Comment des politiciens ont cru favoriser l’économie circulaire !

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L’OLED, c’est quoi ?

L’Ordonnance sur la limitation et l’élimination des déchets (OLED), entrée en vigueur en 2015, régit la gestion des déchets en Suisse dans le but de protéger les êtres vivants et l’environnement. Elle définit les normes de fonctionnement des installations d’élimination des déchets, telles que les usines de valorisation thermique (usines d’incinération), ainsi que les conditions de mise en décharge des déchets ne pouvant pas être incinérés (gravats, terres d’excavation).

En avril 2022, l’OLED a été révisée dans le but de favoriser l’économie circulaire. Dans ce sens, elle privilégie la « valorisation matière » à la « valorisation thermique ». En d’autres termes, on préfère donner une seconde vie au déchet (qui n’en est plus un) au lieu de l’incinérer ou de le mettre en décharge. Cette modification a permis aux politiciens ayant contribué à la rédaction de la nouvelle ordonnance de se targuer d’avoir promu l’économie circulaire. Or, si vous vous penchez un peu plus sur cette loi, vous réaliserez qu’il s’agit en fait d’une modification de façade et je vais vous expliquer pourquoi tout de suite.

Quels déchets sont concernés ?

De manière générale, l’OLED vise tous les déchets ménagers, de chantier, d’excavation ou les biodéchets. Tout autre déchet, dit spéciaux (par ex. produits chimiques, pneus, déchets électroniques, huiles alimentaires…) sont soumis à l’Ordonnance sur les mouvements de déchets (OmoD) — donc exclus de l’OLED. Parmi les déchets soumis à l’OLED, certains ont une finalité déjà définie, que la modification de l’Ordonnance ne change pas. Les déchets ménagers ainsi que les autres déchets combustibles doivent être directement brûlés dans des installations adéquates. Quant aux biodéchets, ils doivent être valorisés pour faire du méthane ou du compost.

La modification de l’OLED ne concerne donc que les déchets de chantier et les matériaux d’excavation. Ces derniers, s’ils ne sont pas pollués, sont soit mis en décharge, soit triés pour être valorisés/réutilisés, la deuxième option n’étant pas encouragée avant la modification de l’OLED, mais représentent-ils une grande part des déchets ?

De combien de déchets parle-t-on ?

La Suisse produit 80 à 90 millions de tonnes de déchets par année (source : https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/dechets/en-bref.html). 83 % sont des déchets de chantier et d’excavation, ce qui représente 74 millions de tonnes par année. Sur ces 74 mio t, les matériaux d’excavation (soit du sol) représentent 57 mio t (64 % des déchets suisses). Autant de déchets qui seront réutilisés tels quels ou mis en décharge s’ils sont trop pollués — notons tout de même que des solutions commencent à se développer pour dépolluer les sols. Les 17 mio t restantes, soit 19 % des déchets suisses représentent les déchets de chantier qui doivent, dès lors et selon la nouvelle ordonnance, faire l’objet d’une valorisation matière. Sachant qu’un an avant la modification de l’OLED, soit en mai 2021 (toujours selon la même source), 70 % des déchets de chantier étaient déjà recyclés. La modification de l’OLED ne concerne donc qu’environ 5 mio t par an (5,6 % des déchets suisses).

 

 

 

Vous allez me dire que c’est énorme et c’est vrai. Or, la question est : pourquoi cette part de déchets n’est pas valorisée aujourd’hui, si 70 % des déchets le sont déjà ?

Il est fort probable que cette part échappe à la valorisation, car elle se rapporte à des produits de mauvaise qualité ou pollués, qui seront soit valorisés thermiquement, soit mis en décharge, faute d’alternative viable. Une logique que la nouvelle ordonnance ne va d’ailleurs pas remettre en question, puisqu’elle prévoit que si la valorisation matière n’est pas économiquement viable, la valorisation thermique ou la mise en décharge reste autorisée.

En résumé, la modification de l’OLED a été faite pour que les 30 % de déchets de chantier qui ne sont pas recyclés chaque année en Suisse soient encouragés à l’être à l’avenir, sans se demander pourquoi ils ne l’étaient pas jusqu’à aujourd’hui.

Voilà pourquoi j’estime que cette loi a été modifiée pour donner bonne conscience à certains politiciens, sans chercher à comprendre le système.

Comment mieux faire ?

Rappelez-vous au début de ce papier, je mentionnais les déchets spéciaux. En 2020, ces déchets représentaient 1,8 mio t (source : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/espace-environnement/indicateurs-environnement/tous-les-indicateurs/emissions-et-dechets/dechets-speciaux.html), soit 2 % seulement de la totalité des déchets produits en Suisse. Cependant, l’impact environnemental pour la production de ces matières est bien plus élevé que celui pour la production des matériaux de chantier. Leur élimination est par conséquent une aberration lorsqu’on sait qu’elles peuvent être réutilisées. Toutefois, ces déchets étant soumis à l’OMoD, il est pratiquement impossible de les valoriser. L’OMoD impose, pour des raisons de sécurité, que ces déchets soient détruits ou récupérés dans une installation prévue à cet effet. À partir du moment où vous avez qualifié votre sous-produit de fabrication de « déchet », vous devez abandonner l’idée de lui faire passer une frontière ou de le revendre à une industrie qui en aurait besoin comme matière première.

À cause des embûches administratives, seuls quelques acteurs valorisent les déchets spéciaux. Souvent, cette valorisation passe par une étape de purification, avec pour corollaire un coût considérable en énergie et en matières premières et qui ne s’avère pas forcément utile. C’est pourquoi la grande majorité de ces déchets ne sont pas valorisés et que leur impact est probablement plus grand que les 5 mio t de déchets de chantier actuellement non valorisés, visés par la nouvelle OLED.

Une modification harmonieuse de toutes les lois régissant les déchets pour favoriser la valorisation matière serait bienvenue. Pour commencer, il faudrait probablement changer la définition donnée au « déchet » selon son utilisation à destination. En cas d’élimination, nous parlerions effectivement de déchet, alors qu’en cas de réemploi, nous parlerions de matière première. À bon entendeur.

Henri Klunge

Ingénieur chimiste HES et Conseiller en environnement avec brevet fédéral. Henri est tombé dans l'entrepreneuriat par hasard. On l'appelle l'alchimiste qui transforme tous vos déchets en or ! Il est persuadé que l'argent n'est pas la seule valeur d'une entreprise

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