Durabilité, conflits d’intérêts, de nouveaux enjeux pour les PME’s ?

J’ai eu l’opportunité de participer le 15.5.2023 à une table ronde organisée par le CERCLE SUISSE DES ADMINISTRATRICES et la FER Genève, qui a permis d’ évoquer des thèmes d’actualité relatifs à la gouvernance des entreprises suisses.

Mme Nathalie Fontanet,  Conseillère d’Etat du Canton de Genève a rappelé le bienfait de conditions cadres saines qui permettent aux entreprises suisses de se développer, ainsi que l’importance pour les conseils d’administration d’entreprises de progresser dans les pratiques d’ equal opportunities, afin de permettre une meilleure représentation des femmes dans les organes dirigeants des entreprises.

Mme Cristina Gaggini, directrice d’Economie Suisse pour la Suisse romande a ensuite présenté les nouveautés du Code suisse de bonnes pratiques, édité en 2002 et mis à jour en 2023 swisscode_f_web.pdf (economiesuisse.ch).

Cet instrument d’autorégulation a fait ses preuves et génère une large acceptation auprès des grandes entreprises, de la Confédération, d’experts en gouvernance telle la fondation ETHOS et d’organisations spécialisées telle que l’ASIP (Association suisse des institutions de prévoyance). Les réflexions qui ont conduit à l’établissement de ce code peuvent aussi inspirer des évolutions dans la gouvernance des PME.

Les principales modifications introduites en 2023 ont trait à la durabilité, un thème qui est devenu prioritaire pour la société et que ce code place au centre de la gouvernance, ainsi que la gestion des conflits d’intérêts. Ce sont ces deux thèmes qui ont ensuite été traitée en table ronde.

Animée avec brio par Mme Valentina Gizzi, nouvelle Présidente du CERCLE SUISSE DES ADMINISTRATRICES, la table ronde a principalement porté sur  ces deux sujets, la manière d’intégrer la durabilité dans les modèles d’affaires et pratiques des entreprises, ainsi que la manière concrète de gérer les risques de conflits d’intérêts.

Sans être exhaustif, je relate certains éléments qui ont été débattus lors de la table ronde, en espérant que cela puisse être utile à vos propres réflexions et choix  :

Durabilité

Les entreprises cotées et grandes entreprises peuvent dans une certaine mesure prendre les devants et faire évoluer leur modèle d’affaires de manière innovante, avant d’être contraintes, notamment par des dispositions légales qui vont vraisemblablement se renforcer ou se durcir au sein de l’Union Européenne.

La durabilité c’est quoi concrètement ?

En page 6 de sa version révisée en 2023, le code suisse de bonnes pratiques indique que “l’activité d’une entreprise est durable lorsque les intérêts des différentes parties prenantes
dans l’entreprise sont pris en considération et que les objectifs économiques, sociaux et écologiques sont poursuivis dans leur ensemble.”

En page 11, il relève la responsabilité du conseil d’administration pour intégrer la notion de durabilité dans la culture d’entreprise :  “Le conseil d’administration promeut une culture propice à l’action entrepreneuriale et placée sous les signes de l’intégrité, de la durabilité et du sens des responsabilités.”

Ces incitations demeurent des recommandations,  lorsqu’une entreprise s’écarte du code de bonnes pratiques, elle en explique les raisons de manière appropriée, conformément au principe «comply or explain».

Pour corroborer ces lignes directrices et leur application pratique, il est instructif de prendre connaissance des rapports annuels 2022 de grandes entreprises suisses telles que ROMANDE ENERGIE ou VAUDOISE ASSURANCES qui présentent des rapports très complets permettant de s’inspirer des pratiques mises en oeuvre.

Les PME sont-elles concernées ?

Les PME’s suisses sont très pragmatiques, elles n’attendent pas forcément de nouvelles lois ou de codifications supplémentaires pour continuer d’agir avec le sens des responsabilités qui les caractérise envers leurs clients, fournisseurs et le personnel de l’entreprise.

Leur résilience, force bien connue, est probablement due à des facteurs culturels comme la volonté de bien servir les clients, la précision dans le travail fourni, la confection de produits de qualité, une gestion de type familiale qui implique de bonnes relations avec les parties prenantes.

Cette responsabilité est d’ailleurs visible dans la volonté affirmée des propriétaires de PME’s d’assurer la pérennité de leur société. La durabilité des produits ou des services fournis n’est d’ailleurs qu’un sous-ensemble de la pérennité, laquelle recouvre des actes encore plus importants pour être assurée.

Pour être concret, j’ai exposé les pratiques d’une PME d’env. 50 EPT  que je connais de près car je suis membre de son conseil d’administration depuis 2020, la société Zesar.ch SA à Tavannes dans le Jura bernois. Spécialiste en matière d’ergonomie et de conception de meubles de qualité, Zesar.ch SA conçoit et produit du mobilier durable pour les écoles, instituts de formation et pour l’industrie horlogère notamment.

