Pénurie de semi-conducteurs : le talon d’Achille du miracle vaudois ?

Dans les conférences s’est glissée l’expression fétiche de notre canton qui serait enfin sorti de crise : « le miracle vaudois ». Les experts autorisés colportent le mot. La CVCI en a même fait un rapport intitulée «De la crise des subprimes à celle du Covid, le miracle vaudois» L’introduction de ce document que l’on peut télécharger souligne que pendant cette période difficile qui s’est étendue sur une quinzaine d’année, le PIB du canton a cru de 41,9% et les emplois de 31%… Les mauvaises langues parleront de rattrapage, mais ne gâchons pas notre plaisir : ces résultats sont meilleurs que ceux du pays dans son ensemble et surtout place notre canton dans le peloton de tête mondial sur la même période. D’un point de vue macro-économique les analystes disposent donc de toutes les raisons de se réjouir non seulement de la résilience mais surtout de la bonne santé de l’économie vaudoise. Mais il y a un mais.

 

 Crise sectorielle mondiale en vue

La micro-économie peut parfois donner lieu à des indices qui ne corroborent pas la vue d’ensemble. Et des crises sectorielles, si elles ne sont pas prises au sérieux peuvent avoir des conséquences qui touchent les entreprises concernées. Elles pourraient même se répercuter sur l’ensemble de l’économie par un effet de domino. Pour faire simple, le monde entier est actuellement soumis à une pénurie de semi-conducteurs. De cela le monde entier est informé et certains politiques ont pris en compte la gravité de la situation tout en tentant de rassurer. Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur, s’est voulu rassurant en affirmant il y a quelques jours que le « pic était derrière nous » ; il a tout de même précisé que la crise pourrait durer plusieurs trimestres avant que l’on puisse retourner à la normale. Pour les lecteurs qui pensent qu’ils ne sont pas concernés par ladite crise et afin de bien mesurer la gravité de la situation, ils doivent savoir que les semi-conducteurs sont des matériaux en silicium sur lesquels sont gravés les processeurs électroniques. On les retrouve presque partout, dans les smartphones, les automobiles, l’informatique, mais également l’électronique et l’horlogerie.

 

L’innovation vaudoise dans le collimateur

Si l’on revient à notre analyse de la CVCI et de la BCV, les machines, les instruments et l’horlogerie représentaient 15’141 emplois en 2005, 17’448 en 2020. Si l’indicateur « emploi » semble encourageant, il n’en va pas de même de l’indicateur PIB. En effet sur la période de référence, la croissance de la valeur ajoutée a baissé de 13,2%.

Comme chacun sait, le canton de Vaud est truffé d’entreprises innovantes dont le coeur d’activité est la sous-traitance. C’est la force de notre région, comme les médias nous le répètent à l’envie et à juste titre. On pensera à des fleurons cantonaux tels que Ecorobotix, Astrocast ou encore Flybotix, entreprises qui ont fait parler d’elles récemment par leur innovation. Personne n’a pensé cependant à analyser la faiblesse de ce secteur et le fait que cette branche innovante qui fait notre fierté se nourrit principalement des développements de l’ingénierie et de microcontrôleurs.… Autrement dit, ces firmes dévorent des semi-conducteurs… Et de fait, elles risquent bientôt d’être affamées.

Les PME qui se retrouvent confrontées à cette situation subissent les conséquences de cette pénurie : elles se trouvent dans l’impossibilité de voir leurs commandes satisfaites et donc de livrer leur client final ce qui se solde par une perte de mandat et de chiffre d’affaires. La sanction est immédiate. Et face à cela aucune aide d’état ne semble pouvoir y faire quelque chose. Le marché est sans pitié.

 

Pourquoi cette pénurie est à prendre au sérieux

Vous penserez que la crise touche tous les secteurs et qu’il y a d’autres professions qui sont concernées par des pénuries plus générales de matériaux. C’est le cas de nombreux entrepreneurs du bâtiment par exemple, qui viennent à manquer de bois ou de pièces en aluminium. La difficulté touche également tous les entrepreneurs qui sont obligés de reporter les tarifs qui flambent sur leurs clients finaux. Mais un problème beaucoup plus grave existe : celui des pièces qui n’existent plus, car elles sont en rupture de stock ou totalement indisponibles, voire elles sont livrables sous des délais incompressibles et délirants de plus de 18 mois. On peut être obligé de réduire la commande en ne livrant que les rares pièces à disposition sur le marché. Se raccrochant aux branches certains entrepreneurs font appel à des brokers ou au marché gris. Ce faisant ils prennent des risques et ils peuvent se retrouver dans certains cas avec de fausses pièces. En parallèle, il est vital de pouvoir crédibiliser les délais pour éviter des reports « sauvages » et répétés.

Alors que certains grands groupes disposent de stocks et de facilité financière qui leur permettent de faire face, les PME, elles se retrouvent dans des situations inextricables.

C’est donc bien tout le tissu vaudois des entreprises innovantes qui est menacé par la contagion de cette crise des semi-conducteurs, et personne ne semble avoir pris la mesure de la gravité de la situation. Or, bien mesurer les enjeux et cerner les dangers permettrait de mieux réagir et de s’adapter.

 

Une action collective pour s’adapter

Une piste de réflexion pour faire face à la crise est la carte de l’entraide : il s’agirait de créer un fichier partagé qui référencerait tous les stocks tampons des PME de manière collective et permettrait ainsi de les rendre disponibles à ceux qui en ont un besoin urgent et veulent se porter acquéreur. C’est la meilleure solution envisageable à court terme. A long terme, il faudra évidemment avoir une réflexion stratégique sur la production nationale de semi-conducteurs.

 

Si elle n’est prise au sérieux, cette crise pourrait bien devenir le talon d’Achille du miracle vaudois. L’environnement des PME innovantes qui utilisent ces précieux composants électroniques a pris des années à se construire. La plupart se trouvent au milieu d’une course à l’innovation, une situation différente de l’artisan qui lui aura toujours des charpentes à construire quand les poutres de bois redeviendront accessibles. Elles ne peuvent se permettre aucune faiblesse dans leur développement. Or la pénurie de matériaux dont elles souffrent actuellement si elle n’est dénoncée et traitée énergiquement pourrait bien être fatale à l’ensemble de l’écosystème. Il est donc urgent d’agir collectivement avant qu’il ne soit trop tard ou d’espérer… un miracle.

 

 

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Antoine Lorotte

Ingénieur en microtechnique de l’EPFL, Antoine Lorotte est le directeur et cofondateur de l’entreprise FiveCo. Créé en 2002, ce bureau d’ingénieurs en innovation technologique s’est spécialisé dans l’électronique, la mécanique et la programmation embarquée. Avec une réelle culture industrielle, FiveCo gère des projets de l’idée jusqu'à la mise en production.

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