Feedback avec ou sans culture ?

Dans la vie comme dans les organisations on peut considérer une chose soit sous son aspect technique soit sous l’angle d’une culture. La technique ressort à l’expert, la culture à l’environnement. Mais parfois il y a carambolage. C’est le cas du feedback.

Pour ce qui en est des techniques, elles sont simples à énoncer, plus difficiles à mettre en pratique. En voici une :

1) Demandez si la personne veut recevoir un feedback. Si c’est dans un cadre professionnel, cette question n’est pas nécessaire.
2) Commencez par les comportements positifs (les humains ont tendance à faire une fixette sur le négatif)
3) Amenez les comportements à améliorer en utilisant vos notes et en parlant à la première personne (objectivité)
4) Expliquez les effets que vous avez observées (conséquences)
5) Offrez la possibilité à la personne d’amener ses solutions ou proposez vos mesures d’amélioration.
6) Finissez sur une note positive

D’un point de vue technique, le premier point dans son ensemble se justifie. Après tout, au travail, ce qui compte c’est l’exécution de la tâche. On voit donc mal un manager demander à son subordonné s’il accepterait un feedback. D’un point de vue culturel, en revanche, demander à la personne si elle veut recevoir un feedback est essentielle. Culturellement, la copule « si c’est dans un cadre professionnel, cette question n’est pas nécessaire. » sonne le glas de l’exercice. Pourquoi ?

Parce que le feedback requiert comme condition absolument nécessaire la confiance or ce que la technique ne dit pas, ce qu’elle prend pour argent comptant, c’est justement son existence. Or, dans le milieu professionnel, la confiance ne va pas de soi. Et puis, lorsque l’on parle de confiance, on a une fâcheuse tendance à la situer dans un contexte psychologique alors que dans le monde du travail, elle est essentiellement d’ordre éthique. Ainsi, un manager qui se positionne face à son collègue comme courroie de transmission d’une direction prend à son compte l’éthique de l’organisation. Ce qui veut dire que quel que soit sa bienveillance collaborative ou son désir de communiquer, si l’organisation à laquelle il appartient ne remplit pas les conditions éthiques auxquelles souscrit son collègue, il ne pourra pas construire une relation de confiance. Et par conséquent, en évitant le consentement de son subordonné, de fait, il crée une dissonance cognitive qui aura pour but d’accroître sa méfiance.

Dans ce cas, la 2e technique qui consiste à commencer par un compliment n’aura pas l’effet escompté. Au contraire, elle raidira toute personne un tant soit peu alerte qui soupçonnera à raison un effet de manche. Parler à la 1ere personne n’y changera rien. Quant à l’objectivité, on voit bien qu’elle aussi sera sujette à caution. Car qu’est-ce que c’est qu’un fait ? Prenons un exemple : j’ai une tâche clairement énoncée, je ne la fais pas, ou mal, ou en retard, est-ce un problème de compréhension qui pourrait le cas échéant être discuté comme quelque chose d’objectif ? Et bien pas du tout. Une tâche s’insère dans un contexte qui implique un contenu, une nécessité ou encore une faisabilité adéquate. Combien de personnes se voient aujourd’hui bombardées de tâches qu’elles n’ont pas le temps de faire, qui leur semble insignifiantes voire contreproductives. Ainsi concevoir la tâche comme un fait objectif présuppose l’adhésion de celui qui doit l’exécuter. Or cette adhésion n’est jamais demandée, elle est prescrite et donc très souvent devient un problème.

La 4e proposition dans ce contexte aura le même effet que l’utilisation du « je » qui tente d’instaurer une relation personnelle, alors que la tâche est en elle-même impersonnelle. Ici, mentionner les conséquences que le manquement inflige au prescripteur ne mènera pas nécessairement à une sympathie impossible à concevoir lorsque la confiance fait défaut. Ici aussi, cette technique risque d’avoir l’effet inverse que prévu et renforcer la méfiance voire provoquer le dégoût. Côté receveur, l’effet sera celui de la sidération, ce qui veut dire que la 5e technique qui consiste à lui laisser la possibilité d’imaginer une ou la solution sera biaisée par un double désir : parer à l’effet de séduction et satisfaire le prescripteur. En d’autres termes, sans discussion sur la tâche, son origine, sa pertinence, sa faisabilité, le collègue n’aura d’autre choix que de couper court à ses opinions pour mettre fin à ce qui apparaît au terme de ce processus comme un piège ou une purge.

Pour que le feedback devienne ce qu’il est supposé faire, il faut donc trois conditions qui sont toutes d’ordre environnementales : une égalité de point de vue, un sentiment de confiance et de sécurité. Un véritable feedback ne pourra donc pas être efficace sans une culture de coopération basée sur un partage de valeurs éthiques, un processus de délibération, et une forme de convivialité.

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Philip Clark

Philip Clark accompagne les entreprises publiques ou privées dans leur processus de changement et de développement organisationnel. Après avoir fondé plusieurs start-up, il a dirigé l'innovation pour Global Services and Solutions chez Orange Business Services. Il enseigne à la HES-SO de Lausanne et à l’Université Mont Blanc Savoie.

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