Que fait concrètement cette PME pour intégrer la durabilité dans son modèle d’affaires? Quelques exemples pratiques :

L’ACHAT REGIONAL : dans la mesure du possible, les produits notamment le bois sont achetés en Suisse.

LA PRODUCTION LOCALE : Les produits sont conçus et fabriqués en Suisse. Grâce à une installation de recyclage, l’entreprise réduit au minimum la consommation d’eau et filtre tous les résidus des eaux usées. Les produits livrés ne sont pas emballés dans du plastique mais sont protégés avec des couvertures de laine réutilisables lors des transports.

LA TRANSMISSION DU SAVOIR FAIRE : En tant qu’entreprise formatrice, cette PME impliquée dans le tissu économique régional du Jura bernois , elle transmet son savoir-faire à la génération suivante. Les collaborateurs suivent régulièrement des formations continues pour se familiariser à de nouvelles approches, notamment en matière d’économie circulaire.

Durabilité et PME, quelles implications légales?

Pour les PME’s, c’est à mon avis une bonne chose que la législation ne soit pas constamment rendue plus complexe, elle est suffisamment abondante, il faut éviter un accroissement de la bureaucratie. Le code de bonnes pratiques édité par ECONOMIE SUISSE est utile pour les PME, tant que la littérature et les concepts contenus demeurent abordables tant par leur longueur que par la complexité du vocabulaire et la faisabilité des concepts souvent inspirés des modèles anglo-saxons, qui sont préconisés par ce code. Les associations professionnelles peuvent aider à faciliter l’adoption par les PME de tout ou partie de ce code, par des séances d’information et de formation adaptées aux divers secteurs économiques.

L’efficience, un réflexe très naturel pour les PME

Soumises à une forte concurrence sur le marché, aux effets de crises qu’elles n’ont pas provoquées, à une hausse des coûts notamment pour l’énergie et certaines matières premières, les PME’s sont, à mon avis, encore plus axées sur l’efficience que les grandes entreprises. La compétitivité, l’efficience, sont des question de survie pour elles. Elles prennent leur pérennité très au sérieux et sont obligées de s’adapter assez naturellement aux attentes de leurs parties prenantes, en particulier leurs clients qui exigent le respect de normes, l’obtention de nombreux labels, la “compliance” avec les nouveaux enjeux sociétaux.

Pour terminer cette partie consacrée à l’intégration de la durabilité , je citerai une publication intéressante publiée en 2010 par la FER et le Centre Patronal et mise à jour récemment : « la responsabilité sociale des entreprises », une approche volontaire des PME’s. Cette publication très axée sur la mise en oeuvre pratique contient des exemples concrets qui permettent aux PME’s de faire de leur mieux pour se conformer aux attentes en évolution de la société.

Gestion des risques de conflits d’intérêt

Les nouvelles dispositions du Code des obligations (Art. 717a CO) ne prévoient toujours pas de définition claire de la notion de “conflit d’intérêts”. Les recommandations sur les conflits d’intérêts ont été considérablement élargies dans le Code suisse de bonnes pratiques (p.14) , notamment la manière de les éviter.

Il est ressorti du débat lors de la table ronde le fait que pour tenter de gérer les conflits d’intérêts, il faut tout d’abord montrer l’exemple par « le haut », soit le conseil d’administration et les dirigeants, inspirer une culture d’entreprise et des valeurs saines.

Inspirer à l’interne un comportement irréprochable demande de l’être d’abord soi-même pour les personnes qui exercent les plus hautes responsabilités. Des problèmes récents touchant de grandes entreprises ont toutefois démontré qu’il n’y pas de garantie de bon fonctionnement lorsque l’éthique des organes dirigeants se situe à un niveau insuffisant.

Être transparent et déclarer ses intérêts : cela implique une bonne communication au sein du conseil d’administration et avec les membres de la direction.

Ne pas participer aux débats lorsqu’il y a un doute et bien entendu ne pas participer aux décisions paraît être une évidence, cela demande toutefois de la discipline et de la vigilance de la part des organes dirigeants pour éviter les zones d’ombre qui finalement nuisent à la bonne réputation de l’entreprise.

Annoncer les sollicitations et invitations qui proviennent de l’extérieur, voire les limiter de manière stricte peut aussi permettre de réduire les risques de survenance des conflits d’intérêts.

En conclusion, considérons comme un atout compétitif la possibilité d’adapter nos pratiques entrepreneuriales de manière volontariste et pro-active, plutôt que de subir de nouvelles contraintes légales inspirées ici ou ailleurs.

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Claude Romy

Claude Romy est économiste d'entreprises HES et expert-comptable diplômé. Depuis plus de trente ans, il a réalisé de nombreuses opérations de ventes et acquisitions d'entreprises en Suisse et à l'étranger. Il a co-fondé et présidé la Chambre suisse des Experts en transmissions d’entreprises. Claude Romy est administrateur indépendant et conseille également des entreprises dans le cadre de leur stratégie de développement ou qui font face à des problèmes structurels.

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