Le manager et le jeu infini

Les entreprises qui permettent à leurs managers de se former à développer les bons réflexes, à coacher leurs équipes afin qu’elles soient engagées et compétitives, tout en libérant leur créativité ont avec elles des talents précieux et donc une aide à la résilience dans le jeu infini de l’économie.

Simon Sinek, auteur et conférencier de renommée mondiale est une source de réflexion et d’inspiration que je trouve toujours extrêmement stimulante. La réflexion qu’il fait autour du thème « the infinite game » m’a particulièrement interpellé en cette période de crise. La question est la suivante : si l’on considère que l’économie est un « jeu ou une partie sans fin » dans lequel les règles changent en permanence, que des acteurs peuvent y entrer et en sortir librement et que le seul objectif de cette partie est de se perpétuer, que se passe-t-il lorsque les managers et les entreprises y jouent avec des règles d’un « jeu fini », c’est-à-dire un jeu avec un début et une fin, des règles fixes, des arbitres et un nombre défini de joueurs?
Peut-on réellement gagner une partie infinie ? Comme acteur économique (en tant qu’entreprise ou comme manager), quelle est la finalité de la compétition et de la performance dans un jeu qui n’a ni début ni fin ? Je ne peux qu’inciter le lecteur à écouter, par exemple, Simon Sinek – The infinite game – Nordic Business Forum Sweden 2019 https://www.youtube.com/watch?v=HRIfTfVOMG4 pour profiter de cette réflexion et de son impact sur le management.

Une question de focus
Je trouve intéressante l’analyse que fait l’auteur de l’impact de toute la réflexion autour du « jeu infini » sur le management. Comparant Microsoft à Apple, il décrit l’un comme «concentré » sur les parts de marché et la façon de battre le concurrent et l’autre comme concentré sur la façon de rendre son produit encore meilleur l’année suivante, de satisfaire encore mieux le client, de rendre ses collaborateurs encore plus productifs et engagés dans l’entreprise. Indépendamment du fait que dans toute démonstration les traits sont toujours un peu grossis par souci de servir la cause, il n’en demeure pas moins que cette comparaison reste intellectuellement très intéressante et inspirante.

La technologie doit servir la mission et la vision
L’entreprise qui n’est pas obsédée par la comparaison avec ses concurrents (sans les perdre de vue pour autant) – parce qu’elle sait qu’elle court un marathon et pas un sprint – ne va ainsi pas rechercher le développement technologique dans le seul but de faire comme ces derniers ou mieux qu’eux. Elle va le faire en premier lieu si son réflexe de survie lui dicte que c’est une condition pour « rester dans le jeu ». Elle va rechercher ensuite, par la technologie, à rendre un meilleur service ou fournir un meilleur produit à ses clients, tout en restant concentrée sur la promesse qu’elle leur a faite, les valeurs qui sont les siennes et que les clients partagent. Dans un contexte de crise sanitaire et de numérisation que l’on évoque à chaque contour de publication, toute la réflexion de Simon Sinek est d’une évidente et extrême actualité.

Numériser la place de travail et les processus : oui, si cela sert le produit,  le client et les collaborateurs
Si la numérisation est la condition nécessaire pour “rester dans le jeu” ce qui peut se concevoir pour beaucoup d’entreprises, cette dernière n’a de sens que si cela permet à la société d’améliorer son produit, de mieux satisfaire ses clients, si ses employés comprennent sa stratégie et si le développement numérique vient en appui de sa vision et de sa mission. La numérisation devient alors un moyen au service d’un projet et non pas un artifice ou un argument marketing.

Il en va de même du télétravail que l’on nous décrit comme le nouveau Graal des organisations. Au-delà de l’économie de mètres carrés et donc de frais de structure, quel est le sens de le développer si cela n’améliore pas l’implication des collaborateurs dans l’entreprise, si cela ne sert pas le client ? Surtout, pour quelle raison prendre le risque de le faire perdurer après la pandémie si le management n’est pas formé à encadrer des équipes à distance, s’il ne sait pas à quels éléments nouveaux il doit être attentif ? Recruter des talents en leur promettant la souplesse du télétravail est une chose, encore faut-il des managers pour les motiver afin d’éviter que ceux-là ne finissent par démissionner mentalement ou physiquement. Les entreprises qui sont convaincues que la numérisation de leurs processus ou de leurs produits, la dématérialisation de la place de travail seront de réels facteurs d’amélioration de la satisfaction du client et de motivation de leurs équipes doivent aller de l’avant et surtout former leur personnel à cette situation. Les autres devraient s’interroger encore un peu et ne pas agir par mimétisme, par crainte ou par effet de mode.

