Assemblées de sociétés et COVID-19 : La flexibilité perdure

La possibilité d’organiser des assemblées générales de société sous forme écrite ou électronique a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2021, projetant ainsi les assemblées dans le futur et faisant perdurer la flexibilité pour plus d’une année encore.

 

L’assemblée est un événement incontournable dans la vie d’une société, car le droit suisse octroie un nombre important de compétences intransmissibles à cet organe (art. 698 al. 2 CO) et oblige la société à l’organiser au moins une fois par année (art. 699 al. 2 CO).

Le Code des obligations, qui s’applique ordinairement à ces questions, ne permet actuellement pas de tenir une assemblée autrement que sous forme « présentielle », la possibilité pour les actionnaires de se faire représenter étant réservée. Traditionnellement, l’assemblée est l’occasion annuelle pour les actionnaires de se rencontrer et de partager un moment convivial, ou encore d’exprimer leurs vues – parfois virulentes – sur la gestion de la société au cours de l’année écoulée.

 

Interdiction des manifestations privées et publiques

Le 17 mars 2020, le Conseil fédéral a interdit « toutes les manifestations publiques et privées, […] y compris les activités associatives » (art 6 Ordonnance 2 COVID-19). Cette interdiction a empêché toute tenue d’assemblée présentielle de société, précisément à la période où celles-ci ont ordinairement lieu.

Puisque l’interdiction des assemblées de société allait avoir une durée alors imprévisible et que toutes les sociétés doivent en principe avoir tenu leur assemblée ordinaire dans les six mois suivant la fin de chaque année (art. 699 al. 2 CO), il a été décidé, le 17 mars dernier, d’autoriser les sociétés à tenir leur assemblée par écrit ou sous forme électronique, à condition d’annoncer cette modalité au plus tard quatre jours avant la date de l’assemblée (art. 6a Ordonnance 2 COVID 19, aujourd’hui déplacé à l’art. 27 Ordonnance 3 COVID-19).

 

La solution temporaire est prolongée

La situation qui a prévalu suite au 17 mars dernier est connue de tous : la Suisse a été mise en hibernation, dont elle est progressivement sortie entre la seconde moitié du mois de mai et le mois de juin 2020. Malgré la fin du semi-confinement, force est de constater que la prudence est d’actualité et que les autorités souhaitent éviter les rassemblements inutiles de personnes. Cette volonté s’est notamment manifestée par la prolongation, à plusieurs reprises, de la possibilité d’organiser des assemblées de société sous forme électronique ou écrite.

Ces prolongations se comptaient initialement en semaines ou en mois. Or, le 14 septembre 2020, l’ordonnance pertinente a été modifiée et la mesure visant les assemblées de société a été prolongée de plus d’une année, jusqu’au 31 décembre 2021.

 

La mesure COVID-19 a été transformée en régime d’attente

En juin 2020, le parlement a enfin adopté une révision importante et très anticipée du droit de la société anonyme. Le délai référendaire est échu depuis le 8 octobre 2020, et on attend maintenant l’annonce de la date d’entrée en vigueur de ce texte, probablement pour 2022. La révision inclut notamment un assouplissement notable des exigences de forme de l‘assemblée générale : celle-ci pourra se tenir simultanément en plusieurs lieux (art. 701a al. 3 nCO), à l’étranger (art. 701b nCO) ou encore de manière virtuelle (art. 701d nCO). Les modalités de cette dernière possibilité ne sont pas identiques à celles qui prévalent dans les mesures COVID-19, mais sont tout autant progressistes au regard du droit ordinaire actuel.

Ainsi, en prolongeant les mesures COVID-19 permettant d’organiser des assemblées de société sous forme électronique ou écrite jusqu’au 31 décembre 2021, le gouvernement a concrètement fait entrer la Suisse dans la modernité, puisque cette situation correspond au futur nouveau droit ordinaire qui devrait entrer en vigueur à l’issue de l’abrogation des mesures COVID-19 ou peu après.

 

Les droits des actionnaires sont malmenés

Les actionnaires minoritaires n’ont certes par définition pas une majorité permettant d’influer directement sur la gouvernance de la société, mais leur droit d’intervenir à l’assemblée générale leur permettait – sous le CO en vigueur jusqu’au 17 mars 2020 – d’exprimer leurs soucis et mécontentements de vive voix à l’assemblée générale.

La révision du code des obligations a pris en compte cette question et ménagé les droits des actionnaires en ne permettant les assemblées générales virtuelles qu’à la condition expresse que chaque actionnaire puisse faire des propositions et prendre part aux débats (art. 701e al. 2 ch. 3 nCO).

Ceci n’est toutefois pas le cas de l’ordonnance 3 COVID-19 qui restera en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. En effet, à teneur de son article 27, les assemblées peuvent être tenues « par écrit ou sous forme électronique ». D’une part, la forme écrite exclut de facto toute intervention d’un actionnaire devant l’assemblée. D’autre part, l’OFJ nous explique dans un FAQ n’ayant pas force de loi que la forme électronique implique une télé- ou visioconférence où « en principe, il doit être assuré que chaque participant […] puisse s’exprimer à l’AG ». Tout principe ayant généralement des exceptions, ce flou pourrait avoir de lourdes conséquences pour les droits des actionnaires.

 

Conclusions

Le COVID-19 a ainsi accéléré de deux ans au moins la possibilité pour les sociétés suisses de tenir leurs assemblées sous forme électronique. Ceci aura, entre autres, la vertu d’augmenter l’attractivité de la Suisse pour les sociétés étrangères souhaitant y déplacer leur siège.

Néanmoins, le droit d’urgence actuellement en vigueur permet potentiellement aux sociétés de léser les droits des actionnaires, voire d’éviter tout activisme d’actionnaires, du 17 mars 2020 au 31 décembre 2021.

Cette mesure de lutte contre la pandémie est donc en définitive un réel et important progrès, mais elle devra être maniée avec grande prudence.

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Loïs Hainard

Loïs Hainard est avocat (associé chez Bonnard Lawson) spécialisé en droit des affaires et plus particulièrement en droit des sociétés, fusions et acquisitions (M&A), financement et investissement (Venture Capital/Private Equity). Il a, dans ce cadre, mené à son terme de nombreuses transactions. Loïs Hainard bénéficie également d'une large expérience dans la négociation et la rédaction de contrats commerciaux sophistiqués.

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