Liberté. Égalité. Fraternité. La nouvelle devise de la finance ?

Les choses changent. Elles changent partout sauf dans la finance. Ce que je veux dire c’est que la raison d’être des institutions financières ne semble pas bouger pas d’un iota malgré le tohu-bohu des fintechs. On voit mal d’ailleurs comment il pourrait en être autrement :  comment une activité qui manie et manipule la monnaie sous toutes ses formes ferait autrement que de la faire prospérer.  Et pourtant lorsque je demande à Tom van der Lubbe, co-fondateur de Viisi, la raison d’être de la finance, sa réponse n’est pas le profit, mais de permettre d’atteindre un but.

Atteindre un but, ce n’est pas la même chose que consommer. Atteindre un but c’est prendre en considération le temps qu’il faudra et par conséquent accorder de la valeur à soi et aux choses qu’on vise. C’est une manière de devenir responsable.

Atteindre un but, c’est par exemple, acheter une maison ; c’est l’affaire de Viisi, une entreprise basée à Amsterdam, qui vous accompagne, vous conseille et vous aide à obtenir des prêts en fonction de vos besoins.

La qualité du service règne suprême chez Viisi, mais son projet est de démocratiser le financement des hypothèques via la mise en relation directe entre acheteurs et investisseurs. La disruption est en marche, mais c’est l’esprit dans lequel elle s’inscrit qui m’interpelle. L’objectif n’est pas le chiffre d’affaire en soi mais de faire en sorte que le bien acquis le sera sur le long terme pour l’acquéreur ; comme pour nous rappeler qu’habiter n’est pas une chose triviale. Un mauvais esprit dira peut-être qu’il s’agit d’une démarche essentiellement assurantielle, mais pour cet observateur, le but recherché est de revaloriser l’acte d’acquisition et non l’acquisition elle-même. Un acte qui se veut responsable parce qu’il s’inscrit dans la durée. Je ne peux pas m’empêcher d’y voir là comme un renouvellement de l’éthique protestante à l’ère de crise climatique.

Liberté

Mais ce qui est particulièrement intéressant et opportun, c’est la conjonction entre une raison entrepreneuriale, une raison d’être, une organisation et le monde dans lequel on vit. Pour faire simple, l’entrepreneur est celui ou celle qui n’aime pas qu’on lui dise ce qu’il doit faire. C’est une personne qui aime et chérit sa liberté et qui d’ailleurs ne peut donner le meilleur d’elle-même que sous ces auspices.

Tom van der Lubbe, qui est cohérent avec lui-même, décide donc que s’il n’aime pas recevoir d’ordre, il doit en aller de même pour ceux qui travaillerons avec lui. Avec lui et non pour lui. L’autorité chez Viisi sera donc distribuée et la gouvernance holacratique, c’est-à-dire, pour aller vite : horriblement, passionnément sérieuse à propos du principe de subsidiarité. Jusque-là, on reste plus ou moins dans le connu, même si la notion d’investissement responsable et d’auto-organisation ne sont pas monnaie courante dans la finance voire dans les entreprises en général.

 

Egalité

Si l’on demande à Tom van der Lubbe de nommer le principe premier du management, il répond sans hésiter la sécurité. Tout le monde sait qu’elle est essentielle pour l’engagement. De la même manière qu’une raison d’être permet aux personnes de donner un sens à leur activité et de se connecter aux autres, la sécurité est ce qui permet à l’individu de se développer et de se réaliser. C’est avec le respect des compétences le fondement de la confiance ; la confiance celui de la réciprocité ; et la réciprocité celui de la performance. C’est tellement basique, tellement documenté, qu’on ne peut qu’être surpris de voir les entreprises parler de l’importance capitale de la motivation et de la cantonner, dans les meilleurs des cas, à la participation à la prise de décision alors qu’on sait depuis Maslow et plus récemment grâce aux travaux d’Amy Edmondson[1] que le sentiment de sécurité est le fondement à partir duquel se déploient toutes les autres capacités : émotionnelles, inventives et productives de l’homme. Mais on l’ignore et pour cause, la notion de sécurité contrevient à l’esprit d’aventure et de responsabilité individuelle qu’on nous inculque depuis qu’on a cessé de téter le sein de notre mère. Et puis comment faire ?

La réponse est tellement évidente que tout le monde regarde ailleurs. Si le premier degré de sécurité est matériel (se loger, se nourrir, se couvrir), alors c’est au niveau des salaires qu’elle devrait trouver son application dans les organisations. Contrairement à ce que l’on dit, ce n’est pas le niveau du salaire[2] qui compte mais sa prévisibilité. Nous sommes les fils et les filles d’une période du capitalisme qui a fait du salaire une variable d’ajustement. Rien de plus anxiogène et, comme le savent à peu près tout le monde, des parents aux psychologues en passant par les neurosciences, les effets de l’anxiété sur le comportement sont effroyablement réducteurs et inhibant. Il aura donc fallu en passer par une longue période qui dépréciait l’humain à un tel degré de profondeur pour imaginer que de le soumettre à l’arbitraire d’une révocation allait le motiver à agir le plus efficacement possible.

Chez Viisi, tous les salaires sont connus et assurés sur une période de 40 ans. Non seulement les montants sont connus mais leur progression est planifiée. De la sorte, lorsque vous travaillez chez Viisi, vous n’avez pas à vous préoccuper de ce que vous gagnerez pendant les 40 prochaines années. Votre salaire grimpe chaque année en fonction de l’évolution globale de l’industrie telle qu’elle est calculée par les services statistiques du gouvernement. Mais pour être encore plus sécurisant, Viisi s’engage à ce qu’ils se situent dans les 25 percentiles les plus élevés, ce qui revient à dire dans la fourchette haute des rémunérations.

Autre décision : la disparition complète des bonus qu’ils soient individuels ou collectifs.

Sous couvert d’argent, on parle ici de motivation. On sait que les bonus ont été pensés et sont utilisés pour booster les résultats. On cherche à stimuler les comportements les plus performants par le biais d’une gâterie. Il fallait là-aussi en passer par une période où les comportements étaient compris comme le résultat du couple punition-récompense comme pour les souris.

Or rien n’est plus faux. Si des bonus/malus extrêmes sont efficaces sur le court terme, ils sont contre-productifs sur le long terme. Par exemple, si le dilemme est de recevoir CHF 50.000 pour atteindre X ou d’être licencié, il est clair qu’on sera très motivé pour atteindre le résultat souhaité, mais cette motivation sera de courte durée et suivie par un immense ressentiment : celui d’avoir été menacé dans son intégrité. Ce que l’on sait aujourd’hui c’est que la motivation externe (bonus) se fait au détriment de la motivation interne (passion) : si vous proposez une récompense pour une action, les personnes perdront leur motivation interne pour la faire.

Fraternité

Tom van der Lubbe parle parfois de la « Règle d’Or » : traiter les gens comme on aimerait être traité par eux. Ainsi, chez Viisi, ce n’est pas la personne qui est mis au centre de l’organisation, mais la famille. Or il est arrivé que le père d’un employé qui vivait en Espagne tombe gravement malade. Non seulement, son fils a pu se rendre à ses côtés mais pour une période indéterminée. Aucune justification n’était nécessaire. Si ses collègues se sont inquiétés du volume des affaires à traiter en son absence, la réponse fut simple : et si cela vous arrivait, que souhaiteriez-vous que nous fassions pour vous ?

Ici, la fraternité se traduit par une sorte de loyauté. Pour Tom van der Lubbe, si l’on demande à une personne de donner son maximum pendant 8h par jour, alors il est important, nécessaire et juste que s’il lui arrive quoique ce soit, l’entreprise prenne soin de lui. On est loin des « avantages » octroyés avec le salaire. On est dans la réciprocité qui est, avec la sécurité, une des conditions essentielles de la coopération.

On a tout oublié de cette condition nécessaire à l’engagement. Certes, l’humain est adaptable et peut survivre dans des conditions extrêmes de privation et de dénuement. Il peut produire dans des environnements toxiques où la relation avec son employeur est totalement asymétrique : il demande le maximum de vous, de votre temps, de votre passion, de votre sacrifice mais vous trahit à la première l’occasion. On s’est habitué à cela, mais quel est son effet sur la qualité du travail ? Au mieux, il sera sous-optimal pour la grande majorité des personnes – toutes sauf pour les hyper-ambitieux et les accrocs à la compétition – ce qui veut dire que la performance des organisations est, elle-aussi, sous-optimale. La question est simple : peut-on encore se permettre ce type de gaspillage ?

Dans ces dernières conférences, Simon Sinek, reprend cette asymétrie est en fait l’ennemi numéro 1 du leadership. Un vrai leader se définit par son courage, son aptitude à monter au créneau si la situation le demande. Il nous rappelle que tout le monde accepte assez facilement que le chef soit mieux rémunéré, qu’il profite d’un statut privilégié, et soit le bénéficiaire d’avantages importants, mais seulement si, le moment venu, il se mobilise pour défendre son entreprise et ceci au prix de sa « vie ». C’est ça le deal, le vrai deal : richesse, honneurs et pouvoir contre « la vie ». C’est ce qui explique le ressentiment que beaucoup de personnes éprouvent devant les rémunérations mirobolantes de certain(e)s CEO ; non pas parce qu’ils/elles sont extrêmement gâté(e)s mais parce qu’ils/elles n’agissent pas comme des chef(fe)s lorsque le danger se fait menaçant.

Chez Viisi, cette asymétrie s’est volatilisée. L’entreprise, comme personne morale, le terme est pour une fois bien choisi, assume ce rôle de leader, prend le risque et assume sa responsabilité en retour de sa demande d’engagement.

Je ne peux pas m’empêcher de voir dans cette histoire, le tournant important que devront prendre d’une manière ou d’une autres les entreprises à l’époque de la catastrophe écologique : s’inscrire dans la durée, revaloriser ses activités en fonction d’un bien commun, prendre soin de son projet comme des personnes qui y sont associées, rester flexibles, curieuses, et passionnées.

Qui aurait pu penser une minute que la réponse à notre crise se cache dans la devise de la République : Liberté, Egalité, Fraternité.

