Conseils d’administration et actionnaires: n’oubliez pas les devoirs d’annonce (GAFI)

Les devoirs d’annonce des actionnaires et ayants droit économiques ainsi que le contrôle par le conseil d’administration du respect de ces devoirs sont trop souvent oubliés dans les PMEs.

 

Le 1er juillet 2015, la Suisse a commencé l’entrée en vigueur progressive de la loi fédérale du 12 décembre 2014 sur la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), révisées en 2012 qui a pour objectif la lutte contre le blanchiment de capitaux. Le but de cette brève contribution n’est pas de disserter d’une loi entrée en vigueur il y a plus de trois ans, mais plutôt d’en rappeler l’existence et ses principes. Dans le cadre de ma pratique, je constate en effet trop souvent que les obligations légales de cette loi sont peu, voire pas, respectées par les différents acteurs concernés, malgré la sévérité des sanctions prévues.

Devoirs d’annonce de l’actionnaire

Acquisition d’actions au porteur

Pour rappel, l’article 697i alinéa 1 du Code des obligations (CO) prévoit que quiconque acquiert des actions au porteur d’une société non cotée en bourse est tenu d’annoncer cette acquisition à la société dans un délai d’un mois, soit lui transmettre son prénom et son nom (ou sa raison sociale si l’acquéreur est une personne morale) ainsi que son adresse (domicile ou siège). L’actionnaire doit également établir qu’il détient effectivement l’action au porteur en produisant les actions originales ou en fournissant une copie de celles-ci.

Ayant droit économique

En vertu de l’article 697j al. 1 CO, celui qui acquiert, seul ou de concert avec un tiers, des actions (nominatives ou au porteur) d’une société non cotée en bourse et dont la participation, à la suite de cette opération, atteint ou dépasse le seuil de 25% du capital-actions ou des voix, doit annoncer dans un délai d’un mois le prénom, le nom et l’adresse de la personne physique pour le compte de laquelle il agit en dernier lieu (soit l’ayant droit économique).

Toute modification des informations au sujet de l’actionnaire ou de l’ayant droit économique doit également être communiquée à la société.

Par souci de clarté, il est précisé que les personnes qui détenaient déjà des actions au porteur au 1er juillet 2015 avaient jusqu’au 31 décembre 2015 pour se conformer aux obligations d’annoncer, faute de quoi les sanctions prévues devaient s’appliquer automatiquement.

Sanctions en cas de non-respect des obligations d’annoncer

L’actionnaire qui ne respecte pas les devoirs d’annonce susmentionnés ne peut pas exercer les droits sociaux (p. ex. droit de vote) ni faire valoir les droits patrimoniaux (p. ex. droit au dividende) liés aux actions (art. 697m al. 1 et 2 CO). Par ailleurs, si cette obligation d’annonce n’est pas acquittée dans un délai d’un mois à compter de l’acquisition de l’action, les droits patrimoniaux s’éteignent. Si l’actionnaire répare cette omission à une date ultérieure, il peut faire valoir les droits patrimoniaux qui naissent à compter de cette date (il n’y a donc pas d’effet rétroactif; art. 697m al. 3 CO).

Plus concrètement, un actionnaire n’ayant pas respecté son devoir d’annonce ne peut pas prendre part à une assemblée générale, et donc exercer son droit de vote et/ou faire valoir ses droits patrimoniaux.

Quant à l’actionnaire qui n’aurait pas fait l’annonce requise dans le délai d’un mois, avec comme conséquence la péremption de ses droits patrimoniaux, il ne pourrait pas réclamer le versement d’un éventuel dividende décidé par l’assemblée générale de la société durant la période précédant sa mise en conformité (i.e. son annonce).

Devoirs de la société (du conseil d’administration)

Respect des obligations d’annoncer

Le conseil d’administration doit s’assurer qu’aucun actionnaire n’exerce ses droits (sociaux et/ou patrimoniaux) en violation de ses obligations d’annoncer.

Liste des actionnaires/ayants droit économiques

La société (respectivement le conseil d’administration) doit tenir une liste des détenteurs d’actions au porteur et des ayants droit économiques annoncés à la société (art. 697l al. 1 CO).

Cette liste mentionne le prénom et le nom ou la raison sociale ainsi que l’adresse des détenteurs d’actions au porteur ou ayants droit économiques. Elle mentionne également la nationalité et la date de naissance des détenteurs d’actions au porteur (art. 697al. 2 CO).

La liste doit être tenue de manière à ce qu’il soit possible d’y accéder en tout temps en Suisse, étant précisé que, tout comme le registre des actions, elle n’est pas publique. Le conseil d’administration doit conserver les pièces justificatives de l’annonce pendant dix ans après la radiation de la personne de la liste.

Adaptation des statuts

Les sociétés inscrites au registre du commerce avant le 1er juillet 2015 avaient l’obligation d’adapter leur statut et leur règlement aux nouvelles dispositions jusqu’au 1er juillet 2017, faute de quoi les dispositions non conformes ne seraient plus valables. L’expérience montre que cette adaptation n’a pas encore eu lieu pour beaucoup de sociétés.

 

En résumé, les obligations d’annonce inscrites dans le CO depuis le 1er juillet 2015 peuvent sembler anodines mais sont loin de l’être. En effet, le non respect de ces obligations a des conséquences importantes pour l’actionnaire et pour la prise de décision dans le cadre de l’assemblée générale. Le conseil d’administration doit donc vérifier qu’aucun actionnaire n’exerce ses droits sociaux ou patrimoniaux en violation de ses obligations d’annonce et engage en ce sens sa responsabilité s’il ne le fait pas (p. ex. dans le cas de versements de dividende à un actionnaire dont les droits patrimoniaux auraient été suspendus ou périmés, faute d’annonce effectuée).

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Loïs Hainard

Loïs Hainard est avocat (associé chez Bonnard Lawson) spécialisé en droit des affaires et plus particulièrement en droit des sociétés, fusions et acquisitions (M&A), financement et investissement (Venture Capital/Private Equity). Il a, dans ce cadre, mené à son terme de nombreuses transactions. Loïs Hainard bénéficie également d'une large expérience dans la négociation et la rédaction de contrats commerciaux sophistiqués.

Une réponse à “Conseils d’administration et actionnaires: n’oubliez pas les devoirs d’annonce (GAFI)

  1. C’est tout de même honteux que la Suisse se soit laissé imposer ces obligations légales absurdes, totalement contraires à toute notre tradition de discrétion et secret des affaires, ce qui a pour conséquence, tout comme la perte non moins honteuse du secret bancaire, que la place financière a perdu tout ce qui faisait sa force et son attractivité. Le GAFI, qui n’a aucune espèce de légitimité quelconque, aura vraiment été l’instrument le plus vicieux, avec son moralisme hypocrite, pour assurer la domination financière américaine en imposant au monde entier des contraintes que les USA ne respectent pas. C’est humiliant de penser que nos autorités n’ont même pas tenté de defendre les intérêts de notre pays, alors que la Suisse était membre fondateur de l’OCDE et n’avait qu’à s’abstenir pour que la funeste convention qui impose ces stupidités soit caduque. (En effet ces conventions ne peuvent être adoptées qu’à l’unanimité.) ll faudra bien un jour que nous ayons enfin à nouveau des gouvernants dignes de ce nom, et qu’on revienne sur tout cela.

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