COVID-19 et numérisation de la formation : et si les Grecs avaient raison !

Les outils numériques ont certainement le potentiel d’améliorer qualitativement l’expérience de formation. Mais attention, ils ne doivent pas devenir une excuse pour rendre « admissible » le fait de priver celui ou celle qui se forme d’une grande partie de la valeur d’un parcours de formation, sous le prétexte que la matière a été enseignée.

« Bien ou mal, peu importe finalement. L’enjeu est posé, le monde a changé ! » C’est ainsi que je terminais mon blog du mois de juin 2020 relatif à l’enjeu de la numérisation de la formation continue et supérieure. Si durant la première vague de la pandémie de COVID-19 les instituts de formation et les écoles n’ont pas eu d’autre choix que de passer 100% de leurs cours en ligne, le contexte légal de l’automne 2020 était différent et a permis  de conserver des cours en présentiel, pour des questions notamment de qualité pédagogique. Les gymnases et les écoles obligatoires ont ainsi pu maintenir les cours en présentiel et il semble admis par les autorités fédérales et cantonales que rien ne vaut un enseignement en classe, tant du point de vue de la qualité que de l’égalité des chances face aux contraintes du numérique.

Les sacrifiés et les autres

Le “nouveau Monde” de la formation 100% en ligne, né en mars 2020, s’est trouvé ainsi rattrapé à l’automne 2020 par “l’ancien Monde”, celui qui rappelle la valeur des interactions humaines directes pour favoriser l’apprentissage. Rien de nouveau en soi, puisque les Grecs anciens avaient déjà compris les vertus de la formation en présentiel, liant la formation de l’esprit au développement physique.

La volonté d’éviter au maximum le déplacement de plusieurs dizaines de milliers d’étudiants sur des campus universitaires et la fréquentation d’auditoires bondés de plusieurs centaines d’étudiants peut expliquer le passage en ligne obligatoire des formations universitaires et HES. Il se trouve que, dans les gymnases et les écoles obligatoires, on déplace en même temps presque autant d’élèves, mais les cours sont restés en présentiel.

Sans beaucoup de réflexion pédagogique, on a créé ainsi deux mondes avec, d’un côté les étudiants prétendument rompus à l’apprentissage et dont on se dit que, finalement, assister à un cours en ligne ou dans un auditoire de 500 personnes c’est un peu la même chose et, d’autre part, les étudiants pour lesquels on insiste sur la nécessité du présentiel pour la qualité de la formation. C’est évidemment faux.

La formation ne se limite pas à enseigner une matière

Certes, les grands auditoires ne sont sans doute pas parfaits pour l’interaction avec des professeurs, mais c’est oublier les travaux de groupes, les assistants, les rencontres entre étudiants qui font toute la richesse de la formation académique. C’est la même richesse que l’on retrouve dans les formations de brevets et de diplômes pour lesquelles une part importante du contenu pédagogique est apporté par les échanges entre les participants. Faire des études, universitaires ou supérieures, c’est aussi se construire un réseau, souvent pour la vie. LinkedIn peut certes aider, mais on ne me fera pas dire que cela vaut un réseau d’amitiés estudiantines. Priver de formation en présentiel durant tant de mois les futurs collaborateurs ou cadres de nos entreprises n’est donc pas sans impact sur leur construction intellectuelle et sociale au sortir des études.

La crise comme accélérateur

Alors oui, le “nouveau Monde” de la formation aura une plus forte composante numérique, mais pas à n’importe quel prix, ni humain, ni au détriment de la qualité. Certains enseignements supportent aisément le passage en ligne, surtout pour les éléments de compréhension, de donnée de consignes, de mémorisation. Cela nécessite toutefois un vrai travail pédagogique en amont pour que la formation soit donnée de façon qualitative. Maîtriser une caméra sur Zoom ou Teams n’est pas suffisant. La formation mérite cette évolution qui se serait sans doute faite naturellement et pour laquelle la crise de 2020 aura été un accélérateur et un déclencheur d’opportunités, comme dans tant de domaines de l’économie. Mais il importe aussi de reconnaître que les avantages du présentiel sont indiscutables et que la numérisation peut parfaitement rester un outil à son service et non devenir une fin en soi.

L’être humain reste profondément …. humain

L’expérience que nous traversons montre à mon avis les limites de la numérisation et tempère sans doute certains phantasmes. Rien ne remplacera les interactions humaines, ni pour la formation, ni dans d’autres domaines de la vie des entreprises ou de la vie sociale. Cela tient sans doute à la nature humaine qui fait de nous, à de rares exceptions, des personnes qui vivent en société, se reconnaissent dans un groupe et ont besoin d’interagir avec leurs semblables.

Les outils numériques ont certainement le potentiel d’améliorer qualitativement l’expérience de formation. Mais attention, ils ne doivent pas devenir une excuse pour rendre « admissible » le fait de priver celui qui se forme d’une grande partie de la valeur d’un parcours de formation, sous le prétexte que la matière a été enseignée.

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Frédéric Bonjour

Membre de la direction du Centre Patronal depuis 2013 Frédéric Bonjour est responsable du marketing et des ventes, ainsi que de la marque Romandie Formation appartenant au Centre Patronal . Avec une offre de près de 30 brevets et diplômes fédéraux et quelques 300 chargés de cours, les enjeux de la formation des cadres en entreprise sont son quotidien.

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