 

[1] Amy Edmondson, The Fearless Organization, Creating Psychological Safety in the Workplace for Learning, Innovation, and Growth, Wiley, 2019

[2] Du moment qu’il permet de vivre convenablement

L’entreprise mode d’emploi ou les ressorts managériaux de la raison d’être

Résumé

La raison d’être est souvent mentionnée en passant, pour ne pas dire escamotée. Pour beaucoup, elle sera au mieux de l’ordre de l’aspiration ce qui revient à dire qu’elle devra céder le pas à la réalité si celle-ci devenait mauvaise. Bien pensée et surtout mise en pratique, la raison d’être est en réalité un outil technique qui permet non seulement de comprendre le fonctionnement de l’entreprise (en lui donnant un sens) mais aussi comment la réparer si besoin était, ce qui peut arriver. Elle permet de résoudre certaines tensions endémiques aux organisations en liant l’intérêt individuel et l’intérêt général, les compétences dites « soft » ou « hard », la volatilité du marché et la dynamique d’engagement.

Le mode d’emploi

C’est Daniel Hofmann, « co-patron » de Metallover, qui appelle ainsi le document qui sert de base à la dynamique collective de son entreprise qu’il a écrit, alité et souffrant suite à une hernie discale qu’on venait d’opérer.

Il y a beaucoup de choses dans un mode d’emploi et de très nombreux thèmes sont articulés dans celui de Daniel Hofmann, depuis la raison d’être jusqu’à la gestion des conflits en passant par la description des activités, les compétences, la structure, l’organisation etc… Un mode d’emploi, comme le dit Georges Perec, est comme quelque chose qui tente d’accomplir jusqu’au bout un programme. Accomplir jusqu’au bout un programme voilà très précisément de quoi il va s’agir.

Metallover est une entreprise d’ouvrages métalliques genevoise vieille de plus d’un demi-siècle co-dirigée depuis 1998 par Daniel Hofmann et par son frère Frédéric. Si vous allez la visiter vous trouverez ce que vous voyez un peu partout : un atelier, un bureau administratif, des directeurs. A priori donc pas grand-chose de différent d’autres entreprises et pourtant, rien de banal chez Metallover.

Vous avez dit « radical » ?

Les raisons pour lesquelles j’ai envie de parler de Metallover – autre que le respect que j’éprouve pour la personne de son directeur – c’est qu’elle est une entreprise locale (il se passe donc des choses ici aussi), qui travaille dans une industrie vieille de plus de 3000 ans, (depuis que l’homme travaille le fer) ; modeste par sa taille et l’attitude de ses dirigeants, et qui, pourtant, a réussi à instaurer, une culture d’entreprise à la fois traditionnelle et totalement radicale, au sens étymologique « de qui se rattache à la racine. » Car lorsqu’on parle d’entreprise « libérée », « opale » ou « à mission », on a tendance à les imaginer « radicales » au sens de totalement différentes des autres, ce qui, d’une part est faux, et d’autre part, a pour effet de freiner les transformations nécessaires et en grande partie désirées.

Comment allier tradition et disons modernité ? En étant rigoureusement honnête. Coté média, je ne pense pas avoir entendu un seul patron qui ne désirait des personnes compétentes, responsables et engagées, qui pensent et mettent leur talent au service du projet de l’entreprise ; coté réalité du quotidien, rien ou presque ou le minimum, ou n’importe quoi comme par exemple se vanter d’avoir implanter des méthodes agiles sans en respecter ni la rigueur ni les conséquences sur l’organisation.

Alors voilà : ce qui est intéressant dans Metallover, c’est qu’il n’y a pas eu d’allégeance à quoi que ce soit de nouveau, de disruptif, ou de je ne sais quoi mais plutôt une réflexion sur l’activité, son sens, et comment en faire une expérience collective mémorable[1].

A première vue, la structure est toujours « hiérarchique », les bureaux cloisonnés et le chef reconnu comme tel. Ce qui a changé c’est le degré d’autonomie, les processus délibératifs, la coopération comme dynamique d’action collective. D’un côté donc, la coque est traditionnelle – elle permet de flotter – mais de l’autre c’est l’équipage tout en entier qui est à la manœuvre et qui permet d’avancer. Dit différemment, au-delà du rôle de chacun, la viabilité de l’entreprise est l’affaire de tous.

Au centre du mode d’emploi, la raison d’être

Si l’on pressent que la raison d’être peut jouer un rôle important dans la manière dont une organisation va opérer, ce n’est pas souvent qu’on touche du doigt comment elle percole et se traduit dans tous les domaines de l’entreprise. Comment elle façonne de manière très concrète le dispositif productif.

L’énoncé de la raison d’être tient souvent en une phrase.[2] Il est rare en revanche de trouver une description complète de la manière dont elle irrigue, oriente, et façonne le quotidien. Au fond, la raison d’être d’une organisation est souvent discrétionnaire. Chez Metallover, elle est non seulement explicite, elle est contraignante, mais pas à la manière d’un règlement ou d’une « constitution » comme dans le cas de l’Holacracie. Ici, il y a un objet – l’entreprise –, une description de sa fonction, de ses composants, de leur fonctionnement mais aussi de comment en prendre soin et les réparer le cas échéant. C’est donc véritablement un mode d’emploi.

Une de ses fonctions principales du mode d’emploi est de distancier la marche de l’entreprise de son chef ou de son fondateur. Alors bien sûr, son contenu, sa forme, ses mots peuvent être marqués par le sceau de celui qui l’a écrit, ici Daniel Hofmann et qui, dans ce document, exprime ses propres convictions et ses propres affects. Mais ceci est fait dans le but express de briser ce que la tradition attribue au chef, à savoir un statut au-dessus des autres et son immunité. Ainsi, en signant ce mode d’emploi, Daniel Hofmann devient un collaborateur comme les autres qui aura pour objectif premier, comme celui d’ailleurs de tous, de maintenir et de développer les activités de l’entreprise en fonction de sa raison d’être.

Une raison d’être a pour but de clarifier ce pourquoi on fait ce que l’on fait ou dans quel esprit ou encore de désigner les matériaux qui serviront à construire l’entreprise. On comprend donc qu’elle aura à voir avec l’identité de l’organisation, au-delà donc du métier, de la même manière qu’une personne n’est pas seulement ce qu’elle fait, mais ce qu’elle pense, se comporte et agit. C’est en cela que l’entreprise devient unique. Et ce faisant, elle existe comme entité à part entière et forme un commun[3].

Comment la raison d’être se décline-t-elle ?

L’identité de Metallover est donnée par les trois verbes de sa raison d’être, « se réaliser », « créer » et « partager » qui se déclinent différemment à chaque palier de la pyramide de Maslow.

Par exemple, « se réaliser » commence avec un bon salaire permettant une vie équilibrée, continue avec la fierté de la tâche bien accomplie, et peut finir dans un désir de se réaliser comme personne, de développer son humanité, voire sa spiritualité.

De la même manière, « créer » peut se comprendre comme les ouvrages que l’entreprise réalise, mais aussi par l’innovation et donc la prise de risque et culmine dans la notion de sécurité psychologique que l’on doit à Amy Edmondson, professeur à l’université de Harvard[4]. Il s’agit pour l’entreprise et pour son management de créer et de maintenir un espace sécurisé dans lequel chaque personne pourra s’exprimer au-delà de son rang, de sa fonction, de son titre, ou de son statut avec la certitude que ses idées seront prises en considération lors d’une décision.  Chez Metallover, cela se traduit, au niveau des relations entre individus par le respect et l’écoute, au niveau des décisions par la déférence à l’expertise quel que soit l’âge ou le statut, et pour ce qui en est des investissements, par un processus de sollicitation. Toute personne peut adresser une requête à la comptabilité pour l’achat d’une machine par exemple sans la faire poinçonnée par Daniel Hofmann à condition qu’elle ait recherché et pesé les avis des collaborateurs concernés.

Quelques conséquences non négligeables

Qu’est-ce qu’un collaborateur ?

Si « se réaliser », « créer » et « partager » sont les piliers sur lesquels l’entreprise est bâtie alors le collaborateur ne peut plus être considérer comme un simple exécutant qui obéit ou qui doit demander la permission. On rejoint ici l’histoire du commandant David Marquet qui demandait à ses hommes d’équipage de cesser de dire : « je voudrais », « je pense faire ceci ou cela », « je suggère » etc… mais par « j’ai intention de faire ceci ou cela… » Dans les deux cas, celui de Metallover et du sous-marin USS Santa Fe, le collaborateur assume pleinement la responsabilité de sa décision. Laissez les personnes dire « j’ai l’intention de …» et vous créez une organisation qui valorise les compétences.

Ainsi on retrouve dans le mode d’emploi de Metallover une section qui décrit le collaborateur en ces termes : ils-elles sont :

  • des adultes créatifs, réfléchis et fiables
  • capables de prendre des décisions importantes (sollicitation de leurs avis)
  • des collègues sur qui l’on peut compter
  • responsables de leurs actes et de leurs décisions
  • faillibles : les erreurs faisant partie de la vie, elles leur permettent d’évoluer et de grandir
  • irremplaçables : par leur talent et leur « savoir-être », ils-elles désirent apporter une contribution positive à l’entreprise

Ces cinq points pourraient faire l’objet de très nombreux commentaires. Mais la première chose qui saute aux yeux c’est que, de la conception de la personne qu’on se fait, découle directement de la raison d’être et de cette dernière un mode de management. Sans elle, on retombe dans la conception atrophiée qu’en donne l’économie (être égoïste et tire au flanc indécrassable) ou taylorien comme un organisme décérébré qui n’a qu’à suivre des instructions (simple exécutant). Même si cela paraît un peu trop tranché, demandez-vous à quelle conception de la personne renvoie votre management et comment, en réalité, il se calque sur elle.

Le premier mot résonne comme un point d’orgue à une longue litanie d’hésitations. Adulte :  tiens, tiens ! Pas besoin d’un diplôme en PNL, pour sentir que cela implique l’autonomie et la liberté. Et à partir de là, les relations entre les personnes qui, visant à renforcer la viabilité de l’entreprise, ne peuvent être que coopératives, c’est-à-dire mutuellement engagées dans la progression de tous : alliage indispensable à la fusion du bien individuel et du bien collectif.

Notons aussi la notion de faillibilité, élevé ici à un principe, et non à une vague intention.  On parle souvent de cultures qui accepteraient voire encourageraient les échecs et qui, du coup, stimuleraient la prise de risque et par conséquent l’innovation. Mais qu’en est-il dans votre organisation ? Chez Metallover, l’échec n’est pas considéré comme une faute qu’il faudrait d’une manière ou d’une autre sanctionner mais comme une erreur. La différence est notable car toute erreur peut être corrigée, et céder la place à un apprentissage et donc renforcer l’engagement des personnes, alors que la faute doit s’expier, qu’elle isole et culpabilise.

