Le droit des sociétés se modernise

Le 19 juin 2020, l’Assemblée fédérale a approuvé la modernisation du droit de la société anonyme, dont le délai référendaire n’a pas été utilisé. Les principales nouveautés qui toucheront les sociétés anonymes privées concernent (1) le capital-actions, (2) les dividendes, (3) les assemblées générales et (4) l’insolvabilité. La révision est nommée « droit de la société anonyme », mais ces nouveautés favoriseront également largement les sociétés à responsabilité limitée (5).

  1. Capital-actions

Le capital-actions d’une société anonyme doit actuellement être égal ou supérieur à CHF 100’000.- et divisé en actions valant chacune au moins un centime de franc suisse. Le nouveau droit apportera les modifications suivantes :

  • la limite minimale de valeur nominale par action sera libre, pour autant qu’elle soit supérieure à zéro ;
  • le capital-actions pourra être libellé en monnaie étrangère, pour autant, cumulativement (i) qu’il ait une contre-valeur égale ou supérieure à CHF 100’000.- lors de la constitution de la société, (ii) que la monnaie choisie soit la plus importante au regard des activités de l’entreprise, ce qui se traduira en particulier par son utilisation pour la comptabilité commerciale et la présentation des comptes et (iii) qu’il s’agisse d’une monnaie autorisée par le conseil fédéral dans une ordonnance non encore promulguée.

Par ailleurs, l’augmentation de capital autorisée qui permet à l’assemblée générale d’autoriser le conseil d’administration à augmenter le capital-actions à sa convenance dans un délai de deux ans, sera abrogée et remplacée par un instrument nommé marge de fluctuation. Ainsi, l’assemblée générale pourra autoriser le conseil d’administration à faire varier le capital-actions entre la moitié et une fois et demi son montant préexistant, durant cinq ans au plus.

  1. Dividendes intermédiaires

Le droit actuel interdit la distribution du bénéfice courant durant l’exercice comptable où il est réalisé (i.e. le bénéfice réalisé depuis la précédente clôture annuelle).

Cette possibilité existera expressément sous le nouveau droit, pour autant que des comptes intermédiaires soient établis (en principe révisés, sauf optingout ou décision prise à l’unanimité des actionnaires) et qu’un bénéfice ait été réalisé depuis la dernière clôture. La distribution des liquidités excédentaires dans le contexte d’une vente de la société et les flux de trésorerie intra-groupes seront ainsi facilités.

  1. Assemblées générales

Sous réserve du droit d’urgence lié à la pandémie, les assemblées générales ne peuvent actuellement se tenir qu’en présence physique, en Suisse. Le nouveau droit permettra désormais l’organisation d’assemblées :

  • sous forme virtuelle, si les statuts le prévoient ;
  • à l’étranger, si les statuts le prévoient ;
  • en plusieurs endroits à la fois, pour autant que les interventions soient retransmises en direct sur tous les sites de réunion ; ou
  • par circulation universelle, y compris électronique.

Par ailleurs, le conseil d’administration pourra autoriser les assemblées générales dites hybrides, indépendamment des statuts. Ainsi, les actionnaires qui ne seront pas présents au lieu où se tient l’assemblée, pourront exercer leurs droits par voie électronique.

  1. Insolvabilité

Le nouveau droit introduira un devoir général du conseil d’administration de surveiller la solvabilité de la société et, si cette dernière risque de devenir insolvable, de prendre des mesures visant à garantir sa solvabilité.

Les obligations du conseil d’administration en cas de surendettement seront par ailleurs modifiées comme suit :

  • en cas de suspicion de surendettement, le conseil d’administration pourra décider (i) de n’établir que des comptes à valeur de continuation, si la poursuite des activités est envisagée, ou (ii) de n’établir que des comptes à valeur de continuation, si un arrêt de l’activité est d’emblée envisagé.
  • le conseil d’administration pourra renoncer à aviser le juge du surendettement s’il pense que la situation pourra être rétablie dans les 90 jours dès l’établissement des comptes et que l’exécution des créances ne s’en trouvera « pas davantage compromise ».

Cette dernière nouveauté est un énorme progrès, car le droit actuel ne donne que peu de marge de manœuvre aux administrateurs lorsque le surendettement est avéré.

