Le CFO est-il le gardien du Temple de l’entreprise ?

Pour répondre à cette question, j’ai le plaisir d’interviewer M. Jean-Yves BIERI, CFO du Groupe familial et international MAUS Frères basé à Genève.

 

M. BIERI quelles sont les trois principales responsabilités assumées par un CFO ?

En plus de la parfaite information à fournir au conseil d’administration, je soulignerai le pilotage de la performance, l’anticipation des risques internes et externes à l’entreprise, et le rôle du CFO en matière de fusion / acquisition.

Le pilotage de la performance

Le pilotage de la performance recouvre de nombreux aspects. Il s’agit en premier lieu d’aligner les indicateurs de performances (les KPI’s) sur la stratégie de l’entreprise. Les KPI’s animent toute l’entreprise et leur atteinte crée de la valeur actionnariale à long terme.

Pour donner un exemple simple, si le conseil d’administration vise une meilleure valorisation  de l’entreprise, des objectifs basés sur la croissance du  chiffre d’affaires et de parts de marché sont insuffisants. Il faut comprendre la chaîne de valeur dans son ensemble et agir sur tous les leviers pertinents.

Dans un groupe d’entreprises , des sujets plus périphériques, comme la refacturation des charges du siège aux unités d’affaires font partie du pilotage de la performance : augmenter les management fees en cours d’année peut être très démotivant pour les directeurs d’unités filiales, et a contrario ne pas répercuter les coûts réels liés aux services fournis par le siège peut créer des biais sur la lecture des performances.

Le pilotage de la performance inclut aussi la communication claire et adaptée aux diverses parties prenantes et aux divers niveaux d’une entreprise.

Naturellement le respect des normes comptables, et une représentation fidèle de la situation économique guident le pilotage de la performance.

L’analyse et la gestion des risques

La seconde responsabilité importante du CFO consiste dans l’anticipation des risques internes et externes de l’entreprise. Cette fonction prend une importance d’autant plus grande en ces temps marqués par un environnement économique volatile et très incertain. Les modèles d’affaire peuvent être impactés par de nouveaux modes de consommation, des enjeux géostratégiques ou l’ inflation galopante dans de nombreux pays. Comme CFO, je  dois pouvoir quantifier ces impacts sur le plan stratégique à moyen terme ou sur le budget pour induire les bonnes réactions de la part des dirigeants et cadres.

Il s’agit aussi de gérer les impacts de taux de change fluctuant, les restrictions au commerce, certaines problématiques de cyber sécurité. Anticiper les risques régulatoires est aussi une de mes préoccupations constante, vu les rapides évolutions légales et fiscales au plan international.

Enfin, le CFO doit gérer les risques internes à l’entreprise par l’implémentation et la maintenance d’un système de contrôle interne (SCI) qui ne doit pas entraver les personnes au front. Il y a un équilibre subtil à trouver, il faut négocier à l’interne de l’entreprise et être conscient des enjeux pour gérer les risques de manière optimale.

Les opérations d’acquisition et vente d’entreprises (M&A)

La troisième tâche importante, la participation à la stratégie M&A, devient une tâche essentielle du CFO si elle est d’actualité pour l’entreprise : le CFO participe à la validation de la pertinence d’une acquisition, mais il en pilote aussi la due diligence, l’analyse des risques ainsi qu’une grande partie de l’intégration de la cible dans l’entreprise acheteuse. Il en va de même lorsqu’un désinvestissement est envisagé.

Justement, en quoi son rôle est-il central dans une transaction d’achat ou vente d’entreprise ?

Etant le gardien des données sensibles, il est idéalement placé pour faire le lien entre les opérations et les résultats financiers de la cible, mais aussi pour évaluer les impacts à court et moyen terme sur le bilan, le financement, les résultats et les ratios financiers de son entreprise, la création de valeur pour les actionnaires.