Quelle structure ?

Finalement, vous trouverez dans ce fameux mode d’emploi, les répercussions de la raison d’être sur la structure et l’organisation qui sont ici indissociablement liées. Il s’agit de quatre phrases

  1. L’organisation et le fonctionnement de l’entreprise sont le fruit de l’intelligence globale des collaborateurs, liés à la raison d’être et à la mission de Metallover sa.
  2. Les compétences, talents professionnels et humains de chacun, liés à la raison d’être de l’entreprise sont l’essence même de structures épurées et d’une organisation simplifiée.
  3. L’organisation n’est pas figée : en évolution permanente, elle s’adapte aux conditions et circonstances du moment.
  4. Il n’y a pas de contrainte à son évolution.

Surprenant que ce soit l’intelligence collective qui ouvre la description de la structure alors qu’on la représente d’habitude comme un empilement de petites boîtes les unes sur les autres dans ce que l’on appelle un organigramme. Parler d’intelligence collective comme pivot de l’organisation, c’est tout de suite prendre le parti de l’efficience maximale comme le démontrent de très nombreuses études[5]. Et ceci pour la raison suivante qu’en respectant les points de vue de chaque personne dans des dispositifs de délibération, elle permet de créer une compréhension plus fine des situations, des problèmes, ou des obstacles que l’entreprise rencontre et donc de prendre des décisions plus informées et donc meilleures.

L’intelligence collective c’est aussi et surtout une certaine manière de gérer les interactions entre les personnes. Elle implique un type de comportements que le mode d’emploi décrit dans la section « compétence » et qui comprend outre la maîtrise des métiers la responsabilité, l’écoute, le « savoir vivre » et l’ouverture d’esprit. Ce qui m’amène à la réflexion suivante. On parle souvent de « soft skills » et de « hard skills » comme s’il s’agissait de deux choses opposées. L’intelligence collective les unit en une seule et même capacité. C’est une leçon que de nombreuses entreprises devraient suivre.

A cette lecture, on découvre aussi que la structure évolue vers plus d’agilité non pas en fonction de décisions plus ou moins réactives à l’environnement ou aux bon vouloir des dirigeants mais en fonction du degré d’autonomie des personnes impliquées, autonomie qui se fondent sur des compétences. La boucle est bouclée.

Enfin, la structure et l’organisation ne sont jamais figées. Qu’est-ce que cela veut dire ? On l’a vu, l’évolution n’est pas décrite comme une réaction mais comme une dynamique interne à l’entreprise, perçue comme un tout indépendant de ses composantes. Libérée d’une sujétion aux personnes qui la composent, une organisation intègre son évolution constante non pas comme une série de perturbations dont il faudra se protéger mais comme son état naturel, ce qui conduit le collectif à développer une autre compétence qui est celle du changement et de son accompagnement. Faire du changement une capacité organisationnelle plutôt qu’une réponse ponctuelle à des évènements disjoints, c’est aussi une des dimensions de l’agilité.

Que peut-on conclure de tout ça ?

La première conclusion concerne le rôle de la raison d’être qui n’est pas simplement une aspiration mais un mode opératoire. Ce qu’elle construit lorsqu’elle se décline dans tous les aspects de l’entreprise ce n’est pas une forteresse mais une entité qui non seulement s’adapte mais cherche à tirer de chaque situation le maximum de bénéfices. C’est la différence que fait Nassim Nicholas Taleb entre robuste et antifragile[6]. Ce qui est robuste résiste aux chocs, ce qui est antifragile se renforce avec eux.

Est-ce que tout cela garantit gloire et richesse ? Non, pas vraiment. Metallover a connu des hauts et des bas, des années de vaches maigres et des années de vaches grasses. L’entreprise est sujette aux mêmes fluctuations, aux mêmes difficultés qui accablent toute activité mais elle les vit de manière différente, comme une épreuve de sa raison d’être et non comme une fatalité. Il y a quelque chose de très important là : dans les entreprises à mission, comme Metallover, chaque choc est une occasion de s’améliorer, de progresser, d’apprendre ; dans le cas des entreprises sans mission, chaque choc est vécu comme une diminution, une contraction qui débouche souvent sur l’abandon des hommes et des activités.

Une raison d’être n’est donc pas une martingale ; c’est une certaine manière de rendre l’action collective résiliente en lui donnant un sens, mais c’est aussi une manière de célébrer le côté précieux, unique et irremplaçable de pouvoir œuvrer ensemble, de grandir ensemble, et de permettre à chacun et à tous de vivre l’aventure professionnelle comme une forme d’épanouissement, ou pour utiliser une vieille expression, de construire ce qui s’appelait une bonne vie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Ce qui ne veut pas dire que Daniel Hofmann ne se soit pas renseigné. Par exemple, lecture du livre de Frédéric Laloux « Reinventing Organisation » fut une sorte de confirmation que ce qu’il envisageait et terme de désidérabilité et de faisabilité.

[2] Celle de Patagonia par exemple : « construire le meilleur produit, ne pas causer de dommages inutiles, utiliser les entreprises pour protéger la nature, ne pas être lier par les conventions. »

[3] La notion de commun fut théorisée par Elinor Ostrom, première femme à recevoir le prix Nobel d’économie en 2009. Il s’agissait pour elle de savoir comment gérer au mieux une ressource – naturelle dans son cas – disponible mais finie pour un ensemble de parties prenantes aux intérêts divergents sur le long terme. Penser l’entreprise comme un commun implique de lui donner un statut à part entière et de la considérer comme un dispositif partagé dont la bonne gestion consiste, comme dans le cas de ressource naturelle, à ne pas l’épuiser. Pour cela, il est impératif de trouver une manière d’équilibrer l‘intérêt individuel à l’intérêt général. Une des conséquences principales, quoique largement ignorée d’une raison d’être est donc de pouvoir appréhender son organisation non seulement sous l’angle d’un dispositif productif mais d’une capacité de production dont il s’agira d’assumer la pérennité.

[4] Si vous êtes intéressés, Amy Edmondson est l’auteur de The Fearless Organization: Creating Psychological Safety in the Workplace for Learning, Innovation and Growth, Hoboken, Wiley, 2019

[5] Par exemple, Anita Williams Woolley, Christopher F. Chabris, Alex Pentland, Nada Hashmi, Thomas W. Malone, Evidence for a Collective Intelligence Factor in the Performance of Human Groups, in SCIENCE, 29 OCTOBER 2010 VOL 330 pp 686-688

[6] Nassim Nicholas Taleb, Antifragile : Things That Gain from Disorder, New York, Random House, 2012, 519 p

Moins, c’est plus… Et si on reconstruisait notre économie en travaillant moins ?

 

Dans un blog du 6 mai, que m’a gentiment relayé mon collègue Clément Demaurex, la CVCI[1] nous invite à ne pas regarder l’après COVID-19 comme une catastrophe seulement mais aussi comme une opportunité : – les nouveaux « protagonistes » qui nous permettrons de réinventer notre travail sont : « l’accélération de la numérisation, des changements de consommation et de production, du développement de la créativité, du télétravail et des nouvelles organisations du travail, du retour à une production locale et de la simplification de certaines procédures. »

L’économie nous dit le CVCI prendra du temps à se remettre mais doit-elle se remettre comme avant ? Cette question est purement rhétorique car la réponse est évidente : non. Tout simplement parce que l’on sait que cette crise est lovée à l’intérieur d’une crise autrement plus vaste, plus urgente, et plus dangereuse que l’on appelle (à tort) la crise climatique. Mais, comme le dit très bien Bruno Latour ce que l’État a pu faire dans le cas du COVID-19 – c’est-à-dire imposer un confinement radical, l’arrêt de tout l’appareil productif national – , il ne le peut pas dans celui de la crise climatique.

En revanche, les entreprises et les organisations en général peuvent faire quelque chose de concret, d’avantageux, de régénératif et d’écologique, tout de suite.

Cela faisait longtemps que je voulais écrire sur la semaine des 4 jours tout en sachant que même si je relayais les excellents les résultats de sa mise en place en Suède, en Nouvelle Zélande ou aux États-Unis par exemple, l’effet serait tout au plus celui d’une simple curiosité. Après tout ne sommes-nous pas ceux et celles qui avons rejeté l’initiative populaire « pour la réduction de la durée de travail » en 1988.

Mais voilà que nous sommes confrontés à une situation différente. Aujourd’hui, il s’agit de reconstruire notre économie en sachant qu’elle sera de plus en plus à la merci de ce que Nicholas Nassim Taleb a appelé des cygnes noirs, c’est-à-dire des événements impossibles à prédire et dont les effets sont désastreux. En moins de 15 ans, nous en avons vécu deux d’abord avec la crise financière de 2008-2009 et maintenant avec la crise sanitaire. Mais il n’y a pas que les cygnes noirs, il y a aussi l’extrême volatilité qu’on pourrait appeler « quotidienne », celle des marchés, des élections, des clients, des taux de change, du prix des hydrocarbures, des innovations techniques, etc… Or dans un environnement incertain, prédire et prévoir perdent leur efficacité. Le passé ne peut plus informer le présent, encore moins le futur. Les actions justes ne peuvent plus se prendre sur des recettes ou des modèles mais sur des principes car l’efficacité d’un principe ne se trouve pas dans sa capacité à résoudre des problèmes reconnus et compris correctement, mais dans le traitement des nombreux problèmes qui sont incomplètement compris, mal compris, ou pas vus du tout. Le comprendre et l’explorer c’est se donner les possibilités de trouver des réponses concrètes à chacune des situations qui sont les nôtres.

 

« Une illusion en moins, c’est une vérité en plus » Alexandre Dumas Fils

Il est donc temps de repenser la semaine des 5 jours ou des 42h. Pourquoi ? Parce qu’une diminution du temps de travail est meilleure pour les familles et les personnes – comme l’a montré pour beaucoup d’entre nous notre petite parenthèse de confinement – ensuite parce qu’elle meilleure pour l’économie, enfin parce qu’elle est meilleure pour le climat.

J’imagine la perplexité de certains et peut-être même leur indignation à entendre quelqu’un vanter les mérites d’une solution qui, a priori, n’ajoute que de l’huile sur le feu des pertes importantes causées par le COVID-19, sur la montée en flèche du chômage, et sur les difficultés financières qu’éprouvent de très nombreuses personnes ou entreprises. Mon propos n’est pas polémique, il se veut au contraire force de proposition.