Manager avec de nouveaux réflexes
En matière de management des collaborateurs, la question essentielle demeure : comment puis-je obtenir de mes équipes le meilleur engagement ? Vont-elles adhérer à la vision que je porte ? Sur quels critères vais-je juger de la performance d’une équipe ou d’une personne ? Auront-elles confiance en moi, en ma capacité à leur faire confiance et à leur permettre de donner le meilleur d’elles-mêmes ?
Manager une équipe dans une partie infinie demande de nouveaux talents. Considérer son entreprise comme l’acteur d’un jeu infini dans lequel tout est mouvant amènera naturellement la direction à demander à ses managers un effort bien plus dur que dans d’autres sociétés, car la formation des managers actuels repose encore sur des concepts très « finis » de résultats, de mesures, de performance, de marché, etc. Toutes ces notions sont bien sûr importantes et doivent être maîtrisées, mais elles peuvent être aussi un frein à l’ouverture de l’esprit du manager à d’autres indicateurs. Dans un monde incertain, volatile et complexe, les réflexes traditionnels ne permettent pas à eux seuls de jouer avec succès une partie infinie. C’est dans ce sens aussi que l’on peut comprendre la stratégie de développement durable de nombreuses marques et entreprises. La gestion des ressources et l’économie circulaire doivent désormais faire partie des préoccupations des managers s’ils se placent en situation de vouloir rester dans une partie infinie. En effet, pour durer toujours, le jeu rappel à  tous les acteurs un élément  qui n’est d’ailleurs pas nouveau, une sorte de règle valable pour tous qui répond désormais aussi aux attentes des consommateurs : la gestion rationnelle des ressources est indissociable du développement économique.

Il faut à mon avis apprendre aux managers à développer cette réflexion : suis-je en train de jouer au jeu avec les bonnes règles ? Il ne s’agit pas seulement d’agilité, de capacité à saisir des occasions de business, de leadership. Il s’agit de quelque chose de bien plus profond, qui implique peut-être un plus grand investissement personnel et parfois sans doute le sacrifice de ses propres intérêts à court terme ou le renoncement à des convictions bien ancrées.

Le premier talent du manager devrait être de savoir se remettre en question pour mieux remettre en question les modèles existants
Si manager reste un exercice complexe, se remettre en question est sans doute ce qu’il y a de plus difficile et c’est certainement ce que les managers font le moins. Pour rester dans le jeu, il faut être prêt à faire ce que l’on n’a pas encore fait. Une bonne stratégie en 2021 ne marchera pas forcément en 2022. Il n’y a plus de « vieille bonne recette ». Les règles changent, il faut se réinventer ; les besoins changent, le produit doit évoluer ou être remplacé par un nouveau ; le client évolue, il faut évoluer avec lui. Le jour de l’avènement du « shadow management », avec des équipes travaillant à l’établissement de modèles de business alternatifs, n’est sans doute plus si éloigné, s’il n’est pas déjà une réalité dans certaines grandes organisations.

Agir au quotidien pour mettre en œuvre sa vision est la faire partager par ses équipes est un effort constant. Et tout cela ne garantit pas de rester dans la partie. Il faut ajouter à toutes ces difficultés la remise en cause la plus profonde qui soit, la prise de conscience de la fragilité de la nature humaine, qui a un début et une fin et qui, forcément, limite notre action, notre liberté d’imagination et notre capacité à se projeter, dans une partie qui ne s’arrête jamais.

Les entreprises qui permettront à leurs managers de se former à développer les bons réflexes (se remettre en cause, se concentrer sur le client et le produit, intégrer la variable du développement durable), à coacher leurs équipes afin qu’elles soient engagées et performantes tout en les laissant imaginer des solutions auront avec elles des talents précieux et donc une aide à la résilience dans le jeu infini de l’économie.

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Frédéric Bonjour

Membre de la direction du Centre Patronal depuis 2013 Frédéric Bonjour est responsable du marketing et des ventes, ainsi que de la marque Romandie Formation appartenant au Centre Patronal . Avec une offre de près de 30 brevets et diplômes fédéraux et quelques 300 chargés de cours, les enjeux de la formation des cadres en entreprise sont son quotidien.

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