les décisions. Dans ce cadre, le rôle des dirigeants n’est plus de décider seuls sur le changement ni de le confier à des personnes selon leur titre ou leur ancienneté mais de tenir compte de facteurs tels que l’expertise, l’impact et l’orientation client de leurs employés.

Selon Gartner, le transfert de la planification de la mise en œuvre aux employés peut accroître de 12 % la probabilité de réussite du changement. Ce que constate l’étude, c’est qu’une fois que les employés sont impliqués, les changements s’opèrent plus rapidement, les obstacles qui ralentissent leur mise en œuvre sont plus facilement repérés et les meilleures pratiques s’échangent plus constamment. Cela donne aux dirigeants et aux managers plus de temps pour soutenir les employés en éliminant les obstacles et en assurant l’alignement sur les enjeux stratégiques.

La plupart des organisations communiquent le changement du haut vers le bas. Les dirigeants présentent le changement sous un jour positif pour obtenir l’adhésion de leurs employés, ou pour favoriser leur compréhension. Mais le fait de dire – ou, parfois, de commander – les employés ne favorise pas la compréhension ou l’engagement envers le changement. Ce qui le favorise c’est la délibération ou l’échange entre pairs qui comprend la prise en charge des préoccupations de chacun mais aussi la recherche de solutions. Ainsi les personnes concernées peuvent se poser des questions comme : ” quels changements pourraient découler de cette initiative ? quels en seront les effets sur mes pairs ? et de quelles nouvelles compétences vais-je avoir besoin ? Et s’ils ne connaissaient pas la réponse, ils peuvent planifier la façon de la trouver.

On parle souvent du rôle des hiérarchies dans des modèles plus horizontaux et l’on craint soit leur disparition soit leur affaiblissement (statut) alors qu’il s’agit non pas de leur fonction mais de leur rôle. Ainsi laissant de côté la question du contrôle et du commandement, les dirigeants retrouvent leur valeur en tant que garant du cadre, en tant que soutien, un peu comme des jardiniers qui, prenant soin du sol sur lequel poussent leurs fleurs ou leurs légumes, n’ont pas à se soucier de leur croissance. Du moment où les équipes sont compétentes et informées, il n’y a nul besoin de douter de leur capacité à prendre soin à leur tour de leur organisation et à les laisser s’organiser pour qu’elle devienne plus performante.

[1] Chio Marcus, Salerno Heather, « Changing change management: an open source approach », 2018

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Philip Clark

Philip Clark accompagne les entreprises publiques ou privées dans leur processus de changement et de développement organisationnel. Après avoir fondé plusieurs start-up, il a dirigé l'innovation pour Global Services and Solutions chez Orange Business Services. Il enseigne à la HES-SO de Lausanne et à l’Université Mont Blanc Savoie.

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