Vivre dans un monde incertain veut dire que nous devons revisiter nos croyances les plus enracinées et, dans le monde du travail, notre modèle mental dominant est celui des horaires de travail alors que tout le monde sait qu’une même tâche peut prendre plus ou moins de temps en fonction de celui qui l’effectue, du contexte dans laquelle est effectuée, de son urgence ou de sa nécessité et surtout que le profit dépend des objectifs atteints et non d’un cadre horaire.

Il est donc grand temps 1) de saisir ce que « vivre » dans l’incertain implique 2) d’expliciter nos actions en fonction de principes et non d’un soi-disant « bon sens » lorsque ce dernier désigne des habitudes ou des martingales qui ont fonctionné dans le passé 3) d’en tirer les conclusions, à savoir de s’autoriser à repenser nos a priori, ne serait-ce que pour voir ce qui pourrait émerger sachant que ce qui a été ne pourra pas ou plus nous assurer la paix et la sécurité que l’on recherche.

Ainsi la semaine de 4 jours, n’est pas du tout une insulte ou une boutade d’enfant gâté, mais une proposition qui vise à lier économie, santé, environnement et vie personnelle d’une manière à la fois plus efficiente et agréable.

 

Et les gagnants sont…

En 2018, Andrew Barnes[2], le directeur de Perpetual Guardian, un cabinet notarial d’Auckland en Nouvelle Zélande tombe sur deux études. La première[3] montre qu’une personne ne travaille de manière productive que pendant 3h par jour, la seconde[4] que les distractions au travail peuvent avoir des effets similaires à la perte d’une nuit de sommeil ou à la consommation de marijuana.

Intéressé, mais prudent, il décide de lancer un pilote dans son entreprise et pendant 2 mois de mars à avril 2018 limite le travail de ses employés à 4 jours. Parallèlement, il demande à deux universitaires d’étudier les effets de cette réduction de travail sur la performance de son entreprise.

Les résultats sont surprenants.

Jarrod Haar, professeur de ressources humaines à l’université de technologie d’Auckland, relève une amélioration de 24 % de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée parmi les employés, et un regain d’énergie lorsqu’ils retournent au travail après leurs jours de congé.

De leur côté, les managers constatent que leurs collaborateurs sont plus créatifs, plus ponctuels, qu’ils écourtent leurs pauses et ne quittent plus le bureau trop tôt. Les réunions passent de 2h à 30 min. On découvre que les personnes ne travaillent pas plus mais mieux, de manière plus intelligente, en d’autres termes que la réduction des heures de travail augmente la productivité individuelle.

Mais il y a plus encore. Travailler 4 jours modifie aussi le contenu contractuel qui d’un nombre d’heures passe à un nombre de tâches qui si elles sont réalisées en moins de temps ne pénalisent pas la personne.

Andrew Barnes, constatant que le travail est fait et mieux fait en 4 jours qu’en 5, décide donc de rémunérer ses employés comme avant, ce qui leurs permet de conserver leur pouvoir d’achat et les motive d’autant plus.

Selon lui, ce sont les mères qui travaillent qui bénéficient le plus de cette politique, car celles qui reviennent au travail après un congé de maternité négocient souvent des horaires à temps partiel, mais effectuent l’équivalent d’un travail à temps plein.

Enfin les effets se font aussi sentir ailleurs au sein de l’entreprise qui économise tout d’un coup jusqu’à 20% de son énergie et pour la ville dans la mesure où les 240 employés de Perpetual Guardian ne viennent pas augmenter les bouchons de la capitale new zélandaise au moins 1 jour par semaine.

Il est bon de savoir qu’à la fin de cette période de test, la semaine de 4 jours devient la durée officielle de Perpetual Guardian.

 

Il y a autant de solutions que d’organisations

Il y a dans cette idée de réduction de travail de très nombreuses variantes mais l’impact reste le même : une meilleure vie, une meilleure atmosphère et surtout un meilleur rendement[5].

Par exemple, la ville de Göteborg en Suède a réduit la durée du travail à 6h par jour et constate que ses employés ont le même voire un rendement supérieur.

La même chose a été mis en place dans des hôpitaux et dans des EMS. On assiste alors aux mêmes effets. Dans ces cas cependant, il a fallu embaucher plus de personnes ce qui a diminué les gains de rendement. Ceci dit, à la fin, on s’en sort mieux. Les personnes travaillent à 100% et non à 60 ou 80%, l’absentéisme, les arrêts maladie, le stress, la fatigue, et de très nombreux incidents ont largement diminué. A la fin la société, l’organisation et les personnes sont gagnantes.

D’autres entreprises ont permis aux employés de travailler des semaines plus courtes en comprimant la norme de 40 heures en moins de jours, ou ont permis aux gens de travailler à temps partiel pour un salaire réduit. Tout est possible et tout dépend de l’organisation.

En conclusion, la semaine de 4 jours représente pour moi une véritable réponse à ce que l’on vient de vivre, à ce que l’on vient d’expérimenter tous en tant que personnes dans toutes les dimensions de notre vie : famille, travail, corps et esprit et je ne parle même pas de ce que nous avons découvert en explorant et en exploitant les nouveaux usages amenés par les nouvelles (et pas si nouvelles) technologies.

Certains diront que même si cette proposition fait du sens, elle sera difficile à mettre en place. Mais rien de tel qu’une forte contrainte pour réaliser une forte ambition.

D’autres rêvent de revenir à l’avant COVID-19, utiliserons toutes sortes d’arguments, toutes sortes d’excuses ou de haussements d’épaule pour nous dire qu’en réalité ce qui nous est arrivé n’est qu’un accident dans une dynamique parfaitement légitime mais ce qui est certain c’est que la semaine de 4 jours va dans le sens de l’agilité, de la résilience, de la coopération voire de la justice, c’est donc l’avenir.

 

 

 

 

 

 

 

[1] https://www.cvci.ch/fr/communication/blog/details/news/le-redemarrage-economique-demandera-de-laudace-et-du-courage.html?utm_medium=email&utm_campaign=CVCI_2020_05_08&utm_content=CVCI_2020_05_08+CID_722d97dbebf7fd0d1a92686638ebfff7&utm_source=MailingList&utm_term=La%20suite%20est%20sur%20le%20blog%20de%20la%20CVCI

 

[2] Ces informtions sont basées sur un article de New York Times : https://www.nytimes.com/2018/07/19/world/asia/four-day-workweek-new-zealand.html

[3] https://www.businessinsider.com.au/8-hour-workday-may-be-5-hours-too-long-research-suggests-2017-9?r=US&IR=T

[4] https://www.economist.com/finance-and-economics/2017/12/07/are-digital-distractions-harming-labour-productivity

[5] Certains lecteurs trouveront qu’il manque la mention de l’initiative française des 35 heures largement critiquée et remise en cause. On pourrait en discuter longtemps. On pourrait aussi débattre de ce lieu commun qui lie de longues heures de travail à la compétitivité et à la productivité. Les exemples que je donne montrent que tout ceci n’est vrai que dans la mesure où l’on ne se donne pas les moyens d’agir…

Pourquoi la collaboration est si nuisible à la performance des organisations ?

Quel est le problème avec la collaboration ? A priori, tout le monde, ou presque, s’entend pour dire que c’est le futur des entreprises, des organisations et même du travail.

Le problème c’est qu’on voit mal sur quoi elle débouche. Alors oui, d’un côté c’est une évidence : on collabore dès qu’on est plus que trois et que notre activité atteint un certain seuil de complexité. Mais est-ce que collaborer signifie autre chose que la nécessité d’être ensemble pour réaliser une tâche ou un projet qu’on ne peut pas faire tout seul. Si oui, que nous dit-elle de cette manière de travailler ? Alors c’est vrai qu’on emploie souvent ce terme pour désigner des interactions, des comportements, des types de relations plus « humaines » entre justement des « collaborateurs », terme qui, comme par hasard, remplace celui plus sec et plus désincarné d’employé qui traduit la réalité des personnes. Ma thèse sera la suivante : en soi la collaboration ne dit rien sur la dynamique organisationnelle. C’est une notion floue qui, de plus, confond et rend invisible la nature des véritables interactions entre les gens. Il est donc nuisible à la performance des organisations qui ont besoin de clarté et de repères.

J’en veux pour preuve ceci : on dit par exemple que les collaborateurs ont des objectifs communs, mais n’ont-ils pas aussi souvent des objectifs concurrentiels ? Lesquels l’emporteront ? Et puis n’est-il pas vrai que l’objectif commun ne représente généralement qu’une petite partie de leurs responsabilités ? Alors comment l’investir, comment le mesurer, comment le vivre ? Et qui arbitrera les différents ? Résultat, on confond collaboration et travail d’équipe dans laquelle les actions sont interdépendantes, les décisions sont communes ou très rarement unilatérales, et l’autorité clairement identifiée. Rien de tout cela dans la collaboration.

Tout ceci est rendu encore plus opaque par la place centrale qu’occupe l’individu dans l’imaginaire de la réussite. On parle très souvent de cheffes, de leader, d’employé du mois ou de la semaine, bref de héros, d’individus aux super-pouvoirs comme si cela traduisait la réalité de l’efficacité du travail. La collaboration – qui n’existe dans aucune discipline systémique, biologie, physique, ethnographie, sociologie – c’est l’action collective vue depuis l’individu. C’est 5=1+1+1+1+1 (notez les couleurs pour dire qu’il y en a 1 du marketing, 1 de la R&D, etc…). Ainsi, le manuel collaboratif s’intéresse aux comportements individuels et parle soit d’obéissance et de loyauté, soit de bienveillance, d’écoute, d’empathie, de respect selon qu’on épouse tel type de management ou tel autre.

En réalité, ce ne sont pas les individus qui sont à la source de la réussite des organisations mais leurs interactions. Or ces dernières ne se limitent pas au comportement mais se structurent à partir de la manière dont les personnes perçoivent leurs actions en fonction de celles des autres.

Dans une équipe de foot, la performance – gagner un match – n’est pas seulement le fait de la personne qui marque le but mais de la manière dont les autres (défenseurs, milieu de terrain, ailiers, soigneurs, coach, etc…) conçoivent leur activité comme étant liée au succès du buteur quel qu’il soit et vice versa. Le butteur sait que son succès est dû à la réussite des actions des autres membres de l’équipe.

Il est donc faux de dire que les interactions sont le résultat de l’addition de compétences individuelles mais plutôt que les personnes dans les organisations interagissent à partir de la manière dont elles perçoivent comment leurs objectifs sont liés à ceux des autres.

Quelques définitions

On peut passer maintenant à quelques définitions.