  1. Applicabilité aux sociétés à responsabilité limitée

Les nouveautés qui précèdent s’appliqueront largement, par analogie, aux sociétés à responsabilité limitée, sous réserve de particularités existantes (cela sera notamment le cas de la nouvelle marge de fluctuation du capital qui ne s’appliquera pas à la société à responsabilité limitée).

Ainsi, l’attractivité de cette forme juridique demeurera et les bénéfices de la révision profiteront pleinement aux petites et moyennes entreprises constituées sous forme de société à responsabilité limitée.

  1. Entrée en vigueur et conclusions

Dans l’ensemble, le droit des sociétés sera rendu plus pragmatique et proche de la pratique moderne, ce qui est très appréciable. Par ailleurs, l’incertitude juridique liée aux obligations du conseil d’administration en cas de menace d’insolvabilité a en bonne partie été levée.

La date d’entrée en vigueur de ces modifications n’est pas encore connue, mais devrait être annoncée pour 2022.

Assemblées de sociétés et COVID-19 : La flexibilité perdure

La possibilité d’organiser des assemblées générales de société sous forme écrite ou électronique a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2021, projetant ainsi les assemblées dans le futur et faisant perdurer la flexibilité pour plus d’une année encore.

 

L’assemblée est un événement incontournable dans la vie d’une société, car le droit suisse octroie un nombre important de compétences intransmissibles à cet organe (art. 698 al. 2 CO) et oblige la société à l’organiser au moins une fois par année (art. 699 al. 2 CO).

Le Code des obligations, qui s’applique ordinairement à ces questions, ne permet actuellement pas de tenir une assemblée autrement que sous forme « présentielle », la possibilité pour les actionnaires de se faire représenter étant réservée. Traditionnellement, l’assemblée est l’occasion annuelle pour les actionnaires de se rencontrer et de partager un moment convivial, ou encore d’exprimer leurs vues – parfois virulentes – sur la gestion de la société au cours de l’année écoulée.

 

Interdiction des manifestations privées et publiques

Le 17 mars 2020, le Conseil fédéral a interdit « toutes les manifestations publiques et privées, […] y compris les activités associatives » (art 6 Ordonnance 2 COVID-19). Cette interdiction a empêché toute tenue d’assemblée présentielle de société, précisément à la période où celles-ci ont ordinairement lieu.

Puisque l’interdiction des assemblées de société allait avoir une durée alors imprévisible et que toutes les sociétés doivent en principe avoir tenu leur assemblée ordinaire dans les six mois suivant la fin de chaque année (art. 699 al. 2 CO), il a été décidé, le 17 mars dernier, d’autoriser les sociétés à tenir leur assemblée par écrit ou sous forme électronique, à condition d’annoncer cette modalité au plus tard quatre jours avant la date de l’assemblée (art. 6a Ordonnance 2 COVID 19, aujourd’hui déplacé à l’art. 27 Ordonnance 3 COVID-19).

 

La solution temporaire est prolongée

La situation qui a prévalu suite au 17 mars dernier est connue de tous : la Suisse a été mise en hibernation, dont elle est progressivement sortie entre la seconde moitié du mois de mai et le mois de juin 2020. Malgré la fin du semi-confinement, force est de constater que la prudence est d’actualité et que les autorités souhaitent éviter les rassemblements inutiles de personnes. Cette volonté s’est notamment manifestée par la prolongation, à plusieurs reprises, de la possibilité d’organiser des assemblées de société sous forme électronique ou écrite.

Ces prolongations se comptaient initialement en semaines ou en mois. Or, le 14 septembre 2020, l’ordonnance pertinente a été modifiée et la mesure visant les assemblées de société a été prolongée de plus d’une année, jusqu’au 31 décembre 2021.

 

La mesure COVID-19 a été transformée en régime d’attente

En juin 2020, le parlement a enfin adopté une révision importante et très anticipée du droit de la société anonyme. Le délai référendaire est échu depuis le 8 octobre 2020, et on attend maintenant l’annonce de la date d’entrée en vigueur de ce texte, probablement pour 2022. La révision inclut notamment un assouplissement notable des exigences de forme de l‘assemblée générale : celle-ci pourra se tenir simultanément en plusieurs lieux (art. 701a al. 3 nCO), à l’étranger (art. 701b nCO) ou encore de manière virtuelle (art. 701d nCO). Les modalités de cette dernière possibilité ne sont pas identiques à celles qui prévalent dans les mesures COVID-19, mais sont tout autant progressistes au regard du droit ordinaire actuel.

