À qui appartient le Père Noël ?

Rien de plus connu, mais aussi de mystérieux, que le Père Noël – le personnage ainsi que toute la série de constructions imaginaires qui lui sont associées. Toutes les recherches et études sérieuses qui lui ont été consacrées attestent le fait qu’il s’agit là d’une « tradition inventée » progressivement, une création complexe ayant pour base un personnage symbolique ancien et nouveau à la fois, en perpétuelle évolution et dissémination transnationale. Le Père Noël est une « icône globale », mais qui connaît des variations locales très importantes. Se distinguent cependant quelques traits facilement reconnaissables par tout le monde, de quelque génération, de quelque aire géographique ou religieuse que l’on soit : un âge avancé, une barbe argentée, un manteau et une capuche rouges, un traineau tiré par des rennes ou des cerfs, la jovialité du personnage. Vu qu’il s’agit d’un personnage archétypal (c’est-à-dire une forme de représentation condensée, spécifique à plusieurs cultures), son extrême plasticité a conduit à d’innombrables représentations et utilisations dans l’industrie de la publicité et d’ailleurs.

De là à l’apparition de revendications en tant que marque associée, il n’y a qu’un pas. Et cependant, la légende du Père Noël, comme toute légende, ne part pas de rien. Il s’agirait en l’occurrence de Nicolas, évêque de la ville de Myre, en Asie Mineure (aujourd’hui Demre, en Turquie), celui qui sera plus tard l’un des plus populaires et aimés saints du christianisme.  Célèbre et apprécié dès son temps pour sa bonté et sa générosité extraordinaires, ainsi que du fait de l’attention qu’il portait aux petits enfants, il est considéré, presque à l’unanimité, comme étant à l’origine du mythe fondateur du charismatique Père Noël d’aujourd’hui. Ou tout du moins l’un de ses « précurseurs », si l’on peut dire. Même ses traits fondamentaux (la riche barbe, les contours de son visage, son attitude corporelle) évoquent le Père Noël de plus tard – voir par exemple à ce sujet le tableau représentant saint Nicolas peint par le Tintoret (1518-1594) et qui se trouve au Musée d’Art de Vienne.

La figure récurrente dans l’imaginaire collectif de l’humanité, sous la forme d’un vieillard jovial habillé de rouge, un rouge pénétrant, magnétique, est beaucoup plus récente. Même si l’on ne peut lui attribuer une date de naissance exacte, elle est liée à l’un des plus grands « coups » de l’histoire du marketing et de la publicité : l’association du code de couleurs de l’une des plus populaires boissons gazeuses, Coca-Cola, à un personnage de l’imaginaire collectif occidental lié à un temps de fêtes. « Notre » Père Noël apparaît dès après la Deuxième Guerre mondiale, alors que le monde reprend goût à la vie et à la joie de vivre. Il est rubicond, souriant, généreux – tout ce dont les Américains et les Européens avaient besoin à ce moment de renaissance, après une grande tragédie. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait immédiatement été adopté non tant par le marché que par « l’imaginaire » collectif dont nous avons parlé plus haut.

Au-delà de l’origine et du développement de ce personnage légendaire, le Père Noël est devenu, au fil du temps, une idée de marketing permettant de vendre n’importe quoi ou presque. En témoignent les images des différentes campagnes publicitaires que l’on trouve dans les manuels de marketing ou que l’on peut consulter librement sur Internet, et qui vont de la bière aux cours de langues étrangères. Le Père Noël est le plus cher personnage de tous les temps, sa marque ayant une valeur estimée à environ 1600 milliards de dollars, soit beaucoup plus que toute autre marque se trouvant sur le marché.

Le Père Noël, en tant que marque déposée, nous amène au problème fondamental de la protection des marques, soit : nous avons une marque, mais qu’est-ce qu’on en fait ? Comment la faire vivre ? Déposer une marque n’apporte pas seulement des avantages et des droits de propriété, il faut aussi la maintenir en vie, la défendre contre les attaques et les tentatives de contrefaçon, les imitations, les rapprochements indus, etc. Revendiquer l’une des marques les plus connues au monde, comme celle du Père Noël, impliquerait, entre autres, une vigilance absolue, supposerait des actions en justice couteuses en argent et en temps, qu’aucun détenteur de marque ne pourrait se permettre.  Au-delà de la possibilité d’action juridique dont dispose le détenteur d’une marque, reste l’idée la plus importante que l’on peut tirer de cet exemple, c’est de considérer de manière réaliste la capacité « matérielle » que l’on a à la rendre fiable, à augmenter ses chances de survie. D’un autre point de vue, quelque séductrice puisse être la cote financière d’une marque appartenant au domaine public, il ne faut pas oublier que le dépôt d’une marque est un acte privatif de par sa nature même. Soustraire par le dépôt une partie des valeurs universelles de celle-ci, se basant sur la solidarité, la famille, l’espérance – comme c’est le cas pour le Père Noël – signifie justement ébranler les fondations de notre monde.

Il est bien certain que le Père Noël est un personnage plein de surprises, justement parce qu’il ne se laisse pas si facilement dompté et manipulé. Au bout du compte, la véritable valeur de la marque Père Noël est qu’elle appartient à tout le monde, sans pour autant appartenir à personne en particulier. Encore un paradoxe du monde des marques, qui mériterait d’être mieux compris. Joyeuses fêtes à tous !

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Paul Cosmovici

Me Paul Cosmovici, avocat dans le domaine des marques, brevets et designs, travaille notamment pour des clients situés en Suisse, France, Allemagne, USA ou Royaume-Uni. Il a une grande expérience dans la stratégie liée à la propriété intellectuelle. Son expérience comprend la structuration de transactions commerciales, ainsi que la protection d’actifs de propriété intellectuelle. Me Paul Cosmovici conseille des entreprises menant des activités telles que pharmacies, aliments et boissons, FMCG, logiciels, banques, fonds d'investissement et universités publiques.

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