Si la réalisation de mes objectifs a un impact positif sur ceux des autres, on parle de coopération ; si leur réalisation impacte négativement ceux des autres, on parlera de compétition ; enfin si leur réalisation est neutre, on parlera de but individuels. On voit tout de suite que selon l’approche choisie, les affects, l’orientation, l’assistance, la communication, l’influence et les attitudes des personnes seront différentes et par conséquent différents aussi seront leurs comportements, leur performance et leur état de santé.

Il me semble que de très nombreuses confusions engendrées par le terme de “collaboration” peuvent se résumer à ceci : d’un point de vue organisationnel, il n’y a que trois types de dynamiques :  coopérative, compétitive ou individualiste. Rien de collaboratif. La collaboration n’est pas un dispositif structurant. La véritable question est donc de savoir si, sous les dessous d’un discours “humaniste”, vantant les mérites de l’autonomie, de la responsabilité ou du bien-être, les organisations travaillent en réalité à cimenter une culture individualiste, compétitive ou coopérative.

Dans la coopération, les personnes perçoivent la réalisation de leurs objectifs en fonction des objectifs des autres comme étant positivement corrélée : le mouvement vers les objectifs de l’un facilite les objectifs de l’autre.

En compétition, les personnes perçoivent leurs objectifs comme étant liés négativement : le mouvement vers ses propres objectifs interfère avec ceux des autres et rend leur réalisation moins probable.

Dans l’individualisation, les personnes perçoivent leurs objectifs comme non liés. Le mouvement vers les objectifs de l’un ni ne facilite ni n’entrave les objectifs de l’autre. C’est le cas des examens par exemple ; c’est aussi celui des activités libérales (médecins, avocats, etc).

La coopération s’oppose donc à la compétition et à la démarche individuelle et non à la collaboration qui, comme j’espère vous en avoir convaincu, n’a pas sa place dans la structuration d’une dynamique organisationnelle.

C’est Morton Deutsch qui, dans les années 60, fut l’un des premiers à s’intéresser à la différence entre coopération et compétition dans les organisations. Sa méthode était pour le moins originale. Il disait :  considérons deux types actions, une efficace, l’autre « maladroite ». La première est celle qui aide à atteindre ses objectifs, la seconde celle qui s’en éloigne.

Dans la coopération nous dit Deutsch, l’action efficace de l’un aide les autres à atteindre leurs objectifs, elle est positivement valorisée. Quant aux actions “maladroites”, elles ne profitent à personne et donc sont valorisés négativement.

Résultat :  les personnes qui coopèrent essaient d’influencer les autres et sont ouvertes à être influencées lorsqu’elles tentent d’agir efficacement et d’atteindre leurs objectifs.

En revanche, les actions « maladroites » dans un contexte de compétition sont perçues comme pénalisant les autres : elles peuvent donc être substituées à nos propres actions efficaces et sont valorisées positivement. Une athlète peut gagner une course soit parce qu’elle court plus vite soit parce que sa rivale s’est tordue le pied. Dans les deux cas, elle gagne.

Résultat : les personnes en compétition sont sceptiques quant à l’influence des autres car elles pensent qu’elles n’essaient pas d’aider leur action efficace ou la réalisation de leurs objectifs.

En supposant que les personnes accomplissent plus d’actions efficaces que maladroites, Deutsch avance les résultats suivants :

  1. Les personnes qui coopèrent attendent des autres qu’ils les aident efficacement à atteindre leurs objectifs et qu’ils s’entraident effectivement. Les personnes en compétition soupçonnent que les autres ne les aideront pas à atteindre leurs objectifs ; elles peuvent même aller jusqu’à faire obstacle aux autres pour augmenter leurs propres chances d’atteindre leurs objectifs.
  2. La communication tend à être précise et les demandes accordées en coopération, car les personnes identifient les problèmes en fonction d’un horizon commun et s’entraident. Les personnes en compétition ont tendance à soupçonner les messages et l’influence des autres, car ils peuvent les détourner de leurs objectifs
  3. Les personnes qui coopèrent se répartissent les tâches et s’encouragent mutuellement à les accomplir afin que chacun puisse progresser vers ses objectifs. Les concurrents doivent accomplir les tâches eux-mêmes ; ils peuvent même essayer de réduire les efforts des autres car ceux-ci peuvent interférer avec leurs propres objectifs
  4. Dans la coopération, la valeur positive accordée au comportement efficace de l’autre est généralisée en une attitude positive envers l’autre. En revanche, les personnes en compétition ont tendance à ne pas aimer les autres qui sont considérés comme pouvant frustrer leurs objectifs.

Pour certaines personnes le terme de « collaboration » a une charge affective élevée.  Elles pourraient donc être heurtées par ma proposition de l’abandonner séance tenante. C’est qu’en général elles l’emploient pour désigner des formes hautes (respect, attention, bienveillance, authenticité) voire éthiques des interactions entre personnes. Mon propos n’est pas de critiquer ces modes de relations mais de dire que la collaboration – qui d’ailleurs possède aussi une connotation très négative – ne désigne pas une dynamique organisationnelle qui, pour moi est porteuse des mécanismes qui influent directement la performance.

C’est pourquoi j’explique l’échec des mise en place de nouveaux modes de management (distributif, participatif, autonome, agile, etc…) non pas parce qu’ils ne sont pas efficaces mais parce qu’ils le seront en regard de la culture que l’organisation favorise. Ce n’est que dans le cas d’une culture coopérative qu’ils, premièrement, pourront prendre racines durablement, deuxièmement, s’épanouir, et troisièmement, délivrer les résultats escomptés.

Alors bien sûr, toutes les organisations sont des mélanges de coopération, de compétition et même d’individualisation, mais il y aura une tendance générale ou encore des poches “coopératives” ou “compétitives” et c’est à l’intérieur de celles-ci que ces nouvelles démarches managériales seront soit propices soit gaspillées.

Dans le prochain épisode, on verra ce qu’il en est de la productivité pour répondre à la question de savoir si, des deux types d’organisations, coopérante ou compétitive, laquelle est la plus performante.

 

 

Ce qu’un manager peut apprendre de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Un blog en trois épisode. Troisième épisode.

Francois Mori/Associated Press

3e épisode : qui a fait quoi ?

La première observation concerne le recteur de la cathédrale. Mgr Chauvet n’en croit pas ses yeux. Jamais, il n’aurait pensé qu’un tel événement puisse arriver. Ignorance ou insouciance ? Il n’en reste pas moins qu’il ne peut pas en croire ses yeux. Mais n’est-ce pas là une attitude que l’on retrouve chez certains managers surpris par le fait que ce qu’ils pensent ne correspond pas à la réalité ? Comme par exemple cette entreprise d’exploitation forestière qui traverse une période difficile et qui continue à produire normalement anticipant une reprise qui tarde à venir. Ou encore ce fabricant de circuits intégrés qui pense renforcer sa compétitivité en améliorant la qualité et en doublant la capacité de son produit, mais qui découvre que le cours de son action chute de manière inattendue à mesure que les clients se tournent vers les nouveaux produits proposés par ses concurrents[1].

C’est vrai qu’en règle générale ce décalage entre les modes de pensées, les expectatives, les croyances et la réalité ne se remarquent pas jusqu’à ce que l’on arrive à une crise : des licenciements massifs ou des faillites qu’on mettra généralement sur le compte d’un changement de l’environnement, ou sur les fluctuation du marché mais rarement sur la défaillance de dirigeants à construire une organisation sensible aux signaux faibles, questionnant les enseignements du passé, résiliente plutôt que fermement assise dans ses procédures.

Notons à l’inverse de la sidération de Mgr Chauvet, l’attitude des pompiers qui, malgré la tornade incendiaire qu’ils rencontrent et qui va les forcer à reculer, puis finalement à abandonner, observent la direction qu’allaient prendre les flammes en fonction du vent. Cette capacité, contrairement à celle du prélat, n’a rien d’une émotion ou d’un sentiment de perte mais tout à voir avec ce qui s’appelle la compétence. Ainsi, ce n’est pas seulement dans ses gestes que se démontre la compétence mais dans aussi dans capacité d’observation et d’interprétation des faits. Or, peut-on dire que c’est cette capacité que nous développons, favorisons et récompensons dans nos organisations ?

Devant l’immensité de la déflagration, l’état-major décide d’affronter le sinistre depuis en bas, drainant de l’eau depuis la Seine, mais sans succès. Ce « sans succès » est important, car ici on suit la procédure ; ce qui a été appris, répété, codifié et qui dans cette situation s’avère totalement impuissante. Cela pose la question des routines, de leur justification, de leur nécessité mais aussi de leur limite. La question que je me pose toujours est : pourquoi attendre une catastrophe pour revisiter nos modes d’action ? La réponse est simple : parce que ça marche et qu’une révision, une discussion, voir remise en question coûtent chers et peuvent semer le trouble. Mais ne serait-il pas possible de créer une organisation qui pourrait accomplir le diagnostic et entreprendre les actions rectificatives de ses routines au fil de l’eau sans devoir remettre tout sur le tapis ? La réponse est bien sûr, mais cela demande, je l’avoue, une certaine détermination et une certaine constance mais aussi de l’humilité de la part des dirigeants et une vision à long-terme de l’entreprise.

Dans toute situation, familière ou non, une organisation se doit de répondre à deux questions : qu’est-ce qui nous arrive et que fait-on ? Dans ce cas, grâce aux observations des pompiers, confirmées par le développement du sinistre, tout le monde sait que la charpente est perdue et que le danger s’est déplacé vers la tour nord. L’action du général Galet de rediriger les efforts vers cette partie de l’édifice est donc partagée. De même, tout le monde est conscient que le temps travaille contre eux. Ainsi, lorsque le général Jean-Marie Gontier qui dirige les opérations, réunit les pompiers, il réitère le diagnostic, insiste sur l’étroitesse de la fenêtre d’intervention, mais ne répond pas à la 2e question : que faire ?

Là aussi, la solution viendra d’un pompier : construire une plateforme entre les deux tours qui permettront de faire monter deux autres lances pour ensuite les rediriger vers le sinistre en longeant le toit à partir de la tour sud.