Dans le cadre d’un rachat, un vieillissement des stocks de la cible peut indiquer un manque de qualité dans l’offre des produits. Des flux de liquidités insuffisants alors que les résultats présentés paraissent bons peuvent être un indice de manipulations des provisions comptables. Il faut savoir faire le lien avec l’opérationnel et demander des compléments d’informations opérationnelles, adapter le business plan de la cible et son prix d’achat si nécessaire.

La stratégie de négociation du prix peut permettre de se prémunir contre certains écueils. Lorsque c’est possible, je suis favorable à ce qu’une partie variable du prix d’achat dépende de résultats futurs (earn-out), cela implique toutefois la maîtrise de mécanismes parfois complexes tant au niveau économique que fiscal. Dans le cadre d’une vente il faut se mettre à la place de l’acheteur, anticiper les questions avec un dossier solide. Mais surtout garder un cap en fonction des objectifs visés. Dans le cas d’un achat comme d’une vente il faut aussi savoir renoncer si les buts poursuivis paraissent inatteignables et à l’issue de la due diligence, alerter le CEO et le conseil d’administration le cas échéant.

Quelle formation académique/pratique pour devenir CFO ?

Aujourd’hui le CFO n’est plus nécessairement un expert-comptable, il peut provenir d’autres métiers de la finance ou d’un autre cursus. Avant mon premier poste de directeur financier j’ai eu trois expériences différentes et très complémentaires dans des départements de contrôle de gestion. Comme vous pouvez le lire partout, les compétences humaines sont toujours plus importantes, et je ne connais pas une voie en particulier qui soit meilleure qu’une autre en la matière. Le relationnel avec les autres cadres est primordial, mais aussi avec vos propres équipes. En effet, dès que la taille de l’entreprise le justifie, le CFO va s’appuyer sur des spécialistes métier, il s’agira alors d’accorder toutes ces compétences avec celles de l’ensemble de l’entreprise, pour que l’orchestre produise la symphonie écrite par le conseil d’administration. Je dois être à même de coacher mes équipes dans leur domaine d’excellence respectif. Avoir une grande expertise dans un seul domaine de compétences ne suffit pas, on est plutôt dans une situation de multiplication de compétences, humaines également. Or dans une multiplication, et pour caricaturer un peu, une compétence nulle dans un domaine précis produit invariablement un résultat global nul.

Pourquoi parle-t-on du CFO comme d’un ‘sparring partner’ du CEO ?

Beaucoup de compétences sont nécessaires au sein d’un comité de direction pour que l’entreprise fonctionne bien. Mais la paire CEO-CFO en est, à mon avis,  l’ingrédient primordial. En étant alignés sur la stratégie, le premier élabore son plan de bataille et le CFO doit être à la fois une force de proposition et celui qui challengera avec bienveillance et fermeté le CEO pour que le plan de marche soit suffisamment précis, articulé, compréhensible pour toutes les personnes concernées.

Un souvenir important dans votre carrière ?

Il y en a plusieurs, mais pour ne pas parler que de faits trop récents,  je dirais que l’acquisition de Gétaz Romang Holding par le Groupe CRH en 2007 a certainement été marquante dans ma vie professionnelle  : après avoir contribué aux côtés du CEO M. Miauton à multiplier la capitalisation boursière par 7, géré une OPA à la Bourse suisse puis devenir suite à un processus d’acquisition amical le CFO de la filiale suisse d’un groupe multinational, mener une conversion aux normes comptables  IFRS, mettre en place le cadre de contrôle interne SOX 404 avec l’appui intensif de mes équipes, intégrer de nouvelles filiales, se familiariser avec un nouveau groupe, le tout en 18 mois, cela crée des souvenirs marquants. Une sorte de marathon professionnel accompli avec joie.

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Claude Romy

Claude Romy est économiste d'entreprises HES et expert-comptable diplômé. Depuis plus de trente ans, il a réalisé de nombreuses opérations de ventes et acquisitions d'entreprises en Suisse et à l'étranger. Il a co-fondé et présidé la Chambre suisse des Experts en transmissions d’entreprises. Claude Romy est administrateur indépendant et conseille également des entreprises dans le cadre de leur stratégie de développement ou qui font face à des problèmes structurels.

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