Ce qu’un manager peut apprendre de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Un blog en trois épisode. Deuxième épisode.

Thierry Mallet/Associated Press

2e épisode :  “Errare humanum est, perseverare diabolicum”

D’abord « l’erreur humaine ». L’employé de sécurité a préféré appeler son chef plutôt que de signaler l’incident aux pompiers. Or, cet employé travaillait depuis seulement trois jours lorsque l’incendie éclata. En outre, posté depuis 7h du matin dans la petite salle du presbytère, il devait être relevé de ses fonctions en fin d’après-midi, sauf que personne n’est venu le relayer. Il était donc en poste depuis plus de 11 heures lorsqu’il vit le petit falot rouge s’allumer sur sa console.

Dans un premier temps, le fait d’avoir appelé son chef devrait nous permet de faire deux hypothèses : un manque de confiance en soi doublé d’une peur de mal agir, l’une renforçant l’autre. Cette crainte de l’erreur rehaussée par une fatigue excessive est typique de la situation de nombreux employés en entreprise. En général, elle passe inaperçue car sans conséquence majeure sur les opérations et dédouane le management de sa responsabilité car, en cas d’erreur, il aura beau jeu de rejeter la faute sur la personne qui la commise et de la sanctionner plutôt que de se demander si la cause de l’erreur ne vient pas plutôt d’une gestion inadéquate.

L’erreur humaine n’est donc pas ici seulement une erreur d’exécution ou une faute de l’opérateur, c’est d’abord un manquement du management. Sachant que l’employé de sécurité n’était en poste que depuis 3 jours, on peut se demander s’il avait les connaissances ou les réflexes nécessaires pour bien exécuter sa mission. Mais même compétent, la fatigue a pu avoir un effet inhibiteur car comme le montrent de nombreuses études elle « touche tout le monde, quelles que soient les compétences, les connaissances et l’entraînement[1]. » Ses effets sont connus : une diminution de la motivation à l’égard des tâches, un temps de réaction plus long, une diminution de la vigilance, un manque de concentration, une mauvaise coordination psychométrique, des problèmes de mémoire et de traitement de l’information, et un mauvais jugement. Malgré cela, le management ne semble pas spécialement ému et continue dans de nombreux cas à augmenter la charge de travail de ses employés accroissant significativement le risque d’erreur, mettant en danger la santé des personnes voire la performance de l’entreprise.

J’ai mentionné la peur de l’erreur qui est endémique dans les entreprises, mais j’aurais pu tout aussi bien parler de la peur tout court qui émane d’une culture de contrôle des individus ; une culture qui repose sur une logique de découplage entre autorité et responsabilité. La responsabilité est imputée aux opérateurs alors que l’autorité revient aux chefs. Comment ne pas voir dans cette division, une source massive d’inefficacité et de risques ? Dans le cas qui nous concerne, il y avait une procédure. L’opérateur devait prendre contact avec les pompiers. Mais il préfère appeler son chef. Pourquoi ? On l’imagine mal complètement ignorant, on peut donc conjecturer à l’inverse qu’il se sent responsable mais ne sent pas qu’il y a l’autorité nécessaire pour prendre la bonne décision. La grande faiblesse d’une culture du contrôle est de croire qu’une procédure est suffisante pour éviter les méprises.

Dans le cas de Notre-Dame, cette culture du contrôle se manifeste aussi dans les systèmes techniques. Le système de sécurité-incendie de Notre-Dame est, sur papier, remarquable, sauf que sa complication le rend complètement inutile. L’entreprise qui employait le préposé à la sécurité assure que celui-ci a bien transmis les informations critiques à l’agent, mais au vu du temps que cette opération a duré – environ 30 minutes – on peut en douter.

Il aura donc fallu plus de 30 minutes pour interpréter correctement les données du système. Ce délai, qui fût fatal à la charpente de Notre-Dame et plus généralement à la capacité des pompiers à faire leur travail, devrait nous inciter à repenser l’efficacité voire le bien-fondé des solutions techniques que nous utilisons. Et en particulier se poser la question suivante : est-ce que nos systèmes d’information ou nos processus améliorent les capacités de nos employés à bien faire leur travail ou les entravent-elles ? Ainsi lorsqu’on parle de digitalisation, on s’empresse de souligner les gains de performance mais on oublie aussi de parler de la complication qu’elle peut générer pour les métiers (plus de plateformes, plus d’information, plus de règles, de rapports, etc…) ; or, ajouter de la complication dans des systèmes complexes comme les organisations aggrave significativement les risques et diminue fortement la performance[2].

Ainsi, à l’origine du désastre, on perçoit un management défectueux tant des hommes que des systèmes d’information ; une indifférence aux conditions de travail, une croyance démesurée dans la vertu des procédures, et dans l’infaillibilité d’objets techniques sophistiqués.

La catastrophe de Notre-Dame devrait aussi nous inciter à repenser le management en fonction des décisions et des attitudes qui se sont exprimées pendant ces moments décisifs. Ce sera le thème du procain épisode.

 

[1] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4525425/

[2] https://www.ted.com/talks/yves_morieux_as_work_gets_more_complex_6_rules_to_simplify#t-4750

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Philip Clark

Philip Clark accompagne les entreprises publiques ou privées dans leur processus de changement et de développement organisationnel. Après avoir fondé plusieurs start-up, il a dirigé l'innovation pour Global Services and Solutions chez Orange Business Services. Il enseigne à la HES-SO de Lausanne et à l’Université Mont Blanc Savoie.

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