Alors qu’en est-il dans nos affaires, dans notre vie professionnelle quotidienne ? Quel est de rôle du manager ? Quel doit être son rapport avec lui-même, sachant qu’au fond il ne connaît a priori ni la direction du vent, ni comment éteindre le feu ? Doit-il s’acharner à vouloir diriger ce qu’il ne connaît pas bien, ou devrait-il plutôt s’en remettre à l’expertise de ses collaborateurs ? C’est ce que proposent Weick et Sutcliffe et qu’ils appellent de la belle expression « déférence à l’expertise » et qui consiste à pousser les décisions vers le bas, c’est à dire non seulement vers les personnes en premières lignes mais surtout vers celles qui ont le plus d’expertise quel que soit leur rang. Les décisions « migrent » alors à l’intérieur des organisations à la recherche de la personne la plus à même d’agir efficacement.

On se souvient que le diagnostic sur la tour nord avait été réalisé bien en amont des décisions de l’état-major par les pompiers et que sa version officielle est venue non seulement bien après mais surtout à la suite d’une première tentative avortée de combattre le feu depuis le bas de l’édifice. Sachant que la vitesse d’intervention était capitale, je me demande ce qui se serait passé si certains pompiers avaient pu prendre la décision de se concentrer sur la tour nord sans devoir en passer par l’approbation de leur hiérarchie ? Je me demande si ce gain de temps n’aurait pas été salutaire pour le bâtiment comme pour les hommes.

A la fin, il y a eu « déférence à l’expertise » et c’est ce qui a sauvé la cathédrale. Non seulement, la solution a été conçue par les pompiers, mais le général Gontier a pris la bonne option de laisser l’équipe se constituer librement, ce qui a eu pour effet d’élever la motivation et l’esprit de corps des personnes qui ont accepté la mission.

En conclusion, je suis persuadé que le management gagnerait à tirer les leçons de cet événement : d’abord une préoccupation envers l’échec, ne pas se reposer sur ses lauriers, encourager le questionnement du status quo, développer les capacités collectives de construction du sens (qu’est-ce qui nous arrive ?) ; ensuite, une autre manière de distribuer l’autorité et la prise de décision qui devrait pouvoir « migrer » en fonction de la situation vers les personnes les plus capables d’y répondre (que faire ?); enfin l’importance du management des hommes et des système : prendre soin des uns et redimensionner les autres pour qu’ils les servent et non les entravent, ce qui revient à faire très attention à ne pas introduire de la complication là où elle n’est pas nécessaire.

Il est difficile de résister à cette dernière analogie. Si l’accident de la cathédrale montre les limites d’un management traditionnel ; ne pourrait-on pas profiter de ces leçons pour le rebâtir sur d’autres principes comme le sera certainement la cathédrale.

 

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[1] Ces deux exemples sont tirés du livre de Karl Weick et Katheleesn Sutcliffe « Managing the unexpected » (2001), John Wiley & Sons,  p.1

Ce qu’un manager peut apprendre de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Un blog en trois épisode. Deuxième épisode.

Thierry Mallet/Associated Press

2e épisode :  “Errare humanum est, perseverare diabolicum”

D’abord « l’erreur humaine ». L’employé de sécurité a préféré appeler son chef plutôt que de signaler l’incident aux pompiers. Or, cet employé travaillait depuis seulement trois jours lorsque l’incendie éclata. En outre, posté depuis 7h du matin dans la petite salle du presbytère, il devait être relevé de ses fonctions en fin d’après-midi, sauf que personne n’est venu le relayer. Il était donc en poste depuis plus de 11 heures lorsqu’il vit le petit falot rouge s’allumer sur sa console.

Dans un premier temps, le fait d’avoir appelé son chef devrait nous permet de faire deux hypothèses : un manque de confiance en soi doublé d’une peur de mal agir, l’une renforçant l’autre. Cette crainte de l’erreur rehaussée par une fatigue excessive est typique de la situation de nombreux employés en entreprise. En général, elle passe inaperçue car sans conséquence majeure sur les opérations et dédouane le management de sa responsabilité car, en cas d’erreur, il aura beau jeu de rejeter la faute sur la personne qui la commise et de la sanctionner plutôt que de se demander si la cause de l’erreur ne vient pas plutôt d’une gestion inadéquate.

L’erreur humaine n’est donc pas ici seulement une erreur d’exécution ou une faute de l’opérateur, c’est d’abord un manquement du management. Sachant que l’employé de sécurité n’était en poste que depuis 3 jours, on peut se demander s’il avait les connaissances ou les réflexes nécessaires pour bien exécuter sa mission. Mais même compétent, la fatigue a pu avoir un effet inhibiteur car comme le montrent de nombreuses études elle « touche tout le monde, quelles que soient les compétences, les connaissances et l’entraînement[1]. » Ses effets sont connus : une diminution de la motivation à l’égard des tâches, un temps de réaction plus long, une diminution de la vigilance, un manque de concentration, une mauvaise coordination psychométrique, des problèmes de mémoire et de traitement de l’information, et un mauvais jugement. Malgré cela, le management ne semble pas spécialement ému et continue dans de nombreux cas à augmenter la charge de travail de ses employés accroissant significativement le risque d’erreur, mettant en danger la santé des personnes voire la performance de l’entreprise.

J’ai mentionné la peur de l’erreur qui est endémique dans les entreprises, mais j’aurais pu tout aussi bien parler de la peur tout court qui émane d’une culture de contrôle des individus ; une culture qui repose sur une logique de découplage entre autorité et responsabilité. La responsabilité est imputée aux opérateurs alors que l’autorité revient aux chefs. Comment ne pas voir dans cette division, une source massive d’inefficacité et de risques ? Dans le cas qui nous concerne, il y avait une procédure. L’opérateur devait prendre contact avec les pompiers. Mais il préfère appeler son chef. Pourquoi ? On l’imagine mal complètement ignorant, on peut donc conjecturer à l’inverse qu’il se sent responsable mais ne sent pas qu’il y a l’autorité nécessaire pour prendre la bonne décision. La grande faiblesse d’une culture du contrôle est de croire qu’une procédure est suffisante pour éviter les méprises.

Dans le cas de Notre-Dame, cette culture du contrôle se manifeste aussi dans les systèmes techniques. Le système de sécurité-incendie de Notre-Dame est, sur papier, remarquable, sauf que sa complication le rend complètement inutile. L’entreprise qui employait le préposé à la sécurité assure que celui-ci a bien transmis les informations critiques à l’agent, mais au vu du temps que cette opération a duré – environ 30 minutes – on peut en douter.

Il aura donc fallu plus de 30 minutes pour interpréter correctement les données du système. Ce délai, qui fût fatal à la charpente de Notre-Dame et plus généralement à la capacité des pompiers à faire leur travail, devrait nous inciter à repenser l’efficacité voire le bien-fondé des solutions techniques que nous utilisons. Et en particulier se poser la question suivante : est-ce que nos systèmes d’information ou nos processus améliorent les capacités de nos employés à bien faire leur travail ou les entravent-elles ? Ainsi lorsqu’on parle de digitalisation, on s’empresse de souligner les gains de performance mais on oublie aussi de parler de la complication qu’elle peut générer pour les métiers (plus de plateformes, plus d’information, plus de règles, de rapports, etc…) ; or, ajouter de la complication dans des systèmes complexes comme les organisations aggrave significativement les risques et diminue fortement la performance[2].

Ainsi, à l’origine du désastre, on perçoit un management défectueux tant des hommes que des systèmes d’information ; une indifférence aux conditions de travail, une croyance démesurée dans la vertu des procédures, et dans l’infaillibilité d’objets techniques sophistiqués.

La catastrophe de Notre-Dame devrait aussi nous inciter à repenser le management en fonction des décisions et des attitudes qui se sont exprimées pendant ces moments décisifs. Ce sera le thème du procain épisode.

 

[1] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4525425/

[2] https://www.ted.com/talks/yves_morieux_as_work_gets_more_complex_6_rules_to_simplify#t-4750

Ce qu’un manager peut apprendre de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Un blog en trois épisode. Premier épisode.

 

 

(Pool photo by Christophe Petit Tesson)

Introduction

Dans leur livre « Managing the unexpected » (« La Gestion de l’Imprévu »), Karl Weick et Kathleen Sutcliffe, tous deux professeurs de management à l’université du Michigan, nous incitent à prendre exemple sur les modes de management mis au point par les entreprises qu’ils appellent « High reliability Organisation » et qu’on pourrait traduire par « Organisation à haute Fiabilité ». Parmi elles, figurent les centrales nucléaires, les porte-avions, le contrôle du trafic aérien, la négociation d’otages, les urgences hospitalières, les centrales nucléaires, ou encore les pompiers… Mais pourquoi s’intéresser à ces entreprises ? Tout simplement parce que, dans ces organisations, une faute, une erreur, voire un simple manquement peut avoir des conséquences désastreuses, et souvent tragiques. Si elles sont devenues par la force des choses maîtresses dans l’art de gérer l’imprévu alors elles peuvent nous enseigner à nous aussi comment améliorer le management de nos organisations. Certes nos réalités ne sont pas aussi contraignantes ; nous pouvons tolérer un certain flottement là où elles ne le peuvent pas. Mais, dans un monde, où l’incertitude, le rythme du changement et des transformations technologiques impactent tout le monde, un peu d’attention, de vigilance, et de résilience ne sont pas à négliger.

Ce blog est en réalité un petit feuilleton en 3 épisodes. Le premier relate les faits et les gestes des personnes impliquées dans l’incendie de la cathédrale de Notre-Dame, le second et le troisième tentent de tirer les leçons de cette catastrophe dans le but d’améliorer nos pratiques managériales.

1er épisode : les faits

Le 15 avril à 18h18 , une lumière rouge s’allume sur la console du bureau de sécurité de la cathédrale de Notre-Dame, situé dans le presbytère. « Feu »…

Quatre minutes après l’alarme, l’employé de sécurité appelle un garde qui se trouve à l’intérieur de la cathédrale et lui demande d’aller vérifier s’il y a bien un feu. Il s’exécute et ne trouve rien. Trente minutes vont s’écouler avant qu’ils comprennent leur erreur. Le garde était parti inspecter le mauvais bâtiment. Le feu ne se trouvait pas dans la sacristie mais bien dans la charpente de la cathédrale, un chef d’œuvre inégalable, vieux de plus de 800 ans que l’on désignait du mot très symbolique de “la forêt”.

Entre temps, au lieu d’appeler les pompiers, l’employé de sécurité, en poste depuis trois jours téléphone à son chef qui ne décroche pas. Éventuellement, ce dernier le rappelle et comprenant l’erreur, prend contact avec le garde, lui demande de quitter la sacristie pour de se rendre immédiatement dans les combles. Mais le temps qu’il prendra pour monter les 300 marches étroites menant à la charpente, l’incendie était devenu incontrôlable.