Ainsi, en prolongeant les mesures COVID-19 permettant d’organiser des assemblées de société sous forme électronique ou écrite jusqu’au 31 décembre 2021, le gouvernement a concrètement fait entrer la Suisse dans la modernité, puisque cette situation correspond au futur nouveau droit ordinaire qui devrait entrer en vigueur à l’issue de l’abrogation des mesures COVID-19 ou peu après.

 

Les droits des actionnaires sont malmenés

Les actionnaires minoritaires n’ont certes par définition pas une majorité permettant d’influer directement sur la gouvernance de la société, mais leur droit d’intervenir à l’assemblée générale leur permettait – sous le CO en vigueur jusqu’au 17 mars 2020 – d’exprimer leurs soucis et mécontentements de vive voix à l’assemblée générale.

La révision du code des obligations a pris en compte cette question et ménagé les droits des actionnaires en ne permettant les assemblées générales virtuelles qu’à la condition expresse que chaque actionnaire puisse faire des propositions et prendre part aux débats (art. 701e al. 2 ch. 3 nCO).

Ceci n’est toutefois pas le cas de l’ordonnance 3 COVID-19 qui restera en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. En effet, à teneur de son article 27, les assemblées peuvent être tenues « par écrit ou sous forme électronique ». D’une part, la forme écrite exclut de facto toute intervention d’un actionnaire devant l’assemblée. D’autre part, l’OFJ nous explique dans un FAQ n’ayant pas force de loi que la forme électronique implique une télé- ou visioconférence où « en principe, il doit être assuré que chaque participant […] puisse s’exprimer à l’AG ». Tout principe ayant généralement des exceptions, ce flou pourrait avoir de lourdes conséquences pour les droits des actionnaires.

 

Conclusions

Le COVID-19 a ainsi accéléré de deux ans au moins la possibilité pour les sociétés suisses de tenir leurs assemblées sous forme électronique. Ceci aura, entre autres, la vertu d’augmenter l’attractivité de la Suisse pour les sociétés étrangères souhaitant y déplacer leur siège.

Néanmoins, le droit d’urgence actuellement en vigueur permet potentiellement aux sociétés de léser les droits des actionnaires, voire d’éviter tout activisme d’actionnaires, du 17 mars 2020 au 31 décembre 2021.

Cette mesure de lutte contre la pandémie est donc en définitive un réel et important progrès, mais elle devra être maniée avec grande prudence.

Conseils d’administration et actionnaires: n’oubliez pas les devoirs d’annonce (GAFI)

Les devoirs d’annonce des actionnaires et ayants droit économiques ainsi que le contrôle par le conseil d’administration du respect de ces devoirs sont trop souvent oubliés dans les PMEs.

 

Le 1er juillet 2015, la Suisse a commencé l’entrée en vigueur progressive de la loi fédérale du 12 décembre 2014 sur la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), révisées en 2012 qui a pour objectif la lutte contre le blanchiment de capitaux. Le but de cette brève contribution n’est pas de disserter d’une loi entrée en vigueur il y a plus de trois ans, mais plutôt d’en rappeler l’existence et ses principes. Dans le cadre de ma pratique, je constate en effet trop souvent que les obligations légales de cette loi sont peu, voire pas, respectées par les différents acteurs concernés, malgré la sévérité des sanctions prévues.

Devoirs d’annonce de l’actionnaire

Acquisition d’actions au porteur

Pour rappel, l’article 697i alinéa 1 du Code des obligations (CO) prévoit que quiconque acquiert des actions au porteur d’une société non cotée en bourse est tenu d’annoncer cette acquisition à la société dans un délai d’un mois, soit lui transmettre son prénom et son nom (ou sa raison sociale si l’acquéreur est une personne morale) ainsi que son adresse (domicile ou siège). L’actionnaire doit également établir qu’il détient effectivement l’action au porteur en produisant les actions originales ou en fournissant une copie de celles-ci.