Monseigneur Patrick Chauvet, recteur de la cathédrale, se trouve alors à deux pas de l’édifice dans une rue adjacente, et discute avec les commerçants du quartier lorsqu’il voit la fumée s’échapper du toit ; saisi, il contemple le spectacle ahuri. En réalité, il ne pensait pas qu’un tel accident puisse se passer.

En effet, le système d’alarme incendie de Notre-Dame a pris six ans pour être mis au point. Il contient des milliers de pages de diagrammes, de cartes, de feuilles de calcul et de contrats. Le résultat est si ésotérique que lorsqu’on lui demande de faire la seule chose qui compte – avertir du feu et dire où il se produit – il répond par un message presque indéchiffrable : tout d’abord, une description abrégée d’une zone de la cathédrale, ensuite, une longue série de lettres et de chiffres : ZDA-110-3-15-15-1. C’est le code d’un détecteur de fumée spécifique parmi plus de 160 détecteurs et d’alarmes manuelles. Enfin, le système indique la présence d’un détecteur d’aspiration dans le grenier de la cathédrale sans plus.

Le temps de décrypter le message, 30 minutes se seront écoulées avant que les pompiers ne soient finalement appelés.

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Vers 19h, une première équipe de pompiers arrive, monte vers la charpente en empruntant l’escalier du transept nord mais lorsqu’elle atteint le sommet, le feu est si intense qu’elle est obligée de reculer et de se réfugier dans le grenier. C’est alors qu’un pompier note que les flammes sont poussées par un vent violent vers la tour nord de la cathédrale. Cette observation allait changer le cours de l’opération et sauver la cathédrale de l’anéantissement.

Entre-temps, à 19h50 précise, la flèche de 750 tonnes de la cathédrale, faite de chêne massif et de plomb, s’effondre. L’explosion est si puissante qu’elle fait claquer toutes les portes de la cathédrale et ses débris en retombant brisent plusieurs voûtes en pierre de la nef.

A ce moment, toutes les équipes de pompiers reçoivent l’ordre d’évacuer la cathédrale. Au lieu d’aller affronter le feu à l’intérieur du bâtiment, l’état-major décide de le combattre depuis le sol, puisant l’eau de la Seine, sans aucun résultat probant.

C’est alors qu’on se souvient que le vent dirige les flammes vers la tour nord où se trouvent huit cloches géantes suspendues à des poutres de bois qui menacent de brûler. Si les poutres s’effondrent, les pompiers craignent que les cloches se transforment en boules de démolition et ne détruisent la tour. Pire encore, ils pensent que si la tour nord s’effondre, elle entraînera avec elle l’autre tour et par conséquent la cathédrale tout entière.

A 20h30, le général Jean-Claude Gallet, le chef des pompiers de Paris annonce dans une conférence, que la charpente ne pourra pas être sauvée et qu’il fallait concentrer l’effort sur la tour nord. Il rajoute que si le feu n’est pas maîtriser dans les 20 prochaines minutes, la cathédrale pourrait disparaître.

Sur le terrain, le général Jean-Marie Gontier, son adjoint, tient conseil. Le temps presse, les nouvelles sur l’évolution du feu sont mauvaises, relayées par les images saisissantes des drones de la police de la charpente en feu. Comment faire pour sauver la tour nord ?

Rémi Lemaire, un maître sergent, a une idée : passer par la tour sud, installer une plateforme entre les deux tours, y amener des tuyaux supplémentaires pour ensuite remonter sur toit et rentrer dans la tour nord. La solution est tellement risquée qu’une équipe de pompier de banlieue refuse d’y aller. Finalement Rémi Lemaire trouve assez de volontaires pour se lancer à l’assaut des flammes qui menacent la tour nord.

Ce plan fut mis à exécution et en 15 minutes, à les flammes de la tour nord furent éteintes et la cathédrale fut sauvée.

 

Et si le changement s’inspirait du mouvement « Open source » ?

Pour tous ceux qui réfléchissent au changement et pour ceux qui ont en fait l’expérience, les résultats sont souvent très décevants. La question qui se pose donc est pourquoi. Pourquoi est-ce que les transformations organisationnelles ressemblent-elles souvent à des tombeaux ?

Pour expliquer cela on invoque de très nombreuses raisons. La première est la puissance phénoménale des routines. Il y aussi une dimension cognitive et affective. Changer revient souvent à remettre en question ce qui a fonctionné jusqu’ici et qui a souvent contribué au succès des entreprises ce qui est profondément contre-intuitif. Finalement, il y a le management du changement qui trop souvent attribue la conception, le planning de la mise en œuvre et la communication à la direction de l’entreprise. Une étude de récente de Gartner[1]  montre non seulement les limites de cette approche mais surtout les bénéfices qu’une organisation peut retirer d’une participation active des personnes concernées dès le début du projet.

Gartner commence par nous rappeler ce que nous savions déjà que seules 30% des stratégies de changement réussissent, mais il nous dit aussi que 80% sont pilotées par les directions. Or qu’est-ce qui a changé ? Deux choses : la complexité des organisations (notamment celles qui ont adopté une organisation matricielle) mais surtout le degré d’information des employés qui sont très bien formés, ont une bonne vision de leur environnement et surtout communiquent les uns avec les autres. Le problème des stratégies « top down » c’est que les directions ne prennent pas ou ignorent les « workflows » réels qui font leur succès. Cette faiblesse se montre souvent fatidique lors de l’implémentation des stratégies de changement. Une fois mise en place, les initiants découvrent qu’elles sont difficiles à mettre en œuvre, qu’elles patinent, prennent du retard, démotivent leurs employés et souvent explosent leurs prévisions financières.Après avoir interviewé 6500 employés et quelques 100 DRH, Gartner conclut que pour améliorer les chances de réussir un changement, les entreprises qui réussissaient avaient mis en place la stratégie suivante :

  1. Premièrement, les dirigeants incluent leurs employés dans une démarche de co-création de décisions stratégiques.
  2. Deuxièmement, ils laissent la mise en œuvre à leurs employés.
  3. Troisièmement, ils encouragent une communication ouverte entre les personnes concernées

Le modèle dont ils s’inspirent est celui de l’Open source né dans les années 90 dans l’industrie informatique. L’Open Source repose sur deux principes : rendre le logiciel accessible à tout le monde et donner la possibilité à tout un chacun d’en améliorer le code ; ce qui n’empêche pas un processus rigoureux de validation. En effet, que vous preniez Linux ou Wikipedia, ils sont « gouvernés » par un groupe d’utilisateurs approuvés qui utilisent un ensemble de règles et de directives précises pour valider un changement.

Les résultats sont impressionnants : une augmentation du taux de réussite entre 34 et 58% mais aussi un gain de temps de 33% sur l’implémentation.

Ce qui distingue la gouvernance de l’Open Source, c’est tout d’abord qu’il existe un processus de décision formalisé et accessible à tous les contributeurs, ce qui veut dire que tout le monde sait comment sont prises les décisions. Dans ce cadre, le rôle des dirigeants n’est plus de décider seuls sur le changement ni de le confier à des personnes selon leur titre ou leur ancienneté mais de tenir compte de facteurs tels que l’expertise, l’impact et l’orientation client de leurs employés.

Selon Gartner, le transfert de la planification de la mise en œuvre aux employés peut accroître de 12 % la probabilité de réussite du changement. Ce que constate l’étude, c’est qu’une fois que les employés sont impliqués, les changements s’opèrent plus rapidement, les obstacles qui ralentissent leur mise en œuvre sont plus facilement repérés et les meilleures pratiques s’échangent plus constamment. Cela donne aux dirigeants et aux managers plus de temps pour soutenir les employés en éliminant les obstacles et en assurant l’alignement sur les enjeux stratégiques.

La plupart des organisations communiquent le changement du haut vers le bas. Les dirigeants présentent le changement sous un jour positif pour obtenir l’adhésion de leurs employés, ou pour favoriser leur compréhension. Mais le fait de dire – ou, parfois, de commander – les employés ne favorise pas la compréhension ou l’engagement envers le changement. Ce qui le favorise c’est la délibération ou l’échange entre pairs qui comprend la prise en charge des préoccupations de chacun mais aussi la recherche de solutions. Ainsi les personnes concernées peuvent se poser des questions comme : ” quels changements pourraient découler de cette initiative ? quels en seront les effets sur mes pairs ? et de quelles nouvelles compétences vais-je avoir besoin ? Et s’ils ne connaissaient pas la réponse, ils peuvent planifier la façon de la trouver.

On parle souvent du rôle des hiérarchies dans des modèles plus horizontaux et l’on craint soit leur disparition soit leur affaiblissement (statut) alors qu’il s’agit non pas de leur fonction mais de leur rôle. Ainsi laissant de côté la question du contrôle et du commandement, les dirigeants retrouvent leur valeur en tant que garant du cadre, en tant que soutien, un peu comme des jardiniers qui, prenant soin du sol sur lequel poussent leurs fleurs ou leurs légumes, n’ont pas à se soucier de leur croissance. Du moment où les équipes sont compétentes et informées, il n’y a nul besoin de douter de leur capacité à prendre soin à leur tour de leur organisation et à les laisser s’organiser pour qu’elle devienne plus performante.

[1] Chio Marcus, Salerno Heather, « Changing change management: an open source approach », 2018

Feedback avec ou sans culture ?

Dans la vie comme dans les organisations on peut considérer une chose soit sous son aspect technique soit sous l’angle d’une culture. La technique ressort à l’expert, la culture à l’environnement. Mais parfois il y a carambolage. C’est le cas du feedback.

Pour ce qui en est des techniques, elles sont simples à énoncer, plus difficiles à mettre en pratique. En voici une :

1) Demandez si la personne veut recevoir un feedback. Si c’est dans un cadre professionnel, cette question n’est pas nécessaire.
2) Commencez par les comportements positifs (les humains ont tendance à faire une fixette sur le négatif)
3) Amenez les comportements à améliorer en utilisant vos notes et en parlant à la première personne (objectivité)
4) Expliquez les effets que vous avez observées (conséquences)
5) Offrez la possibilité à la personne d’amener ses solutions ou proposez vos mesures d’amélioration.
6) Finissez sur une note positive

D’un point de vue technique, le premier point dans son ensemble se justifie. Après tout, au travail, ce qui compte c’est l’exécution de la tâche. On voit donc mal un manager demander à son subordonné s’il accepterait un feedback. D’un point de vue culturel, en revanche, demander à la personne si elle veut recevoir un feedback est essentielle. Culturellement, la copule « si c’est dans un cadre professionnel, cette question n’est pas nécessaire. » sonne le glas de l’exercice. Pourquoi ?

Parce que le feedback requiert comme condition absolument nécessaire la confiance or ce que la technique ne dit pas, ce qu’elle prend pour argent comptant, c’est justement son existence. Or, dans le milieu professionnel, la confiance ne va pas de soi. Et puis, lorsque l’on parle de confiance, on a une fâcheuse tendance à la situer dans un contexte psychologique alors que dans le monde du travail, elle est essentiellement d’ordre éthique. Ainsi, un manager qui se positionne face à son collègue comme courroie de transmission d’une direction prend à son compte l’éthique de l’organisation. Ce qui veut dire que quel que soit sa bienveillance collaborative ou son désir de communiquer, si l’organisation à laquelle il appartient ne remplit pas les conditions éthiques auxquelles souscrit son collègue, il ne pourra pas construire une relation de confiance. Et par conséquent, en évitant le consentement de son subordonné, de fait, il crée une dissonance cognitive qui aura pour but d’accroître sa méfiance.

Dans ce cas, la 2e technique qui consiste à commencer par un compliment n’aura pas l’effet escompté. Au contraire, elle raidira toute personne un tant soit peu alerte qui soupçonnera à raison un effet de manche. Parler à la 1ere personne n’y changera rien. Quant à l’objectivité, on voit bien qu’elle aussi sera sujette à caution. Car qu’est-ce que c’est qu’un fait ? Prenons un exemple : j’ai une tâche clairement énoncée, je ne la fais pas, ou mal, ou en retard, est-ce un problème de compréhension qui pourrait le cas échéant être discuté comme quelque chose d’objectif ? Et bien pas du tout. Une tâche s’insère dans un contexte qui implique un contenu, une nécessité ou encore une faisabilité adéquate. Combien de personnes se voient aujourd’hui bombardées de tâches qu’elles n’ont pas le temps de faire, qui leur semble insignifiantes voire contreproductives. Ainsi concevoir la tâche comme un fait objectif présuppose l’adhésion de celui qui doit l’exécuter. Or cette adhésion n’est jamais demandée, elle est prescrite et donc très souvent devient un problème.

La 4e proposition dans ce contexte aura le même effet que l’utilisation du « je » qui tente d’instaurer une relation personnelle, alors que la tâche est en elle-même impersonnelle. Ici, mentionner les conséquences que le manquement inflige au prescripteur ne mènera pas nécessairement à une sympathie impossible à concevoir lorsque la confiance fait défaut. Ici aussi, cette technique risque d’avoir l’effet inverse que prévu et renforcer la méfiance voire provoquer le dégoût. Côté receveur, l’effet sera celui de la sidération, ce qui veut dire que la 5e technique qui consiste à lui laisser la possibilité d’imaginer une ou la solution sera biaisée par un double désir : parer à l’effet de séduction et satisfaire le prescripteur. En d’autres termes, sans discussion sur la tâche, son origine, sa pertinence, sa faisabilité, le collègue n’aura d’autre choix que de couper court à ses opinions pour mettre fin à ce qui apparaît au terme de ce processus comme un piège ou une purge.

Pour que le feedback devienne ce qu’il est supposé faire, il faut donc trois conditions qui sont toutes d’ordre environnementales : une égalité de point de vue, un sentiment de confiance et de sécurité. Un véritable feedback ne pourra donc pas être efficace sans une culture de coopération basée sur un partage de valeurs éthiques, un processus de délibération, et une forme de convivialité.

Vie des organisations : Pourquoi rejeter ce que nous disent les sciences ?

Si, pour décider ou pour comprendre un phénomène, on vous proposait ces 4 approches
1- L’astrologie
2- La presse
3- La science
4- Votre instinct
5- La rumeur
Laquelle serait d’après-vous la plus fiable ?

Il y a fort à parier que vous choisissiez la science. Elle nous explique l’univers et la vie ; elle nous permet de construire des ponts, des villes, de voyager, de se soigner, de comprendre comment se forment les bouchons, le climat, ou la monnaie. Elle est l’arbitre le plus impartial de nos justifications.

Ce qui la rend si fascinante, si puissante, c’est sa méthode : observer, questionner, tester, trouver des constantes et les mesurer. Il y a belle lurette que le modèle scientifique s’est étendu aux sciences dites humaines et spécialement en psychologie, en sociologie et aux sciences de gestion qui lui empruntent une démarche rigoureuse et recourt à des instruments mathématiques sophistiqués. Alors pourquoi nos entreprises restent-elles sourdes, voire méfiantes envers leurs résultats ? Pourquoi ne profitent-elles pas de leurs recherches et de leurs recommandations ?

Aujourd’hui on sait ou on peut savoir à peu près tout sur les organisations. Non seulement on sait ou on peut savoir à peu près tout sur les organisations mais ces savoirs sont argumentés, quantifiés et testés rigoureusement. Un nombre considérable d’études sont en accès libre et largement diffusées et donc à portée de main. Et pourtant, quelles entreprises ou organisations en profitent ? Pas assez selon moi. Alors oui, il y a les routines et puis l’habitude mais quand même ! Comment ne pas s’intéresser à ce qui rend l’entreprise plus performante ? Comment ne pas désirer mettre à profit ce qui peut rendre le travail plus efficient, plus productif, plus satisfaisant, plus créatif, plus utile ? Qu’est-ce qui nous empêche de capitaliser sur ces savoirs, de profiter d’expériences cumulées dans tous les domaines de l’entreprises (RH, opérations, stratégie, marketing, etc…) provenant de multiples entreprises, grandes, petites, d’ici ou d’ailleurs ; de nous les approprier comme autant d’outils qui nous laissent libre de choisir la manière de les utiliser en fonction de ce que l’on veut faire.

Il est vrai que certains résultats remettent ce que la psychologie cognitive appelle nos « modèles mentaux ». Un modèle mental est une sorte d’image du monde que nous nous faisons dans notre tête et que nous sélectionnons inconsciemment ; et puis d’autres remettent carrément en cause des pratiques fermement installées. Et pourtant… être curieux, s’intéresser à ce qui se passe, se demander de quoi il en retourne, ne sont-ils pas les ingrédients même de la performance ? S’il y a un avantage à inscrire sa vie dans des activités productives n’est-pas avant tout ce goût pour le défi et pour l’amélioration ?
Prenons par exemple la notion de la mixité.

On aborde ce thème souvent par le biais des valeurs comme l’égalité et la justice ce qui est absolument nécessaire, mais sait-on qu’elle influence aussi les résultats des entreprises ? Plusieurs études confirment que la présence d’une femme dans un conseil d’administration se corrèle d’une manière significative aux les résultats financiers traditionnels (ROE – taux de marge du résultat net – ; PBR – rapport entre la valeur marché des capitaux propres et leur valeur comptable – ; Net Debt/Equity – dette nette sur fonds propres – ; et Payout ratio – taux de distribution des bénéfices – ) mais aussi en fonction du facteur Q de Tobin (valeur boursière/valeur de remplacement du capital fixe) qui, contrairement aux autres indicateurs n’est pas simplement comptable mais reflète les anticipations du marché sur les profits futurs de l’entreprise et tient donc compte du risque encouru par celle-ci.

Par exemple :

ou encore

Mais la mixité ne s’arrête pas là. Elle est primordiale dans les performances de l’intelligence collective. Or s’il est vrai que cette notion fait parfois sourire par son côté New Age et baba cool, elle fait l’objet d’études très sérieuses au MIT qui en a fait un département à part entière . Elle montre sa puissance notamment dans le domaine des prédictions .

L’intelligence collective mesure la même faculté que celles qu’on utilise pour l’intelligence individuelle à savoir la capacité à résoudre des problèmes. Plus un groupe sera dit « intelligent » plus il sera à même de faire sens d’une situation, de l’analyser, et de prendre de bonnes décisions. Rappelons que l’intelligence – compris dans ce sens – constitue un prédicteur fiable d’un très large éventail de résultats importants de la vie sur une longue période y compris les notes à l’école, la réussite dans de nombreuses professions et même l’espérance de vie.

Or ce que montre les études du MIT et de Carnegie Mellon et des sociétés comme Lumenogic, c’est que le niveau de l’intelligence collective est positivement corrélé à trois facteurs :

1- Premièrement, il existe une corrélation significative entre l’intelligence collective et la sensibilité sociale moyenne des membres du groupe, telle que mesurée par le test de « Lecture de l’esprit dans les yeux »
2- Deuxièmement, l’intelligence collective est corrélée négativement avec la variance du nombre de tours de parole par membres du groupe, mesurée par les badges sociométriques portés par un sous-ensemble des groupes. En d’autres termes, les groupes où quelques personnes dominent la conversation sont moins intelligents collectivement que ceux avec une répartition plus égale entre les interlocuteurs.
3- Enfin, l’intelligence collective était corrélée positivement et significativement avec la proportion de femmes dans le groupe .

 

Conclusion : on n’attend quoi ?

1- pour employer et promouvoir les femmes et
2- pour mettre en place des temps de paroles égalitaires dans nos réunions alors qu’on sait que ces actions impactent positivement et surtout immédiatement la performance de nos organisations.

Qu’est-ce qui fait qu’on hésite, qu’on tergiverse, qu’on ignore, ou qu’on trouve toutes sortes de raisons pour ne rien faire ou pour faire comme avant ?

Je ferai l’hypothèse suivante : on attend, on tergiverse, on fait du surplace parce qu’on reste au niveau de l’opinion qui souvent reproduisent consciemment ou inconsciemment des schémas vaguement partagés, nos fameux schémas mentaux. Ce n’est pas que nous sommes contre ou même plus ou moins convaincus d’une chose comme la mixité ou comme une prise de parole égalitaire mais que nous ne percevons pas leur nécessité. Or quiconque se pose la question de la performance n’a pas de temps à perdre.

Ce blog s’intitule THINK THE BOX. Il part du principe qu’on ne sait pas vraiment de quoi sa propre organisation est capable. Il aura pour but de vous tenir informé des immenses possibilités qui gisent dans ce que vous avez déjà construit et développé et qui ne demandent qu’à émerger. Si l’on est d’accord de reconnaître la valeur de l’agilité au niveau des projets, il s’agit de l’étendre  à l’organisation qui, elle aussi, est un projet, mais à long terme. Une organisation agile est avant tout une organisation utile. Une organisation utile est celle qui exprime au mieux ses propres capacités et les fait interagir de manière à favoriser sa viabilité.