Ayant droit économique

En vertu de l’article 697j al. 1 CO, celui qui acquiert, seul ou de concert avec un tiers, des actions (nominatives ou au porteur) d’une société non cotée en bourse et dont la participation, à la suite de cette opération, atteint ou dépasse le seuil de 25% du capital-actions ou des voix, doit annoncer dans un délai d’un mois le prénom, le nom et l’adresse de la personne physique pour le compte de laquelle il agit en dernier lieu (soit l’ayant droit économique).

Toute modification des informations au sujet de l’actionnaire ou de l’ayant droit économique doit également être communiquée à la société.

Par souci de clarté, il est précisé que les personnes qui détenaient déjà des actions au porteur au 1er juillet 2015 avaient jusqu’au 31 décembre 2015 pour se conformer aux obligations d’annoncer, faute de quoi les sanctions prévues devaient s’appliquer automatiquement.

Sanctions en cas de non-respect des obligations d’annoncer

L’actionnaire qui ne respecte pas les devoirs d’annonce susmentionnés ne peut pas exercer les droits sociaux (p. ex. droit de vote) ni faire valoir les droits patrimoniaux (p. ex. droit au dividende) liés aux actions (art. 697m al. 1 et 2 CO). Par ailleurs, si cette obligation d’annonce n’est pas acquittée dans un délai d’un mois à compter de l’acquisition de l’action, les droits patrimoniaux s’éteignent. Si l’actionnaire répare cette omission à une date ultérieure, il peut faire valoir les droits patrimoniaux qui naissent à compter de cette date (il n’y a donc pas d’effet rétroactif; art. 697m al. 3 CO).

Plus concrètement, un actionnaire n’ayant pas respecté son devoir d’annonce ne peut pas prendre part à une assemblée générale, et donc exercer son droit de vote et/ou faire valoir ses droits patrimoniaux.

Quant à l’actionnaire qui n’aurait pas fait l’annonce requise dans le délai d’un mois, avec comme conséquence la péremption de ses droits patrimoniaux, il ne pourrait pas réclamer le versement d’un éventuel dividende décidé par l’assemblée générale de la société durant la période précédant sa mise en conformité (i.e. son annonce).

Devoirs de la société (du conseil d’administration)

Respect des obligations d’annoncer

Le conseil d’administration doit s’assurer qu’aucun actionnaire n’exerce ses droits (sociaux et/ou patrimoniaux) en violation de ses obligations d’annoncer.

Liste des actionnaires/ayants droit économiques

La société (respectivement le conseil d’administration) doit tenir une liste des détenteurs d’actions au porteur et des ayants droit économiques annoncés à la société (art. 697l al. 1 CO).

Cette liste mentionne le prénom et le nom ou la raison sociale ainsi que l’adresse des détenteurs d’actions au porteur ou ayants droit économiques. Elle mentionne également la nationalité et la date de naissance des détenteurs d’actions au porteur (art. 697al. 2 CO).

La liste doit être tenue de manière à ce qu’il soit possible d’y accéder en tout temps en Suisse, étant précisé que, tout comme le registre des actions, elle n’est pas publique. Le conseil d’administration doit conserver les pièces justificatives de l’annonce pendant dix ans après la radiation de la personne de la liste.

Adaptation des statuts

Les sociétés inscrites au registre du commerce avant le 1er juillet 2015 avaient l’obligation d’adapter leur statut et leur règlement aux nouvelles dispositions jusqu’au 1er juillet 2017, faute de quoi les dispositions non conformes ne seraient plus valables. L’expérience montre que cette adaptation n’a pas encore eu lieu pour beaucoup de sociétés.

 

En résumé, les obligations d’annonce inscrites dans le CO depuis le 1er juillet 2015 peuvent sembler anodines mais sont loin de l’être. En effet, le non respect de ces obligations a des conséquences importantes pour l’actionnaire et pour la prise de décision dans le cadre de l’assemblée générale. Le conseil d’administration doit donc vérifier qu’aucun actionnaire n’exerce ses droits sociaux ou patrimoniaux en violation de ses obligations d’annonce et engage en ce sens sa responsabilité s’il ne le fait pas (p. ex. dans le cas de versements de dividende à un actionnaire dont les droits patrimoniaux auraient été suspendus ou périmés, faute d’annonce effectuée).